Saint Jacques de Compostelle

En 2022, 278 000 pèlerins sont arrivés à Saint-Jacques de Compostelle après avoir parcouru au moins 100 kilomètres à pied pour plus de 95% ou 200 kilomètres à vélo. Que viennent-ils chercher ? Pourquoi aller à Compostelle ?

L’engouement pour le pèlerinage est récent. En 1990, on ne comptait que 15 000 pèlerins. Ils étaient 50 000 en 2000 et plus de 200 000 en 2010. Il avait atteint son apogée au XIIIe siècle avec plusieurs centaines de milliers de pèlerins par an après l’inauguration de la nouvelle cathédrale par le roi de León et de Galice Alphonse IX (1171-1230). Ensuite, le flot des pèlerins va aller en diminuant suite aux épidémies de peste, à la guerre de Cent Ans en France qui pousse des soldats désœuvrés se livrant au brigandage sur les routes et bien d’autres causes mineures. En 1867, il n’y aura que 40 pèlerins pour célébrer la Saint-Jacques dans la cathédrale.

La ville de Compostelle accueille plus de 2 millions de touristes par an qu’il ne faut pas confondre avec les pèlerins. Ceux-ci doivent parcourir une partie du chemin à pied (minimum 100 kilomètres, parfois plus d’un millier). Les pèlerins sont identifiés par leur crédencial, dont je vais reparler, un passeport qui retrace leur parcours.

Qui sont les pèlerins actuels? 10% parcourent le chemin pour le sport, 47% ont un but spirituel, ils se déconnectent du monde, ils s’interrogent sur leur vie intérieure ou ils cherchent un sens, non matériel, à leur vie. Les 43% restant sont animés par la foi, ils vont vénérer le tombeau et les reliques de saint Jacques. Et pourtant, les mots tombeau et reliques ont disparu des discours des papes depuis Jean-Paul II qui parlait du mémorial de saint-Jacques. Benoît XIV associait la cathédrale de Compostelle à la « mémoire de saint-Jacques ».

La création d’un mythe

Origines

Au début du Ve siècle, des premiers écrits mentionnent qu’un apôtre direct de Jésus, Jacques le Majeur, frère de Jean, fils de Zébédée, aurait évangélisé le nord-ouest de l’Espagne, la Galice. Devant le peu de succès de sa prédication, il serait retourné en Palestine, où il aurait été décapité sur l’ordre d’Hérode Agrippa entre 41 et 44. Des compagnons auraient recueilli sa dépouille et transportée dans un bateau qui, « guidé par un ange », aurait navigué vers les lieux où il aurait prêché. (Voir l’article).

Un saint espagnol

Au VIIIe siècle, les Wisigoths d’Espagne passent sous la domination des Maures, musulmans, venus du Maroc actuel. Des royaumes chrétiens subsistent au nord, protégés par la chaîne des montagnes Cantabriques. En 844, dans la Galice, le roi des Asturies, Ramire Ier (842-850), vient de subir une cuisante défaite devant le calife Abd al-Raman II (822-852). Il s’est réfugié sur la colline de Clavijo. Là, il voit en songe un ange qui lui enjoint de tenter une offensive. Au cours du combat qui s’ensuit, un chevalier monté sur un cheval blanc, lance au poing, aurait pourfendu les Maures et assuré la victoire des chrétiens. Ce cavalier n’est autre que saint Jacques surnommé depuis « Matamore », le tueur de Maures.

Un texte de 1077 raconte qu’au IXe siècle, un ermite, Pelagos, et Théodomir, l’évêque de Iria-Flavia (où avait accosté la dépouille de Jacques), guidés par une pluie d’étoiles, ont découvert un tumulus dans un ancien cimetière romain appelé « campus stellarum« , le champ d’étoiles qui aurait donné son nom à Compostelle. L’Église locale décrète que le tombeau de l’apôtre Jacques a été découvert. Des églises sont construites et le pèlerinage prend naissance dans un contexte politico-religieux. Saint-Jacques, Santiago (Sant Iago) en vieux castillan, va accompagner la reconquête de l’Espagne, la reconquista.

En 1492, après la prise de Grenade, l’Espagne est redevenue chrétienne. Le pape Alexandre VI Borgia, qui est espagnol, reconnait Compostelle comme un des trois grands pèlerinages chrétiens avec Rome et Jérusalem.

Le désintérêt et la perte des reliques

Comme je l’ai dit, la peste et les guerres vont avoir raison du pèlerinage. Au XVIe siècle, les attaques répétées des corsaires anglais sur les côtes de Galice font craindre le pillage de la cathédrale. Les reliques sont donc cachées dans un endroit tenu secret. Tellement secret, qu’elles sont perdues.

Re-découverte des reliques

En 1879, miracle ! L’évêque Miguel Paya y Rico voit saint Jacques lui indiquer l’emplacement de son corps. Le pape s’empresse d’identifier le corps. Philippe Martin, professeur d’histoire à l’Université de Lyon 2, ironise en déclarant que le corps découvert serait celui d’un hérétique, Priscillien, décapité au IVe siècle… par les chrétiens « orthodoxes ».

Le pèlerinage

Au Moyen Âge, les pèlerins voyagent « légers », sans le sou. Ils sont considérés comme des sans-abris et refoulés aux barrières de péage. Ils reçoivent donc un document du curé de leur village, indiquant le but du voyage et l’itinéraire à suivre. C’est le premier passeport de l’histoire.

Les pèlerins « volontaires » ne sont pas les seuls sur le chemin de Saint-Jacques. On trouve aussi des pénitents qui expient leurs fautes en se rendant à Compostelle. Pour s’assurer qu’ils accomplissent bien le pèlerinage, ils doivent faire « signer » un document par le représentant de l’Église à chacune des étapes et se faire délivrer un « certificat » à la fin du voyage. Cette procédure a donné naissance de nos jours à la « credencial » qui se couvre de cachets tout au long du chemin. C’est ce document qui différencie les pèlerins et les touristes à Compostelle : les pèlerins reçoivent toujours le fameux certificat. La credencial permet également de passer la nuit dans un gîte tenu par les religieux, gîtes qui parsèment tout le chemin.

La coquille

Tout le chemin est jalonné d’un symbole : la coquille Saint-Jacques. En ville ou dans les campagnes, elle guide le pèlerin. Certains l’arborent sur leur sac ou leur veste. Auparavant, c’est au retour que l’on exhibait la coquille, preuve que le pèlerinage avait été effectué. Mais d’où vient cette coutume ? On ne sait pas exactement. Compostelle se trouve à 80 kilomètres de l’océan. La légende raconte que lorsque les compagnons de Jacques ont sorti le corps du bateau, il est tombé à l’eau et a été remonté par un banc de coquilles qui depuis ont reçu le nom de coquille Saint-Jacques.

Le pèlerinage de Nicolas Flamel

Nicolas Flamel est libraire et écrivain public à Paris. Il est connu comme étant un alchimiste qui aurait réalisé le Grand Œuvre. Laissons cette phrase au conditionnel. « Il entreprend le pèlerinage à Compostelle en 1379, au temps de Pâques, comme la plupart des pèlerins. Il se confesse et reçoit des lettres de son évêque qui lui serviront pour la route. » Il rejoint les autres pèlerins devant l’église de Saint-Jacques de la Boucherie, dont la tour est toujours visible à Paris, pour y entendre la messe. On apprend qu’à partir de Bordeaux jusqu’à la frontière espagnole, les pèlerins sont protégés par les chevaliers de saint-Jean qui assurent la police sur les routes. A Compostelle, il reçoit la coquille qu’il fixe sur son chapeau. « Elle le protègera des maladies ». Il effectuera le retour en bateau. Il rentre à Paris en décembre, mais on ignore si c’est en 1379 ou 1380. Sa maison est toujours visible dans le 3e arrondissement, au 51 de la rue de Montmorency.

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