Le nom des apôtres de Jésus ne semble pas avoir été un sujet très important pour les premiers chrétiens. Leurs noms ont vite été oubliés. Ainsi l’Évangile de Jean n’en cite que cinq. Et dans les évangiles synoptiques, la liste est constante à une exception près, Jude n’est cité que par Luc et est remplacé par Thaddée dans les autres évangiles :
- Dans l’Évangile de Luc (6, 12-16) on trouve : Simon (appelé Pierre), André (son frère), Jacques, Jean, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques (d’Alphée), Simon (appelé le Zélote), Jude (de Jacques) et Judas.
- Dans l’Évangile de Marc (3, 13-19) : Simon (appelé Pierre), Jacques (de Zébédée), Jean (son frère), André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques (d’Alphée), Thaddée, Simon (le Zélote) et Judas.
Il semble que cette liste ait été « retravaillée », car dans le récit du recrutement de Matthieu, le percepteur des taxes, Marc le nomme « Lévi d’Alphée » (Marc 2, 14). Ce qui ne simplifie pas les choses comme on va le voir. - Dans l’Évangile de Matthieu (10, 1-4) : Simon (appelé Pierre), André (son frère), Jacques (de Zébédée), Jean (son frère), Philippe, Barthélemy, Thomas, Matthieu, Jacques (d’Alphée), Thaddée, Simon (le Zélote) et Judas.
Pour sa part, l’Évangile de Jean ne donne pas de liste, mais cite, dans le texte : Simon-Pierre, André (son frère), Philippe, Nathanaël (un vrai Israélite), Thomas (dit Didyme).
Les Actes des Apôtres reprend la liste de l’Évangile de Luc, ce qui semble logique puisqu’on attribue aux deux textes le même auteur.
Les Actes sont plutôt une compilation qu’un texte écrit à une seule main. La livre comporte deux parties distinctes : (1) Pierre et Jean à Jérusalem et (2) les voyages de Paul. Ce sont des scènes juxtaposées plutôt qu’un récit continu. Dans la partie consacrée à Paul, on passe de la troisième personne du singulier (il) à la première du pluriel (nous).
Dans les Actes des Apôtres, on apprend que Judas a été remplacé par Matthias.
Jacques fils de Zébédée
Jacques, fils de Zébédée est aussi appelé Jacques le Majeur. C’est le seul apôtre dont les textes canoniques (le Nouveau Testament) nous livrent une vie « complète ». En effet, Jacques meurt dans les Actes des Apôtres. Ce qui est exceptionnel. Alors que les évangiles et les Actes des Apôtres ont été rédigés après la mort de la plupart des protagonistes, on ne parle que de la mort de Jacques… en une ligne :
A cette époque-là, le roi Hérode entreprit de mettre à mal certains membres de l’Église. Il supprima par le glaive Jacques, frère de Jean.
C’est bref, comme la biographie de Jacques : il fut un disciple de Jésus et a été exécuté par le glaive sous Hérode. Il s’agit ici d’Hérode Agrippa Ier, éduqué à Rome, où il fréquente les l’empereurs Caïus, dit Caligula et Claude. Caïus reçut ce surnom, qu’il détestait, lorsqu’il était enfant. Il accompagnait son père Germanicus sur les champs de bataille. On l’habillait comme un légionnaire ce qui lui valu le surnom de « petite godasse« .
Hérode Agrippa est le neveu d’Hérode Antipas, tétrarque de Galilée jusqu’en 39, et le petit-fils d’Hérode le Grand. Son nom latin est Marcus Julius Agrippa. Son amitié avec les empereurs l’a conduit aux plus hautes fonctions au Proche Orient, où il est devenu le maître de tous les territoires auparavant gouvernés par son ancêtre Hérode le Grand, dont la Judée en 41. Il est mort en 44. La mort de Jacques se situerait donc entre 41 et 44.
Mais Jacques va connaître une résurrection triomphale.
En 844, dans la Galice, au nord-ouest de l’Espagne, le roi d’Asturie, Ramire Ier (842-850), vient de subir une cuissance defaite devant le calife abd al-Raman II (822-852). Il s’est réfugié sur la colline de Clavijo. Là, il voit en songe un ange qui lui enjoint de tenter une offensive. Au cours du combat qui s’ensuit, un chevalier monté sur un cheval blanc, lance au poing, pourfend les Maures et assure la victoire des chrétiens. Ce cavalier n’est autre que saint Jacques surnommé depuis « Matamore« , le tueur de Maures.
Comment s’est-il retrouvé là ?
C’est saint Jérôme de Stridon (347-420), le traducteur de la Bible du grec en latin, grand pourvoyeur de légendes chrétiennes qui est à l’origine de ce miracle. Il a imaginé qu’avant de mourir à Jérusalem, Jacques serait allé évangéliser l’Espagne. Chaque contrée avait besoin d’un saint patron et Jacques était disponible.
Il aurait donc quitté l’Espagne après un bref et peu fructueux séjour avant de mourir à Jérusalem. Or, au IXe siècle, un ermite aurait été guidé vers un champ (campo) où tombaient des étoiles (estrella). A l’endroit de l’impact, dans un cimetière romain, il découvrit la tombe de saint Jacques. Compostelle était né.
A sa mort, son corps aurait été placé dans une barque en pierre, sans voile ni gouvernail. La barque aurait traversé la Méditerranée en 7 jours, passé les colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar), bifurqué à droite pour remonter vers le nord et aborder en Espagne à Iria Flavia (aujourd’hui Padron, la destination finale du pèlerinage de Compostelle… pour les courageux), port construit par l’empereur Vespasien, qui ne revêtira la pourpre que plus de 30 ans (en 68) après la mort de Jacques.
Jacques le Mineur, fils d’Alphée
La vie de Jacques le Mineur nous serait restée inconnue ou au mieux confuse (il est mort à plusieurs endroits !) si saint Jérôme de Stridon ne s’en était mêlé. Afin de respecter le dogme de la virginité perpétuelle de Marie, mis à mal par l’apparition des « frères de Jésus » dans les évangiles, il a fait des frères, des cousins. L’idée prend de l’ampleur au IXe siècle : on raconte que Marie aurait eu deux sœurs : la première appelée Marie et la seconde appelée Marie. Rien de très original.
La première, aussi appelée Salomé, a épousé Zébédée et a eu deux fils : Jean et Jacques (le Majeur, dont on vient de parler).
La seconde, aussi appelé Jacobé, est l’épouse d’Alphée dont elle a eu quatre fils : Jacques (le Mineur), Simon, Joset et Jude, soit les frères de Jésus dans les évangiles, qui deviennent alors ses cousins. Dans l’Évangile de Jean, elle est la femme de Clopas. On en conclut qu’Alphée s’appelait également Clopas.
Du coup, d’un personnage secondaire, Jacques émerge dans la lumière. Jacques le Mineur est Jacques le Juste, frère du Seigneur, qui dirigea la communauté de Jérusalem à la mort de Jésus. Il prit la tête du mouvement chrétien en essayant de lui garder une connotation juive. D’après Flavius Josèphe, dans le livre XX des Antiquités juives, il sera lapidé en 62.
Ayant appris la mort de Festus (60 à 62), l’empereur envoya Albinus (62 à 64) en Judée comme procurateur. Le roi enleva le pontificat à Joseph le grand-prêtre et donna la succession de cette charge au fils d’Anan, nommé lui aussi Anan…. [Il] était d’un caractère fier et d’un courage remarquable ; il suivait, en effet, la doctrine les sadducéens, qui sont inflexibles dans leur manière de voir si on les compare aux autres Juifs, ainsi que nous l’avons déjà montré. Comme Anan était tel et qu’il croyait avoir une occasion favorable parce que Festus était mort et Albinus encore en route, il réunit un sanhédrin, traduisit devant lui Jacques, frère de Jésus appelé le Christ, et certains autres, en les accusant d’avoir transgressé la loi, et il les fit lapider.
Le successeur de Jacques, si on en croit la tradition, ne sera personne d’autre que son frère Simon… un autre apôtre, nommé de Zélote. Donc, les derniers apôtres cités, Jacques, Simon et Jude seraient les frères de Jésus. J’ai consacré un article aux frères de Jésus.
Le professeur James Tabor (universités de Caroline du Nord et de Notre-Dame) dans son livre la « Véritable histoire de Jésus » va plus loin dans cette voie. Pour lui, Alphée ou Clopas serait le frère de Joseph et aurait épousé Marie, mère de Jésus, à la mort de Joseph. Les frères de Jésus seraient bien ses frères par la chair. Une dynastie constituée de ses frères aurait dirigé son mouvement à sa mort. Nous allons voir que cette théorie n’est pas sans fondement.
Si Simon était bien un zélote, il a dû prendre part à la guerre de 66-70 contre les Romains et la communauté de Jérusalem aura disparu.
Les Maries
Que disent les évangiles des différentes Maries (citations reprises de Wikipédia). Elles se trouvaient au pied de la croix lors du supplice de Jésus et elles ont accompagné son corps vers le tombeau.
- Mt 27,56 : « Parmi les femmes qui étaient au pied de la croix, il y avait Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et de Joseph , et la mère des fils de Zébédée (Salomé). »
- Mt 28,1 : « Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent visiter le sépulcre. »
- Mc 15,40 : « Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, parmi elles Marie de Magdala, et Marie, mère de Jacques le petit et de Joset , et Salomé… »
- Mc 15,47 : « Or Marie de Magdala, et Marie, mère de Joset regardaient où on l’avait mis.»
- Mc 16,1 : « Lorsque le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques , et Salomé, achetèrent des aromates, afin d’aller embaumer Jésus. »
- Jn 19,25 : « Près de la croix se tenaient sa mère, la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. »
- Lc 24,10 : « Celles qui dirent ces choses aux apôtres étaient Marie de Magdala, Jeanne, Marie, mère de Jacques, et les autres qui étaient avec elles. »
On remarque que Salomé est nommé, par contre, on ne connaît pas le nom de la « mère de Jacques » et la mère de Jésus n’apparaît pas dans ces listes, sauf dans l’Évangile de Jean (en gras). Ce qui est très étrange. Sauf si Marie mère de Jacques et de Joset est aussi la mère de Jésus (passage souligné).
On m’opposera que Jésus sur la croix a confié sa mère à l' »apôtre qu’il aimait » et qu’il ne l’aurait pas fait si sa mère avait eu un mari ou un enfant pour prendre soin d’elle. Mais cet épisode n’est raconté que par le seul Évangile de Jean. Évangile dans lequel Jésus est crucifié le jeudi, lors que sa troisième visite à Jérusalem. Alors que les autres évangiles situent sa mort le vendredi, lors de son premier séjour à Jérusalem.
La vie de Jésus a été construite par la tradition à partir d’éléments disparates. Sa naissance a été empruntée à l’Évangile de Luc, son ministère à l’Évangile de Matthieu et ses dernières paroles à l’Évangile de Jean. La vie de Jésus est un récit théologique et hagiographique, pas une biographie écrite par un historien.
Que sont devenues les Maries ?
La légende raconte que Salomé, Jacobé et Marie de Magdala (Marie-Madeleine) ont pris place dans une barque en pierre, sans voile ni gouvernail (tiens, tiens) qui aurait accosté dans le sud de la France dans le village qui porte aujourd’hui le nom de Saintes-Marie de la Mer, en Camargue.
Leurs reliques ont été découvertes de 1448 par le roi René, comte de Provence, roi de Naples et de Sicile. Le tombeau de Marie de Magdala est vénéré dans une grotte, où elle se serait retirée, à Plan-d’Aups-Sainte-Baume dans le département du Var.
Pour ajouter à la confusion
Vers le IVe siècle, des listes des apôtres et des disciples ont fleuri dans le monde chrétien. Ces recensions sont largement différentes et nous laissent dans l’indécision la plus complète. Mais nous ne sommes pas les seuls à nous y perdre. Que penser de saint Épiphane de Salamine (315-403), père de l’Église, lorsqu’il arrive au neuvième apôtre :
9. Jacques surnommé Thaddée, frère du Seigneur selon la chair, …
10. Thaddée dit aussi Lebbée, frère du précédent, surnommé Jude de Jacques…
11. Jude, frère du Seigneur, à la suite de Jacques son frère…
Jacques est nommé Thaddée, Thaddée est nommé Jude… et Jude comme l’appelle-t-on ?
Pour Épiphane, Jacques et Jude, de même que Thaddée, sont bien les frères de Jésus… saint Jérôme n’était pas encore passé par là.