Muawiya : le premier calife omeyyade

Le cas de Muawiya est très intéressant car il illustre la manière dont l’idéologie reconstruit l’Histoire.

Que nous dit la tradition sur ce calife ?

Muawiya est le cinquième calife. Il « succède » (prend le pouvoir) aux califes « bien guidés », les compagnons de Mahomet :

  • Abu Bakr (632-634) qui, selon la tradition, a rassemblé toutes les tribus de la péninsule arabique sous la bannière de l’islam.
  • Umar (634-644) toujours selon la tradition, lance la conquête des empires byzantin et perse. Il serait également le législateur, celui qui mit en place les grandes lignes de l’administration. Il meurt assassiné à Médine.
  • Uthman (644-656) aurait compilé le Coran. Il meurt assassiné à Médine.
  • Ali (656-660) meurt assassiné à Koufa en 661, sur les rives de l’Euphrate, en entrant dans la mosquée. Il était accusé d’avoir fait assassiner son prédécesseur.

De ces califes, nous n’avons aucune preuve historique de leur existence : ni pièce de monnaie à leur effigie, ni document signé de leur main, ni inscription. Il faut attendre le IX° siècle pour que la tradition musulmane nous renseigne sur les faits et gestes de ces personnages. A cette époque, les califes omeyyades sont présentés comme des tyrans impies ayant mis fin à l’âge d’or de l’islam. C’est seulement à cette époque également que la différence en sunnites et chiites fait son apparition.
Les quatre premiers califes sont appelés « salaf« , les ancêtres, aussi honorés sous le nom de « al-salaf al-salih« , les pieux ancêtres. Le salafisme est donc un mouvement qui veut retourner aux sources de l’islam. Or on ne sait rien de cet islam des débuts de la conquête.

NB : la grande majorité des historiens (99% ?), même ceux qui se qualifient de chercheurs, acceptent la tradition musulmane comme étant la transcription exacte de l’Histoire.

Muawiya est le fils d’Abu Sufyan et le cousin d’Uthman.
D’après la tradition, tous les califes appartiennent à la tribu des Qurayshites qui occupait La Mecque. A l’époque de Mahomet, Abu Sufyan, du clan des Abd Shams, était le riche chef de la tribu. Il était hostile à Mahomet, du clan des Hashim, et à sa prédication. Il le chassa de La Mecque et l’assiégea plusieurs fois à Médine, avant de se convertir quelques temps avant la mort du prophète.
Le nom Omeyyade vient d’un ancêtre du clan appelé Umayya, grand-père d’Abu Sufyan.

Muawiya, cousin de Uthman, était gouverneur de Syrie, c’est lui qui accusa Ali du meurtre du calife. Il est donc à l’origine de la première guerre civile entre Arabes. Il profita de défaite d’Ali pour se faire proclamer calife (660-680) à Jérusalem et installer le califat à Damas, alors qu’auparavant, le centre de décision était à Médine… à mille kilomètres du théâtre des opérations militaires ! Il offrit une grosse d’argent au fils survivant d’Ali, Hasan, pour qu’il abandonne la vendetta et renonce à ses prétentions califales.

Durant cette première guerre civile qui opposa les Arabes de Syrie aux partisans de Mahomet, la tradition nous rapporte un événement surréaliste que les historiens considèrent comme un fait avéré. Voici ce qu’en dit le très sérieux « Dictionnaire historique de l’islam », sous la rubrique « Ali ibn Abi Talib  » : « Lors de la bataille de Siffin (658), tandis que les troupes syriennes semblaient faiblir, leur chef fit hisser des feuillets du Coran sur les lances demandant par là que l’on recourût à un arbitrage fondé sur la consultation du Coran. » Dans le même ouvrage, on lit sous la rubrique « Coran » que le troisième calife, Uthman, qui est mort deux ans avant la bataille, fut chargé de compiler le Coran : « Le calife conserva un exemplaire à Médine où il résidait et envoya les (trois) autres exemplaires dans les grandes villes de l’empire Bassorah, Koufra et Damas. »

Il y avait donc quatre exemplaires du Coran, à cette époque, que les soldats impies transportaient avec eux et qu’ils déchiraient allègrement… Pas étonnant qu’on n’en retrouve aucune trace.

Que sait-on du personnage historique ?

C’est le premier calife dont le nom apparaît sur des monnaies et des documents. En tant que gouverneur de Syrie, il fait construire une flotte pour s’emparer de l’île de Chypre. C’est la première flotte musulmane. Il enverra même son fils Yazid, qui lui succéda, assiéger Constantinople… en vain.
Il ne change rien à l’administration qui reste aux mains des Grecs (byzantins) et des Perses. Un contemporain dira de lui : « il permit à chacun de vivre à sa façon« . Il nomma cependant deux familiers comme « vice-rois » représentant le pouvoir dans l’ancien empire byzantin et dans l’ancien empire perse.

Il poursuivit la conquête vers l’ouest pour atteindre le Maghreb où il dut faire face à une vigoureuse opposition des Berbères. A l’est, les Arabes ont atteint le fleuve Oxus : tous les territoires de l’empire perse (sassanide) sont sous leur contrôle. L’Arménie et l’Anatolie restent aux mains des Byzantins et de leurs alliés.

Ce qui est remarquable, c’est le pèlerinage que Muawiya effectua à Jérusalem où il pria au Saint-Sépulcre, qui englobe le mont Golgotha et le tombeau de Jésus s’il faut en croire la tradition. Il se rendit également sur la tombe de Marie (l’église de l’Assomption), située dans la vallée du Cédron, près du Jardin des Oliviers. Cette vallée a été comblée, il faut donc descendre une quarantaine de marches pour voir un banc de pierre présenté comme la sépulture de Marie… qui d’après une autre tradition est morte à Éphèse où elle aurait suivi l’apôtre Jean.

Muawiya épousa une chrétienne, Maysun qui lui donna un fils : Yazid. Celui-ci épousa deux filles nobles de la tribu des Ghassanides, des chrétiennes. Tiens donc ! Il est probable que Muawiya et la dynastie omeyyade étaient originaires de Syrie, et non des Arabes de la péninsule. Durant son règne, il n’est jamais fait allusion ni à l’islam, ni à Mahomet. C’est le calife qui légifère, pas les religieux comme ce sera le cas au IX° siècle. Était-il chrétien ou voulait-il s’attirer la sympathie des chrétiens ?Mais dans ce cas, pourquoi ne pas se rendre sur les hauts lieux du zoroastrisme en Perse. N’oublions pas que les Arabes de Syrie et d’Irak étaient chrétiens, mais opposés à l’orthodoxie de Byzance (et de Rome).

Quelle est la situation religieuse à cette époque ?

Il n’y a pas de distinction claire entre ce qui deviendra l’islam et les autres religions. L’islam est-il une autre forme de christianisme ou une déviance du judaïsme, on pouvait se poser la question.
Essayons de nous projeter dans l’époque : les habitants s’habillent de la même façon, ils parlent la même langue, ont les mêmes usages et probablement, prient de la même manière. Allah signifie dieu en arabe quelque soit la religion. Et si les évêques ont une idée plus ou moins précise du dogme, ce n’est pas pareil pour le commun des croyants… comme c’est toujours le cas aujourd’hui.

La variété des monnaies est la preuve de ce syncrétisme. On voit indifféremment des croix chrétiennes héritées de l’empire byzantin frappées sur des pièces arabes ou, plus tard, le symbole perse d’Ahura-Mazda s’afficher avec l’inscription « Mahomet envoyé d’Allah ».
A l’époque de Muawiya, les pièces de monnaie portent la formule « Au nom de Dieu mon seigneur ». Son fils les datera de « année 1 de Yazid ».

La société est donc multiforme : il n’y a pas d’ostracisme racial, linguistique ou religieux. Il faudra attendre Abd al-Malik (685-705) pour que les Arabes soient favorisés dans l’administration et Umar II (717-720) pour que les chrétiens et les juifs reçoivent un statut différent, inférieur aux musulmans, la dhimma, un contrat de protection pour les non-musulmans. Ce statut est à l’origine financier : les hommes non-musulmans en âge d’être soldat devaient payer un impôt spécifique, mais c’est aussi une copie des lois byzantines à l’égard des non chrétiens « orthodoxes ».