Erdogan a remis ça ! Après la basilique Sainte-Sophie, il a converti l’église Saint-Sauveur in-Chora (dans les champs) en mosquée. Cette église a été bâtie au Ve siècle. Elle est devenue une mosquée, en 1511, après la prise Constantinople par les Ottomans.
Comme pour Sainte-Sophie, Kémal Atatürk en avait fait un musée en 1945. Les nombreuses mosaïques avaient été rendues visibles dès 1958. Aujourd’hui, elles sont de nouveaux occultées, non par de la chaux, mais par des rideaux. Erdogan prépare-t-il la fin de son règne et le retour à la « normale » ?
Saint-Sauveur in-Chora
Malgré l’immense portait de Mustapha Kémal Atatürk qui trône dans le bureau présidentiel, Erdogan détricote petit à petit tout l’héritage du père de la Turquie moderne.
Erdogan (en bas) Atatürk (en haut)
Alors, suspense ! Erdogan va-t-il réintroduire l’alphabet arabe, abandonné en 1928 par Mustapha Kémal et interdit en 1929, pour mieux s’imprégner de l’islam ? Mustapha Kémal l’avait remplacé par l’alphabet latin espérant que cela aiderait son pays à se développer économiquement. De plus, l’arabe est une langue consonantique, l’alphabet ne compte que 3 voyelles brèves (a, i, u) et 3 voyelles longues (â, î, û), alors que la langue turque utilise de nombreuses voyelles (A, E, I (sans point), I (avec un point), O, Ö, U, Ü ). A l’époque, 80% de la population était illettrée. Le moment du changement était très bien choisi. Le retour en arrière serait problématique.
Il l’avait promis lors de la campagne électorale pour les municipales de 2019, il l’a fait ! Malgré la perte des plus grandes villes de Turquie (Istanbul, Ankara, Antalya, etc.) par son parti, le président Recep Tayyip Erdogan a signé, le 10 juillet 2020, un décret transformant la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul en mosquée. Le 24 juillet, la première prière a eu lieu en présence du président. En 1934, le premier président de la république de Turquie, Mustapha Kémal Ataturk, avait « offert le bâtiment à l’Humanité » en le transformant en musée. C’est la seconde attraction touristique de Turquie en nombre de visiteurs après le palais de Topkapi. La basilique chrétienne était devenue une mosquée en 1453, après la prise de Constantinople par les troupes du sultan ottoman Mehmet II.
Qui est cette Sainte-Sophie ? En fait, ce n’est pas une sainte, même pas une personne. Le nom grec de la basilique a été mal traduit : Hagia Sophia signifie la Sagesse divine, la Sagesse de Dieu. La tradition chrétienne, veut que la Sagesse divine désigne Jésus. C’est très peu probable. La basilique a été commandée par l’empereur Constantin en 325, elle a été inaugurée par son fils Constance II qui était arien, il ne croyait pas à la Trinité, pour lui, Jésus n’était pas Dieu, donc pas la Sagesse divine. On peut pousser le questionnement plus loin. Est-ce que le bâtiment était une réplique du Panthéon de Rome, un temple dédié, comme son nom l’indique, à tous les dieux ? Constantin voulait-il élever un temple au « divin qui est au céleste séjour pour qu’il soit bienveillant pour lui » comme le mentionne l’édit de Milan (voir le texte dans l’article sur les ariens) ? A-t-il fait construire un temple dédié à Dieu, quel qu’il soit ?
Une histoire mouvementée
Constantinople (carte issue de l’atlas historique mondial de Christian Grataloup *****)
De la première basilique il ne reste rien. Elle a été incendiée en 404 puis en 532 lors d’émeutes. Elle est rebâtie par l’empereur Justinien en 532 sur le modèle du Panthéon de Rome. La décoration intérieure, faite de mosaïques, est achevée sous le règne de Justin II (565-578).
Après les incendies, ce sont les séismes qui s’acharnent sur le bâtiment. Pas moins de 16 tremblements de terre vont mettre à mal l’édifice de 553 à 1999. Quand ce ne sont pas les éléments qui se déchaînent, ce sont les hommes : l’empereur Léon l’Isaurien, en 726, bannit les images des lieux de culte, c’est la période dite iconoclaste (du grec « briseur d’icônes ». Les statues et les mosaïques sont détruites. En 1204, Constantinople est prise… par les croisés qui devaient aller défendre le royaume latin de Palestine. Ils pillent les bâtiments et ne respectent pas les églises ! Le sac de la ville a servi à payer les Vénitiens qui devaient transporter les troupes sur leurs navires. Les fameux chevaux de Saint-Marc, le quadrige que l’on peut admirer à Venise, ne sont qu’une partie du butin, ils ornaient l’hippodrome de Constantinople.
Les chevaux de la basilique Saint-Marc à Venise
Les dégâts occasionnés par les hommes et surtout les catastrophes naturelles ont façonnés l’aspect extérieur de la basilique Sainte-Sophie. Toutes les constructions qui l’entourent, qui lui font un corset, sont des contreforts destinés à renforcer sa fragile structure.
L’époque ottomane
En mai 1453, le sultan ottoman Mehmet II assiège Constantinople. A cette époque, l’Empire byzantin est réduit à une portion congrue : la région de Constantinople et le Péloponnèse, le sud de la Grèce. Malgré cela, l’empire reste vivace, son commerce est florissant. Il rivalise avec les cités italiennes : Venise et Gênes. Les défenseurs de Byzance sont confiants. Ils sont secondés par des Génois, qui occupent la colline de Galata (voir la carte). La ville a résisté à tous les sièges depuis 11 siècles grâce à trois lignes de défense et des citernes d’eau d’une capacité totale de plus d’un million de m³, dont la célèbre citerne souterraine « Basilique », qui se visite. Elle est un des lieux emblématiques du roman de Dan Brown, « l’Enfer », avec les ville de Florence.
La citerne Basilique
Mais les Ottomans ont les moyens de leurs ambitions : ils ont disposé des bombardes devant le mur de Théodose. Elles vont s’acharner sur les murailles de la ville pendant trois semaines. Quand enfin des brèches apparaissent, les 100.000 hommes de Méhmet II entrent dans la ville. Les 7.000 défenseurs sont massacrés en vertu des lois de la guerre : si la ville ne se rend pas, c’est le sort des habitants, la mort ou l’esclavage.
Sainte-Sophie est épargnée du pillage : Mehmet II s’y rend pour prier. Il fera ajouter deux minarets à l’édifice bien délabré et procédera à des réparations. Les mosaïques placées au cours des siècles précédents sont recouvertes d’un lait de chaux : la religion islamique interdit les représentations humaines… Quoique ! Les portraits des princes saoudiens s’étalent sur les murs des gratte-ciels de la Péninsule et les miniatures ottomanes et perses représentent Mahomet.
Mahomet et l’ange Gabriel – MBS sur les murs d’une banque
Le sultan Sélim II (1566-1577), fils de Soliman le magnifique, fit ajouter deux minarets au bâtiment et des contreforts pour le consolider. Il lui donne son aspect actuel.
Dernières restaurations
Le sultan Abdulmecid entreprit une restauration très important à partir de 1847. Elle fut confiée à deux architectes suisses, les frères Fossati. Les mosaïques furent nettoyées, les lustres remplacés et huit panneaux circulaires de 7,5 mètres de diamètre accrochés au piliers. Ces panneaux portent, en arabe, les noms d’Allah, de Mahomet, des quatre premiers califes : Abu Bakr, Umar, Uthman et Ali, ainsi que Hussayn et Hassan, les fils d’Ali et de Fatima.
Panneau reprenant le nom de Mahomet.
Après la guerre 14-18, dans ce qui reste de l’Empire ottoman, Mustapha Kémal chasse les armées d’occupation grecques, italiennes, françaises et britanniques et instaure une république turque et laïque. En 1932, la récitation du Coran en turc est diffusée à la radio à partir de Sainte-Sophie dont il a fait enlever les panneaux écrits en arabe. En 1934, il désacralise Sainte-Sophie (en turc : Ayasofya) et en fait un musée.
Les panneaux ne seront remis qu’en 1951. En 1993, l’UNESCO entreprend de grands travaux de restauration qui durent jusqu’à aujourd’hui. Que vont devenir les mosaïques qui ont été restaurées, maintenant que l’édifice est rendu au culte islamique ?
Les représentations chrétiennes ont été recouvertes de voiles (au-dessus de la tête d’Erdogan)
Dans quel état va se trouver Sainte-Sophie après le séisme d’une magnitude d’au moins 5 sur l’échelle de Richter qui est attendu dans les années à venir à Istanbul ?
Première prière musulmane à Sainte-Sophie en 2020 en présence du président Erdogan. L’édifice est trop petit pour accueillir tous les fidèles.
La croyance populaire fait état d’un califat islamique s’étendant de l’Océan Atlantique au Gange. C’est aussi faux que de croire qu’à la même époque, le pape régnait sur toute l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural ou qu’au XIIe siècle, le roi de France gouvernait tout le territoire français (voir la carte dans l’article sur les Cathares). A l’exception des VIIIe et IXe siècles, les califes n’avaient qu’un pouvoir limité, plusieurs émirats ou sultanats indépendants administraient ce vaste territoire. Cette mosaïque d’États favorisa l’installation dans le Levant des barons chrétiens lors des croisades. Jamais ils ne durent affronter une armée levée par le calife. Ils combattaient des troupes locales commandées par des émirs. La seule armée de coalition qu’ils durent affronter est celle rassemblée par Saladin (Salah al-Din) à la bataille des Cornes de Hattin en juillet 1187. Mais cette armée se dispersa bien vite, empêchant Saladin de rejeter les chrétiens à la mer. Ils purent se maintenir jusqu’en 1291.
Il n’y a pas eu un califat, mais cinq, si l’on ne tient pas compte de l’éphémère califat autoproclamé d’Abu Bakr al-Baghdadi, le chef spirituel de DAESH. Voyons comment ils ont fini.
Les califat omeyyade (661-749)
La première dynastie califale n’a régné que 88 ans. Les Omeyyades ont toujours été considérés comme des usurpateurs, des impies. Ils ne font pas partie de la famille du prophète et ils ne descendent même pas d’un compagnon de Mahomet. La tradition islamique les considère comme héritiers du plus grand adversaire du prophète : Abu Sufyan, maître de La Mecque qui lui fit la guerre jusqu’à Médine. Pour ma part, j’estime qu’ils sont issus de l’aristocratie ghassanide établie en Syrie.
Ils ont toujours dû faire face à l’opposition des disciples d’Ali, descendant d’Abu Talib, l’oncle protecteur de Mahomet ou des compagnons du prophète. Pourtant, c’est d’ailleurs qu’allait venir le danger. Des confins de la Perse, du Khurasan et de la Transoxiane, une armée hétéroclite commandée par un descendant d’un autre oncle de Mahomet, Abbas, se dirige vers Damas, et massacre tous les membres de la famille omeyyade… sauf un dont on reparlera. Cette armée est composée d’Arabes, de Perses, de Turcs descendus des steppes, mais aussi de Sindis, d’Alains, de Khazars et de Mèdes ! La civilisation islamique rompt avec l’orientation judéo-chrétienne de Damas. L’élite syro-arabe fait place à un monde cosmopolite. Délaissant Damas, le deuxième calife abbasside, al-Mansur, fait construire une ville nouvelle là où le Tigre et l’Euphrate sont les plus proches : la ville de Bagdad, face à l’ancienne capitale perse, Ctésiphon qui servira de carrière. Elle sera inaugurée en 762.
A ma connaissance, l’oncle Abbas n’apparaît pas dans la Sîra, la biographie de Mahomet pourtant écrite sous la dynastie abbasside.
Quatorze califes omeyyades se sont succédés. Pour plus de détails, voir mes articles sur Muawiya, Abd al-Malik et le Dôme du Rocher.
Le califat de Cordoue (912-1031)
Fuyant la rage homicide des Abbassides, le prince Abd al-Rahman, le dernier des Omeyyades, trouve refuge dans la tribu de sa mère en Ifriqya, la Tunisie actuelle. Là, il recrute une armée et passe en Espagne où il se fait reconnaître émir de Cordoue. On est en 756. C’est le premier territoire perdu par les califes abbassides, d’autres suivront à commencer par le Maghreb. Sous le règne des Omeyyades de Cordoue, la ville va prendre de l’éclat et devenir la seconde ville de l’Islam après Bagdad.
En 912, Abd al-Rahman III se proclame calife d’Al-Andalus. Dans cet État, les chrétiens et les juifs vivent en bonne entende avec les musulmans, tous parlent arabe, en plus de leur langue maternelle. Les sciences sont à l’honneur à Cordoue et à Tolède. Les savants traduisent les textes des auteurs grecs, perdus du monde chrétien.
En 976, le calife qui monte sur le trône n’est encore qu’un enfant. C’est son conseiller surnommé al-Mansur, le victorieux, qui dirige effectivement le califat. Il entreprend de soumettre les royaumes chrétiens qui subsistent dans le nord de l’Espagne : d’ouest en est, les royaumes de Léon, de Castille, de Navarre, d’Aragon et le comté de Barcelone. L’antagonisme qui règne entre les royaumes chrétiens lui facilite la tâche. Mais quand ils s’allient enfin, al-Mansur doit faire appel à des mercenaires maghrébins, les Almoravides qui ont acquis leur indépendance vis à vis du califat abbasside.
A la mort d’Al-Mansur, les Almoravides, islamistes radicaux, imposent leur vision de l’islam et prennent petit à petit le pouvoir. C’est la fin d’Al-Andalus et de son califat. Divers émirats, indépendants et concurrents, vont se partager le territoire, ce sont les taïfas (faction en arabe).
Les rois chrétiens, surtout Alphonse VI roi de Léon puis de Castille, vont profiter de la situation pour conquérir la taïfa de Tolède (1085), la plus étendue. La culture d’Al-Andalus subsistera dans la ville de Tolède au grand dam des papes qui iront jusqu’à considérer les chrétiens de Tolède comme des hérétiques. Grâce à la prise de Tolède, les auteurs grecs dont Aristote, seront étudiés dans l’Europe chrétienne.
Après la bataille de Las Navas de Toloso (1212), il ne restera plus qu’une seule taïfa, celle de Grenade, qui sera conquise en 1492
Le califat fatimide (909-1171)
Au Maghreb oriental (Ifriqya), une dynastie chiite proclame un califat qui s’oppose à celui de Bagdad. Leur nom leur vient de la fille de Mahomet, Fatima, épouse d’Ali dont le premier calife, Ubbay Allah al-Madhi, se prétend le descendant. Malgré l’opposition des oulémas sunnites, la dynastie va se maintenir et commencer son expansion, en Sicile tout d’abord, puis en Égypte (en 969). Les Fatimides vont développer la ville du Caire qui deviendra le pendant de Bagdad et de Cordoue au point de vue architectural et culturel. Ils n’imposent pas leur foi, ils font preuve de tolérance. Au Xe siècle, il y avait encore près de 50% de chrétiens en Égypte (les coptes), Toute l’Afrique, sauf le Maroc actuel passe sous la domination du califat chiite.
Les califes visent maintenant la Syrie, qui est repassée aux mains des Byzantins bientôt chassés par les Turcs seldjoukides. Turcs et Égyptiens vont se disputer la possession de Jérusalem. Cette guerre permanente décidera les papes à organiser la croisade pour permettre aux pèlerins de gagner la Palestine sans risque.
Les Égyptiens (re-) prennent Jérusalem en 1098. C’est donc eux que les croisés affronteront en juillet 1099. L’armée califale constituée de Berbères dans les premiers temps, devient hétéroclite, incorporant des Turcs et des esclaves capturés très jeunes en pays chrétiens et convertis à l’islam. Pour faire face aux barons chrétiens, les califes font appel à des armées syriennes dont celle de Saladin qui va infliger une défaite mémorable aux chrétiens en Galilée, aux Cornes de Hattin en 1187, avant de reprendre Jérusalem.
Saladin va s’installer en Egypte. Il mettra fin au califat chiite, prêtant allégeance au calife de Bagdad. Sa dynastie, les Ayyoubides ne se maintiendra au pouvoir que 79 ans. En 1250, l’armée prend le pouvoir et installe ce que l’on a appelé le sultanat mamelouk. Mamelouk signifie « qui appartient aux autres ». Souvenons-nous que l’armée égyptienne était composée d’esclaves convertis. Ce sont eux qui ont pris le pouvoir. Ils vont se maintenir jusqu’en 1517, lorsque les Turcs ottomans envahiront la Syrie et l’Egypte. Mais le corps d’armée mamelouk continuera à servir ses nouveaux maîtres. Lorsque le général Bonaparte quittera l’Egypte en 1799, il emmènera avec lui Roustan, un mamelouk arménien qui sera son intendant, son garde du corps.
Quatorze califes fatimides se sont succédés.
Le califat abbasside (750-1258-1517)
C’est le califat qui va résister le plus longtemps. Il a très vite perdu toutes velléités expansionnistes, perdant petit à petit des territoires et se contentant d’un rôle spirituel, laissant la direction du califat à des émirs ou des sultans, essentiellement turcs.
Au XIIIe siècle, une nouvelle puissance apparaît sur l’échiquier politique : les Mongols. Ils envahissent toute l’Asie du nord, et occupent l’Europe jusqu’à Vienne. Ils abandonnent leurs conquêtes en l’Europe à la mort de leur grand khan Ogodeï en 1241. Tous les chefs quittent leurs positions pour participer à l’élection du nouveau khan. Möngke le successeur d’Ogodeï, reprend la conquête, délaissant l’Europe, il s’attaque à l’empire islamique. Il s’empare de l’Iran en 1253 et détruit Bagdad en 1258, mettant fin au califat. Des membres de la famille abbasside vont se réfugier en Egypte, sous la protection des mamelouks. Ils garderont le titre honorifique de calife.
Les Mongols sont des guerriers redoutables. Si une ville ne se rend pas, elle est détruite et ses habitants massacrés, leurs têtes empilées aux portes de la ville. C’est ce qui est arrivé à Bagdad. Mais, ils sont aussi très hospitaliers, curieux des autres cultures. Des prêtres chrétiens nestoriens vivaient à la cour mongol. Les nestoriens sont les disciples de l’évêque Nestorius qui a refusé de considérer Marie comme « mère de Dieu », car en toute logique, la mère précède le fils, donc Marie aurait dû être créée avant Dieu. Les Nestoriens ont été expulsés de l’empire Byzantin au Ve siècle, ils sont partis vers l’est.
Dans leur combat contre les musulmans, les Mongols ont demandé l’aide du pape et des rois de France (Louis IX et Philippe le Bel) et d’Angleterre (Richard Cœur de lion). En vain. Seuls le royaume d’Arménie et le principat d’Antioche s’allieront à eux. Par contre, les autres barons chrétiens permettront au mamelouk Baybars de traverser leur territoire, tout en assurant leur ravitaillement, pour s’attaquer à une faible armée mongole, laissée en Palestine, alors que les chefs étaient retournés à Pékin pour élire le successeur de Möngke (1260). Cette coutume leur a coûté de nombreux territoires.
On compte 37 califes abbassides à Bagdad et 17 au Caire.
Le califat ottoman (1876-1924)
La tradition circulant au XVIe siècle dans l’empire ottoman rapporte que le sultan Selim Ier, au moment de la conquête de l’Egypte s’est fait remettre les insignes du califat abbasside transféré au Caire au moment de la prise de Bagdad par les Mongols. Mais ce n’est qu’en 1876 que la constitution précisa que le sultan était le calife, protecteur de la religion musulmane.
Lorsque Mustapha Kémal reprit les armes en 1919 pour s’opposer au traité de Sèvres qui morcelait l’empire ottoman, il abolit le sultanat, mais conserva à Abdulmecit II le titre de calife. Ce titre ne sera aboli qu’en février 1924, comme ne correspondant plus à une réalité, au grand dam des musulmans de l’Inde et des Arabes.
Les Kurdes sont originaires du sud de la mer Caspienne, des montagnes du nord de l’Iran. Leurs langues sont apparentées au persan. J’ai utilisé le pluriel car les Kurdes ne forment pas une communauté homogène : ils parlent des dialectes différents et s’ils sont à majorité sunnite, on trouve des Kurdes alévis, yésidis, chiites, juifs et chrétiens. Ils nous sont connus depuis d’Antiquité. Certains historiens les considèrent comme descendants des Mèdes. Un royaume kurde est devenu province romaine en 66 avant notre ère, conquis par Pompée. A titre de comparaison, les Turcs originaires des steppes de l’Asie centrale et de la Sibérie font leur entrée dans l’Histoire du Proche Orient vers 750 lorsqu’ils accompagnent les troupes du futur calife abbasside venant des confins orientaux de la Perse.
Les Kurdes se feront remarquer lors des croisades où l’un de leurs émirs, Salah al-Din (qui signifie « la perfection de la religion », connu sous le nom de Saladin) défait les chrétiens aux Cornes de Hattin (en Galilée) en juillet 1187 puis reprend Jérusalem en octobre de la même année. En 1190, il prend le contrôle de l’Egypte fatimide.
Salah al-Din est né en 1138 à Tikrit, comme Saddam Hussein. Il est mort à Damas en 1193. A cette époque, le Proche Orient est une mosaïque d’émirats. Le calife de Bagdad ne contrôle plus rien, il est une autorité spirituelle, rien de plus. Des Turcs seldjoukides occupent une partie de l’Anatolie et le sud du Caucase. Une autre tribu seldjoukide s’est installée autour de Bagdad. Une dynastie turque différente, les Zengides, dirigée par Nur al-Din (qui signifie « la lumière de la religion », connu sous le nom de Nourédine) occupe la Syrie et effectue des raids dans le califat fatimide d’Egypte. Il a sous ses ordres Salah al-Din qui deviendra vizir du calife égyptien tout en servant Nur al-Din. (Ô le faux-cul.) A la mort de ce dernier, il continuera son oeuvre et mettra fin au califat du Caire. (Ô le traître.) Il va placer la Syrie (d’alors) et l’Egypte sous le contrôle d’une éphémère dynastie kurde, les Ayyoubides (du nom de son père). Nur al-Din et Salah al-Din, comme leur nom l’indique, ont beaucoup œuvrer pour la religion musulmane en ouvrant, entre autres, des écoles coraniques dans les villes qu’ils avaient conquises. Mais ils n’ont jamais fait le pèlerinage à La Mecque.
Le Proche Orient au temps de Saladin. Cette carte est issue de l’Atlas historique mondial de Christian Grataloup (Les Arènes) que je recommande vivement.
Situation des Kurdes dans l’Empire ottoman
Après l’occupation mongole (vers 1230-1340) et les raids de Tamerlan (vers 1380-1405), le Proche Orient est dominé par un empire turc sunnite (l’Empire ottoman) et un empire perse chiite. Dans l’Empire ottoman, une douzaine d’émirats kurdes vivent de façon autonome : l’émir possède la terre en échange d’un impôt et de la mise à disposition d’une armée.
En 1846, le sultan ottoman met fin aux émirats et crée une province appelée Kurdistan, qui se transformera en district de Diyarbakir (une ville de l’est de la Turquie actuelle). Les émirs reçoivent en compensation des postes honorifiques. Bien entendu, cette « annexion » n’est pas acceptée de bon cœur, et des insurrections éclatent.
Lors de la guerre de 1914-1918, les Kurdes restent fidèles au sultan et rejoignent l’armée ottomane. Ils participeront au génocide des Arméniens chrétiens, leurs voisins.
Situation actuelle
Aujourd’hui, on dénombre 40 millions de Kurdes. C’est l’ethnie la plus importante sans Etat. A titre de comparaison, il n’y a que 15 millions de Juifs de par le monde, dont 6 millions en Israël. Les Kurdes vivent dans le sud-est de la Turquie (12 à 15 millions sur 82 millions), le nord de la Syrie (environ 3 millions sur 17 millions), le nord de l’Irak, où ils forment une entité politique autonome (5 à 7 millions sur 40 millions), et en Iran (6 à 9 millions sur 82 millions). Lors de la guerre contre DAESH, ils ont fourni les seules troupes à combattre sur le terrain, avec les Syriens.
On distingue plusieurs groupes de peshmergas, mot kurde désignant les combattants :
Les forces de défense du peuple du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) implantées en Turquie où ils sont considérés comme terroristes. L’Union européenne et les Etats-Unis leur donnent également cette étiquette.
Les unités de protection du peuple (YPG) opèrent en Syrie contre DAESH.
Les unités de protection des femmes (YPJ) combattent avec les YPG. Les femmes tiennent un rôle important chez les Kurdes. Elles sont égales aux hommes, elles ne sont pas soumises à un tuteur. Contrairement aux autres musulmans, hommes et femmes dansent ensemble lors des fêtes.
En pointillé, les populations kurdes. Cette carte est issue de l’Atlas historique mondial de Christian Grataloup (Les Arènes).
Situation des Kurdes en Iran, en Syrie et en Iraq
En Iran, les Kurdes sont tolérés, mais n’ont aucun droit spécifique, ils doivent se comporter comme des Iraniens. Toute contestation est sévèrement réprimée.
La situation n’est guère différente dans la Syrie de Bachar al-Assad. Les Kurdes doivent parler arabe et donner des noms arabes à leurs enfants. Bien que combattant DAESH, ils s’opposent également aux troupes gouvernementales.
En Iraq, après la guerre du Golfe, ils ont obtenu un territoire autonome dans le nord autour d’Erbil. Ils avaient soutenu l’intervention militaire américaine. En 1988, le gouvernement de Saddam Hussein avait mené des attaques à l’arme chimique contre des villages kurdes. Les Kurdes irakiens ont également combattu DAESH.
Situation des Kurdes en Turquie
En 1920, le traité de Sèvres prévoyait le démembrement de l’Empire ottoman qui aurait donné naissance à un Etat kurde indépendant (en bleu ciel sur la carte) et un Etat arménien (en rouge). Le refus de reconnaître ce traité par certains officiers ottomans dont Mustapha Kémal et l’offensive contre l’occupation de l’Anatolie qui s’en suivit, a forcé les vainqueurs de la première guerre mondiale à revoir leurs exigences. Un nouveau traité, celui de Lausanne de 1922, a abouti à la création de la Turquie moderne, abandonnant l’idée d’une Arménie et d’un Kurdistan indépendants.
Ce revirement est la source des dissensions entre les Turcs et les Kurdes qui n’ont pas accepté d’être spolié par un morceau de papier. Il faut rappeler que le président américain Wilson avait posé comme préalable aux traités mettant fin à la guerre qu’ils devaient tenir compte de l’intérêt des peuples.
Sous le gouvernement de Mustapha Kémal, plusieurs révoltes kurdes ont été réprimées : dont celles de 1920-1922 et de 1937-1938.
En 1980, profitant du climat d’insurrection en Turquie, le PKK, le Parti des ouvriers kurdes, prend les armes. Depuis, la région du Kurdistan est placée en état d’urgence, elle devient un territoire occupé par l’armée turque et des groupes paramilitaires qui font régner la terreur. Un cessez-le-feu a été décrété en 1999. La guerre aura fait 40.000 morts.
En 2005, Erdogan, alors premier ministre, promet de résoudre le problème kurde dans le respect de la constitution. Il autorise la création d’une chaîne de télévision kurde (TRT 6) ainsi que l’ouverture d’écoles privées enseignant en kurde. Il prononce même quelques mots en kurde lors de l’inauguration de la chaîne TRT 6. Mais cette libéralisation sera de courte durée, en 2016, suite au coup d’Etat avorté, les écoles kurdes sont fermées. Les Kurdes sont priés de s’exprimer en turc lors des contacts avec l’Administration ou dans les hôpitaux.
En 2019, l’AKP, le parti d’Erdogan est désavoué lors des élections municipales. Le parti du président perd les grandes villes et des membres importants du parti font défection. Erdogan doit réagir : il va créer une vague nationaliste favorable en s’attaquant aux Kurdes de Syrie qu’il considère comme des terroristes menaçant la Turquie. Un scénario bien huilé est mis au point avec les Etats-Unis. C’est l’opération « Source de paix » !
Le 6 octobre 2019, les Etats-Unis retirent leurs troupes du nord de la Syrie pour laisser la voie libre à l’armée turque et à ses supplétifs islamistes. Le 9 octobre, les forces turques bombardent les positions kurdes et entrent en Syrie. Il faut savoir que le nord de la Syrie n’est pas désert, il abrite une population nombreuse. Pour faire face à l’invasion de ce qui est encore son pays, Bachar al-Assad, le président syrien, envoie deux divisions. On pense que le conflit va s’internationaliser. Le 13 octobre, suivant le scénario écrit par avance, les Etats-Unis « obtiennent » une trêve pour permettre aux combattants kurdes d’évacuer les zones de combats. La trêve va prendre fin lorsque la Russie entre en jeu. Elle propose de sécuriser le nord de la Syrie et se porte garante de l’évacuation des combattants kurdes pour laisser un no-man’s land de 30 km de profondeur en territoire syrien. Le 22 octobre, on apprend que les soldats russes et turcs vont patrouiller ensemble pour sécuriser la frontière.
Qui sort vainqueur de cette invasion ? Certainement Poutine et son allié Bachar al-Assad, mais aussi Erdogan qui a reconquis son électorat en se montrant ferme avec les « terroristes ».
Et l’Union européenne ? Elle s’est agitée ou plutôt, elle a gesticulé. Erdogan l’avait menacée : si elle osait utiliser le mot « invasion », il lâchait les 3,6 millions de réfugiés qui stationnent en Turquie. Timidement, l’UE a proposé que le no-man’s land établi passe sous contrôle de l’ONU. Les deux organisations (l’UE et l’ONU) dont l’inefficacité est proportionnelle à leur coût de fonctionnement espéraient revenir au premier plan… C’est raté.
Recep Tayyip Erdogan naît le 26 février 1954 à Beyoglu, un des districts européens d’Istanbul, dans une famille modeste : son père est capitaine sur un navire du Bosphore. Un quartier de Beyoglu est bien connu pour son équipe de football et son université : Galata. Pour rappel, la Turquie est un pays d’Asie avec un tout petit bout de territoire en Europe séparé de l’Asie par le Bosphore. Il suit les cours d’une école religieuse qui forme des imams. De 1969 à 1982, il joue au football et deviendra même semi-professionnel.
Entrée en politique
Il travaille dans une entreprise de transport lorsqu’il épouse Emine Gülbaran (née en 1955) en 1978. Elle militait au sein de l’Association des femmes idéalistes, une organisation islamique ultranationaliste proche des « Loups gris ». Ils ont 4 enfants.
Sa femme et ses enfants
En 1983, après que les militaires aient rendu le pouvoir aux civils, il adhère au Parti du salut national, le parti islamique d’Erbakan qui deviendra premier ministre mais sera démis de ses fonctions par un nouveau putsch militaire en 1997. Pour comprendre l’intervention de l’armée, il faut se remémorer la création de la Turquie moderne. Le pays a été fondé par un militaire, Mustapha Kemal, qui a refusé les conditions du traité de Sèvres de 1920 et continué la guerre, chassant les Grecs, les Italiens, les Britanniques et les Français qui s’étaient installés dans l’Empire ottoman démembré. Il avait créé une république laïque que l’armée devait protéger. L’armée est la gloire nationale, l’âme turque. Elle reversera quatre fois le gouvernement élu : en 1960, 1971, 1980 et une dernière fois en 1999.
Maire d’Istanbul
A 40 ans (1994) il devient maire d’Istanbul avec comme objectif la lutte contre la corruption. Il n’y restera pas longtemps. En 1998, il est condamné à 10 mois de prison pour incitation à la haine. Il avait minimisé le rôle de l’armée en récitant un poème nationaliste qui dit « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats ».
En 2001, il s’éloigne d’Erbakan et fonde l’AKP, le Parti de la justice et du développement.
Premier ministre
Il devient premier ministre en 2003. Il prône l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne. Pour cela, la Turquie doit réunir plusieurs conditions dont :
œuvrer à la réunification de Chypre (en 1974, l’armée turque a créé la République turque de Chypre du nord, un Etat indépendant non reconnu par l’ONU)
et éloigner l’armée du pouvoir.
En 2008, à Cologne lors d’un meeting électoral, il déclare que l’assimilation et l’intégration des Turcs est un crime contre l’Humanité. La même année, il autorise le port du voile à l’université, où sa fille vient d’entrer, déclarant que son interdiction empêche les femmes de se cultiver. Il faut savoir qu’en 1999, une élue avait fait son entrée au Parlement la tête couverte d’un foulard. Elle avait été huée et expulsée avant d’avoir pu prêter serment. Les choses changent. Mais il faudra attendre 2013 pour que les premières députées voilées reviennent au Parlement. En France et en Belgique, les députées peuvent siéger voilées. Les fonctionnaires ne peuvent pas arborer de signes religieux, mais les politiciens le peuvent puisqu’ils ne sont pas neutres. Dans les années 60, la France, laïque, a connu des députés en soutane !
En 2009, il s’attaque aux militaires. Ici, je dois introduire un nouveau personnage : Fethullah Gülen (né en 1941).
C’est un ami d’Erdogan. Il est philosophe et prédicateur musulman. Pour lui, l’islam doit être au service du bien commun. Il croit en la science, à la démocratie et au dialogue interconfessionnel. Il a rencontré le pape Jean-Paul II, le patriarche orthodoxe grec et le grand rabbin israélien. Objet d’une enquête par les militaires lors du putsch de 1999, il s’est exilé aux Etats-Unis. Pourquoi est-il important ? Son mouvement, Hizmet (le service), gère des centaines d’écoles mixtes en Turquie. Je parle ici de mixité au sens islamique : dès la puberté les femmes sont séparées des hommes en dehors des cours. Ces écoles ont une très bonne réputation et elles fournissent les cadres de la société. De fait, ses diplômés contrôlent l’administration et la justice.
Gülen doit le succès de son mouvement au financement des Etats-Unis. Pour comprendre, il faut remonter aux années 70. Le communisme prend de l’ampleur en Turquie. Tous les jours des heurts violents opposent la droite et la gauche. On déplore des morts chaque jour à Istanbul. En 1980, l’armée met fin à l’anarchie en prenant le pouvoir. Les communistes sont arrêtés, la censure instaurée. Pour contrer le communisme, l’armée remet la religion au premier plan : les cours de religion sont rétablis dans les écoles et le prosélytisme est favorisé. Avec l’accord de l’armée, les Etats-Unis mettent la main au portefeuille en finançant les confréries musulmanes ce dont va profiter Gülen.
Erdogan et Gülen au temps de leur amitié
L’armée est accusée de préparer des attentats pour déstabiliser le pays. Les chefs d’état major sont arrêtés lors d’une vaste opération policière… menée par des juges de la mouvance Gülen. L’accusation n’est pas sans fondement, des perquisitions ont permis de mettre au jour des documents compromettants que les militaires justifient par des procédures d’entraînement. Libéré de la menace des militaires, Erdogan peut rêver à un avenir radieux. Mais en 2013, son fils, plusieurs de ses amis ainsi que 4 ministres (sur 25) sont arrêtés, sur ordre des mêmes juges, pour faits de corruption. Erdogan crie au complot. Le procureur est dessaisi du dossier. Gülen toujours en exil, devient un terroriste, il perd la nationalité turque et un mandat d’arrêt international est lancé contre lui avec demande d’extradition. Les Etats-Unis n’ont pas donné suite. Erdogan avait lancé de grands projets de travaux publics dans le pays et surtout à Istanbul : modernisation de la ville, tunnel sous le Bosphore, aéroport ultra-moderne, extension du métro, troisième pont sur le Bosphore, etc. C’est à l’occasion de ces travaux que des milliards de dollars ont/auraient été détournés.
En 2014, les Panama Papers dévoilent que des proches d’Erdogan et des dirigeants de l’AKP administrent des sociétés offshore. Complot ! 150 journaux, sites d’information et chaînes de télévision sont fermés.
Président
En Turquie, pour être élu président, il faut avoir fait des études universitaires. Des doutes subsistent sur les études d’Erdogan. Mais il arbore un diplôme de la faculté des sciences économiques et commerciales de l’université de Marmara… dirigée par un ami politique. Or, cette faculté n’existait pas lorsqu’il a obtenu son diplôme et il semble qu’on ne l’y ait jamais vu : il ne figure pas sur les photos de classe. L’avoir dénoncé a peut-être coûté la vie à Ömer Basoglü. Il a été retrouvé mort, mais l’enquête n’a pas confirmé l’assassinat. Cette polémique ne l’empêche pas de remporter les élections de 2014 à une écrasante majorité et à devenir le premier président élu au suffrage universel. Il promet d’islamiser la Turquie et d’effacer l’héritage laïc de Mustapha Kemal. Pourtant il reste dans la voie tracée par Kemal.
Erdogan dans son nouveau palais sous la photo de Mustapha Kemal
En faisant référence au Coran, Erdogan déclare que les femmes sont inférieures aux hommes, leur tâche principale étant de faire des enfants (2014). Sa femme est un modèle : toujours voilée, elle suit docilement son mari et ne prend jamais la parole. Dans le discours de fin d’année 2015, il compare son régime à celui de « Monsieur Hitler ».
Les programmes scolaires sont revus : le djihad est enseigné comme principe de l’islam, le darwinisme est supprimé. Des milliers de livres luxueux sont envoyés dans les établissements scolaires secondaires des pays européens pour dénigrer le darwinisme.
Nouveau « sultan »
Il déjoue une tentative de coup d’Etat militaire en 2016 en appelant la population à descendre dans la rue… comme Eltsine l’avait fait à Moscou. 250 personnes perdent la vie, 103.000 personnes sont arrêtées (chiffre officiel) dont 18.000 condamnées. 50.000 voient leur passeport confisqué. Rien ne peut plus lui résister : il dira que ce coup d’Etat est un don de Dieu. Beaucoup d’universitaires fuient vers l’Allemagne qui compte 3 millions de Turcs. La plupart acquis à Erdogan.
Le régime présidentiel qu’il soumet à référendum en 2017 est adopté à une courte majorité : 51% des voix grâce à l’appui des nationalistes (MHP : Parti d’action nationale). La presse d’opposition résume ainsi le nouveau régime : l’exécutif, c’est Erdogan, le législatif, c’est l’AKP et le judiciaire est nommé par le président. Il a rétabli de système de Kemal qui proclamait que la séparation des pouvoirs était une aberration qui empêchait le développement du pays.
La presse s’insurge ? On la muselle : des journalistes sont emprisonnés pour outrage, terrorisme ou espionnage. Celui qui a été accusé d’espionnage avait révélé que la Turquie livrait des armes à DAESH en échange de pétrole, photos à l’appui. 3000 journalistes ont perdu leur travail. Les médias sont maintenant contrôlés directement ou indirectement par l’Etat. La Turquie occupe la 157ème position sur 180 selon l’indice de la liberté de presse.
Erdogan ne s’est pas oublié, il a fait construire un palais de 1000 pièces à Ankara. En comparaison, Versailles en compte 2300 et la Cité interdite de Pékin, 8700 ! Comme les sultans ottomans, il s’est entouré de janissaires.
Le palais d’Ankara et la garde présidentielle
Politique extérieure
La politique extérieure de la Turquie est très complexe. La Turquie fait partie de l’OTAN. Elle constitue la deuxième armée en nombre. Elle occupe une situation stratégique dans l’OTAN comme frontalière avec Russie, bien que depuis la crise de Cuba, les Etats-Unis aient dû démanteler les missiles pointés vers Moscou. Elle contrôle les détroits permettant l’accès de la Mer Noire vers la Méditerranée, points de passage obligés des navires russes. Mais cette situation ne l’empêche pas d’entretenir de très bonnes relations avec la Russie de Poutine. La Turquie a même acheté des missiles S400 à la Russie… missiles conçus pour abattre les avions de l’OTAN ! Elle sera punie, elle sera privée des F35 qu’elle avait commandés.
La Turquie se sent l’héritière de l’empire ottoman : la Syrie, l’Irak lui ont été arrachés au traité de Sèvres en 1920. Lors de la guerre d’Irak, Erdogan a refusé la présence de 62.000 soldats américains sur son territoire… même pour un chèque de 15 milliards de dollars.
La Turquie est proche de l’Iran chiite, son voisin, mais aussi des pays musulmans sunnites. Elle soutient l’intervention des Saoudiens au Yémen, mais elle accuse les mêmes Saoudiens de l’assassinat de Jamal Khashoggi dans leur ambassade à Istanbul. Elle veut se présenter comme l’autre représentant des musulmans dans le monde. En 2017 à Istanbul, lors du sommet des pays musulmans (Organisation de la coopération islamique : OCI), Erdogan a accusé l’Occident (ses alliés) de piller les richesses des pays musulmans.
Erdogan est également l’allié des Israéliens, mais ne manque pas de les critiquer lors des attaques sur la bande de Gaza. Il a déclaré : « Les Israéliens traitent les Palestiniens comme ils ont été traité eux-mêmes il y a 50 ans. » Il a envoyé une flottille pour briser le blocus de Gaza en 2010. Cette opération s’est soldée par un échec et la mort de 9 Turcs. Israël, accusé de terrorisme d’Etat, a présenté ses excuses.
La Turquie et l’Europe
La Turquie menace régulièrement l’Europe de laisser partir les 3,6 millions de réfugiés qui ont fui la guerre en Syrie et en Irak. Si les négociations avec l’Union européenne se sont pas rompues, la Turquie sait depuis 2009 qu’elle ne peut espérer qu’un partenariat privilégié et non une adhésion complète.
Deux anecdotes pour suivre. Pour le référendum de 2017, des meetings étaient prévus dans plusieurs pays européens. Les Pays-Bas ont interdit ces meetings sur leur territoire. La ministre turque de la famille, en tournée en Allemagne, a voulu bravé cet interdit et faire un discours à partir du balcon de l’ambassade (extraterritoriale). Elle a été arrêtée devant la grille et expulsée. Erdogan a traité les Pays-Bas d’Etat nazi et fasciste et a demandé des excuses… ce que le premier ministre Mark Rutten a refusé, qualifiant les propos d’Erdogan de nauséabonds et d’hystériques. L’Allemagne et plusieurs pays d’Europe ont pris parti pour les Pays-Bas.
Erdogan a reçu de nombreuses distinctions de par le monde, mais une seule lui a été accordée par un pays européen. La Belgique l’a gratifié de la plus haute distinction en 2015 : le grand cordon de l’ordre de Léopold, qui correspond à la légion d’honneur française. La grande différence entre les deux décorations réside dans le nombre de décorés : des centaines par an en France, 156 en tout en Belgique, surtout des hommes d’Etat belges et étrangers. Devant les critiques, le ministre des relations extérieures a expliqué : « C’est simplement une coutume lors d’une visite d’Etat: des décorations sont échangées entre chefs d’État. Il ne faut y voir qu’une tradition protocolaire. » Donc, pas besoin de la mériter.
Erdogan, le roi et le premier ministre belges lors de la cérémonie de remise de la décoration.
Et aujourd’hui (2019) ?
Erdogan est à l’apogée de son règne en 2016. L’AKP a apporté la stabilité au pays et favorisé son développement économique. Erdogan a gagné son pari : il a redonné son lustre à la Turquie, elle a sa place sur l’échiquier politique mondial. Il reste néanmoins très nostalgique de l’Empire ottoman. Lors de ses voyages au Kosovo et en Bosnie, il ne manque pas de rappeler les liens qui unissent ces pays et la Turquie (la religion et un passé commun). Il a déclaré que la Turquie ne devait pas avoir honte de son passé… lors de l’évocation de « la guerre civile » contre les Arméniens dont il refuse toujours de reconnaître le génocide.
La situation économique est florissante : le taux de croissance flirte avec les 10%. Les investissements étrangers affluent. Les grandes marques automobiles (Ford, Toyota, Renault, Volkswagen, Hyundai, Fiat, Mercedes) produisent un million de voitures par an dont plus de 80% sont exportées.
Mais dès 2018, tout s’arrête. L’inflation atteint 25% en octobre, le salaire minimum est augmenté de 26%. Les constructeurs automobiles se désengagent suite à l’augmentation des salaires et à l’inflation. Le chômage remonte à 13%.
2019 est l’année noire. C’est une année d’élections municipales. Les partis d’opposition se regroupent, ils présentent une liste unique. L’AKP perd les villes d’Istanbul, d’Izmir et d’Ankara remportées par le CHP : le Parti républicain du peuple. Erdogan dénonce « les irrégularités, les abus et la corruption ». Gonflé le gars ! On recompte les voix à Istanbul, le vote est annulé… nouvelle élection. Le candidat social démocrate l’emporte à nouveau, non plus avec 8000 voix d’avance, mais avec 180.000 ! L’AKP doit faire face à de nombreuses défections dont un ex-président de ce parti et un ex-ministre.
Trois maires kurdes sont accusés de détourner l’argent de la ville au profit du terrorisme. Ils sont destitués et leurs villes placées sous le contrôle de gouverneurs désignés par l’Etat.
Erdogan doit réagir. Il doit regagner la confiance. Le 9 octobre 2019, il envahit le nord de la Syrie pour y chasser les Kurdes. Les nationalistes se rallient à lui, sa popularité remonte. La question kurde a toujours été son joker.
La Grande Boucherie, organisée par des généraux incompétents et où les seuls vrais héros ont été fusillés pour insoumission, ne s’est pas terminée le 11 novembre 1918. L’après-guerre ne s’est pas réglée par le traité de Versailles le 28/06/1919. Ces événements n’ont concerné que le front ouest et l’Allemagne. Chaque vaincu a eu son traité : l’Autriche, celui de Saint-Germain-en-Laye le 10/09/1919, la Bulgarie, celui de Neuilly le 27/11/1919, l’Empire Ottoman, celui de Sèvres, le 10/08/1920 et quelques autres… 16 en tout.
Alors que la guerre ne fait plus de doute, l’Empire Ottoman a déjà perdu ses territoires d’Afrique et d’Europe. En Afrique, la France a occupé l’Algérie en 1830 et la Tunisie en 1881. L’Italie a envahi la Tripolitaine (Libye) en 1911. Quant à la Grande Bretagne, elle met l’Egypte sous tutelle en 1882 et en fait un protectorat en 1914. Si en Afrique, l’Empire a laissé faire, faute de moyens, en Europe, il vient d’être vaincu dans une guerre qui l’a opposé à la Grèce, à la Serbie et à la Bulgarie, guerre dans laquelle il a perdu les derniers lambeaux de territoires qu’il conservait en Europe (1912-1913).
En 1914, il entre en guerre, sans enthousiasme, aux côtés de l’Allemagne qui depuis quelques années l’aide. L’Allemagne a pris en main l’armée ottomane et construit les chemins de fer Berlin-Beyrouth et Damas-La Mecque.
En mars 1915, pour ravitailler les Russes, ses alliés français et britannique tentent de forcer le détroit des Dardanelles. C’est un échec, des mines barrent le passage et les canons ottomans, concentrés sur la péninsule de Gallipoli déciment la flotte, 10 navires sur le 18 engagés sont hors combat. Le 25 avril, des fantassins australiens, néo-zélandais et français débarquent sur la péninsule. Bloqués entre la mer et les falaises, ils resteront cloués sur place pendant près d’un an avant que les survivants soient ré-embarqués et redéployés en Grèce pour combattre la Bulgarie qui vient d’entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne. Les troupes ottomanes de Gallipoli sont commandées par le général allemand Otto Liman von Sanders, mais celui dont le monde va retenir le nom, est un jeune lieutenant-colonel de 34 ans, Ali Rıza oğlu Mustafa qui deviendra célèbre sous le nom de Mustapha Kemal (le parfait) auquel s’ajoutera plus tard le titre d’Atatürk (le père des Turcs).
NB : oğlu = fils de (comme ibn ou ben en arabe)
La victoire de Gallipoli n’empêche pas l’Empire de subir la défaite qui va le priver de tous ses territoires asiatiques excepté l’Anatolie et, chose exceptionnelle en 1918, va entraîner l’occupation de son territoire par les forces alliées.
Zones d’occupation et annexions prévues par le traité de Sèvres de 1920
Le traité de Sèvres prévoit la découpe des territoires d’Asie entre une Arménie et un Kurdistan indépendants, des mandats français sur deux nouveaux pays : le Liban et la Syrie et des mandats anglais sur l’Irak, la Transjordanie et la Palestine, territoires créés artificiellement.
Mustapha Kemal prétextant que le sultan est retenu prisonnier à Constantinople par les Britanniques et qu’il est donc impossible de réunir le parlement, déplace celui-ci vers Ankara. Ce parlement, la Grande Assemblée Nationale, rejette le traité de Sèvres, et reprend la guerre. Très vite les Français abandonnent la Cilicie, les Britanniques évacuent la région de Constantinople et les Italiens sont repoussés. Kemal reste face aux Grecs. Dans un premier temps, ceux-ci avancent en Anatolie, mais après leur première défaite, les alliés leur retirent leur soutien tandis que le nouvel Etat soviétique offre son aide aux Turcs. Mais il faudra attendre octobre 1922 pour que l’armistice soit signé. Le traité de Lausanne (24 juillet 1923), qui remplace le traité de Sèvres, donne à la Turquie la souveraineté sur toute l’Anatolie, oubliant les Kurdes et les Arméniens. Il prévoit également un nettoyage ethnique, près d’un million de Grecs sont contraints à l’exil et partent vers la Grèce, 360.000 Turcs prennent le chemin inverse. Le nom du pays, Turquie (et non Anatolie) montre bien que c’est un pays mono-ethnique, celui des Turcs.
Mustapha Kemal devient président de la république. Il abolit le califat en 1924. Le dernier sultan Mehmet V avait repris le titre et appelé au djihad tous les musulmans en novembre 1914… sans beaucoup de succès.
Le but de Kemal est de « libérer la Turquie des forces obscurantistes », selon ses propres termes. Il supprime les confréries religieuses et les tribunaux islamiques. En 1925, la Turquie adopte le Code Civil suisse… juste après que Kemal ait répudié son épouse Latifé selon la loi musulmane. Elle était très libre, très éduquée et parlait plusieurs langues. Elle avait fait ses études à Paris. Kemal ne se remariera pas.
Après son mariage, elle porta le voile lors des sorties officielles.
Les réformes vont continuer : la polygamie est supprimée, le fez est interdit ainsi que le port du voile pour les femmes. Cette mesure aura peu d’effet hors des villes. L’islam n’est plus religion d’Etat.
En 1928, l’alphabet arabe est remplacé par l’alphabet latin sous sa variante allemande. Le Coran est traduit en turc. Auparavant, il était lu en arabe par des personnes qui ne le comprenaient pas, comme la Bible en latin dans la religion chrétienne. Le pays connaît également un boum économique qui va permettre à la Turquie de ne pas subir la crise de 1929.
En 1930, Constantinople devient Istanbul du nom de la Vieille Ville : Stamboul.
Enfin, en 1934, tout citoyen dut adopter un nom de famille. Mustapha Kemal choisit Atatürk.