Massada : un symbole

Le site archéologique de Massada, à cent kilomètres au sud de Jérusalem et à moins de deux kilomètres de la Mer Morte, attire énormément de touristes. Pourtant Massada n’est pas citée ni dans la Bible, ni dans le Nouveau Testament. C’est une forteresse aménagée par Hérode le Grand pour protéger le sud de son pays, la grande Judée. Hérode avait aussi fait transformer les forteresses existantes d’Hérodion et de Machéronte.

La prise de Massada par les Romains

Massada est restée totalement ignorée jusqu’en 1927, lorsqu’un émigré Ukrainien, Yitzhak Lamdan, publia un poème intitulé « Massada ». Massada est plus un événement qu’un lieu : c’est le dernier bastion qui a résisté aux Romains lors de la première révolte juive de 66 à 73.
Alors que Jérusalem est prise et le temple incendié en 70, des résistants se réfugient dans la forteresse de Massada. Ils sont environ 900, dont des femmes et des enfants. Leur histoire a été contée par Flavius Josephe dans le livre VII de son ouvrage « La guerre des Juifs« .


Ce document peut être consulté sur le site http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Flajose/guerre7.htm.

C’est en 73, après avoir nettoyé les dernières poches de résistance dans le territoire de Judée que les Romains, commandés par Flavus Silva mirent le siège devant la colline de Massada. La forteresse était commandée par Éléazar, un des descendants de Judas de Galilée qui s’était opposé au recensement de Quirinus lorsque la Judée était devenue une province romaine en l’an 8.

La forteresse était imprenable, elle était pourvue de bassins qui fournissaient l’eau et des vivres avaient été stockées en prévision du siège : « en effet, on tenait en réserve du blé, en quantité suffisante pour un long temps, plus beaucoup de vin et d’huile, de légumes secs d’espèces variées, des monceaux de dattes. » (Flavius Josephe).

Les Romains entourèrent le site d’une palissade pour empêcher la fuite des assiégés et entreprirent la construction d’une rampe d’accès… ce n’était pas les esclaves qui manquaient ! Mais quand ils parvinrent dans la citadelle, tous les défenseurs étaient morts. Ils avaient choisi le suicide collectif.

A gauche, la maquette de Massada, à droite le site actuel avec la rampe construite par les Romains.

Exploitation du symbole

1927

La Palestine est sous mandat britannique. L’immigration est contrôlée et en Europe de l’est, les Juifs sont persécutés, parfois l’objet de pogroms. Pour Yitzhak Lamdan, Massada est un symbole social. Pour les Juifs de son temps, il n’y a que deux destinations : là où ils ne peuvent pas aller (pour les modernes, la Palestine, pour les anciens, Jérusalem) et là où ils ne peuvent pas vivre (l’Europe de l’est et Massada).

1948

A la création de l’État d’Israël (voir l’article), le symbole a changé : comme les défenseurs de Massada, les Israéliens sont encerclés par des forces hostiles et supérieures en nombre. Massada devient le symbole de la volonté nationale, le symbole de la résistance.

1967

Les Arabes, harangués par le président égyptien Nasser, ont décidé de détruire Israël (voir l’article). En Israël, alors qu’on creuse des tombes dans les parcs et les terrains de sport, le paradigme change. On ne veut pas d’un nouveau Massada. Les militaires proclament que les Israéliens ne seront pas pris au piège dans leur petit pays, leur forteresse. Ils doivent précipiter les événements et attaquer les premiers. Ce qui sera fait et la menace réduite à néant en six jours.

L’exemple de Massada reste, mais, dans l’avenir, il devra être évité à tout prix.

Qu’en disait Flavius Josephe ?

Lorsqu’il écrit la Guerre des Juifs, vers 90, Flavius Josephe réside à Rome, il est l’hôte de l’empereur Domitien, le fils de Vespasien à qui le prisonnier de guerre Josephe servait d’interprète. Il n’est plus prisonnier, il a été affranchi et il tient à flatter ses bienfaiteurs.

Dans le livre 7, les défenseurs de Massada ne sont pas de braves résistants Juifs qui veulent défendre leur pays contre l’envahisseur romain, mais des brigands, des sicaires, des zélotes. Leur attitude « n’était qu’un prétexte pour voiler leur cruauté et leur avidité… »
Il est vrai que lors du siège de Jérusalem, plusieurs bandes rivales s’opposaient et n’hésitaient pas à massacrer d’autres Juifs, qui comme eux, défendaient la ville : « les uns avaient la passion de la tyrannie, les autres celle d’exercer des violences et de piller les biens d’autrui« . Josephe parle d’une maladie contagieuse qui s’était emparée des défenseurs de Jérusalem. Leur violence a causé leur perte.

Massada, d’un fait divers peu glorieux, qui s’est terminé par un « suicide » collectif, raconté par le seul Flavius Josephe, ignoré pendant des siècles, est devenu au XXe siècle un symbole de la résistance d’une nation.

La transmission de la tradition

Cet article est inspiré du livre de Bart Ehrman : Jésus avant les évangiles (Bayard 2017)

Avant d’être mis par écrit, les récits de la Bible, des évangiles et du Coran ont été colportés oralement. Le sens des récits s’est-il transmis correctement, intégralement ? Jusqu’il y a peu, on croyait que les peuples de l’oralité cultivaient une très bonne mémoire et que lors des récitations des récits traditionnels, les auditeurs corrigeaient le transmetteur s’il s’égarait. Les récentes études en sociologie, psychologie, neurosciences et anthropologie n’ont pas corroboré ces hypothèses.

La mémoire ne se constitue pas par image : on ne mémorise par une scène en entier, mais des flashes. Lors de la restitution des souvenirs, on comble les vides par des associations avec des souvenirs analogues issus d’expériences similaires. Les souvenirs sont une construction, ils varient dans le temps, en fonction des interlocuteurs et du milieu où ils sont évoqués. Les souvenirs se déforment.

Comment se transmet la tradition

Milman Parry et son élève Albert Lord ont mené des études sur l’oralité. Au départ, ils voulaient comprendre comment de longs poèmes comme l’Iliade ou l’Odyssée s’étaient transmis. Ils ont étudié la tradition de la poésie épique chantée, encore de nos jours, dans l’ancienne Yougoslavie. Ils ont donc enregistré plusieurs performances des chanteurs. Et consternation ! ils ont constaté que si l’essentiel demeure, les détails sont modifiés, parfois considérablement. L’interprète modifie le chant en fonction de ses intérêts, mais aussi du temps qui lui est alloué ou de ce que l’auditoire veut entendre.

Des expériences semblables ont été menées au Ghana par Jack Goody, sur plusieurs années. Il s’est aperçu que certains éléments essentiels du mythe raconté par les Lodagaa avaient disparus entre 1951 et 1970.
A quelques jours d’intervalle, le même récitant passait de 1646 versets à 2781… vu l’intérêt de l’interlocuteur. Il brode, ajoute des détails, vagabonde. Que va raconter l’interlocuteur de la première version et celui de la seconde ?

Ces études et bien d’autres montrent que plus on raconte, plus on modifie le récit et quand le souvenir d’une personne sert de base au souvenir d’une autre, il n’y a aucune chance que l’on retrouve l’information initiale.

Les conteurs ne cherchent pas à reproduire les traditions avec exactitude, ce n’est pas leur souci principal. L’auditoire aussi bien que le contexte affectent la manière dont l’histoire est racontée ou l’enseignement transmis. Le témoignage original est perdu et on ignore si le noyau essentiel de l’histoire survit.

La mise par écrit, à un moment donné, va figer le récit. Un « original » va alors servir de référence. On quitte l’oralité pour l’écrit.

Conséquences sur les textes sacrés

Le Coran

De nos jours, le Coran doit être récité tel qu’il a été consigné dans la version de Médine, composée au Caire en 1923 à partir de corans plus anciens. Dans les écoles coraniques, les élèves mettent trois ou quatre ans pour apprendre par cœur les quelques 6236 versets du Coran, souvent sans en comprendre le sens : le Coran se récite en arabe quelque soit la langue de l’élève.

En est-il toujours été ainsi ? Le Coran a-t-il été de tout temps considéré comme immuable : « chaque terme dans la langue du Coran a un certain poids, chaque voyelle a sa raison d’être et le simple fait d’omettre une voyelle peut être lourd de conséquence », comme on peut lire dans l’introduction du Coran de Médine.

Le Coran aurait été mis par écrit sous le calife Uthman vers 650, vingt ans après la dernière révélation (voir l’article sur le Coran). Avant cette mise par écrit (et aussi par après), la récitation était beaucoup plus libre comme le prouve le hadith des sept ahruf (ahruf peut être pris ici dans le sens de différences).
Le récit met en scène Umar, le deuxième calife et un compagnon du prophète. Ils ne sont pas d’accord sur la façon de réciter des versets. Ils demandent donc l’arbitrage de Mahomet. Umar récite les versets et Mahomet avalise la récitation en disant : « C’est bien ainsi qu’ils m’ont été révélés ». Umar jubile. Mahomet demande alors au compagnon de lui donner sa version. Mahomet confirme : « C’est bien ainsi qu’ils m’ont été révélés ». Même si cette histoire n’est pas vraie, elle montre que dans la période du proto-islam, le fond était plus important que la forme et que très vite, du vivant même de Mahomet, les versets récités divergeaient. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Coran a été mis par écrit.

Les évangiles

La modification des souvenirs est encore plus marquée dans les évangiles. Ils sont au nombre de quatre et ils différent grandement sur les détails, mais aussi sur l’essentiel. Dans les évangiles synoptiques, Jésus annonce l’arrivée imminente du royaume de Dieu sur terre. L’Évangile de Jean, écrit plus tard lorsque qu’il est patent que la promesse n’a pas été tenue, n’insiste plus sur le royaume de Dieu sur terre, mais sur une vie éternelle dans l’au-delà.

Bert Ehrman cite un cas intéressant : le voile du temple qui se déchire.
Dans l’Évangile de Marc, le plus ancien (15, 38), on lit :

… Jésus expira. Et le voile du sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas.

Dans l’Évangile de Matthieu (27,51-53), l’événement prend une tout autre ampleur :

Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent ; les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints défunts ressuscitèrent : sortis des tombeaux, ils entrèrent dans la ville et apparurent à un très grand nombre de gens.

Pourquoi cette différence ? Il est malaisé de répondre à cette question. Bart Ehrman tente une explication : le sanctuaire du temple de Jérusalem, le saint du saint est l’endroit où Dieu était sensé demeurer. Le voile se déchirant, Dieu sort du temple et tout le peuple, plus seulement les prêtres, ont accès à Dieu. Dans les versions les plus anciennes de l’Évangile de Marc (IVe siècle), le récit de la résurrection est absent. C’est la mort de Jésus et non sa résurrection qui sauve les hommes.

Matthieu vient après Paul qui a basé tout son discours sur la résurrection, lui qui n’a pas connu Jésus, qui ne l’a vu qu’en songe. Matthieu parle donc de la résurrection, mais ne sait que faire avec le voile du temple. Il ajoute donc des détails… incongrus.

La Bible hébraïque

On n’a pas de récits parlant de différences de récitation, comme pour le Coran, ni de plusieurs versions comme pour les évangiles, on peut néanmoins penser que les récits ont été modifiés lors des transmissions successives. On peut en voir des exemples dans le récit de Moïse repris par quatre livres différents de la Torah, où dans la vie des rois qui sont contées dans les Livres des Rois et dans le Livre des Chroniques.

Lors de la conquête d’Israël par les Assyriens en 722, un grand nombre d’Israélites ont fui vers la Judée, emportant avec eux leurs traditions orales. Ces récits ont été fusionnés avec les récits des Judéens pour constituer une histoire unique, créant la filiation Abraham (Judée), Isaac (ajout) et Jacob (Israël).

Conclusions

Les textes « saints » reprennent souvent des souvenirs déformés de récits colportés par plusieurs générations de conteurs dont l’objectif principal n’étaient pas la vérité historique.

Le jour où la Chine va gagner

Cet article s’inspire du livre éponyme de Kishore Mahbubani. L’auteur est un diplomate de Singapour qui a vécu à New York en tant qu’ambassadeur aux Nations Unies.

La Chine, en guerre économique avec les États-Unis depuis l’ère Trump, est l’un des rares sujets sur lesquels le président démocrate Biden s’est inscrit dans la continuité de son prédécesseur républicain et qui fait largement consensus au Congrès.

« Si nous ne faisons rien, nos jours de superpuissance dominante pourraient s’achever », a mis en garde le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer en juin 2021.

Trump avait imposé à la Chine des tarifs douaniers revus à la hausse. Conséquence, non voulue, les sociétés américaines paient leurs achats de produits chinois plus chers, dont les composants électroniques. Le Sénat vient donc de voter une enveloppe de 52 milliards de dollars sur cinq ans pour encourager la fabrication de puces et de semi-conducteurs aux États-Unis.

Contexte historique de la guerre commerciale

La Chine

En 1949, Mao Zedong, à la tête du Parti Communiste Chinois (PCC), a mis fin à un siècle d’humiliation que les Chinois ne veulent plus connaître. Au début du XIXe siècle, la Chine vit en autarcie, son économie est fermée, elle refuse toute marchandise proposée par les pays occidentaux en tête desquels vient la Grande-Bretagne qui importe de grandes quantités de thé dont la Chine préserve jalousement les plantes. La Grande-Bretagne doit payer le thé en pièces d’argent alors qu’elle voudrait l’échanger contre d’autres marchandises que l’empereur qualifie de « babioles inutiles ».
La Grande-Bretagne importe illégalement en Chine de l’opium cultivé en Inde, une colonie britannique, grâce à la complicité des fonctionnaires corrompus du port de Canton. Lorsqu’il se rend compte de l’ampleur du trafic et des ravages de la drogue, l’empereur chinois démet les fonctionnaires corrompus, fait brûler les cargaisons d’opium (20.000 caisses !) et interpelle la jeune reine Victoria en lui demandant « où est votre honneur ?« . On est en 1839.
Pour toute réponse, l’Angleterre, soutenue par les autres nations occidentales, envoie ses canonnières. En deux ans, l’empire chinois est vaincu et doit ouvrir ses ports aux Occidentaux. Elle accepte que les ressortissants étrangers installés sur son territoire soient jugés par leur délégation. La Chine est sous tutelle. Au XXe siècle, les Japonais succéderont aux Occidentaux.
En 1949, après une guerre civile de quatre ans, Mao Zedong rendra sa fierté à la Chine… au prix de nombreux sacrifices.

Les États-Unis

Les États-Unis n’existent que depuis un peu plus de deux siècles. Très patriotes, ils sont très attachés à la constitution élaborée, au XVIIIe siècle, par les « Pères fondateurs », basée sur les principes de la philosophie de lumières.
Les Américains sont persuadés qu’ils ont la meilleure forme de gouvernance et qu’ils ont pour mission de répandre la démocratie dans le monde. Ils exigent que toutes les sociétés se conforment à leurs valeurs. Hillary Clinton a déclaré lorsqu’elle briguait la présidence :

Lorsque nous disons que l’Amérique est exceptionnelle, cela signifie que nous reconnaissons sa capacité unique et inégalée à incarner une force de paix et de progrès, un champion de la liberté et des opportunités. Notre puissance s’accompagne de la responsabilité de diriger, avec humilité et réflexion… Parce que lorsque l’Amérique ne parvient pas à diriger, nous laissons un vide qui provoque le chaos…

Les États-Unis sont donc le seul pays civilisé et bienveillant. Madame Clinton ne doit pas se tenir au courant de l’actualité. Ce sont bien les Américains qui ont installé le chaos en Somalie, en Libye, en Afghanistan, en Irak et en Syrie. La seule fois où ils se sont retirés dans le déshonneur, en 1975, ils ont laissé un pays en pleine croissance économique : le Vietnam.

Kishore Mahbubani fait remarquer que « chaque fois que les États-Unis se sont trouvés placés devant des défis stratégiques, ils ont toujours choisi l’option militaire… contrairement à la Chine« .

Chine vs États-Unis.

La Chine et les États-Unis sont totalement différents. Empreints de sagesse bouddhiste et confucianiste, les dirigeants chinois, que l’auteur qualifie de plus intelligents du monde, arrivés au pouvoir par leurs mérites, privilégient la patience, la réflexion, le pragmatisme et les stratégies à long terme.
Les dirigeants américains, qui souvent ne brillent pas par leur intelligence, arrivés au pouvoir par l’argent, ont une vision à court terme : les quatre ans de leur mandat. Ils agissent dans la précipitation.

Les États-Unis ont un gouvernement démocratiquement élu, la Chine est un État totalitaire : le PCC représente le pouvoir législatif et exécutif, il a également la main mise sur le pouvoir judiciaire. Et pourtant ! Dans le dernier baromètre de confiance Edelman, un sondage indépendant qui mesure le niveau de confiance de la population envers son gouvernement, la Chine se classe en tête avec 84% de satisfaits devant Singapour (70%). Les États-Unis sont quinzième avec 33% comme la France, derrière la Russie qui obtient le même score que la Corée du Sud, 44%.

Pourquoi ce plébiscite, alors que les Chinois doivent manquer de liberté ?
Il est faux de croire que les Chinois sont privés de liberté. La Chine n’est pas l’URSS, pas du tout, comme nous le verrons par la suite. Aujourd’hui, les Chinois peuvent voyager, faire des études à l’étranger, s’habiller comme ils veulent, ça paraît futile, mais sous Mao Zedong, l’uniforme était de rigueur. En fait, les Chinois aspire surtout au calme, à la stabilité et à l’amélioration des conditions de vie. « Les Chinois estiment que les besoins sociaux et l’harmonie collective sont plus importants que les besoins et les droits individuels et que la prévention du chaos et du désordre est le principal objectif de la gouvernance. » N’oublions pas que la Chine compte 1.400.000.000 d’habitants contre 330.000.000 d’Américains et qu’à superficie de pays égale, ils ont moins d’espace vital, vu le relief. Il est donc important de vivre en harmonie dans des villes surpeuplées.

Aujourd’hui, les conditions de vie en Chine s’améliorent continuellement alors qu’aux États-Unis, elles se détériorent. Mais les Américains restent confiants car ils ont la liberté, qui est leur idéal et peu importe si la possession d’armes provoque des massacres, peu importe si les soins de santé sont prohibitifs. Peu importe également si les citoyens n’ont plus vraiment le pouvoir de choisir leurs élus depuis que la Cour Suprême a accepté, en 1980, que les industries financent les candidats. C’est un gage de liberté ! Notons que si cette forme de corruption est acceptée et encouragée en interne, elle est punie par la loi américaine lorsqu’une société américaine fait un « cadeau » à un fonctionnaire étranger pour favoriser son commerce.

On pourrait continuer la comparaison en parlant de terrorisme et de répression. Après le 11 septembre 2001, les États-Unis ont « punis » les musulmans en larguant des bombes qui ont tué des centaines de milliers de personnes en Afghanistan, au Pakistan et en Irak. De son côté, la Chine, victime de plusieurs attentats terroristes en 2014 a emprisonné des centaines de milliers d’Ouïgours du Xinjiang dans des « camps de rééducation ».

La Chine a fait des erreurs

Si la Chine n’est pas aimée, c’est parce qu’elle a fait des erreurs que les États-Unis ne lui pardonnent pas. C’est tout d’abord un pays communiste, le mot même irrite les Américains : le PCC compte 90 millions de membres. Mais ce sont les erreurs commerciales qui lui sont reprochées :

  • Elle s’est moquée de la crise des subprimes, la crise bancaire de 2008, parlant du capitalisme comme d’un géant déchu.
  • Les entreprises chinoises commettent des injustices envers les investisseurs étrangers et ne respectent pas toujours la parole donnée. Néanmoins Boeing se félicite de sa collaboration avec les entreprises chinoises.
  • Les entreprises chinoises manquent d’ouverture. Lorsque la Chine est entrée dans l’OMC (Organisation mondiale du commerce) en 2001, elle s’est engagée à respecter les règles du commerce internationale. Mais reçue comme « pays en voie de développement », elle a bénéficié de certains privilèges comme le transfert de technologie qui s’est transformé en vol de la propriété intellectuelle.

La nouvelle route de la soie

Le plan stratégique de la Chine, qui doit les conduire à la première place des puissances économiques en 2049 s’appelle « la nouvelle route de la soie« . Pour y arriver, la Chine construit des infrastructures dans différents pays pour accueillir ses marchandises : routes, voies de chemin de fer et ensembles portuaires. Elle propose donc d’améliorer les infrastructures des pays dans une politique win-win. 137 pays sur les 192 que compte les Nations-Unies sont parties prenantes du projet chinois. En Europe, ce sont les pays de l’est dont la Russie et du pourtour méditerranéen, sauf la France et l’Espagne qui se sont associés au projet.

Les États-Unis, avec leur vision d’un autre temps, voient dans ce projet une tentative à peine masquée des Chinois d’importer leurs valeurs. Or, les États-Unis feraient bien de collaborer à ce projet car ils ont un grand besoin de moderniser leurs infrastructures et en particulier leur réseau de chemins de fer en introduisant des trains à grande vitesse, domaine où les Chinois excellent. L’Union européenne devrait également coopérer pour ralentir les flux migratoires d’Afrique où les Chinois créent de meilleures conditions de vie et des emplois, ce que les pays colonisateurs n’ont pas fait lors de leur départ.

Vers un conflit armé ?

La Chine n’a aucune intention de conquérir le monde ni d’imposer sa vision du monde à l’opposé de l’URSS en son temps. Contrairement aux Américains, les Chinois comprennent que les autres sociétés pensent et se comportent différemment. Leur objectif est de régénérer la civilisation chinoise, d’oublier les années d’humiliation. Donc, un conflit armé est peu envisageable. Néanmoins, les États-Unis continuent, seuls, leur course aux armements. Le budget de ce qu’ils nomment pudiquement le Département de la Défense (DoD) ne cesse de grimper, à lui seul, il couvre la moitié des dépenses militaires dans le monde. Mais la Chine ne leur emboîte pas le pas. Les États-Unis possède 6400 têtes nucléaires, la Chine 280 ! Lorsque les États-Unis dépensent 13 milliards de dollar pour construire un nouveau porte-avions, la Chine investit quelques centaines de milliers de dollar pour fabriquer un missile balistique DF-26 capable de couler le porte-avions.

L’URSS s’est tirée ne balle dans le pied à vouloir égaler la puissance militaire des États-Unis. Elle s’est ruinée. Le Chine privilégie la guerre asymétrique.

Les États-Unis ont dépensé 4.000 milliards de dollars dans la guerre contre l’Irak, un pays qui ne les menaçait pas. Avec cette somme ils auraient pu améliorer sensiblement les services sociaux de leur pays. La Chine doit se réjouir de ces dépenses : ce sont des sommes que les États-Unis n’investissent pas dans la technologie et les infrastructures.

La 5G et Huawei

La Chine veut faire de Shenzhen, la ville où se trouve le siège social de Huawei, une smart city : une ville idéale où le trafic, la sécurité et les soins de santé sont réglés par un réseau de communication de cinquième génération : la 5G, beaucoup plus rapide. C’est un modèle qu’elle veut exporter dans le monde.
Mais la montée en puissance de cette nouvelle norme pilotée par le groupe chinois Huawei déplaît aux États-Unis qui invoque des problèmes de sécurité et des menaces de cyberattaques. C’est une excuse tendancieuse quand on sait que la NSA (National Security Agency américaine) intercepte toutes les communications et peut espionner la moindre personne où qu’elle se trouve dans le monde. Quant aux cyberattaques, elles n’ont pas besoin de la 5G. Le problème pour les États-Unis est qu’ils ne maîtrisent pas la technologie 5G : leurs fleurons AT&T et Verizon se sont laissés distancer.

Le président Trump a donc interdit toute vente de technologie à Huawei. Google et Facebook ne livreront plus leurs logiciels à Huawei. Il a également demandé à ses partenaires, en matière d’espionnage, les « Five Eyes » (Canada, Grande-Bretagne, Australie, Nouvelle-Zélande et Japon) de cesser leur implantation de la 5G en faisant appel à Huawei. De nombreux pays, alliées des États-Unis leur emboîtent le pas, comme l’Inde, le Brésil, Israël, le Vietnam et Taïwan. D’autres refusent de se fâcher avec la Chine, comme la Thaïlande et la Corée du Sud.

L’Europe se tâte : si l’Espagne, le Portugal, la Slovaquie et la Hongrie continuent de travailler avec Huawei, les autres hésitent. L’alternative se trouve en Finlande avec Nokia et en Suède avec Ericsson.

En Afrique, Huawei a décrocher 47 contrats d’implantation de la 5G accompagné d’une promesse de développement économique et d’une ouverture de crédit.

Conclusions

Kishore Mahbubani conclut qu’on va vers un conflit géopolitique majeur suite à l’erreur des Chinois de s’être aliéné le monde des affaires américains et la nécessité pour les Américains de trouver un bouc émissaire afin de masquer leurs problèmes socio-économiques. Il prophétise que « si le conflit met en présence une ploutocratie rigide et intraitable (les États-Unis) et un système politique méritocratique sain et souple, la Chine gagnera« .
Une question demeure : l’humanité sortira-t-elle gagnante de cette guerre ?

Suite : 15/06/2021

Joe Biden vient de persuader les membres de l’OTAN que la Chine était une menace et qu’il fallait augmenter le budget de l’organisation. La peur est contagieuse, l’imbécillité également.

Les Safavides : et l’Iran devint chiite

Cet article fait suite à celui consacré aux Mongols.

A l’époque qui nous intéresse (du XIIIe au XVIIIe siècle), la Perse est plus étendue que l’Iran actuel. Elle comprend approximativement l’Irak actuel, l’Afghanistan et les anciennes républiques soviétiques de Turkménistan, Ouzbékistan et Tadjikistan.

Renaissance de la culture perse

Sous la dynastie mongole des Ilkhanides (1256-1388), la Perse est redevenue une entité politique indépendante, gouvernée de fait par des vizirs perses. Les Mongols ont été absorbés par la culture perse. Le farsi, le persan, a supplanté définitivement l’arabe imposé par les conquérants musulmans, ne conservant que l’alphabet de celui-ci.
Un art typiquement persan glorifie l’islam, la nouvelle religion du groupe dirigeant,… et les Mongols. Ainsi, dans le Shahnameh (le Livre des Rois), les empereurs (Cyrus, Darius) et les personnages mythiques (Rostan) de l’ancienne Perse ont pris les traits mongols. Le Shahnameh avait été écrit au XIe siècle par le poète Ferdowsi afin de préserver la langue et la culture ancienne. C’est aussi un recueil de conseils pour une bonne gouvernance : les bons princes sont toujours récompensés.

Une parenthèse douloureuse

Mais bientôt, à la fin du XIVe siècle, un nouveau conquérant s’agite à la frontière nord-est, en Transoxiane. Ce conquérant, parti de Samarcande, c’est Timour i-Lang, Timour le boiteux, plus connu sous le nom de Tamerlan (1336-1405). Il prétend descendre du grand Gengis Khan. Il va répandre la même terreur et la même désolation que son ancêtre.

En 1387, il s’attaque aux Ilkhanides. Il envahit l’Afghanistan et l’Iran actuels, il attaque l’Inde et prend Delhi. Il se répand tous azimuts : il est en Syrie face aux mamelouks, en Anatolie (Turquie) face aux Turcs ottomans et même en Russie, face aux Mongols de la Horde d’Or. Seule sa mort, suite à une fièvre, arrêtera ses conquêtes.

Car paradoxalement, ses successeurs, les Timourides se montreront pacifiques.
En Inde, ils créeront la dynastie des Moghols. Shah Jahan, roi de cette dynastie, fera construire le Taj Mahal à partir de 1631, à la mémoire de son épouse.
Dans la Perse, les Timourides succomberont aux charmes de la culture locale, comme leurs prédécesseurs, les Mongols.

Ils installeront leur capitale à Hérat (Afghanistan), et en tant que mécènes et esthètes, ils contribueront au développement des arts.

Le chiisme radical

Grands mécènes et esthètes, les Timourides furent de piètres souverains. Ils n’ont pas mesuré le danger qui cette fois ne venait plus de l’est, mais de l’ouest, au début du XVIe siècle.

Ismaïl Shah (1487-1524)

Ismaïl est un personnage étonnant : il entreprit la conquête de la Perse alors qu’il n’avait que 13 ans ! Il était le guide spirituel d’une confrérie soufie. Très jeune, il avait écrit un poème dans lequel il se déclarait mandaté par Ali pour gouverner le monde. Des milliers de partisans dévots appartenant à diverses tribus turkmènes d’Anatolie, du Caucase et de Syrie le suivaient. En 1510, il était le maître de tout l’ouest de la Perse où il créa la dynastie des Safavides (ou Séfévides) qui régna jusqu’en 1732.

Note : Le soufisme est un mouvement mystique à l’intérieur de l’islam. Les soufis renoncent aux biens matériels pour se rapprocher d’Allah. Ils tentent d’entrer en communication avec la divinité. Cette prétention d’union avec Dieu est incompatible avec le principe islamique de la transcendance de Dieu qui vit sur un autre plan que les humains.

Il tenta d’imposer un chiisme extrémiste par la violence, puis s’appuyant sur les oulémas perses présents avant sa conquête, un chiisme plus sage s’installa.
Son extrémisme l’opposa aux Turcs ottomans, sunnites, qui régnaient sur l’Anatolie. Il en résulta un conflit larvé qui dura deux siècles.

Les dix dernières années de sa vie ne furent pas un exemple pour l’islam : il consacra son temps à la chasse, aux beuveries et aux jeunes garçons. Se croyait-il déjà au paradis ?

Shah Abbas (1588-1629)

Abbas Ier est le petit fils d’Ismaïl. Comme son ancêtre, il s’adonnait à la boisson. Il déclarait tenir mieux l’alcool que quiconque. Sous son règne, l’empire safavide connaîtra son âge d’or, illustré par la construction de l’ensemble architectural d’Ispahan (ou Isfahan) avec sa mosquée recouverte de turquoise, couleur du paradis. On raconte que cette construction a servi de modèle aux palais de Versailles, de Topkapi, d’Agra et de Delhi.

Nadir Shah : la fin (1736-1747)

Au XVIIIe siècle, des tribus nomades d’Afghanistan se révoltent. Un chef de guerre, Nadir Shah, prend la tête des armées safavides et repousse les assaillants qui jaillissaient de tout côté : à l’est, les Afghans, à l’ouest, les Ottomans et au nord, les Russes. Il profite de ses succès pour envahir l’Inde, il prend Agra et Delhi où il dérobe le trône du Paon qui deviendra le trône impérial des shahs d’Iran du XXe siècle. Ce trône était orné d’un diamant, le koh-i-nor, qui connaîtra bien des péripéties avant d’être dérobé par les Britanniques et d’orner la couronne royale anglaise.

Nadir Shah finira par renverser le souverain safavide et prendra le pouvoir. Mais sa violence se retournera contre lui : il sera assassiné par ses troupes.
A sa disparition, la guerre civile éclate et les pays colonisateurs en profitent. C’est la fin de l’indépendance de la Perse qui deviendra un État tampon entre l’Empire ottoman, la Russie tsariste et la Grande Bretagne qui occupait l’Inde et l’Afghanistan.