Avant-propos : qui sont les Arabes ?
Les Arabes ne forment pas une ethnie, ils n’ont pas comme ancêtres les bédouins et les commerçants qui arpentaient les déserts du Proche Orient, de la Syrie au Yémen. Est arabe celui qui parle cette langue.
Prenons le cas de l’Égypte du XIIIe siècle pour illustrer cette définition.
A cette époque en Égypte, se côtoient :
- Des coptes chrétiens descendants des occupants du pays sous la dynastie des Ptolémée. Ils sont égyptiens ou grecs.
- Des Arabes des déserts du Proche Orient, des Saracènes (Sarrasins) comme les appelaient les Byzantins, venus conquérir et islamiser le pays vers 640.
- Des Berbères d’Ifriqiya (la Tunisie) accompagnant la dynastie fatimide qui prit le pouvoir en Égypte en 969 et créa un califat chiite.
- Des Turcs de l’armée de Saladin qui gouverna l’Égypte de 1169 à 1193, renversant le calife fatimide et imposant le sunnisme.
- Des mamelouks, esclaves-soldats, caucasiens, slaves, turcs kiptchaks vendus par les Mongols, ou nubiens (garde noire du calife). Ils prendront le pouvoir en 1250, arrêterons les Mongols (1261) et chasseront les Francs du littoral libano-palestinien (1291).
- Sans oublier les esclaves domestiques en provenance de l’Afrique subsaharienne.
Tous les descendants de ces populations sont les Arabes de l’Égypte d’aujourd’hui : ils parlent arabe.
Avec les émigrations de la seconde moitié du XXe siècle, la notion de « qui est Arabe » s’est modifiée. Il est aujourd’hui admis que les personnes issues d’un pays arabophone est Arabe, même s’il a perdu l’usage de la langue de ses parents. Ainsi, le Libanais chrétien, Amin Maalouf, membre de l’Académie française, se considère comme Arabe.
Synthèse
L’histoire du califat abbasside est très complexe, émaillée de faits divers nombreux. On doit distinguer trois périodes radicalement différentes dans la vie de ce califat.
De 749 à 936, le calife gouverne effectivement l’Islam (avec une majuscule : l’empire islamique) et permet le développement d’une brillante civilisation. Néanmoins il perd petit-à-petit le contrôle d’al-Andalous (Espagne) et du Maghreb (voir mon article).
La seconde période, de 936 à 1258, est moins glorieuse : le calife vit sous la tutelle d’un vizir iranien tout d’abord puis d’un sultan turc. Il perd le contrôle de la Syrie et de l’Egypte, passées aux mains d’un autre calife, chiite celui-là et se désintéresse de la présence des Francs (croisés) sur les côtes de Palestine.
1258, c’est la fin. Les Mongols envahissent tout l’est de l’empire. Un descendant du calife se réfugie dans l’Égypte des mamelouks, devenue sunnite, qui l’accueille avec bienveillance pour avaliser leur pouvoir usurpé. Les Ottomans mettront fin au califat en 1517.
749-936 (186 ans)
Tout commence dans le sud de la Syrie avec un descendant l’al-Abbas, un oncle de Mahomet (qui donnera son nom au califat) auquel le chef de file des chiites, descendant d’Ali, cède ses droits au pouvoir. Muhammad ibn Ali, c’est de lui qu’il s’agit, se déplaça alors vers l’est (Irak) moins contrôlé par le pouvoir omeyyade et organisa un mouvement de révolte qui eut peu de succès dans un premier temps. Mais son idée fait du chemin. Un obscur personnage Abu Muslim, rassemble des troupes hétéroclites, à majorité des convertis non arabes (des mawali), au Khorassan, une province de l’est de l’Iran. En 749, il atteint Koufa où il fait allégeance aux princes abbassides descendant de Muhammad ibn Ali.
Les Abbassides ont eu l’excellente idée de se présenter comme descendants « directs » de Mahomet et reconnus par les partisans d’Ali (les chiites ou Alides). Ce qui n’empêchera pas les Alides d’abandonner très vite les nouveaux califes et de leur contester le pouvoir.
Les Omeyyades furent massacrés en 750. Les nouveaux souverains délaissèrent Damas en Syrie pour s’établir dans une toute nouvelle ville, Bagdad, entre le Tigre et l’Euphrate, près de l’ancienne capitale de l’empire perse : Ctésiphon.
Le califat atteint le sommet de sa gloire sous Haroun al Rachid, intronisé en 786. Il entretiendra des relations diplomatiques avec Charlemagne à qui il offrira un éléphant. Cette relation ne doit pas nous surprendre, car une « guerre froide » s’était installée entre l’empire carolingien et l’empire byzantin pour le contrôle de la Méditerranée occidentale et du monde chrétien. Chacun s’appuyant sur les musulmans : les Carolingiens sur le califat abbasside et les Byzantins sur l’émirat de Cordoue, qui était aux mains des Omeyyades.
Le calife Al-Mamun, qui a fait graver son nom dans le Dôme du Rocher, fonda vers 830 la maison de la science dans sa capitale Bagdad. Elle attira des savants de toutes origines, des Perses, des Grecs, des Indiens, des chrétiens, des juifs et des musulmans. Les textes anciens y sont traduits et la connaissance se diffuse à grande échelle grâce à l’utilisation du papier nouvellement importé de Chine. Son utilisation permettait de multiplier et de conserver plus facilement les manuscrits qu’avec le papyrus ou le parchemin. Cette connaissance retrouvée atteindra l’Occident par l’Espagne (al-Andalous) et la Sicile.
[Citons la présence à Bagdad d’un grand mathématicien, al-Kwarizmi, dont le nom prononcé en Occident « Alchorismi », a donné le mot « algorithme ». C’est également à ce mathématicien que nous devons le mot « algèbre » qui est le titre d’un de ses livres.]
936-1258 (321 ans)
Le califat vit au dessus de ses moyens. Le calife rémunère son armée, composée de mercenaires, en leur octroyant des terres qu’ils gouvernent et où ils peuvent prélever l’impôt. L’empire se morcelle. Les premiers a en profiter sont des Iraniens, les Bouyides, chiites, qui deviennent en quelque sorte les tuteurs, les protecteurs du calife. Trois familles rivales se partagent les territoires de l’ancienne Perse.
Venant des steppes d’Asie centrale, à travers la Transoxiane, des bandes de Turcs nomades vont envahir petit à petit l’Iran. En quelques années, toutes les principautés iraniennes passent sous le contrôle d’une famille turque : les Seldjoukides. Chamanistes au départ comme le prouve le nom de leur chef : Prince Faucon et Prince Épervier, ils vont se convertir à l’islam sunnite et s’entourer d’Iraniens dont ils vont adopter les mœurs et la langue. En 1055, le calife les accueille à Bagdad d’où ils chassent les Bouyides.
Le calife donne à leur chef les titres de sultan, roi d’Orient et d’Occident, c’est-à-dire chef politique de tout le monde musulman. Poursuivant leur conquête, ils se retrouveront en pays byzantin. L’Arménie passe sous leur contrôle en 1064, après la prise de sa capitale (voir l’article). Ils s’attaquent alors à l’empire byzantin et capturent même l’empereur Romain IV Diogène lors de la bataille de Van en 1071. La rançon à payer sera très élevée, l’empereur devra même concéder la ville de Nicée, aux portes de Constantinople.
Mais chez les Turcs, la succession se fait dans la douleur : le pouvoir est un bien familial et lors de la mort d’un chef, des luttes internes opposent les différents clans pour hériter de ce pouvoir ce dont vont profiter les croisés lorsqu’ils entreront en contact avec les Seldjoukides. Ces successions et ces guerres internes vont avoir une autre conséquence, le morcellement à outrance des possessions turques : chaque ville sera gouvernée par un clan.
[Avant de devenir sultan, Saladin, qui n’est pas turc seldjoukide mais kurde, était simple officier dans l’armée du gouverneur seldjoukide de Mossoul.]
Ainsi, lorsque les Francs assiègent la ville d’Antioche aux mains des Turcs seldjoukides aucune armée ne viendra au secours des assiégés. [Antioche est actuellement la ville d’Antakya en Turquie, à la frontière avec la Syrie.] Ce n’est que lorsque la ville fut prise, après un siège de sept mois, qu’une armée venant de la ville voisine d’Alep, tenue par un clan rival, viendra assiéger les croisés qui s’étaient curieusement enfermés dans la ville.
[Les Francs, ou plutôt les Normands, c’est l’armée de Bohémond de Tarente qui prend Antioche, vont briser l’encerclement, galvanisés par la découverte miraculeuse, dans le sous-sol d’une église d’Antioche, de la Sainte-Lance, celle qui a percé le flanc de Jésus sur la croix. C’est un « vrai miracle », car lors du rassemblement des troupes devant Constantinople, les chefs croisés avaient été invités à vénérer cette même lance, propriété de l’empereur byzantin !]
A l’est, le shah du Khwarezm, occupe presque tout l’Iran actuel dès 1157, chassant les Grands Seldjoukides. Le calife lui accorde également le titre de sultan. Le Khwarezm est un territoire situé entre les mers Caspienne et Aral. Cette contrée a été islamisé au IXe siècle (voir l’article). C’est un pays riche grâce au contrôle du commerce est-ouest. Si j’en parle, c’est que cette dynastie sera la cause directe de l’arrivée des Mongols… comme on le verra dans un prochain article.
1258-1517 (258 ans)
En 1215, Gengis Khan fédère toutes les tribus mongoles qui nomadisaient dans les steppes de Mongolie. Il va partir à la conquête du plus grand empire jamais créé, s’étendant de la Chine à la Hongrie.
En 1256, le mongol Hülegü, khan d’Iran, prend la forteresse d’Alamut, le repère de l’ordre des Assassins, se débarrassant ainsi des Ismaéliens que les Seldjoukides n’avaient jamais pu vaincre. Continuant sa conquête vers l’ouest, il prend Bagdad en 1258, tue le calife, al-Musta’sim, mettant fin au califat des Abbassides. Il est probable que sa tête alla grossir les pyramides de crânes qui s’entassaient devant les villes prises par les Mongols. Cette sauvagerie avait pour but d’apeurer leurs adversaires et de les pousser à se rendre plutôt que de combattre.
Fuyant les Mongols, un parent du dernier calife, al-Hakim, va rejoindre l’Égypte où il assurera à la dynastie une survie artificielle : le calife fera de la figuration, se contentant d’apparaître lors de l’accession au trône du nouveau sultan. Il devient par la même occasion le protecteur des lieux saints de l’islam : les villes de La Mecque et de Médine étant contrôlées par l’Égypte. Il apporte aux mamelouks, les nouveaux maître de l’Égypte, une aura face aux États musulmans rivaux en tant que soutien du calife.
Seize califes vont se succéder au Caire jusqu’en 1517 lorsque les Turcs ottomans vont détrôner les mamelouks. Ils vont abolir le califat… qu’ils revendiqueront en 1876 pour tenter de rétablir leur aura.
La théorie d’ibn Khaldun
ibn Khaldun est un historien et un géographe ayant vécu au Maghreb et en Égypte au XIVe siècle (1332-1406). Il a connu la peste, les changements de dynastie et a même rencontré Tamerlan.
Dans ses écrits, ibn Khaldoun divise la société des hommes en nomades, qu’il appelle bédouins et en sédentaires, les empires. Les nomades possèdent l’espace, mais leur activité se limitent à subvenir à leurs besoins. Mais ils rêvent de se procurer d’autres richesses et finissent par se sédentariser.
Les sédentaires eux développent l’urbanisation et des techniques de plus en plus complexes. Le sédentaire, contrairement au nomade, exerce un métier.
ibn Khaldoun pense que la vie bédouine est à l’origine des diverses civilisations dans la mesure où les Bédouins se contentent de satisfaire leurs besoins tandis que les sédentaires sont attirés par le confort et le luxe. Les Bédouins sont jugés par Ibn Khaldoun comme les peuples les plus courageux. Leur puissance est issue de leur esprit de clan. Le clan unit le groupe autour d’une ascendance commune, il permet une assistance mutuelle et crée la solidarité du groupe. Or, celle-ci est fondamentale pour se défendre dans une période de luttes tribales.
Pourtant, une lignée prestigieuse mue par un fort esprit de clan peut s’éteindre au bout de quelques générations. Plusieurs clans peuvent se regrouper pour constituer un ensemble dirigé par le clan le plus puissant, celui qui sera le plus enraciné dans la vie bédouine, le plus sauvage. Mais, au bout de quelques générations, un autre clan peut toujours faire valoir un esprit de clan plus puissant et, donc, diriger le groupe. On assiste ainsi à des luttes incessantes pour accaparer le pouvoir. Les empires musulmans, les Turcs seldjoukides et les Mongols lui servent d’exemple.
L’esprit de clan offre une puissance et une supériorité qui entre en contradiction avec l’objectif des nomades, qui aspirent de plus en plus au confort et au luxe. Il leur faut pour cela se sédentariser, ce qui sera à l’origine de la perte de l’esprit de clan : « Quand un peuple se sédentarise dans les plaines fertiles et amasse les richesses, il s’habitue à l’abondance et au luxe, et son courage décroît de même que sa « sauvagerie » et ses usages bédouins« .
Il explique ainsi les changements incessants de l’autorité dans les califats. Lorsqu’un « empire » sédentarisé est attaqué par un voisin nomade, il n’a plus les ressources militaires nécessaires pour faire face. Il fait donc appel à la « sauvagerie » d’autres nomades qui vivent aux marges de l’empire et ceux-ci finissent par s’implanter dans l’empire… La boucle est fermée, et le cycle reprend.