La Sîra an-nabawîya

La biographie de Mahomet

La tradition raconte que le calife al-Mançur (754-775) convoqua l’historien ibn Ishâq (mort en 767) pour lui demander d’écrire un livre qui enseignerait à son fils al-Mahdi (calife de 775 à 785) tous les événements depuis Adam. ibn Ishâq s’exécuta. Le calife trouva le livre trop long, ibn Ishâq l’abrégea, ce fut la première biographie de Mahomet.

Cette version ne nous est pas parvenue. Plus de 50 ans plus tard, ibn Hicham (mort en 824) reprit le texte d’ibn Ishâq et l’abrégea de nouveau. Dans son introduction, il note : « Par souci de concision, je m’en tiendrai à la seule lignée qui descend directement d’Ismaël au prophète Muhammad ». Et il conçut un livre de 1600 pages qu’on lit encore aujourd’hui. Le texte actuel serait basé sur 17 manuscrits. La dernière édition a été publiée au Caire en 1955.

La Sîra se présente comme un ensemble de hadiths : tous les paragraphes sont précédés d’une chaîne de transmission : « X a entendu dire par Y qui le tenait de Z que Un tel a dit que…« . La version française de Wahib Atallah ne contient pas ces chaînes de transmission, ce qui facilite la lecture.

Le récit commence avec la naissance d’Ibrahim, fils d’Abraham et de son esclave égyptienne Maria (d’après la Sîra, Hagar d’après la Bible). C’est l’ancêtre de Mohamed, annoncé par deux prophètes. Il se termine à la mort du prophète de l’islam par le choix de Abu Bakr pour lui succéder à la tête de la Umma. (voir l’article sur Mahomet)

ibn Hicham est-il resté fidèle à ibn Ishâq ?

ibn Khaldun (1332-1406) considérait ibn Ishâq comme un des plus grands historiens de l’islam. Pour ibn Khaldun, le travail de l’historien ne se résume pas à établir des chaînes de transmission pour certifier un fait : « La meilleure manière de distinguer le vrai du faux consiste à faire l’examen critique des faits avant même d’apprécier la crédibilité des informateurs. Quand un récit est absurde, peu importe le crédit attaché ou non à son auteur « .

Or, la Sîra qui nous est parvenue contient nombre de faits peu crédibles, pour un lecteur neutre. Voici trois exemples :

  • Amina, la mère de Mahomet racontait : « Lorsque je fus enceinte, je vis sortir de moi une lumière qui illumina les châteaux de Bosra en Syrie ».
  • Mahomet déclare que lorsqu’il était enfant : « … je vis deux hommes habillés de blanc qui portaient une cuvette en or pleine de neige. Ils se saisirent de moi, m’ouvrirent le ventre et sortirent de mon cœur un caillot de sang noir qu’ils jetèrent. Puis ils lavèrent et purifièrent mon cœur avec cette neige ».
  • alors que Médine (Yathrib) va être assiégée par les armées de La Mecque, Mahomet ordonne de creuser un fossé tout autour de l’oasis, mais la terre était très dure. « Mahomet demanda une cruche d’eau, y cracha, fit une prière à Dieu et répandit l’eau sur le sol : la couche dure se disloqua, s’effrita et devint comme une dune de sable. »

ibn Ishâq a été accusé d’avoir des affinités avec les chiites. Il aurait donné un rôle exagéré à Ali. Or dans la Sîra d’ibn Hicham, Ali, est certes considéré comme le cousin bien aimé de Mahomet et son beau-fils, mais là s’arrête son rôle. Jamais il n’est considéré comme le successeur désigné du prophète, ni comme le messie que Mahomet aurait annoncé. (voir l’article sur le Coran des chiites)

Mise en contexte du Coran

L’objectif avoué ou sous-jacent de la Sîra est la mise en contexte du Coran. Le récit doit coller au Coran et expliquer en quelles circonstances, tel verset a été suggéré à Mahomet. Ainsi, c’est à cause de la Sîra qu’on a l’habitude de diviser les révélations entre La Mecque et Médine.

Je crois que les évangiles ont la même origine que la Sîra : un membre d’une communauté, de la deuxième ou troisième génération, a dû demander : « Mais Jésus-Christ, qui c’est ? ». On a donc rédigé une vie de Jésus à partir des souvenirs que les anciens avaient gardés des histoires que les prêcheurs leur avaient racontés. Ce qui pourrait expliqué qu’il y en ait plusieurs… qui ont été uniformisés plus tard. Mais chaque grande communauté, probablement Jérusalem, Alexandrie, Antioche, ont insisté pour garder le leur.

Dans l’exemple des évangiles, la mise en contexte ne s’est pas faite : les évangélistes n’ont pas expliqué en quelles circonstances les paraboles ont été prononcées.

Mahomet prophète de l’apocalypse

D’après l’article de Mohammad Ali Amir-Moezzi dans le « Coran des Historiens » (éditions du Cerf)

Mahomet a-t-il annoncé la fin imminente du monde, tout comme Jésus dans les évangiles ?
Plusieurs sourates du Coran parlent de la fin des temps, mais était-ce imminent ?

Contexte dans la région

Au VIIe siècle, le Proche Orient est fortement marqué par des attentes apocalyptiques dans toutes les religions. De 551 jusqu’en 767, la peste sévit dans la région. L’archéologie découvre des villages entiers abandonnés, vidés de leurs habitants. Il est possible que la ville de Pétra, jadis centre commercial prospère, ait perdu ses derniers habitants lors de cette épidémie : les fouilles ont montré que les derniers habitants s’étaient réfugiés dans l’église espérant une vaine protection de leur dieu.

Les guerres incessantes entre les empires byzantin et perse, pourtant affaiblis par l’épidémie, créaient un climat d’angoisse et d’insécurité propice aux « prémonitions les plus sombres et aux espérances les plus folles« .

Le milieu juif est particulièrement actif et cherche à libérer Jérusalem de la domination des Byzantins et à reconstruire le temple, prémisse d’une ère nouvelle.

Sans oublier que les Huns, qui ont terrorisé l’empire romain dans la première moitié du Ve siècle, sont de retour dans le Caucase. Le Coran se fait l’écho de cette présence en comparant les Huns à Gog et Magog, deux peuples barbares qui à la fin des temps briseront les portes qui les retiennent dans les steppes… d’après la tradition. Sur cette légende, voir l’article Gog et Magog.

Toutes les conditions étaient réunies pour que la littérature apocalyptique fleurisse et influence la pensée des fidèles. Dans le milieu juif, l’Apocalypse de Zorobal et les Secrets de Rabbi Shimon ben Yohai circulent. Mais les sources les plus nombreuses sont composées par les auteurs chrétiens, qui attendent toujours le retour du Messie : le Testament des Douze Apôtres, le Sermon sur la Fin des temps, l’Apocalypse du Pseudo-Esdras, etc.

Ce climat pré-apocalyptique n’est pas circonscrit aux cercles religieux, le Proche Orient est un monde connecté, les idées circulent et atteignent les milieux arabes. Ce n’est pas une période d’ignorance comme veut le faire croire l’islam.

La fin des temps dans le Coran et les hadiths

La fin des temps

Le Coran contient plus de deux cents versets mettant en garde sur la fin des temps, promettant la résurrection aux fidèles et la Géhenne aux mécréants. C’est un thème récurrent.

« Le fracas ! Qu’est-ce donc le fracas? Qui te dira ce qu’est le fracas ? C’est le jour où les hommes seront comme des papillons éparpillés [ou des tapis étendus ?] et les montagnes comme des flocons de laine cardée » (Co. 101, 1-5).

« La terre resplendira de la lumière de ton Seigneur ; le livre [des actes des hommes] sera posé et on appellera les prophètes et les témoins. La sentence sera prononcée en tout équité et nul ne sera lésé » (Co. 39, 69).

L’Heure

Mais quand arrivera la fin des temps ? « L’Heure imminente est proche. Allah seul peut la dévoiler. » (Co. 53, 57-58). Un hadith prête même à Mahomet cette déclaration : « L’Heure arrive. Mon avènement et l’Heure sont séparés l’un de l’autre comme ces deux-là (et il montra son index et son médium)« . Donc Mahomet a été envoyé pour avertir le peuple que le Jugement est proche et qu’il faut s’y préparer.

Jésus ne disait pas autre chose : « En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive » (Marc, 13, 30).

Mais comme pour les chrétiens, l’Heure n’est pas venue. Alors dans le Coran , on trouve cette mise en garde : « Ils te pressent de hâter le châtiment. Dieu ne manque jamais sa promesse. Et le jour auprès de ton Seigneur équivaut à mille ans de votre calcul » (Co. 22, 47). Ou plus encore : « Les Anges ainsi que l’esprit montent vers Lui en un jour dont la durée est de cinquante mille ans. Supporte donc une belle patience » (Co. 70, 4-5).

Le messie

Mahomet a-t-il parlé du Messie, figure centrale de l’apocalyptique juive et chrétienne ? Le Coran n’en dit rien, il se contente d’appeler « Isa (Jésus) le Messie », mais sans lui attribuer un rôle particulier. Pourtant, dans la littérature chrétienne, contemporaine de Mahomet, on lit :

Un prophète est apparu avec les Saracènes [les Arabes] proclamant le venue le l’Oint attendu, le Messie. (Doctrina Jacobi, écrit vers 640).

Dans une lettre, Jacques d’Edesse (?-780) écrit :

Les Mahgrayes (musulmans) confessent tous fermement que Jésus est le vrai messie qui devait venir et qui fut prédit par les prophètes. Sur ce point, il n’y a pas de dispute avec nous.

Les chiites prétendent que Mahomet, le prophète, annonçait Ali, le messie. Ils se basent sur la sourate 13, verset 7 : « Tu n’es qu’un avertisseur, et à chaque peuple, un guide« . Ali est présenté par les chiites comme l’Alliance divine. Ils parlent du saint pouvoir d’Ali.

La Doctrina Jacobi (voir extrait ci-dessus) est un ouvrage chrétien, mais il met en scène des Juifs. Ont-ils reconnu Mahomet comme un prophète précédant la venue du Messie ? C’est bien probable puisqu’ils ont rejoint la umma, comme le montre la charte de Yathrib à qui j’ai consacré un article. Ils vont même suivre les troupes arabes à Jérusalem où un lieu de prière va être construit. Pour les Juifs, le retour à Jérusalem et la reconstruction du temple sont des prérequis à l’avènement du Messie (voir l’article sur le Messie).

Mais l’avertisseur (Mahomet) et le Messie (Ali) sont morts sans que la fin du monde n’arrive. D’autre part, les rapides conquêtes et la création d’un empire islamique ne pouvaient tolérer l’idée que la fin des temps était proche : la stabilité de l’État n’a jamais fait bon ménage avec les aspirations messianiques. L’histoire a été réécrite et la tradition réinterprétée.

La charte de Yathrib (Médine)

La charte de Yathrib, aussi appelée « constitution de Médine », est à la politique ce que le Coran est à la religion pour les compagnons de Mahomet.
Ali, le cousin, beau-fils du prophète et quatrième calife gardait le document dans le fourreau de son épée d’après les hadiths collectés par ibn Hanbal (mort en 855), le théologien le plus traditionaliste, dont l’école de jurisprudence a donné naissance au wahhabisme.
Nous connaissons deux copies de ce document dont l’original ne nous est pas parvenu. Le document est repris dans la Sîra d’ibn Hicham (mort en 830), l’autre copie nous vient de Abu-Ubayd (mort en 838) et semble la plus ancienne.
L’archaïsme du style et les mots utilisés prouvent l’ancienneté du document dont l’authenticité n’est plus guère remise en cause.

Des différences entre les versions

Avant d’analyser le contenu de la charte, pointons les différences (pour se familiariser avec l’histoire de Mahomet, on peut se référer à l’article : Mahomet).
Dans la version de Abu-Ubayd, le texte commence par :

Ceci est un écrit de Mahomet, le prophète, établi entre ceux des Quraysh (NB : les premiers compagnons de Mahomet) et des gens de Yathrib (NB : ceux qui les ont accueillis) et ceux qui les ont suivis et, s’étant joints à eux, ont combattu avec eux. Ils sont une communauté unique à l’exception des autres hommes.


La version de ibn Hicham ne varie que sur un point, elle ajoute derrière le mot prophète, la bénédiction rituelle : que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui« . L’aspect religieux a été ajouté.

Si le début montre des différences, la fin aussi, et elles sont plus marquées.
Dans la version de Abu-Ubayd, on lit : « Si entre les gens de cette charte survient une agression dont on peut craindre une détérioration, on soumettra l’affaire à Dieu le Très-Haut et à Mahomet le prophète. »
A ce texte, la version d’ibn Hicham ajoute : « Allah est le plus sûr et le plus loyal garant de ce qui est dans cette charte. On n’accorde protection ni aux Quraych (NB : les habitants de La Mecque), ni à ceux qui les assistent ».

Comme on peut le voir, des éléments religieux sont, encore une fois, venus s’ajouter au texte et une mention est faite à la ville de La Mecque qui n’apparaît pas dans le document d’Abu-Ubayd, alors que le nom de Yathib (identifié comme Médine) y apparaît 3 fois.

Quel est l’objectif de la charte ?

Ce document structure l’organisation interne d’une communauté, appelée umma, et son activité guerrière « sur le chemin de Dieu ». Ce traité aurait été rédigé par Mahomet lui-même (voir l’introduction ci-avant)… alors qu’il était illettré d’après la tradition. Ce que conteste une chronique arménienne de 660 : « Il était très instruit et très versé dans l’histoire de Moïse ». Mahomet apparaît dans le texte comme un prophète et un simple arbitre en cas de différend… et surtout le garant de la cohésion entre les composantes de la communauté, les muminûn que l’on traduit souvent par croyants, mais qui n’a pas ce sens dans la charte. Ce sont plutôt « des gens qui se font confiance ». Le professeur Alfred-Louis de Prémare le traduit par « les affidés » du mot latin « fides » (la foi, la confiance), enlevant toute connotation religieuse au terme, ce qui semble plus correct comme on va le voir.

Les droits et les devoirs des affidés sont bien spécifiés et Dieu, le Très-Haut, est garant de ces clauses.

Un affidé ne tue pas un autre affidé pour venger un « infidèle ».
Le moindre d’entre les affidés les protège tous.
Les affidés sont alliés les uns des autres à l’exclusion des autres hommes.
Les affidés exercent la vengeance les uns au profit des autres.
Un affidé n’établit pas la paix séparément des autres affidés lors d’un combat sur le chemin de Dieu.
Les affidés qui respectent les clauses de ce document sont dans la voie la meilleure et la plus droite.

Plus inattendu (et j’en reparlerai) :

Ceux des juifs qui nous suivent ont droit à l’assistance en parité : on ne les lèse pas, on ne s’allie pas contre eux.

Qui concerne-t-elle ?

La charte concerne donc les premiers compagnons de Mahomet, des gens de Yathrib et des juifs. Ils constituent tous la umma primitive.
C’est très troublant quand on connaît la biographie (romancée) de Mahomet, la Sîra mise par écrit par ibn Hicham au IXe siècle. En résumé, Mahomet est accueilli à Yathrib par deux tribus arabes non juives, les Banu Aws et Banu Khazraj. Trois autres tribus, juives celles-là, vivaient également à Yathrib. Mahomet va entrer en conflit avec ces tribus, en chassant deux et exterminant la troisième. Pour plus de détails, lire l’article sur Mahomet.

Or dans la charte, on dénombre pas moins de huit tribus non juives et leurs alliés juifs, ce qui va à l’encontre du point de vue traditionaliste. Et la charte est très explicite :

Les juifs supportent les dépenses avec les affidés aussi longtemps que ceux-ci sont en guerre.
Les juifs alliés des Banu Awf constituent une communauté avec les affidés. Aux juifs leur loi religieuse et aux affidés leur loi religieuse, qu’ils s’agissent de leurs alliés ou d’eux-mêmes. Celui qui est injuste et viole les clauses n’attire la mort que sur lui et sur sa maison.

Pour les juifs alliés des Banu I-Harith, il en est comme pour les juifs des Banu Awf.
Pour les juifs alliés des Bani I-Awsil, il en est comme pour les juifs des Banu Awf.
[Et de même pour les huit tribus (banu)].

Que penser ?

Ce document est le tout premier écrit proto-islamique. Certains l’appelle la « constitution de l’an 1 ». Il nous présente une communauté multi-culturelle, sans contrainte religieuse, réunie pour combattre sur le chemin de Dieu. Les spécialistes de l’histoire de l’islam sont circonspects, car cette communauté n’a rien d’équivalent dans la Sîra, qui reste la référence pour ces historiens : Mahomet avait chassé ou massacré les trois tribus juives de Yathrib qui ne voulaient pas se soumettre à sa vision du monothéisme. Il ne restait donc plus de juifs à Yathrib, cinq ans après l’arrivée du prophète. Comme les historiens refusent de remettre en cause la Sîra, cette biographie de Mahomet mise par écrit deux siècles après la mort du prophète, ils sont face à un problème qu’ils bottent en touche en qualifiant la charte de document disparate, regroupant des traités signés séparément, sur plusieurs années. Le paradigme reste traditionnel : la communauté (umma) de Mahomet est mono-culturelle, exclusivement islamique, elle a pour objectif de répandre la nouvelle religion dans la monde.

On se trouve face à deux vues différentes qui s’opposent sur le rôle des juifs et l’objectif de la communauté.

Commençons par analyser le rôle des juifs. Dans la charte, ils sont les alliés, les clients des tribus arabes. Dans la Sîra, ils ont l’air de dominer l’oasis de Yathrib (Médine) : leurs villages sont fortifiés, ils ne sont pas seulement cultivateurs, mais ils exercent d’autres métiers comme métallurgistes : ils fabriquent les armes. Yathrib était aussi un centre culturel juif. On ne décèle pas de lien de dépendance des juifs par rapport aux deux tribus non juives.
Les historiens minimisent le nombre de tribus : 8 dans la charte, contre seulement 2 non juives dans la tradition. Pour eux, il s’agit non pas de huit tribus, mais des différents clans des deux tribus mentionnées dans la Sîra. Soit.

Si ce ne sont pas les juifs de Yathrib, éliminés selon la tradition, qui sont-ils ? Pour certains historiens, sceptiques, il est peu probable qu’il y ait eu des tribus juives aussi loin dans le désert arabique. Les juifs étaient présents dans l’empire byzantin, mais surtout dans l’empire perse beaucoup plus tolérant. Dans la péninsule arabe, les rois de Himyar, au Yémen actuel, s’étaient convertis au judaïsme en 380. Le royaume est resté juif jusqu’en 525 quand il a été conquis par les chrétiens du royaume d’Aksoum (Ethiopie).

Ce qui est très étonnant, dans la charte et dans la tradition, c’est l’absence des chrétiens à Yathrib alors qu’ils évangélisaient tout azimut. Les prédicateurs accompagnaient les caravanes et parcouraient toutes les routes commerciales. On les retrouve en Chine et chez les Mongols. Plusieurs évêchés ont été créé sur la côte orientale de la Péninsule arabique. Mais comme je l’ai déjà dit à maintes reprises, je doute que La Mecque et Médine soient sur des grandes routes commerciales (voir l’article : Pétra – La Mecque). Cette partie centrale de l’Arabie (le Hidjaz) est ignorée des grands empires, elle n’est desservie que par un commerce local.

D’où pouvaient venir les juifs mentionnés dans la charte de Yathrib. Il faut remonter 8 ans avant l’arrivée de Mahomet à Yathrib. Nous sommes en 614, les Perses envahissent l’Empire byzantin profitant d’une guerre de succession. Ils sont aidés par des contingents juifs qui prennent d’ailleurs le contrôle de Jérusalem, d’où ils avaient été chassés en 137. Les Perses iront jusqu’à Constantinople avant que le nouvel empereur, Héraclius, ne les repousse au-delà de l’Euphrate vers 622 (voir mon article sur la conquête arabe). Héraclius va s’en prendre aux juifs de l’Empire. Il leur pose un ultimatum : ils se convertissent au catholicisme ou ils quittent le territoire. Que vont-ils faire ? Laissons parler l’évêque Sébéos qui, vers 660, écrit l’Histoire d’Héraclius.

Ils (NB : les juifs) prirent le chemin du désert et arrivèrent en Arabie, chez les enfants d’Ismaël ; ils les appelèrent à leur secours et leur firent savoir qu’ils étaient parents, d’après la Bible…

Mahomet (NB : s’adressant à ses partisans) ajoutait : « Dieu a promis par serment ce pays à Abraham et à sa postérité après lui en toute éternité ; il a agi selon sa promesse, lorsqu’il aimait Israël. Or vous, vous êtes les fils d’Abraham et Dieu réalise en vous la promesse faite à Abraham et à sa postérité. Aimez seulement le dieu d’Abraham, allez vous emparer de votre territoire, que Dieu a donné à votre père Abraham, et personne ne pourra vous résister dans le combat, car Dieu est avec vous ».

Alors ils (NB : les partisans de Mahomet) se rassemblèrent tous, depuis Ewiwlay jusqu’à Sur et en face de l’Égypte; ils sortirent du désert de Phapan répartis en douze tribus, d’après la race de leurs patriarches. Ils répartirent parmi leurs tribus les douze mille enfants d’Israël,  mille par tribu, pour les guider dans le territoire d’Israël.

NB : Le désert de Phapan désigne probablement le désert de Paran (ou Faran en arabe qui ne connaît par le P) situé au nord-est du Sinaï. C’est là selon la Bible, qu’Agar et son fils Ismaël sont arrivés lorsqu’ils ont été chassés du clan d’Abraham (Gen. 21, 21)

Ce récit est plus cohérent avec la charte de Yathrib. Il explique aussi le sens de « combattre sur le chemin de Dieu » : conquérir la terre d’Israël que Dieu à donné aux fils d’Abraham, les Israéliens et les Ismaéliens. Quand Jérusalem tombera aux mains des armées arabes (vers 638), des artisans seront recrutés pour construire un lieu de prière sur l’emplacement du temple, au grand dam du patriarche chrétien Sophronios qui vit son diacre, tailleur de pierre, répondre à l’appel des Arabes.

Vers 640, un auteur chrétien anonyme, dans la Doctrina Jacobi, met en scène un juif qui raconte à Jacob, le héro de l’histoire : « Et nous les juifs, nous étions en grande joie. On disait que le prophète était apparu, venant avec les Saracènes (Arabes), et qu’il proclamait l’arrivée du Messie qui allait venir« . En 640, Jérusalem était déjà tombée (638).

NB : Lors de la conquête arabe, Jérusalem s’appelait Aelia et la Judée était devenue la Palestine. Ce changement de désignation était l’oeuvre de l’empereur romain Hadrien (son nom complet est Publius Aelius Traianus Hadrianus Augustus) qui, en 137, avait maté la deuxième révolte juive. Il avait détruit Jérusalem, expulsé les Juifs et rebâti une ville romaine à qui il avait donné son nom.

L’anti-judaïsme n’est pas inhérent à l’islam, il ne viendra que plus tard : les chrétiens de l’administration des Omeyyades, restés en place, persuadés que les Juifs étaient responsables de la mort de Jésus imposeront leur idéologie aux musulmans (voir l’article sur l’élaboration du Coran).

Conclusion

Cette hypothèse est-elle la véritable histoire des débuts de la conquête arabe ? A-L de Prémare, un islamologue réputé, dans son livre « Les fondations de l’islam » s’étonne : « On peut effectivement éprouver une certaine réticence à admettre que Mahomet ait envisagé, à partir du Hidjaz, une expédition aussi lointaine dans une zone aussi peuplée que la Palestine ».
Un autre historien, l’américain Hoyland, professeur à Oxford et à l’UCLA, dans son livre « Dans la voie de Dieu » voit dans les conquêtes, non pas une « invasion » musulmane, mais des insurrections d’Arabes et de non Arabes de toute confession, juifs, chrétiens ou zoroastriens, résidant dans les empires byzantins et perses et profitant du marasme causé par la fin de la guerre entre ces empires (603 à 628) et l’arrivée de la umma de Mahomet. Ces attaques sur plusieurs fronts expliquent les guerres civiles de 656 à 661 et de 683 à 692 entre les différentes armées conquérantes.

Cette vision va à l’encontre de la tradition islamique mise par écrit au IXe siècle (au IIe siècle de l’ère musulmane), alors que les lois n’étaient plus édictées par les califes, mais par les religieux. Les chroniqueurs de IXe siècle ont réinterprété les expéditions et les conquêtes à l’aune du contexte de leur époque, en amplifiant l’aspect religieux, en exaltant et en glorifiant l’islam.

La conversion des peuples conquis n’a jamais été un objectif pour les conquérants. Comme indiqué dans la charte de Yathrib, à chacun sa religion. Cette maxime est même reprise dans le Coran, sourate 2, verset 256 : « Nulle contrainte en religion. Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement. Donc, quiconque mécroit au Rebelle (Satan) tandis qu’il croit en Dieu saisit l’anse la plus solide qui ne peut se briser« . Il n’est pas question de religion dans les premières années de la conquête. Il faudra attendre la fin de la seconde guerre civile en 692 sous le règne d’Abd al-Malik pour que Mahomet soit mentionné en tant que prophète par les califes omeyyades. Son nom va apparaître sur les pièces de monnaie et dans le Dôme du Rocher. A ce moment, on peut parler de l’islam en tant que religion califale.


Mahomet a-t-il fait des miracles ?

Que dit le Coran ?

Le Coran est formel : NON, Mahomet n’a pas fait de miracle. Ce n’est qu’un homme.

Dis-leur : « Je ne prétends pas disposer des trésors de Dieu, ni de connaître les mystères, je ne vous dis pas que je suis un ange. Je ne fais que suivre ce qui m’a été révélé. (Co. 6, 50)

Ils disent : ‘Pourquoi ne nous apporte-il pas un miracle de son Seigneur ? » La preuve de ce que contiennent les écritures anciennes ne leur est-elle pas parvenue ? (Co. 20, 133) [NB : à lire de verset, on pourrait croire que les habitants de La Mecque devaient connaître la Bible hébraïque ???]

Ne leur suffit-il pas que nous ayons fait descendre sur toi le Livre et qu’il leur soit récité ? Il y a certes là une miséricorde et un rappel pour les gens qui croient. (Co. 29, 51)

En résumé, les miracles ne sont pas nécessaires pour croire, la révélation du Coran suffit.

Qu’en pensent les musulmans ?

Et pourtant de nombreux miracles sont attribués à Mahomet, que ce soit dans sa biographie (la Sîra) ou dans les hadiths (la sunna). Les musulmans ne lisent-ils pas le Coran ?
Le site islamreligion.com nous enseigne que « le prophète Mohammed (que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui) a accompli de nombreux miracles dont ont été témoins des centaines, et parfois des milliers de personnes.  Le récit de ces miracles nous est parvenu par l’intermédiaire d’une méthode de transmission d’une efficacité jamais égalée dans l’histoire. » Sic.

Mahomet aurait divisé la lune en deux lors d’une prière. Ce « miracle » est déduit du verset 54, 1 du Coran qui dit « L’heure approche et la lune s’est fendue en deux ». Le verset parle en fait de la fin du monde. Le site islamreligion.com nous dit même que les habitants de Washington n’ont pas pu voir le miracle car il était 2 heures de l’après-midi chez eux !

Lors de son prêche, Mahomet avait l’habitude de monter sur une souche. Les fidèles devenant de plus en plus nombreux, on lui construisit une chaire. A l’office suivant, tous les participants ont entendu la souche pleurer et Mahomet l’a consolée en la caressant.

Lors d’un déplacement, l’eau vint à manquer. Mahomet avait conservé une petite fiole pour ses ablutions. Il l’ouvrit et l’eau coula en abondance entre ses doigts.

Bien entendu, il a multiplié les pains, il a guéri Ali qui soufrait des yeux et il a exorcisé un démon qui avait pris possession d’un enfant. Il a aussi exaucé les vœux des fidèles. Il a rétabli des jambes brisées et a fait d’un fantassin un cavalier émérite?

La Sîra raconte qu’alors que les armées de La Mecque s’apprêtaient à attaquer Médine, Mahomet demanda de creuser un fossé tout autour de l’oasis. Le travail était ardu, le sol était très dur. Mahomet cracha par terre et le sol devint meuble et malléable. Grâce à ce fossé (une tranchée avant l’heure ?), les 10.000 assaillants n’ont pas osé s’attaquer aux fidèles du prophète, se contentant de les invectiver en leur récitant des poèmes. Après quelques jours de siège, ils ont refait, en sens inverse, les 350 kilomètres qui les séparaient de La Mecque.

Le voyage nocturne

On raconte qu’une nuit, alors qu’il était toujours à la Mecque, Mahomet fut réveillé par l’ange Gabriel qui lui fit enfourché un animal fabuleux Buraq, mi-femme, mi-cheval ailé, pour se rendre à Jérusalem. De là, Mahomet s’envola vers les cieux où il rencontra Abraham, Moïse, Jésus et finalement Allah à côté duquel trônait l’original du Coran. Au petit matin, il était de retour et raconta son aventure. Personne ne le crut. Il annonça alors qu’il avait survolé une caravane qui arriverait le surlendemain. Ce qui se réalisa. On peut encore voir « l’empreinte du pied de Mahomet » sur la pierre conservée à l’intérieur le Dôme du Rocher à Jérusalem.

Mahomet montant Buraq

D’où vient ce récit ? Il fait partie du Coran, sourate 17, verset 1 :

Gloire à celui qui a fait voyager de nuit son serviteur du lieu de prière sacré vers le lieu de prière éloigné dont nous avons béni l’enceinte, et ceci pour lui montrer certains de nos signes. Dieu entend et voit tout.

Voilà le texte intégral (j’ai remplacé « mosquée » par « lieu de prière », car il n’ y avait pas de mosquées lorsque Mahomet résidait à La Mecque).
Comme on peut le voir, le verset ne parle ni de Mahomet, ni de l’ange Gabriel, ni de Buraq (qui est un personnage de la mythologie persane), ni de La Mecque, ni de Jérusalem. C’est un vrai miracle que ce texte soit devenu le récit fantastique du voyage nocturne.

Quand le verset a été interprété, une mosquée avait bien été édifiée à La Mecque et on l’avait appelée « la mosquée sacrée« , elle existe toujours, très embellie. Ca rapproche le texte du récit.
En 705, Walid I, le fils d’Abd al-Malik, fit construire une mosquée à Jérusalem, mosquée qui sera appelé « al Aqsa« , c’est à dire, la mosquée éloignée. Et le tour est joué.

On raconte que Aïcha la femme préférée du prophète aurait dit que le voyage s’était fait en songe. Or Aïcha est morte en 678, bien avant la construction de la mosquée al-Aqsa. Qui croire ? Que croire ?

Les épouses du prophète

Tout ce que nous connaissons, ou croyons connaître, de la vie de Mahomet (570-632) nous vient des hadiths et de sa biographie, très romancée, écrite dans la première moitié du IXe siècle par à ibn Hicham… 200 ans après la mort du prophète. La littérature musulmane des tout premiers siècles a donné naissance à trois genres littéraires : les hadiths (les dits du prophète et de ses proches), les circonstances de la révélation et les expéditions militaires ou conquêtes. Tous les faits rapportés sont « certifiés » par une chaîne de transmission : « Je tiens ce récit de X, qui l’a entendu de Y, qui en avait connaissance par Z…( sous-entendu, donc, c’est la vérité) ». Quelque soit le genre, il n’est pas rare qu’un même fait, dans le même ouvrage, soit rapporté de façon tout à fait différente, par deux chaînes de transmetteurs.
La Sîra, la biographie de Mahomet appartient au genre « circonstances de la révélation ». Ce genre est très important, car même si le Coran est incréé, comme le dogme l’affirme, Allah en a modifié le texte : dans le Coran, on lit que la vigne offre une boisson enivrante agréable (16, 67) mais aussi que boire du vin est un péché grave (2, 219) (voir mon article intitulé : Du vin et du porc). Allah dit : « Nous n’abrogeons aucun verset sans le remplacer par un autre qui soit meilleur » (2, 106). Il est donc important de savoir quel verset abroge et remplace l’autre, d’où la nécessite de connaître les circonstances de la révélation. Dans le cas cité, la Sîra nous informe que Mahomet recevait des outres de vin de voyageurs venant de Syrie, mais un jour un fidèle s’est présenté saoul à la prière et le verset 2, 219 a été révélé. La Sîra se sert donc de la biographie romancée de Mahomet pour justifier les versets du Coran.

Khadija

Mahomet épousa Khadija à La Mecque où il était à son service comme caravanier. C’était une riche veuve, propriétaire de caravanes. On était en 595, il avait 25 ans, elle en avait 15 de plus que lui. Il fut un mari exemplaire. Ils eurent 6 enfants, on en reparlera.

En 610, Mahomet eut ses premières révélations. Dans la Sîra (I, 233-239), ibn Hicham raconte cette anecdote. Alors qu’il est en contact avec l’ange Gabriel (Gibrîl), Khadija demanda à Mahomet de se blottir dans son giron.

– Cousin » demanda-t-elle, le vois-tu encore ?
– Oui je le vois, répondit Muhammad.
Khadija se débarrassa de sa robe et mit la tête de Muhammad, toujours sur son giron, sous sa chemise de corps.
– Le vois-tu encore ? demanda-t-elle
– Non, je ne le vois plus.
– Cousin, sois heureux et tiens bon. Ton ami est un ange du ciel et non point un démon.

Elle fut la première convertie et une aide précieuse pour son mari en butte aux railleries des notables de La Mecque. Elle est appelée « Mère des croyants ».

Ils eurent deux fils : el Qassim et Abdallah, tous deux morts en bas âge, et quatre filles d’après la tradition.
Zaynab née entre 598 et 600. Elle est morte du vivant de son père en 629. Elle épousa un mécréant qui fut fait prisonnier par Mahomet. Il le libéra en échange de sa fille. Le mari retourna à La Mecque et Zaynab, pourtant amoureuse de son époux, dû rejoindre son père à Médine. Elle avait une fille qui épousa Ali, le quatrième calife.

Ruqayya née en 601 et morte en 624. Elle épousa un aristocrate mecquois, fils d’Abu Lahab. Ce personnage est un des rares contemporains de Mahomet cités dans le Coran, livre incréé rappelons-le. C’était son ennemi.

Que les deux mains d’Abû Lahab périssent et que lui-même périsse !
Ses richesses et tout ce qu’il a acquis ne lui serviront à rien.
Il sera exposé à un feu ardent
Ainsi que sa femme, porteuse de bois, dont le cou est attaché par une corde de fibres. (Co. 111, 1-5).

La sourate 111 ne comporte que ces 4 versets, elle lui est entièrement consacrée.
Ruqayya fut répudiée et épousa Uthman, le troisième calife.

Oum Kalthoum dont on connaît ni l’année de naissance ni le nom, Oum Kalthoum signifiant « la mère du joufflu » a le même parcourt que sa sœur Ruqayya : elle a épousé un fils de Abu Lahab qui l’a répudiée, elle épousa alors Uthman, le troisième calife… après la mort de sa sœur Ruqayya.

Fatima épousa Ali, le quatrième calife et est aussi vénérée que lui. On ignore quand elle est née en 604, 605, 609 et même 615 selon les sources. Notons qu’aucune archive n’étant tenue, les dates de naissance des personnages de l’entourage du prophète ont été estimées bien des années plus tard. Si on s’en tient à la chronologie établie, Fatima est née alors que sa mère avait entre 49 et 60 ans, ce qui à l’époque tient du miracle. Elle mourra quelques jours après son père.

Donc, à la mort de Mahomet, il n’a plus de descendance directe. Comme il n’a pas eu de frères, ni de sœurs, il n’a pas d’héritiers directs.

A Médine

Khadija meurt en 619, trois ans avant que Mahomet quitte La Mecque pour Médine, ce qui s’appelle l’Hégire et donne le point de départ du calendrier musulman. Il respecte le deuil d’un an, puis épouse Sawda. Il est âgé de 50 ans, elle en a 35 (Wikipédia lui en donne 65 !). Bien vite, Mahomet veut la répudier car il a épousé une très très jeune fille (une enfant) Aïcha. Sawda lui fait alors cette étrange proposition qu’il accepte : « Je ne te demande pas de coucher avec moi, je cède mon tour à Aïcha. Mais je veux être présente le jour de la résurrection parmi tes épouses. » Comme bon nombre de croyants, elle attend toujours !

L’épouse la plus célèbre de Mahomet, avec Khadija, est Aïcha (614-678). Elle est la fille de l’ami du prophète, Abu Bakr, qui sera son successeur direct. Elle a 6 ans lorsqu’il demande sa main à son père. A 8 ans elle devient sa femme. Un an plus tard, le mariage est consommé. Ce qui choque dans ce mariage, ce n’est pas l’âge de la fillette. Beaucoup de souverains européens se sont mariés à cette âge. Ce qui choque, c’est la différence d’âge, lui a plus de 50 ans et le fait que le mariage fut consommé. Suite à ces noces, la Charia fixa l’âge légal du mariage des filles à 9 ans (voir mon article sur les mariages de plaisir).

Malgré ses caprices, elle fut la préférée du prophète s’il faut en croire la tradition musulmane. Ce qui n’empêcha pas Mahomet de prendre encore de nombreuses épouses. Mais Allah lui a permis de dépasser la limite fixée à quatre femmes (Co. 4, 3).

Ô prophète. Nous avons rendu licite pour toi les épouses que tu as dotées, les captives que Dieu a fait tomber entre tes mains, les filles de ton oncle ou de tes tantes paternels ou maternels ainsi que toute croyante qui aura livré son cœur au prophète pourvu qu’il consente à l’épouser (NB : remarquons le changement de personne : tu puis il). C’est un privilège que nous t’accordons à l’exclusion des autres croyants. (Co. 33, 50)

J’ai souligné « ton oncle » au singulier. Ce personnage est Abu Talib, le père d’Ali, quatrième calife et cousin de Mahomet. C’est lui qui l’éleva après la mort de son père et le protégea des attaques des Mecquois réfractaires au message du prophète. Mais alors qui est al-Abbas, le fondateur de la dynastie des Abbassides venu du fin fond de l’Iran et qui se présenta comme l’oncle du prophète ?

Fermons cette parenthèse. La tradition raconte qu’au cours d’une étape aride, sans eau, Aïcha perdit son collier. Le moment de la prière approchant, les croyants voulaient atteindre au plus vite un point d’eau pour les ablutions rituelles. Aïcha ne voulut rien entendre et exigea qu’on cherchât son collier. Le soir même Allah donna connaissance d’un nouveau verset à Mahomet :

Lorsque vous vous disposez à la prière, lavez vos visages et vos mains jusqu’aux coudes, passez les mains mouillées sur vos têtes et lavez-vous les pieds jusqu’aux chevilles… si vous ne trouviez pas d’eau alors, recourez à la terre pure (au sable), passez-en sur votre visage et vos mains… (Co. 5, 6)

Notons qu’avant ce verset, tout voyage dans le désert semble avoir été interdit aux croyants. Comment trouver cinq points d’eau pour respecter les prières journalières ?

Mahomet prit ensuite pour femme Hafsa, la fille de son ami Umar, qui deviendra deuxième calife. C’était sa quatrième épouse. Quelque temps plus tard, il convola avec Zaynab, une veuve de 30 ans. Mahomet avait 56 ans. Puis il épousa Oum Salama, la veuve de son frère de lait. Comme elle était inconsolable, Abu Bakr et Umar se proposèrent de l’épouser. Elle refusa, mais elle accepta la proposition de Mahomet. Aïcha la trouvait très belle malgré son âge (30 ans). Elle mourut en 680, soit 64 ans après l’Hégire. On lui doit toute une série de hadiths.

Ensuite, vient l’épisode d’une seconde Zaynab, l’épouse du fils adoptif du prophète, nommé Zayd. Les circonstances de ce mariage sont floues… pour ne pas salir la mémoire du prophète. Il aurait trouvé Zaynab à son goût et son fils adoptif aurait proposé de la répudier. Malgré son désir, Mahomet aurait refusé car il était interdit d’épouser la femme de son fils, même adoptif. C’était considéré comme un inceste. Alors Allah intervint :

Il n’appartient pas à un croyant ou à une croyante, un fois qu’Allah et son messager ont décidé une chose d’avoir encore le choix dans leur façon d’agir… Quand tu disais à celui qu’Allah avait comblé de bienfaits tout comme toi-même l’avait comblé (c’est Zayd) : « Garde pour toi ton épouse (Zaynab) et crains Allah ». … Tu (Mahomet) craignais les gens mais c’est Allah qui est digne de ta crainte. Quand Zayd (cité explicitement dans le texte, comme Abu Lahab dans la sourate 111) eut cessé toute relation avec elle, nous te la fîmes épouser afin qu’il n’y ait aucun empêchement pour les croyants d’épouser les femmes de leurs fils adoptifs quand ceux-ci cessent toutes relations avec elles. Le commandement d’Allah doit être exécuté. (Co. 33, 36-37)

Vinrent ensuite Juwayrira, une jeune femme de 20 ans et Ramlah Abi Sufyan, également appelé Oum Habiba, convertie très tôt à l’islam bien qu’elle ait été la fille d’un dirigeant de La Mecque, ennemi de Mahomet : Abu Sufyan. Il compte maintenant 9 épouses.

Le seigneur de guerre

A Médine, résidaient trois tribus juives d’après la Sîra. Mahomet chassa deux d’entre elles sous des prétextes divers et anéantit la troisième accusée de trahison. Les hommes furent rassemblés devant de grandes fosses, égorgés et enterrés (Sîra II, 58-60). Parmi les captives, se trouvait Safiyya, une très jolie femme (juive) que Mahomet réclama comme butin. Il partagea sa couche le soir même… après l’avoir convertie à l’islam et l’avoir épousée. Il faut respecter les règles.

Son épouse suivante est Maymuna, elle avait 36 ans et lui 60.
Enfin, il prit pour concubine Maria la Copte, une esclave chrétienne venant d’Egypte qu’il reçut en cadeau. Elle lui donna un fils, Ibrahim qui ne vécut que quelques mois. Mahomet n’a décidément pas de chance avec ses fils.

Conclusions

Mahomet eut donc une douzaine d’épouses et quelques concubines. Des jalousies et des disputes éclatèrent entre elles. Un vent de révolte souffla même. Mais Allah veillait au bon ordre de la maison du prophète.

S’il vous répudie il se peut que son Seigneur lui donne en échange des épouses meilleures que vous, soumises à Dieu, croyantes, pieuses, adorantes, observant le jeûne, qu’elles aient été mariées ou qu’elles soient encore vierges.

Ce verset, d’après la tradition, suffit à les calmer.

Pour conclure, je laisse la parole à l’islamologue français Guillaume Dye, professeur à l’Université Libre de Bruxelles qui en 2016 déclara : « Il me semble à peu près impossible de retrouver la réalité historique derrière tous ces récits [sur la famille de Mahomet], et l’idée traditionnelle selon laquelle le Prophète aurait eu sept enfants (un chiffre qui n’est pas anodin dans la culture biblique) ne paraît pas être une information historique. » 

"Jésus est supérieur à Mahomet"

C’est une bien étrange histoire.
Elle se passe en 1527, dans l’empire ottoman, sous le sultan Soliman (Suleiman). Un religieux musulman, Molla Kabiz, professe publiquement que Jésus est supérieur spirituellement à Mahomet, qu’il est plus vertueux. Il ne fait aucune propagande pour le christianisme qu’il réfute. Mais les oulémas sont outrés et portent plainte au palais. Molla Kabiz est convoqué pour s’expliquer par le grand vizir ibn Ibrahim Pacha. Il est entendu par le Divan, l’assemblée des vizirs (ministres), le 2 novembre 1527.

Il argumente pendant des heures, le Coran en main et citant des hadiths. Les hadiths sont les propos que Mahomet aurait tenus. L’ensemble des hadiths forme la sunna (d’ou dérive le mot « sunnite »), la tradition. On compte des centaines, des milliers de hadiths, certifiés ou non. Si on tient compte de tous les hadiths que ses compagnons auraient mémorisés, Mahomet aurait exprimé 10 à 20 maximes par jour durant les 10 années de sa prédication.

Mais revenons à la comparution de Molla Kabiz. Après sa défense, stupéfaction ! Les vizirs ne peuvent contrer ses allégations. Il est donc libre de quitter le palais de Topkapi. Mais le sultan qui a assisté, dissimulé derrière un moucharabieh (un grillage) ne l’entend pas de cette oreille. Il fait arrêter Molla Kabiz qui sera exécuté. Innocent mais coupable de déplaire au sultan !

Salle du Divan avec en haut le grillage d’où le sultan assistait aux réunions.

NB : Le Divan est une assemblée et une salle. C’est devenu un nom commun désignant les sièges sur lesquels les vizirs se tenaient.

Quels sont les arguments de Molla Kabiz ?

On ne les connaît pas, aucune archive n’a été conservée.
On peut néanmoins se faire une idée à l’aide des versets du Coran et des hadiths.

Mahomet

Mahomet n’est pas nommé dans le Coran. Dans les versions actuelles, son nom a été ajouté pour une meilleure compréhension. Le Coran parle du « prophète », sans lui donner de nom. Le verset 6 de la sourate 61 déclare que Jésus a annoncé la venue d’un messager après lui dont le nom est Ahmad.
La vie de Mahomet est racontée par la Sîra. Dans ce document, Mahomet est présenté tour à tour comme un prédicateur incompris et un bon mari à La Mecque ensuite comme un chef de bande puis comme un chef de guerre collectionneur de femmes à Médine. La Sîra a été écrite des dizaines d’années après la mort du prophète, mais il semble que Molla Kabiz n’ait pas utilisé ce document. Il avait donc peu d’arguments pour mettre en valeur le prophète qui, d’après le Coran, était traité de possédé, de poète ou de divin.

Dis-leur : « Je ne prétends pas disposer des trésors de Dieu ni connaître les mystères, je ne vous dis pas que je suis un ange. Je ne fais que suivre ce qui m’ a été révélé (Co. 6, 50).

Que nous apprennent les hadiths au sujet de Mahomet ? (Les hadiths suivants proviennent du site : www.hadithdujour.com/hadiths-prophete.asp)

D’après Ibn Omar, j’ai trouvé une femme qui avait été tuée durant l’une des batailles du Prophète , alors le Prophète a interdit de tuer les femmes et les enfants.
(Rapporté par Boukhari dans son Sahih n°3015 et Mouslim dans son Sahih n°1744)

D’après Jabir Ibn Abdillah , le Prophète ne dormait pas avant d’avoir lu – Tanzil Sajda (souate 32) et – Tabarak (sourate 67).
(Rapporté par Tirmidhi dans ses Sounan n°3404)

D’après ‘Abdallah Ibn ‘Abbas, le Prophète a maudit les hommes efféminés et les femmes masculines et il a dit : Faites les sortir de vos maisons.
(Rapporté par Boukhari dans son Sahih n°5886)

D’après ‘Abdallah Ibn ‘Abbas, le Prophète a interdit de tuer 4 animaux: la fourmi, l’abeille, la huppe et la pie-grièche.
(Rapporté par Abou Daoud dans ses Sounan n°5267 )

Tous les hadiths mettent en scène un prophète qui organise la vie quotidienne de ses disciples.

Jésus

Dans tout le Coran, Jésus est appelé Isa (Iça) alors que le prénom Yasou existe en arabe. Josué est traduit pas Youcha.

Contrairement à Mahomet, le caractère de Jésus est bien défini par le Coran, bien qu’il ne soit cité que dans une cinquantaine de versets (sur 6236).
Si Mahomet meurt comme tout homme, Jésus n’a pas été crucifié : « Ils disent : nous avons mis à mort le messie Jésus fils de Marie, le prophète de Dieu. Mais ils ne l’ont point tué ni crucifié… Ils ne l’ont point tué c’est certain » (Co. 4, 157)

mais il a été rappelé par Dieu : « Dieu dit : Ô Jésus, je vais te rappeler à moi, t’élever vers moi. » (Co. 3, 55)

Jésus a été créé par Dieu : « Aux yeux de Dieu, Jésus est comme Adam : il le forma de terre et dit : Sois et il fut. » (Co. 3,59)

Et Jésus peut créer à partir de terre, comme Dieu : « Avec ma permission, tu as façonné de boue une forme d’oiseau ; avec ma permission, tu lui a donné vie de ton souffle » (Co. 5, 110). Jean-Luc Monneret dans son ouvrage les « Grands thèmes du Coran » note que les mots employés sont réservés à Dieu dans le Coran : Jésus crée (halaqa est réservé à la création divine), il crée par le souffle (nafaha) comme Dieu crée Adam et Jésus.

Jésus parle dès le berceau : « Dès le berceau tu parlais aux hommes comme à l’âge mur » (Co. 5, 100). Il fait des miracles alors que les Arabes demandent à Mahomet de faire de même et qu’il répond qu’il n’est qu’un homme : « Tu as guéri l’aveugle de naissance et le lépreux avec ma permission ; avec ma permission, tu as ressuscité les morts » (Co. 5, 110)

Que nous apprennent les hadiths au sujet de Jésus ? (Les hadiths suivants proviennent du site : www.al-islam.org/fr/40-ahadith-les-exhortations-du-prophete-issa-jesus/ahadith)

Jésus a dit : « L’amour de ce monde et celui de l’autre monde ne peuvent pas cohabiter dans le cœur d’un croyant, de la même façon que le feu ne peut pas cohabiter avec l’eau dans un même récipient. »
(Biharoul Anwar, volume 14, page 327)

[Imam] as-Sadiq raconte : « Jésus a dit à ses disciples : « Ne regardez pas les défauts des autres comme si on vous avait chargé de les espionner, mais occupez-vous de l’émancipation de vos propres êtres, car vous êtes des esclaves, affranchissez-vous. »
(Biharoul Anwar, volume 14, page 324)

Jésus a recommandé : « Vous n’atteindrez jamais ce que vous aimez sans que vous ne surmontiez avec patience ce que vous détestez. »
(Moustadrak al Wassail, volume 2, page 425)

Dans ces hadiths, Jésus tient des propos philosophiques, certes ils concernent la vie quotidienne, mais ils évoluent dans une sphère supérieure à celle des propos attribués à Mahomet. Remarquons que les personnes qui citent Jésus ne l’on jamais rencontré.

Le Coran

Que de mystères entourent ce livre ! Pourtant, si on se réfère à la tradition, tout est bien clair. Le Coran renferme toute la révélation que Mahomet a reçue de Dieu par l’intermédiaire de l’ange Gabriel entre 610 de notre ère et 632, date de la mort du prophète. La révélation était orale et récitée par les fidèles. Au fil du temps, la récitation s’est faite moins respectueuse de l’original, ce qui a amené le troisième calife, Uthman (644-656), a la mettre par écrit, « dans un arabe clair« . C’est du moins ce que raconte Boukhari, un chroniqueur du IXe siècle.

Un livre saint

Les citations qui suivent sont extraites de l’introduction du « saint Coran » édition AlBouraq (Médine 2019).

« C’est le livre d’Allah qui englobe des questions très variées, notamment le dogme, la loi (Charia), la morale, la prédiction à l’islam, l’usage des bons conseils, la moralité, la critique constructive, l’avertissement, les argumentations et témoignages, les récits historiques, les références aux signes cosmiques d’Allah, etc.« 
« Le Coran est par essence miraculeux et inimitable, tant au point de vue du fond que de la forme. C’est la parole incréé d’Allah, révélée à son messager Muhammad…« 

Sa traduction est un exercice difficile : « Le traducteur doit être un expert chevronné en langues arabes et étrangères, il doit disposer d’un savoir encyclopédique incontestable et jouir en plus de qualités morales indéniables. Car chaque terme dans la langue du Coran a un certain poids, chaque voyelle a sa raison d’être et le simple fait d’omettre une voyelle peut être lourd de conséquence.« 

La version actuelle du Coran, en arabe, date de 1923/1924 et a été composée au Caire. Elle ne modifie pas le texte antérieur, mais lève des imprécisions : « Les gens ne formaient (à l’origine) qu’une seule communauté (Co. 10,19) ». Les ajouts sont toujours entre parenthèses ou entre crochets. C’est la version canonique. Jusqu’alors, on admettait sept ou dix lectures différentes du Coran, suivant les écoles juridiques.

Présentation du texte

C’est un texte déroutant, « sans contexte » : il met en scène des personnages biblique tels qu’Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus…, sans les présenter dans leur contexte, comme si les destinataires des récits coraniques les connaissaient déjà. Ce qui était probablement le cas. C’est une oeuvre relativement courte de 6236 versets regroupés en 114 chapitres, appelés sourates. A titre de comparaison, il comporte trois fois moins de mots que le Nouveau Testament. Chaque sourate porte un nom. Le Saint Coran de Médine, de petit format, comporte 700 pages, plus ou moins 250 à l’origine où les feuillets étaient plus grands. La plupart des versets sont écrits en prose rimée, il ne se lit donc qu’en arabe. A l’école coranique, les enfants musulmans apprennent à lire le Coran en arabe. Il leur faut trois ans pour pouvoir le réciter par cœur. L’enseignement ne vise pas à comprendre le texte, mais à le lire en arabe et à le réciter.

Jean Damascène ou Jean de Damas de son véritable nom Mansour ibn Sarjoun, ancien fonctionnaire du gouvernement omeyyade, devenu moine chrétien, né vers 676 et mort en 749, connaît le Coran. Il cite le nom de certaines sourates qu’il nomme « traités ». Ainsi, il parle du « traité de la femme », du « traité de la vache ». La sourate 2 s’appelle aujourd’hui « La vache », et la sourate 4 « Les femmes ». Ce fait est remarquable, car la découpe du Nouveau et de l’Ancien Testament en chapitres et versets ne s’est faite qu’au XVIe siècle ! La Bible de Gutenberg, imprimée en 1455, est un texte monolithique.

Bible de Gutenberg

Longtemps, il fut interdit de publier le Coran sous format imprimé. Gardons à l’esprit que le premier journal imprimé dans l’Empire ottoman date de 1864 ! Au XIXe et jusqu’au début du XXe siècle, la reproduction du Coran s’est faite par lithographie, inventée en 1796, qui respecte le tracé manuel des lettres, et le travail des copistes.

Les sourates sont classées par ordre de taille, en versets. Les plus longues au début. Les sourates 1, 143 et 144 sont des textes liturgiques, des prières. Le classement n’est pas strictement respecté. Je tenterai d’apporter une explication à ces exceptions.

Graphique de la taille des 25 premières sourates
Parole incréée d’Allah ?

Dans les premiers temps de ce qui va devenir l’islam et que j’appellerai le « proto-islam », la notion de parole incréée n’a pas cours. La tradition rapporte que la femme de Mahomet, Aïcha, avait sa propre version du Coran dans laquelle les versets étaient rangés par ordre de révélation. De même, le Coran compilé par Abdullâh ibn Masûd, un compagnon du prophète, coexista avec le Coran « canonique » jusqu’au Xe siècle, puis ses propriétaires furent persécutés et les livres détruits.

Sous le calife Abd al-Malik (646-705), personne ne s’étonne que le général al-Hajjaj ben Youssef (661-714) ajoute 2000 harf au Coran. « Harf » peut signifier signe, lettre ou mot. On ne connaît donc pas l’importance des modifications faites. La plupart des historiens pensent qu’il ajouta des signes diacritiques différenciant les sons représentés par des signes (lettres) identiques.

La tradition conserve le souvenir d’une autre variation du texte connu sous le nom de hadith des sept ahruf (ahruf est le pluriel de harf). Le récit met en scène Umar, le deuxième calife et un compagnon du prophète. Ils ne sont pas d’accord sur la façon de réciter des versets. Ils demandent donc l’arbitrage de Mahomet. Umar récite les versets et Mahomet avalise la récitation en disant : « C’est bien ainsi qu’ils m’ont été révélés ». Umar jubile. Mahomet demande au compagnon de lui donner sa version. Mahomet confirme « C’est bien ainsi qu’ils m’ont été révélés ». Même si cette histoire n’est pas vraie, elle montre que dans la période du proto-islam, le fond était plus important que la forme. Tout à fait le contraire d’aujourd’hui.

Qui a conçu le Coran et qui l’a mis par écrit ?

Question embarrassante et souvent éludée par les historiens qui se retranchent derrière la tradition. Le Coran a été révélé à Mahomet entre 610 et 632, date de sa mort. Les révélations ont été compilées par le troisième calife, Uthman, vers 650, qui fait détruire tous les textes pré-existants. Cette chronologie nous vient de Boukhari qui écrit vers 850, soit deux cents ans après les faits. Cette histoire a été érigée en dogme.

En ce basant sur l’étymologie syriaque du mot « coran » (« lectionnaire« ), certains milieux catholiques veulent voir dans ce livre un livre liturgique (chrétien) contenant les passages des textes religieux lus à l’occasion des cérémonies religieuses. Je ne les suivrai pas dans cette voie, le Coran est un texte original. « Coran » en arabe signifie « récitation« . Bien qu’il reprend les thèmes bibliques, à aucun endroit il n’y a un verset copié de la Bible ou d’un évangile. Les récits s’éloignent même souvent des textes bibliques (voir mon article sur Jésus dans le Coran). Plus qu’une copie, c’est une réinterprétation des textes anciens. Une remise en forme pour qu’ils soient compris par des auditeurs provenant d’horizons divers.

Il est probable que le Coran ait été initié par Mahomet, ce qui lui donna une aura de chef et de prophète. Mais le texte original a été altéré plusieurs fois suivant les circonstances. Jean-Jacques WALTER un ingénieur, chercheur en technologie, a publié sa thèse de doctorat en islamologie (hé oui) sous le titre « Le Coran révélé par la théorie des codes ». Il y analyse le texte à l’aide d’outils informatiques pour trouver les strates de rédaction. Il a détecté plus d’une trentaine de rédacteurs différents. Chacun ayant pris à son compte un thème différent. Il n’y a donc pas de versets écrits à La Mecque et d’autres à Médine, mais des rédacteurs différents suivant les circonstances historiques, comme je vais tenter de le montrer dans le chapitre suivant.

La mise par écrit de la première version du Coran a pu être faite sous le calife Uthman vers 650. Cet assertion traditionnelle ne gène pas : c’est l’édition d’un texte qui existe déjà. Le Coran n’aurait été produit qu’à quatre exemplaires lors de cette première compilation (tous perdus). Le papier n’existant pas encore, la création d’un coran nécessitait d’énorme quantité de peaux de mouton, environ une peau complète pour deux feuillets de 40 cm, ce qui était la norme à l’époque.

Ce qui étonne, c’est l’écriture des plus anciens textes qui nous sont parvenus.

Pages de deux Corans anciens (VII ou VIIIe siècle)

Je rappelle ce que proclamait l’introduction du « saint Coran » : « … chaque voyelle a sa raison d’être et le simple fait d’omettre une voyelle peut être lourd de conséquence. » Or dans ces textes, il n’y a aucun signe diacritique : les voyelles brèves sont absentes et une même lettre peut représenter plusieurs sons différents. Dans l’alphabet arabe, il n’y a que 18 lettres pour 28 sons. C’est d’autant plus bizarre que nous avons des bons de réquisitions datant de la conquête de l’Égypte, datés de 643, comportant des signes diacritiques différenciant les sons.

On pourrait croire que cette mise par écrit ne servait que de support à la récitation et qu’il n’était donc pas nécessaire d’être précis. Mais il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, il faut trois ans pour apprendre à réciter le Coran en s’y attelant tous les jours. Les nouveaux convertis avaient d’autres choses à faire, c’étaient des guerriers.

Le Coran est écrit en arabe clair ou plutôt, « rendu clair ». Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui où on a perdu le contexte culturel de l’époque. Il a été rédigé dans un environnement cosmopolite, l’écriture est sommaire et beaucoup de termes font polémique ; empruntés au syriaque (araméen), à l’hébreu, au grec, etc., ils sont devenus ambigus, leur sens a changé avec le temps en intégrant le vocabulaire arabe.

Les écrits musulmans sur la conquête ne manquent pas d’incohérences et d’incongruités : Tabari, qui écrit au Xe siècle, nous relate que lors d’une entrevue entre le général arabe (Sa’d bn Abi-Waqquas) et son homologue persan, le musulman lui a proposé de se rendre : « si vous acceptez, nous ne vous attaquerons plus, nous nous en retourneront en vous laissant le livre de Dieu« . Nous sommes en 637 bien avant la mise par écrit du « livre de Dieu ».

Un développement historique

Je vais tenter de donner une chronologie au développement d’un premier coran embryonnaire élaboré du vivant de Mahomet ou peu de temps après sa mort. Ceci reste une hypothèse, les chercheurs ne sont arrivés à aucun consensus.

Après 622.
Le Coran naît dans un environnement multilingue et multiculturel. Chassés par les Byzantins qui reconquièrent les territoires que les Perses leur avaient pris depuis 612, les juifs fuient vers la péninsule arabique et se joignent aux disciples de Mahomet. Le Coran va s’affiner avec l’apport des rabbins juifs.

Avons-nous des preuves de cette mixité ? Elles sont au nombre de trois. Tout d’abord, la charte de Yathrib mentionne que les tribus arabes combattent sur le chemin de Dieu avec leurs clients juifs. Les juifs migrants ont été acceptés dans les tribus arabes comme clients, ce qui est conforme aux coutumes de l’époque.
Sébéos, un chrétien, dans son Histoire d’Héraclius (l’empereur byzantin) parle de l’exil des juifs d’Edesse : « Ils prirent le chemin du désert et arrivèrent en Arabie chez les enfants d’Ismaël (les Arabes) ». Plus loin, il parle de la conquête arabe et dénombre « 12000 enfants d’Israël pour les guider (les Ismaëliens) dans le territoire d’Israël ». 12000, car chaque tribu d’Israël compte 1000 représentants !
Enfin, la tradition musulmane donne à Umar, le deuxième calife (634-644), un conseiller juif, rabbi Ka’ab qui le guide dans le choix de l’emplacement du lieu de prière à construire à Jérusalem.

Durant cette période, le Coran encense les juifs, « ceux qui savent, ceux qui donnent l’exemple« , et reprend les histoires des personnages bibliques.

Le début des Omeyyades (660).
Lors de la conquête, des tribus arabes chrétiennes, les Ghassanides, se joignent aux disciples de Mahomet. Elles prennent même la direction des opérations et portent au califat la dynastie des Omeyyades. Il est probable que l’entente avec les juifs, trop intransigeants sur les questions religieuses et ennemis des chrétiens, dégénère. Ce qui se marque dans le Coran où les juifs deviennent des ennemis à éviter : ils ont contrefait la parole de Dieu.
Jésus et les grands principes chrétiens font leur entrée dans le Coran. Mais les Ghassanides sont des hérétiques, ils rejettent le dogme de la Trinité imposé par les Byzantins. Dans le Coran, ces chrétiens orthodoxes seront traités d’associateurs, associant d’autres personnes au Dieu unique. La position des chrétiens dans le Coran est dès lors ambiguë, ils sont amis des musulmans et en même temps ennemis. Il faut bien comprendre qu’on parle de deux types de chrétiens.

On constate que plusieurs versets concernant Jésus ont été placés (ajoutés) à la fin des sourates. C’est le cas des sourates 4 et 5 (9 versets).

Abd al-Malik (685).
Sous le calife Abd al-Malik l’arabe remplace le grec et le farsi dans l’administration. On peut donc considérer que la langue arabe est arrivée à maturité : la tenue des documents officiels en arabe ne permet plus la moindre interprétation. Le Coran va être réécrit pour y ajouter des signes diacritiques. Les quelques corans qui étaient en circulation sont détruits. C’est la phase de canonisation du Coran. Il devient le support d’une nouvelle religion.

Jésus est omniprésent dans les textes ornant les murs du Dôme du Rocher construit sous Abd al-Malik, mais il n’est pas le fils de Dieu.

Les Abbassides (750).
En 750, la dynastie omeyyade est renversée et décimée par un coup d’Etat organisé par une armée composite venant des confins orientaux de la Perse. D’après la tradition, elle est commandée par un petit cousin de Mahomet, descendant de son oncle Abbas. Cette nouvelle dynastie prendra le nom d’abbasside. Damas est abandonnée au profit d’une nouvelle ville construite sur le Tigre, près de l’ancienne capitale de l’Empire perse, Ctésiphon. Cette nouvelle capitale du califat, c’est Bagdad. Si les Arabes sont toujours présents au gouvernement, la culture sera influencé par les Perses et petit à petit, la force armée passera aux mains des Turcs. Notons que l’animal chimérique qui transporte Mahomet vers Jérusalem, Buraq, est issu de la mythologie perse.

C’est peut-être à cette époque que le Coran devient la parole incréée de Dieu. Pour se faire, il faut lever les ambiguïtés de 332 versets qui visiblement ne sont pas prononcés par Allah comme : « Seigneur, je cherche ta protection contre les incitations du Diable » (Co. 23, 97). On a donc ajouté « Dis : » devant ces versets. Le verset cité devient : « Dis: Seigneur, je cherche… ».

Al-Mamun et les mutazilites (810).
Au IXe siècle, le calife, al-Mamun (813-833), privilégie le mutazilisme, courant religieux qui considère le Coran comme une oeuvre humaine, inspirée par Dieu. Et la modification du Coran continue. Ainsi, les 3 versets finaux de la sourate 59 semblent avoir échappés à l’ajout du « Dis :« . On y lit (Co. 59, 23) : « C’est lui Allah, le créateur, celui qui donne le commencement à toute chose… ». On peut penser que ces versets ont été ajoutés après la purge précédente et qu’ils sont restés tels quels lors du retour à l’orthodoxie (en 848), car trop de corans étaient en circulation pour les détruire.

Incidemment, on remarque que la sourate 58 a 22 versets, la 59 : 24 (dont 3 ajoutés ?) et le 60 : 13. Les divergences dans l’ordre des sourates seraient-elles dues à des ajouts ?

On peut supposer que les partisans d’Ali, les chiites, ont développé leur propre version du Coran faisant la place belle à la famille du prophète. C’est ce que raconte la tradition. Mais au Xe siècle, alors qu’ils prennent le contrôle de l’Egypte, ils adoptent le Coran sunnite. Ils vont créer en Egypte un califat chiite qui va dominer la Palestine et les lieux saints. Ils seront les principaux adversaires des croisés.

L’honnêteté m’oblige à citer des versets qui ne corroborent pas mon hypothèse, les versets 36 à 59 de la sourate 3 qui narrent la naissance de Marie et de Jésus. Ces versets interpellent par leur emplacement. Dans le contexte de la sourate, ils présentent Marie comme la sœur de Moïse et d’Aaron. De plus, ils ne représentent pas des paroles de Allah et ne sont pas précédés de « Dis » contrairement aux versets qui précédent : 31 et 32.

« Son seigneur l’agréa du bon agrément… (37)
« Alors Zacharie pria son seigneur… (38)
« Et Allah lui enseigna l’écriture… (48)

En quoi est-ce un problème ? Ses versets sont déjà connus de Jean de Damas qui est mort en 749… avant l’arrivée des Abbassides. Dans mon hypothèse, ils auraient dû être corrigés.

Une curiosité.

Vingt-neuf sourates, dans les premières, commencent par des lettres isolées (par exemple : « A L D »). On a dit que c’était des hésitations de Mahomet et que par respect, ses secrétaires avaient tout retranscrit. Le « saint Coran » de Médine avoue son ignorance sur leur signification. François Déroche se demande si ce n’était pas des indications pour l’assemblage des sourates.

Conclusion

Le Coran n’a pas livré tous ses secrets, les chercheurs ont encore du pain sur la planche.

Mahomet

La vie de Mahomet nous est racontée dans la Sîra al-Nabawiyya (« la vie du prophète ») qui aurait été écrite par ibn Ishaq (mort en 767) à la demande du calife Al-Mansur (754-775) pour faire connaître Mahomet à son fils Al-Mahdi. Nous n’avons pas conservé cette version. La version qui nous est parvenue est due à ibn Hicham (mort en 828) qui dit s’inspirer de son prédécesseur.

Au XIXe siècle, Ernest Renan (1823-1892), professeur au Collège de France, se réjouissait de connaître tous les détails de la vie de Mahomet. Aujourd’hui force est de constater avec Bernard Lewis que « l’on sait peu de chose sur les ancêtres et la vie de Mahomet. Et ce peu diminue constamment à mesure que les progrès de l’exégèse moderne remettent en question l’un après l’autre les divers éléments de la tradition musulmane ».

La vie de Mahomet d’après la Sîra

Mahomet, en arabe Muhammad, naît à La Mecque dans une famille pauvre, celle d’Abd al-Muttalib, du clan des Hachémites, de la riche tribu des Quraysh ou Qurayshites (lire « kouraïche »).

Il est né le premier septembre 570, l’année de l’éléphant. Cette année-là, les troupes du roi d’Abyssinie, l’Éthiopie actuelle, Abraha, maître du Yémen, attaquent La Mecque montées sur des éléphants. Dieu envoie des oiseaux, qui bombardent les envahisseurs de cailloux et les mettent en fuite.

Le père de Mahomet, Abdallah (« le serviteur de Dieu ») meurt durant la grossesse de son épouse Amina (« la fidèle »). À sa naissance, Mahomet est confié à une nourrice et grandit parmi les Bédouins (les nomades). Alors qu’il a 6 ans, des anges lui ouvrent la poitrine et lui lavent le cœur. La nourrice prend peur, considère l’enfant comme fou et le ramène à sa mère. Celle-ci meurt peu après sans avoir eu d’autres enfants. Mahomet est orphelin et seul. Il est recueilli par son oncle Abu Talib. Il protégera Mahomet des attaques de ses concitoyens réticents à sa prédication tant qu’il vivra. Mais pour l’instant, Mahomet grandit parmi les siens et devient caravanier. La Mecque n’est-elle pas un grand centre caravanier où se croisent les convois entre le Yémen au sud et la Syrie-Palestine, le Sham au nord ?

Lors de ses nombreux voyages, il rencontre des juifs, des chrétiens, des sabéens et des zoroastriens qu’il écoute et avec qui il discute. Il voit des ruines de cités détruites, Pétra au nord et Ma’rib au sud, qu’il considérera comme un châtiment d’Allah.

Entre 20 et 25 ans, il devint l’homme de confiance d’une riche veuve Khadija, négociante, propriétaire de caravanes. En 596 (ou 600), il l’épouse malgré la différence d’âge, elle a 15 ans de plus que lui. Il ne prendra aucune autre femme jusqu’à sa mort en 619. Elle lui donnera quatre filles dont Fatima et deux fils morts en bas âge.

La révélation

Mahomet aime à se retirer dans la grotte Hîra sur le mont Nûr près de La Mecque pour y prier. Une nuit de 610, le 28 du mois de Ramadan, l’ange Gabriel lui apparaît et l’apostrophe : « Lis (ou récite) » lui dit l’ange.
« Mais je ne sais pas lire » lui répond Mahomet.
« Lis au nom de ton Seigneur qui a créé l’homme d’un caillot de sang ! Lis car ton Seigneur est le Très Généreux : il enseigne par le calame (le stylet pour écrire), il a appris à l’homme ce qu’il ignorait ». (Co. 96, 1-5)

Ainsi commence la révélation qui durera 22 ans. Notons que ce premier contact avec Dieu ne se trouve pas dans la première sourate du Coran, mais la 96ème.

Bien sûr, Mahomet en est bouleversé, on le serait à moins, mais il peut compter sur Khadija pour le soutenir. Après trois années de silence, les révélations reprennent. Quand l’esprit se révèle à lui, Mahomet entre en transes, s’entoure de son manteau, tremble et transpire abondamment.

Il a comme mission de convertir sa tribu au dieu unique : Allah ou al-Rahman (le Miséricordieux) déjà connu des membres de sa tribu qui en ont fait leur dieu suprême assisté de déesses et de multiples idoles. Il prédit de grands malheurs, des destructions si sa tribu ne se rallie pas à Allah, comme dieu unique, qui rétribue les actions humaines et s’ils n’abandonnent pas leurs idoles. Mais le succès n’est pas au rendez-vous. Il est raillé : comment un simple caravanier ose-t-il prendre la parole dans les assemblées ? Heureusement, son oncle le protège.

Une nuit, l’ange Gabriel l’invite à monter sur le dos d’un animal mythique, Buraq, mi-femme, mi-cheval ailé. Il est transporté vers Jérusalem d’où il monte vers les cieux. Dans le premier ciel, il rencontre Jésus, Moïse loge au cinquième ciel et Allah le reçoit au septième ciel où il trône à côté du Coran incréé.

Lorsqu’il raconte ce voyage, ses concitoyens se pâment de rire. Il prévient alors qu’une caravane, qu’il a aperçue du ciel, arrivera deux jours plus tard. Malgré la réalisation de cette prédiction, peu de personnes croient en son message et en son aventure. Aïcha, qui deviendra la femme du prophète, dans un hadith qui lui est attribué, certifie que Mahomet lui aurait dit qu’il avait voyagé en rêve. Cela n’empêche pas la Sîra d’en faire l’épisode de la vie de Mahomet qui justifie que Jérusalem soit considérée comme la troisième ville sainte de l’islam.

Mahomet est donc rejeté des siens. Il n’a pas l’aura des anciens et il ne parvient pas à les convaincre. Il change de stratégie, il conseille à ses concitoyens d’interroger les « gens du Livre », les juifs et les chrétiens qui ont eu une révélation identique pour leur peuple. En vain.
Il n’a pas plus de chance auprès des Bédouins. On lui demande des miracles, comme en a fait Moïse qu’il a pris comme modèle, mais comme le dit le Coran, ce n’est qu’un homme, un messager.
Craignant pour leur vie, la majorité de ses fidèles, une centaine de personnes, va se réfugier en Abyssinie, où le Négus, le roi chrétien les prend sous sa protection.

En 619, son protecteur et sa femme Khadija meurent. Mahomet est seul et de plus en plus raillé : « C’est un djinn (esprit de feu créé par Allah) qui le possède ». Les membres de sa tribu lui posent des questions auxquelles il ne peut répondre. Il n’a rien inventé, il ne connaît que ce que l’ange Gabriel lui révèle petit à petit. Il passe pour un fou.

En 620, lors du pèlerinage annuel à la Kaaba, auquel participent les Bédouins et les tribus des alentours, il prend contact avec des gens venant de Yathrib, une oasis à 400 km au nord de La Mecque. Cette oasis est occupée par deux tribus arabes rivales, les Aws et les Khazradj, ainsi que par trois tribus juives : les Banu Nadir, les Banu Quraydha et les Banu Qaynuqa qui fabriquent des armes et des objets en or. Les tribus arabes sont en conflit permanent. On l’invite donc à venir à Yathrib en qualité d’arbitre et de conciliateur.

L’hégire

En 622, le 16 juillet, un vendredi, jour de la création d’Adam, Mahomet fuyant La Mecque entre dans Yathrib, où les deux tribus arabes se convertissent collectivement et se réconcilient. Yathrib devient al Madinat an Nabi, la Ville du Prophète, Médine en français. C’est l’hégire (l’immigration), le début de l’ère musulmane.
Mahomet passe du statut d’avertisseur, de messager au statut de juge, d’envoyé de Dieu et de prophète.
On donne une maison à Mahomet à la périphérie de la ville dans le jardin de laquelle il fait construire la première mosquée. À cette époque, la prière était orientée vers Jérusalem.

Les tribus réconciliées s’accordent sur un traité où tous, musulmans et juifs ne font qu’une seule et même communauté : la Umma.

Mais l’entente est de courte durée. Les interprétations de la Torah que fait Mahomet incitent les juifs à l’ironie : on est dans l’à-peu-près. C’est la rupture. Mahomet accuse les juifs et les chrétiens d’avoir perverti le message qu’ils ont reçu, ils ont modifié les écritures. Alors que les juifs étaient, à La Mecque, des gens qu’il fallait écouter, car ils savaient, ils deviennent des falsificateurs à Médine. L’orientation de la prière se déplace de Jérusalem vers La Mecque, le jeûne est fixé au mois de Ramadan et la polygamie est rétablie.

Les dix dernières années de sa vie, Mahomet devient un chef de guerre.
Comme un pilleur, il attaque les caravanes des Quraysh de La Mecque, qui sont devenus ses ennemis, même lors des mois sacrés. Il tue lors des razzias, ce qui était interdit par les lois tribales. Ses alliés s’en inquiètent, mais Allah vient à son secours : « Combattre en ce mois est un péché grave, mais il est encore plus grave de détourner les hommes de la voie de Dieu, de ne point croire en lui… »

C’est la guerre contre les Quraysh. Ceux-ci tentent à plusieurs reprises d’en finir avec le prophète. Ils assiégèrent plusieurs fois Médine.  En 624, à la bataille de Badr, Mahomet est resté en arrière, il n’a pas combattu. On lui conteste son droit au butin, mais Allah révèle : « Le cinquième du butin revient à Dieu, au Prophète et à ses proches, aux orphelins, aux pauvres et aux voyageurs. »

Après cette victoire, les juifs des Banu Qaynuqa sont chassés de Médine.
En 625, c’est au tour des Banu Nadir de subir le même sort.
Mahomet se débarrasse de ses détracteurs. Après les juifs, il s’en prend à la poétesse Asma bint Marwan qui ridiculisait les hommes de Médine « car ils suivaient un homme qui n’était pas de leur lignée et qui racontait des bobards ». Il la fait assassiner.

En 626, accusé de tiédeur dans les combats, les Banu Quraydha sont massacrés : ils sont égorgés et jetés dans une fosse commune. Leurs femmes et leurs enfants font partie du butin que l’on partage. Mahomet se choisit Rihana qui devient son épouse. La Sîra raconte (vol 2, 58-60) : « Le prophète recommanda à ses compagnons : « Tout juif qui vous tombe sous la main, tuez-le.»… Il prit près de 400 prisonniers et donna l’ordre de leur trancher la gorge. Les Khazraj se livrèrent à cette tâche avec plaisir. La joie se lisait sur leurs visages, alors que les Aws gardaient le visage fermé. C’est que les juifs s’étaient jadis alliés aux Aws contre les Khazraj. Le prophète s’étant souvenu de ce pacte, livrera les derniers juifs aux Aws … il donna à tuer un juif pour deux hommes des Aws et leur dit : « Le premier frappera et le second l’achèvera ». »

En 628, Mahomet marche sur La Mecque, mais l’attaque n’a pas lieu, une trêve est conclue : l’année suivante, 2000 fidèles pourront venir en pèlerinage.

En 630, Mahomet revient à La Mecque sans rencontrer de résistance, la trêve prévoyait que les Quraysh quittent la ville lors du pèlerinage. Il y détruit les 360 idoles, qui garnissaient la Kaaba.

Le chef des Quraysh, Abu Sufyan, enfin convaincu, signe la capitulation, il se soumet, il devient « musulman ». Cette soumission est célébrée par le mariage de Mahomet et d’Habiba, la fille du chef des Mecquois.

Mahomet n’aura fait qu’un pèlerinage : il meurt le 8 juin 632, sans héritier et sans avoir réglé sa succession. Une violente crise éclate, elle va durer de longues années.

Notons que Tariq Ramadan a rédigé une biographie du prophète expurgée des scènes de violence, …plus acceptable par les non musulmans.

Commentaires

Que sait-on de l’existence de Mahomet ? J’ai consacré un article à ce sujet. D’après des sources indépendantes, contemporaines des événements, Mahomet aurait été un chef de guerre considéré comme un prophète par ses disciples… et par des juifs. C’est tout ce qu’on sait.

La Sîra contredit le Coran : Mahomet n’a pas fait de miracle d’après celui-ci alors que la Sîra en regorge.

Elle contredit les sources contemporaines en le présentant comme un illettré. En 660, un chroniqueur arménien décrit Mahomet comme « instruit et très versé dans l’histoire de Moïse« . Un document, contenu dans la Sîra, la charte de Yathrib, dont je vais reparler, commence par « ceci est un écrit du messager de Dieu« . Mais pour les musulmans, il doit être illettré, car le « Coran est l’oeuvre de Dieu, un homme n’aurait jamais pu écrire un livre aussi beau« .

La vie de Mahomet se passe entre La Mecque et Yathrib, nommée Médine. Or rien ne permet d’affirmer que La Mecque ait été une importante ville caravanière. Tout d’abord, à cette époque, les VIe et VIIe siècles, le commerce international se faisait par voie maritime, contournant la péninsule arabique. Ensuite, la ville est construite dans une cuvette aride, couverte de caillasse, où rien ne pousse, ce n’est pas une oasis. Elle ne pouvait pas subvenir aux besoins des caravanes.

Par contre, c’était probablement un lieu de pèlerinage pour les nomades qui venaient implorer leurs dieux pour obtenir la pluie, car à certaines périodes, des torrents d’eau déboulent des montagnes avoisinantes et inondent la cuvette. Le pèlerinage actuel mime ce dévalement des eaux par une course des pèlerins du mont Arafa vers la plaine de Mina. Ces inondations ont détruit plusieurs fois la Kaaba.

Il est probable que lors des pèlerinages, la Kaaba ait servi à déposer les pierres (bétyles) qui représentaient les dieux de Bédouins. Les sédentaires construisent des temples pour leurs dieux, les nomades les emportent avec eux sous forme de pierre. Ceci explique que Mahomet ait détruit 360 idoles lors de son pèlerinage et qu’une pierre noire orne toujours la Kaaba.

La Mecque occupe la même situation que Pétra (actuellement en Jordanie). Mais Pétra, grâce à un ingénieux système de canalisations et de rétention des eaux, est devenue une ville prospère qui est retournée au désert dès que les canalisations n’ont plus été entretenues. On ne retrouve nulle trace de canalisations à La Mecque. Il faut dire que les fouilles archéologiques y sont interdites… alors que les bulldozers retournent les terrains pour y construire des hôtels de luxe.

Autre fait troublant : il est peu probable que des « tribus » juives aient vécu si loin à l’intérieur de la péninsule arabique. Leur présence est attestée dès le IVe siècle, mais dans le nord de la péninsule. De plus, si Mahomet s’en est pris aux tribus juives, entre 624 et 626, pourquoi lit-on dans un récit (Doctrina Jacobi), daté de la période 634-640, mettant en scène des juifs à qui on annonce la défaite des Byzantins contre les armées de Mahomet à Gaza : « Et nous les juifs, nous étions dans une grande joie. On disait qu’un prophète était apparu, venant avec les Saracènes, et qu’il proclamait l’arrivée du Christ Oint qui allait venir.« 

Que du contraire, dans la charte de Yathrib qui, je le rappelle est reprise dans la Sîra, les disciples de Mahomet et les juifs sont unis dans une « umma », une confédération dont le but est de guerroyer « sur le chemin de Dieu ». Ce document, dont une autre source existe indépendamment de la Sîra, parle non pas de 2 tribus arabes et de 3 juives, mais de 8 clans arabes et leurs alliés ou clients juifs.

Conclusion

Cette histoire a été reconstituée 200 ans après la mort du prophète. Elle n’a pas de crédibilité historique, elle a été écrite pour justifier le Coran, elle fait partie d’une discipline appelée les « circonstances de la révélation ». Aucun des événements contés dans la Sîra n’est confirmé par une source indépendante.

Jésus dans le Coran

Jésus tient une toute petite place dans le Coran : 59 versets, qu’il partage avec sa mère, sur un total de 6236.
Sa présence ne doit pas nous étonner vu que les premiers califes omeyyades étaient chrétiens. 59 versets, c’est peu, mais en comparaison, Mahomet n’est jamais cité. Lorsqu’ils lisent ou récitent le Coran, les musulmans comprennent que les références à « mon serviteur » ou à « tu » ou même à « il » hors contexte s’adressent à Mahomet. Parfois, le nom de Mahomet a été ajouté, ainsi dans le verset 2 de la sourate 68 : « Tu (Mahomet) n’es pas, par la grâce de ton seigneur, un possédé. » La tradition considère le début de cette sourate comme la première révélation faite à Mahomet.

Dans le Coran, Jésus est nommé Issa (Isa). Ce qui est curieux, puisqu’en arabe, Jésus se dit Yasou. Issa viendrait d’Ésaü, un personnage biblique, petit-fils d’Abraham, frère de Jacob qui est aussi appelé Israël. Jésus serait donc le frère d’Israël. Pure conjecture.

Le Jésus du Coran n’est pas le Jésus des évangiles et cela non plus ne doit pas nous étonner : les arabes chrétiens de Syrie ne reconnaissaient pas le dogme des Byzantins, ils étaient hérétiques. Dans le Coran, Jésus est un être exceptionnel certes, mais pas Dieu, ni le fils de Dieu, au mieux un prophète (Co. 5, 72).

Les 59 versets qui concernent aussi bien Jésus que Marie, seule femme citée dans le Coran, sont éparpillés dans 8 sourates, 8 chapitres différents. Mis bout à bout comme dans les Grands Thèmes du Coran de Jean-Luc Monneret, ils ne racontent pas une histoire, ce sont des tranches de vie.

Voyons cela en détail.

Jésus est né hors mariage, d’une jeune fille nommée Marie, qui est accusée d’avoir commis une action monstrueuse (Co. 19, 27). Dès sa naissance, Jésus parle (Co. 19, 28-34). Il se bénit lui-même : «Que la paix soit avec moi au jour de ma naissance, au jour de ma mort et au jour où je serai ressuscité vivant».

Jésus fait des miracles, cette fois, avec la bénédiction d’Allah. Il guérit les aveugles, les lépreux et ressuscite les morts… «Tout ceci n’est que pure magie» tempère le Coran (Co. 5, 110).

Le Coran reprend un événement raconté dans un apocryphe chrétien : L’Évangile de l’enfance selon Thomas. Jésus fabrique des oiseaux en argile puis, en soufflant, leur donne vie. Les mots utilisés sont les mêmes que ceux employés lorsqu’Allah donne vie à Adam. Jésus a donc le même pouvoir que Dieu ? Dans l’Évangile de l’enfance, Jésus fait s’envoler les oiseaux car les Juifs lui reprochent d’avoir créer ces jouets un jour de sabbat ; il fait donc disparaître l’objet du délit.

Jésus annonce la venue d’un messager de Dieu (Co. 61, 6), ce sera Ahmad (pas Mahomet).

Il prend des apôtres, ses auxiliaires face à l’incrédulité des Juifs (Co. 3, 52). Certains Juifs le suivent, d’autres nient (Co. 61, 14). Mais Jésus n’est qu’un prophète (Co. 5, plusieurs versets). Jésus affirme : «Ô enfants d’Israël adorez Dieu qui est mon seigneur et le vôtre.» (Co. 5, 72).

Il est qualifié de Messie (Co. 4, 157) ! Faut-il y voir une erreur d’interprétation ? Jésus-Christ, qui était devenu le nom commun de Jésus au cours des siècles, a t-il été traduit par « le Messie Issa » … ce qui est un non-sens pour les musulmans ?

Les Juifs ourdissent un complot contre Jésus (Co. 3, 54) mais il n’a pas été mis à mort, un autre a pris sa place (Co. 4, 157). Il a été rappelé à Dieu (Co. 5, 55). Le verset 3, 59 montre l’importance de Jésus : « Aux yeux d’Allah, Jésus est comme Adam : il le forma de terre et dit : Sois et il fut.»

Pourquoi Jésus est-il monté vivant vers Dieu ? Car il doit revenir à la fin des temps : «En vérité, le retour de Jésus sera le signal de l’arrivée de l’Heure. » (Co 43, 61)

Pour les musulmans sunnites, c’est donc Jésus qui jugera les hommes au jour de la résurrection (Co. 4, 159) et pas Mahomet. Jésus est un être exceptionnel d’après le Coran, Mahomet n’est qu’un homme. Un des minarets de la Mosquée des Omeyyades à Damas porte le nom de Jésus. C’est là qu’il descendra sur terre. Il reviendra pour 40 ans, éliminera l’Antéchrist (al-Dajjâl) et puis mourra. Jérusalem sera le centre de ces événements. La Mecque est donc supplantée par Damas et Jérusalem.

La tradition s’est enrichie au fil des siècles pour donner une place plus importante à Mahomet. Ainsi, à l’appel de l’ange Isrâfîl , « il se mettra debout, chassant la poussière de sa barbe bénie et de ses cheveux et regardera à sa droite et à sa gauche… ».

Le Dôme du Rocher

Un voile de mystère entoure cet édifice parmi les plus photographiés au monde.
Qui l’a construit et quand ? Cette question peut paraître saugrenue dès lors que j’ai affirmé dans un article précédent qu’il était l’oeuvre du calife Abd al-Malik (685-705). Et pourtant un doute subsiste.
Quel est ce rocher que protège la coupole ?
Pourquoi a-t-il été construit ?
Quel était son aspect originel ?

Le Dôme du Rocher avec à l’arrière plan la coupole de la mosquée al-Aqsa.

Comme chacun le sait le Dôme du Rocher est situé à Jérusalem, sur l’Esplanade des Mosquées pour les musulmans, sur le Mont du Temple pour les juifs. Bien qu’étant à Jérusalem, l’esplanade est gérée par le WAQF, une fondation religieuse islamique contrôlée par la Jordanie. Ainsi, sans précaution archéologique, en 1999, le WAQF a déplacé 400 camions de déblais pour rénover la mosquée Marwan qui se trouve sous la mosquée al-Aqsa et les a versé dans la vallée du Cédron. Cinq ans plus tard, des archéologues ont entrepris des fouilles de sauvetage en analysant ces déblais. Des milliers d’objets retraçant l’histoire mouvementée du site ont ainsi pu être récupérés.
Depuis 1998, les visites du Dôme ont été « suspendues ».


Mosquée Marwan aussi appelée (à tort) les écuries du roi Salomon

Qui a construit le Dôme du Rocher ?

Les inscriptions sur les arcades ne laissent aucun doute, la date de l’inauguration est indiquée : 72. Cette année de l’ère musulmane correspond à 691/692 de notre ère, soit durant le règne d’Abd al-Malik. Alors pourquoi douter ? L’inscription porte également le nom du calife bâtisseur : al-Mamun (786-833). Que vient faire ce calife en 72 ? Si on considère comme date de départ du calendrier non pas la date de l’Hégire, mais la prise de pouvoir de la dynastie des Abbassides dont fait partie al-Mamun, on obtient 72 + 750 = 822… juste sous le règne de ce calife ! Mystère ? Non, usurpation, car sur l’inscription de la porte est (dont je parle plus bas), le même calife, al-Mamun, a fait graver la date de 216, soit 831/832 de notre ère.

Aucun pèlerin chrétien ayant visité Jérusalem ne mentionne le Dôme du Rocher donc ne permet de dater effectivement l’édifice. Néanmoins, on attribue sa construction à Abd al-Malik. Son fils Walid a fait construire la Mosquée al-Aqsa sur la même esplanade. Elle se situe sur le côté sud. Si le Dôme n’avait pas existé, il aurait centré la mosquée. De plus, depuis l’occupation de Jérusalem (Aélia à l’époque) par les Arabes en 638, l’édification d’un « temple » était projetée. Théodore, un contemporain de l’événement s’offusque que l’archidiacre Jean, marbrier de son état, se soit enrôlé pour la construction. En 670, un évêque franc, Arculfe, y voit lors d’un pèlerinage un édifice fait de planches et de poutres. A-t-il vu les échafaudages précédant la construction ?

Quelle est l’origine du Rocher ?

La signification de ce rocher a évolué au fil du temps. Au départ, il semble avoir été le rocher sur lequel Dieu s’est reposé avant de remonter au ciel. Ensuite, il fut la pierre sur laquelle Abraham s’apprêtait à sacrifier son fils Ibrahim, pour les musulmans, … ou Isaac, pour les juifs.


Le rocher à l’intérieur du Dôme

Les juifs ont emboîté le pas aux musulmans en changeant leurs traditions :

  • Ainsi, le rocher est devenu le « rocher de la fondation » qui se trouvait sous le saint des saints dans le temple… alors que ni les textes anciens, ni la Bible n’en parlent.
  • Et le mont sur lequel l’esplanade a été construite a été rebaptisé « Mont Moriah » car dans la Bible, c’est sur ce mont qu’Abraham a offert son fils Isaac en sacrifice… alors qu’à l’origine, ce mont s’appelait le Mont Sion, mentionné plusieurs fois dans la Bible. Ainsi dans le psaume 74 : « Souviens-toi de ce mont Sion où tu fixas ta résidence ! » . Le mont Sion a été « déplacé » vers une autre colline de Jérusalem !

Au IX° siècle, le rocher prend une tout autre signification : c’est l’endroit où Mahomet pris appui pour monter au ciel lors de sa visite nocturne à Jérusalem. La Sira nous conte cet événement : alors qu’il habitait La Mecque, Mahomet fut réveillé par l’ange Gabriel qui l’emmena la nuit vers Jérusalem sur le dos d’un animal fabuleux, Buraq, cheval à tête de femme, sorti tout droit de la mythologie perse. Cette légende a pour origine le verset 1 de la sourate 17 : « Gloire à celui qui a fait voyager de nuit son serviteur du lieu de prière sacré vers le lieu de prière éloigné dont nous avons béni l’enceinte pour lui montrer nos merveilles. » Ce verset ne parle ni de Mahomet, ni de Buraq, ni de l’ange Gabriel pas plus que de La Mecque ou de Jérusalem. On remarquera que la mosquée construite à Jérusalem s’appelle « Mosquée al-Aqsa » qui en arabe signifie « Mosquée éloignée »… le tour est joué !

Mais d’où vient cet amas rocheux ? Pour élucider le mystère, il nous faut remonter dans le temps.

Vers 515 avant notre ère, les Judéens, revenus d’exil de Babylone avec le consentement des Perses qui ont vaincu les Babyloniens (Chaldéens), construisent un temple à Jérusalem. En 63 avant notre ère, le général romain Pompée est à Jérusalem. Il est venu aider le protégé de Rome à conquérir le trône de Judée. Il pense que les juifs vénèrent une tête d’âne. Pour en avoir le cœur net, il profane le temple et dans le saint du saint, ne trouve rien. Il est vide. S’il avait vu un amas rocheux, il aurait pensé que les juifs vénéraient une pierre, comme les bédouins arabes qui se déplaçaient avec une pierre symbolisant la présence de leur dieu. Mais rien !

En l’an 19 avant notre ère, un autre protégé de Rome, le roi Hérode le Grand, entreprend de bâtir le plus grand temple de l’empire romain. Plus par vanité que par ferveur religieuse. Le temple reposera sur une plateforme de 480 mètres sur 280 construite sur le mont Sion (le mont du Temple). Les travaux dureront 82 ans. Soit dit en passant, si Jésus a été au temple à Jérusalem, il n’a pu le voir qu’en construction, celle-ci s’est achevée en 63 de notre ère… mais le service religieux n’avait jamais été interrompu. Dans le temple d’Hérode, toujours pas d’amas rocheux, mais une esplanade parfaitement plane.

Ce temple n’a pas fait la gloire de la Judée très longtemps. Suite à une révolte des Judéens, il est détruit par le futur empereur romain Titus en 70.
En 133-135, l’Histoire se répète, nouvelle révolte, nouvelles destructions. Mais cette fois, l’empereur Hadrien rase la ville et construit une ville romaine qu’il appellera Aelia Capitolina. Aelius est son nom de famille et il place la ville sous la protection de Jupiter Capitolin en lui consacrant un temple qu’il fait bâtit sur l’esplanade probablement avec les matériaux du temple juif. Le temple est consacré à Jupiter, Junon et Minerve. On ne voit pas pourquoi les Romains auraient laissé un amas rocheux dans leur temple.

Emplacement du temple de Jupiter projeté sur l’esplanade actuelle.

Au IV° siècle de notre ère, des fanatiques chrétiens détruisent le temple. Lors de l’arrivée des Arabes à Jérusalem, l’esplanade est considérée comme un dépotoir, c’est ce que nous disent Théodore, un contemporain, ainsi que les chroniqueurs musulmans : Tabari (IX°s) (« Dieu a envoyé un prophète sur la décharge publique… ») et al-Bahri (XI°s) (« A cette époque, c’était une décharge publique »).

Que peut-on déduire de l’origine de ce « rocher » ? Il est très probable que ce soit les ruines du temple romain, lui-même construit avec les restes du temple juif.

Pourquoi l’édifice a-t-il été construit ?

On n’a pas de document d’époque décrivant l’usage de cet édifice. On sait que ce n’est par une mosquée : une grotte a été creusée sous le bâtiment pour servir de lieu de prière. Mais cette grotte n’est pas d’origine. Au X° siècle, un auteur musulman, al-Yaqubi prétend que le Dôme du Rocher devait remplacer la Kaaba à La Mecque comme lieu de pèlerinage, car à cette époque, La Mecque était aux mains de l’anti-calife al-Zubayr.

C’était très probablement un lieu de pèlerinage, mais pas comme celui de La Mecque, avec un cérémonial bien défini, mais un lieu de pèlerinage comme le Saint Sépulcre que les chrétiens visitent en se recueillant. Il faut se replacer dans le temps. L’islam n’est pas encore la religion formatée et rigide qu’elle deviendra à partir de la seconde moitié du IX° siècle : les hadiths (les paroles du Prophète) n’existent pas, pas plus que la charia et les cinq piliers de l’islam. C’est une religion en devenir, qui se cherche. C’est la religion d’Abraham, qui a donné naissance au judaïsme et au christianisme, mais quelle forme lui donner… elle n’a pas de clergé. A ce moment de l’histoire, cette nouvelle religion aurait pu prendre le même chemin que le mormonisme qui est devenu l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours, née en 1830. C’est une religion, basée sur la Bible, révélée par le livre d’un prophète : Mormon (personnage mythique ayant vécu de 311 à 385… aux Etats-Unis).

Le pèlerinage à La Mecque qui attire des centaines de milliers de musulmans est un phénomène très récent qui date de la prise de pouvoir de la famille Séoud conseillée par les religieux wahhabites vers 1930. A cette époque on ne dénombrait que 50.000 pèlerins par an. C’est le voyage par avion qui a drainé les foules.

La Mecque est probablement un lieu de pèlerinage très ancien, fréquenté par les bédouins qui venaient implorer leurs dieux leur réclamant de l’eau. A La Mecque ? Cette cuvette aride ! A certaines périodes, des pluies torrentielles dans les montagnes environnantes inondent la cuvette. En 1630, la Kaaba fut emportée par les flots. Encore aujourd’hui, les pèlerins doivent dévaler en courant la colline d’Arafa vers la plaine de Mina pour simuler le flux des eaux. La dernière inondation date de 2014. En 2018, une tempête perturba le pèlerinage, le voile couvrant l’édifice s’envola. Vu les travaux d’infrastructure, les inondations sont de plus en plus fréquentes malgré les aménagements et le drainage.

Inondations de 1941

La Kaaba est donc un édifice pré-islamique qui servait probablement à entreposer les bétyles symboliques des bédouins. La Sira ne rapporte-t-elle pas que Mahomet y détruisit 360 idoles ?

En conséquence, le Dôme du Rocher n’est pas un édifice à la gloire de l’islam, mais est destiné aux chrétiens « orthodoxes » pour leur montrer leurs erreurs. Le dogme du christianisme actuel dit nicéen ou chalcédonien a été défini aux conciles de Nicée (325) et de Chalcédoine (451) : il n’y a qu’un seul dieu, mais il y a trois personnes en Dieu de même « substance » et qui n’ont pas été créés : le Père, le Fils et le Saint-esprit. Une de ces personnes, Jésus (le fils) a deux natures, l’une divine et l’autre humaine, chaque nature a sa propre volonté. Les Arabes de Syrie s’opposaient à ces arguties byzantines. Les inscriptions originelles du Dôme le prouvent. Voici la traduction de toutes ces inscriptions. Notez que rien n’est typiquement musulman dans ces textes, sauf la mention du prophète Mahomet, mis sur le même pied que Jésus.

Sur la face interne des arcades (face au rocher) sur 240 mètres :
Au nom de Dieu, le miséricordieux, le compatissant, il n’y a d’autre dieu que Dieu. Il est UN. Il n’a pas d’associé. A lui appartient la souveraineté et à lui la louange. Il donne la vie et donne la mort. Il a le pouvoir sur toute chose. Mahomet est le serviteur de Dieu et son messager. Dieu et ses anges déversent des bénédictions sur le prophète. O vous qui croyez, demandez des bénédictions sur lui et saluez-le dignement. Que dieu le bénisse et que la paix soit sur lui. O gens du livre, n’exagère pas ta religion, ne dit rien sur Dieu sauf la vérité. Le Messie Jésus (ou Jésus-Christ), fils de Marie, n’était qu’un messager de Dieu, c’était sa parole qu’il a transmise par Marie et son esprit. Alors, croyez en Dieu et en ses messagers, et ne dites pas TROIS. Cessez, c’est mieux pour vous. Loin de sa transcendance d’avoir un fils, il a tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Dieu se suffit. Jésus se contente d’être un serviteur de Dieu, comme les anges. Oh mon Dieu, bénis ton messager et ton serviteur Jésus, fils de Marie. La paix soit sur lui, le jour de sa naissance, le jour de sa mort et le jour où il ressuscitera. Tel était Jésus, fils de Marie, la vérité dont ils doutent. Il ne convient pas de donner à Dieu un fils. Gloire à lui. Dieu est mon seigneur et ton seigneur, alors sers-le.
Remarques : pour les musulmans, contrairement au texte, Jésus n’est pas mort, il est monté directement au ciel d’où il reviendra pour le jugement dernier. L’inscription parle du Messie Jésus, alors que pour les musulmans, il n’en est pas un. Est-ce une mauvaise traduction de Jésus-Christ ?
Le texte comporte des signes diacritiques ce qui prouve que la langue arabe était finalisée à la fin du VII° siècle.

Sur la face externe des arcades :
(1) Au nom de Dieu, le miséricordieux, le compatissant, il n’y a d’autre dieu que Dieu. Il est UN. Il n’a pas d’associé. Il est Dieu, UN, l’éternel, il n’a pas été engendré, il n’a pas engendré. Il est incomparable. Mahomet est le message de Dieu, que la bénédiction de Dieu soit sur lui. (2) Au nom de Dieu, le miséricordieux, le compatissant, il n’y a d’autre dieu que Dieu. Il est UN. Il n’a pas d’associé. Mahomet est le messager de Dieu. Dieu et ses anges déversent des bénédictions sur le prophète. O vous qui croyez, demandez sa bénédiction et saluez-le dignement. (3) Au nom de Dieu, le miséricordieux, le compatissant, il n’y a d’autre dieu que Dieu. Louange à Dieu qui n’a pas de fils, ni de partenaire, ni de protecteur. Louez-le avec magnificence. Mahomet est le messager de Dieu, que Dieu le bénisse ainsi que les anges et les prophètes. Que la paix soit sur lui, que Dieu ait pitié de nous. (4) Au nom de Dieu, le miséricordieux, le compatissant, il n’y a d’autre dieu que Dieu. Il est UN. Il n’a pas d’associé. A lui la souveraineté et les louanges. Il donne la vie et la mort. Il a le pouvoir sur toute chose. Mahomet est le messager de Dieu, que Dieu le bénisse. Qu’il intercède lors du jugement dernier pour son peuple. (5) Au nom de Dieu, le miséricordieux, le compatissant, il n’y a d’autre dieu que Dieu. Il est UN. Il n’a pas d’associé. Mahomet est le messager de Dieu, que Dieu le bénisse. Le dôme a été construit par le serviteur de Dieu (= Abdullah) al-Mamun, commandeur des croyants, en l’an 72. Que Dieu l’accepte de lui et en soit content. Amen, Seigneur des mondes, Dieu soit loué.
Remarques : c’est volontairement que le même texte se répète plusieurs fois, car si les inscriptions intérieures se voient en un coup d’œil, celles des arcades extérieures ne sont visibles qu’au fur et à mesure que l’on se déplace dans le déambulatoire. Comme il y a plusieurs portes d’entrée, on ne sait pas où commence le texte.
L’arabe s’écrit de droite à gauche, sauf les nombres. 72 n’est pas écrit 27.

Inscriptions de l’entrée est

Inscriptions sur plaque de cuivre de l’entrée est :
Au nom de Dieu, le miséricordieux, le compatissant. Louange au vrai Dieu, le vivant, l’éternel, maître des cieux et de la terre, lumière des cieux et de la terre, pilier des cieux et de la terre, l’UN, l’éternel. Il n’a pas engendré et n’a pas été engendré. Personne ne peut se comparer à sa gloire. Dieu donne la vie à qui il veux, il la retire s’il veut. Gloire à Dieu, le miséricordieux, le compatissant… Bénis Mahomet ton serviteur, ton prophète, accepte qu’il intercède en faveur de ton peuple, qu’il soit béni et que la paix soit sur lui. Que Dieu préserve la vie d’Abdullah al-Mamun, commandeur des croyants, frère du commandeur des croyants Abu Ishaq, fils du commandeur des croyants al-Rashid. Que Dieu lui donne longue vie. Ce travail a été effectué par Salih ben Yahua, affranchi du commandeur des croyants dans le mois de rabi al-Akhir de l’année 216.
Remarques : la facture de l’inscription est plus grossière. La plaque a été posée à la demande d’al-Mamun mais Dieu n’a pas exaucé sa demande de longévité, il s’éteint en 218 de l’ère musulmane.

Inscriptions sur plaque de cuivre de l’entrée nord :
La plaque du portail nord porte des inscriptions identiques, mais elles ne sont pas signée.

Quel était son aspect originel ?

Il est fort probable que l’intérieur ait été conservé tel quel malgré quelques restaurations. Par contre, l’extérieur a été embelli à l’époque ottomane. Ainsi, des émaux et des inscriptions ont été ajoutées, elles sont l’oeuvre d’artisans émailleurs du quartier arménien de Jérusalem (sud-ouest) au XVI° siècle. Le toit, en feuille d’or, ne semble pas originel. Sur les peintures du XIX° et du XX° siècle, il est tantôt doré, tantôt gris. Quoiqu’il en soit, il a été restauré en 1994.