D’après la thèse de Jean-Jacques WALTER : Le Coran révélé par la théorie des codes.
L’analyse menée par Jean-Jacques Walter arrive à des conclusions pour le moins différentes de la tradition islamique. D’après les algorithmes, le Coran n’aurait pas un auteur, mais de 30 à 50. Il aurait été conçu non pas en un jour (Nuit du Destin) ou en 22 ans (prédication de Mahomet), mais en deux siècles.
Le Coran parle d’évangile, mais pas des évangiles canoniques, d’un et un seul évangile.
Ô Gens du Livre, vous ne vous appuierez sur rien de solide tant que vous n’observerez pas la Torah, l’Évangile et ce que vous a révélé votre Seigneur (Co. 5, 68)
D’après l’ouvrage « Aux origines du Coran » d’Alfred-Louis de Prémare. Les citations du Coran viennent du « Coran de Médine » ou de l’ouvrage de Jean-Luc Monneret : « Les grands thèmes du Coran ».
Plusieurs versets du Coran reprennent les critiques que les contemporains ont exprimées au sujet du Coran et y répondent. Comment était perçu le Coran à ses débuts ? Mais qui le critique et qui contre-attaque ?
Cet article a été inspiré par les travaux du professeur Alfred-Louis de Prémare (+) – université de Provence Aix-Marseille.
La tradition nous dit que Uthman, le troisième calife, a « collecté » le Coran. Au IXe siècle, soit 200 ans après les événements, trois historiographes ont chacun donné une version contradictoire de la mise par écrit du Coran. C’est celle de Boukhari que la tradition a retenue.
1. Nous l’avons certes fait descendre pendant la nuit d’Al-Qadr. 2. Et qui te dira ce qu’est la nuit d’al-Qadr ? 3. La nuit d’al-Qadr est meilleure que mille mois. 4. Durant celle-ci descendent les anges ainsi que l’Esprit par permission de leur Seigneur pour tout ordre. 5. Elle est paix et salut jusqu’à l’apparition de l’aube.
Voici la sourate telle que traduite dans le très officiel « Saint Coran » de Médine. Mais quel est le sens de ce texte ? On aurait aimé que Dieu soit plus clair, plus précis dans ses propos. Qu’il utilise une langue aboutie, telle que le grec, la langue des philosophes, ou du moins une « langue arabe très claire », comme le précise la sourate 26, verset 195. Mais nous resterons dans le flou, puisque l’islam est la dernière révélation, Mahomet étant le sceau des prophètes, d’après l’islam. Et il faut bien avouer que depuis le début du VIIe siècle, plus aucun « prophète » n’a connu le succès… tous les fidèles potentiels étant déjà accaparés, plus ou moins volontairement, par le christianisme ou l’islam, Dieu n’a plus jugé bon d’intervenir.
Signification du texte
Le Coran de Médine, dans une note de bas de page, nous indique que « la nuit d’al-Qadr (laylat-ul-Qadr) » est le nuit glorieuse où le Coran fut révélé pour la première fois et que l’Esprit n’est autre que l’ange Gabriel. La première phrase doit donc être comprise comme « Nous avons fait descendre le Coran pendant la nuit d’al-Qadr ». On objecte à ce point de vue que le Coran n’a pas été révélé en une fois, mais sur une période de 20 ans ! Les oulémas répliquent qu’il a fallu vingt ans à Mahomet pour apprendre le Coran par cœur sous la dictée de Gabriel, mais que le Coran est bien descendu en une fois à mi-chemin entre la terre et les cieux… ou bien, que le verset ne parle que de la première révélation.
Les chiites interprètent la sourate de façon différente. Pour les eux, cette nuit est celle où « le Maître de l’Ordre », l’Imam, descendant d’Ali, recevait par inspiration les informations concernant l’année à venir. Il n’y a plus d’Imam actuellement, la chaîne dynastique s’est interrompue avec septième ou le douzième imam selon les obédiences. Il reviendra à la fin des temps.
Point de vue des chercheurs non musulmans
Les exégètes occidentaux ne sont pas spécialement convaincus par ces explications. Cette courte sourate (5 versets) les intriguent. Dans le volume 2b de l’ouvrage collectif « Le Coran des Historiens », qu’il co-dirige avec Mohammad Ali Amir-Moezzi, l’islamologue français Guillaume DYE consacre 14 pages de commentaires à la sourate 97, contre 6 aux 8 versets de la sourate suivante. Pourquoi ? L’expression « al-Qadr » pourrait signifier « la nuit du destin« , qui est en fait le titre de la sourate. Mais de quel destin s’agit-il et pourquoi cette nuit est-elle meilleure que mille mois ? Cette nuit semble de répéter : « Durant celle-ci descendent les anges… ». Le verbe n’indique par une action passée et unique, mais comme les chiites l’ont bien compris, une nui qui se répète. La sourate 97 est la seule sourate qui parle de PAIX. D’où l’idée que cette nuit est la nuit de Noël et que le texte a été interpolé pour effacer cette référence au christianisme, Jésus a été remplacé par le Coran. Pour arriver à cette conclusion, il faut « jouer » avec les mots, ce que permet la langue arabe du Coran qui emprunte beaucoup de mots au syriaque (une version de l’araméen toujours utilisée dans la liturgie des Églises chrétiennes de Syrie) et à l’hébreu, mots qui sont passés dans l’arabe moderne avec un sens parfois différent.
Je ne vais pas me lancer dans une longue démonstration. Soulignons simplement quelques arguments. Christoph Luxenburg, fait remarquer que le destin est lié à la naissance. C’est ce que croit les personnes qui se réfèrent à l’horoscope : ils associent naissance-étoile-destin. De là à comprendre qu’il s’agit de la nuit de la Nativité de Jésus, il n’y a qu’un pas. Luxenburg souligne également que le mot arabe traduit par « mois » désigne la « veillée » en syriaque. Il en déduit que « mille mois » pourrait être traduit par « mille veillées« , « mille vigiles« , la vigile étant une prière nocturne pour les chrétiens, un office se déroulant entre minuit et l’aube.
Guillaume DYE, pour sa part, met cette sourate en relation avec l’Hymne XXI de la Nativité d’Éphrem le Syrien (306-373) :
Ne comptons pas notre vigile comme une vigile ordinaire. C’est une fête dont le salaire dépasse cent pour un… Les anges et les archanges, ce jour-là, sont descendus entonner sur terre un nouveau Gloria (prière chrétienne)… Gloire à Dieu dans les cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.
Est-on face à une appropriation d’une fête chrétienne ou s’agit-il d’un texte original ? Chacun doit se faire sa propre opinion.
Le dialogue inter-religieux
Mais si c’est une appropriation, voici un beau sujet de convergence pour le dialogue inter-religieux. Ce dialogue avait mal démarré : Benoît XVI, qui venait d’être élu pape, a fait un discours à l’université de Ratisbonne, le 12 septembre 2006, qui a choqué les musulmans. Oubliant sa fonction, il a cité un texte du XIVe siècle dans lequel l’empereur byzantin Manuel II, apostrophe un persan en ces termes : « Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait ». Le résultat ne s’est pas fait attendre, son discours, pourtant confidentiel, a été relayé, comme d’habitude, dans les pays musulmans et a déchaîné la violence… que voulait stigmatiser le pape. En Irak, en Somalie, en Palestine, des églises ont été attaquées, incendiées et des chrétiens ont été tués.
A l’instigation de la Curie romaine, le pape a dû faire profil bas. Il s’est excusé, prétendant que ce discours ne reflétait pas sa pensée personnelle. A Istanbul, il a prié dans la mosquée bleue aux côtés de l’imam et à Jérusalem, il a visité le Dôme du Rocher avec le Grand mufti. Il a appelé les musulmans et les chrétiens à « marcher sur les chemins d’une compréhension réciproque« .
Note : La curie est l’ensemble des conseillers du pape. Ce terme a été emprunté à l’Empire romain dans lequel la Curie était le siège du Sénat de Rome. D’autres emprunts ont été faits comme « diocèse » (division administrative de l’Empire), « basilique » (édifice public couvert), « vicaire » (responsable d’un diocèse), etc.
Du côté musulman, le prince jordanien Ghazi ibn Muhammad, qui dirige l’Académie Ahl al-Bayt, est engagé depuis de longues années dans le rapprochement entre chrétiens et musulmans : « Conformément au Coran, nous, en tant que musulmans, invitions les chrétiens à s’accorder avec nous sur ce qui nous est commun, et qui constitue également l’essentiel de notre foi et de notre pratique : les deux commandements de l’amour. » Personnellement, je n’ai lu nulle part dans le Coran que le musulman doit aimer son prochain, ni qu’il doit répandre l’amour sur terre. Le message récurrent semble être : « Le musulman doit craindre Dieu et aider les autres musulmans« .
Laissons donc à quelques optimistes ces rencontres enrichissantes… qui n’ont encore donné aucun résultat. Force est de reconnaître qu’un dialogue constructif n’est pas pour demain : « un dialogue » n’est pas synonyme de « deux monologues« .
Ainsi, du côté chrétien, Samir Khalil Samir, prêtre jésuite égyptien, préconise-t-il que « leur devoir apostolique oblige les chrétiens à aider les musulmans à décanter leur foi, pour découvrir ce qu’elle offre de pierres d’attente (sic) et finalement pour s’ouvrir à l’Évangile qu’ils croient connaître à travers le Coran, alors qu’ils l’ignorent. En suscitant le désir d’une spiritualité plus exigeante, on permet la rencontre avec le Christ des Évangiles et pas seulement celui du Coran ». Si on lit entre les lignes, le dialogue consiste donc à faire reconnaître aux musulmans que Jésus est le fils de Dieu, dieu lui-même ! La position de l’Église n’a pas changé depuis Pierre de Montboisier, dit le Vénérable, qui en 1156 publia « Contre la secte des Sarrasins » après avoir fait traduire la Coran en latin. »Pourquoi« , dit-il, « s’ils adhèrent à une partie des Écritures, n’ont-ils pas adhéré à tout ? De deux choses l’une, soit le texte (les Écritures) est mauvais et ils doivent le rejeter, soit il est vrai et il convient de l’enseigner »
Du côté musulman, la réponse est simple, Dieu ne dit-il pas dans le Coran (9, 30) : « Les juifs disent : « Uzaïr est le fils de Dieu ». Les chrétiens disent : « le Messie est le fils de Dieu ». Telles sont les paroles de leurs bouches. Ils répètent ce que les impies disaient avant eux. Que Dieu les écrase ! Ils marchent à reculons ». La seule issue est donc la conversion à l’islam. L’islam est la religion « originelle » de l’Homme, tous ont le même dieu, mais la dernière révélation est celle de Mahomet. Elle corrige toutes les interprétations erronées précédentes. Les juifs et les chrétiens n’ont pas compris le message de leurs prophètes, ils l’ont falsifié. D’ailleurs, « comment concevoir un dieu qui engendre, se nourrisse, boive, monte l’âne, dorme, urine et défèque ? » comme le rappelle en 1997 l’imam de la mosquée de Médine en présence de l’ancien président iranien Rafsandjani.
N’oublions pas que l’article 2 de la constitution irakienne (2005), tout en affichant la tolérance envers toutes les religions, prévoit que : « L’islam est la religion officielle de l’État et une source fondamentale de la législation. Aucune loi ne peut être promulguée si elle est contraire aux principes établis de l’islam». En mars 2021, le pape François s’est rendu en Irak et a demandé que les chrétiens d’Irak soient reconnus comme citoyens à part entière. Ce sont actuellement des citoyens de seconde zone, comme les coptes d’Egypte et… les musulmans de l’Algérie au temps de la colonisation française. Ils sont inéligibles au niveau national. Le rapport de force s’est inversé. L’islam triomphant pavoise partout. En Europe occidentale, on trouve des musulmans à tous les niveaux du pouvoir politique. Et la suprématie de l’islam n’est pas prête à régresser : les musulmans et les musulmanes doivent donner naissance à des enfants musulmans qui s’ils abjurent leur religion risquent la peine de mort. Si cette peine est rarement appliquée, elle reste une menace qu’on ne néglige pas. Des scientifiques prévoient une forte diminution de la population mondiale vers 2050 (Science & Vie de mars 2021). La terre perdrait un milliard de personnes entre 2064 et 2100. C’est une première depuis le début de l’humanité… si on excepte les épidémies et les guerres. Mais la baisse de la natalité affectera nettement moins les pays musulmans.
Conclusion
Dans le texte du chapitre précédent, j’ai souligné les mots « aider » et « invitons » qui montrent que chacun s’attend à ce que l’autre s’adapte. En conclusion, nous devons lire « dialogue inter-religieux« , non comme un dialogue qualifié d' »inter-religieux », c’est-à-dire, entre religion, mais comme un dialogue entre religieux. On se parle, mais rien de concret n’en ressort. Les deux religions ne sont pas des opinions différentes sur un sujet identique, opinions qui pourraient se rencontrer, mais une polarisation des points de vue, et chacun d’entre nous sait que les deux pôles se repoussent. On ne tente pas de faire converger les doctrines, on vise uniquement le « vivre ensemble« … le plus harmonieusement possible. Et ce n’est pas gagné.
Le dialogue interreligieux est une initiative chrétienne. Il englobe toutes les religions dont le bouddhisme et l’hindouisme. Il a été initialisé en 1999 par le cardinal Ratzinger, qui deviendra pape sous le nom de Benoît XVI en 2005 et démissionnera, fait exceptionnel, en 2013. Si à l’origine l’objectif était ambitieux comme le laisse supposer la déclaration du chrétien, Samir Khalil Samir pour qui « le devoir apostolique oblige les chrétiens à aider les musulmans à décanter leur foi, pour découvrir ce qu’elle offre de pierres d’attente (sic ?) et finalement pour s’ouvrir à l’Évangile qu’ils croient connaître à travers le Coran, alors qu’ils l’ignorent. En suscitant le désir d’une spiritualité plus exigeante, on permet la rencontre avec le Christ des Évangiles et pas seulement celui du Coran ». Si on lit entre les lignes, le dialogue consiste donc à faire reconnaître aux musulmans que Jésus est le fils de Dieu, dieu lui-même ! La position de l’Église n’a pas changé depuis Pierre de Montboisier, dit le Vénérable, qui en 1156 publia « Contre la secte des Sarrasins » après avoir fait traduire la Coran en latin. Pourquoi, dit-il, « S’ils adhèrent à une partie des Écritures, n’ont-ils pas adhéré à tout ? De deux choses l’une, soit le texte est mauvais et il faut le rejeter, soit il est vrai et il convient de l’enseigner ».
Aujourd’hui l’objectif est plus prosaïque. Le cardinal Jean-Louis Tauran a écrit dans l’Observatore Romano fin 2017 : « Malgré les positions qui peuvent parfois sembler distantes, il faut promouvoir des espaces de dialogue sincère. Malgré tout, nous sommes vraiment convaincu qu’il est possible de vivre ensemble ». L’objectif est donc de vivre ensemble dans la paix et le respect mutuel avec les fidèles des autres traditions.
Le pape François à Abu Dabi
Un rapprochement doctrinal est-il possible avec l’islam ? Chrétiens, juifs et musulmans ont le même dieu et un ancêtre commun : Abraham. Voici deux points fondamentaux qui devraient permettre le rapprochement. Mais Allah peut-il être identifié à YHWH ? Est-ce le même dieu ?
Le même dieu ?
Tout le laisse penser. Ne lit-on pas dans le Coran : « Nous avons envoyé sur les traces de Noé et d’Abraham d’autres messagers comme Jésus fils de Marie à qui nous avons donné l’évangile… » (Co. 57, 27). C’est donc Allah qui guidait les prophètes juifs et Jésus. Pourtant le dieu du Coran est à l’opposé du dieu de la Bible, comme le montre ce qui suit.
Dans la suite de l’exposé, j’emploierai le mot Dieu pour le dieu des juifs et des chrétiens et Allah (al ilal : littéralement la divinité, le dieu) pour le dieu des musulmans. Ce chapitre est inspiré de l’ouvrage de Christian Makarian : « Le choc Jésus-Mahomet » (CNRS 2008)
Dieu a une histoire, il est acteur, il accompagne les hommes. Allah est transcendant, il est dans une autre sphère : « A Allah appartient l’Est et l’Ouest. Où que vous vous tourniez, la face d’Allah est donc là, car Allah a la grâce immense. Il est omniscient. » (Co. 2,115) Je profite de ce verset pour faire une petite remarque sur la prière. Pourquoi faut-il se tourner vers La Mecque alors qu’Allah est partout ?
Dieu est paternel, il a une relation de père à fils avec l’homme. Il s’irrite, il punit et se réconcilie. C’est l’idée maîtresse de la Bible hébraïque. Allah n’a aucun sentiment, le Coran ne tombe pas dans l’anthropomorphisme bien qu’Allah veuille être adoré et craint. Il décide tout, il a tout prévu : « Allah, point de divinité à part lui, le Vivant, celui qui subsiste par lui-même. … A lui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur terre. Qui peut intercéder auprès de lui sans sa permission ? Il connaît leur passé et leur futur… » (Co. 2, 255)
La religion juive et chrétienne a évolué avec le temps et les circonstances : la destruction du temple de Jérusalem a donné naissance au judaïsme, la croyance en Jésus a donné naissance au christianisme. Le Coran, lui, clôt les révélations. Dieu a tout dit : « Nul malheur n’atteint la terre ni vos personnes qui ne soit enregistré dans un livre avant que nous l’ayant créé et cela est certes facile à Allah. » (Co. 57,22)
La foi chrétienne et juive est un processus individuel, un choix librement consenti. On s’engage personnellement dans la confiance. L’islam est une soumission collective, une prosternation aveugle : on naît musulman dans une communauté et on le reste. L’apostasie est punie de mort.
Les gens du livre
La Bible n’est pas l’équivalent du Coran pour les juifs et les chrétiens. D’ailleurs, l’expression « les gens du livre » souvent employée dans le Coran pour désigner les juifs et les chrétiens est impropre, il faudrait parler des « gens des livres » au pluriel. Chaque livre est le résultat d’une vision personnelle de son auteur. Les livres juifs et chrétiens sont des productions humaines, le Coran est l’oeuvre d’Allah pour les musulmans. De plus, le Coran est incréé, il existe de tout temps, l’exemplaire original se trouve à la droite de Dieu : « Nous avons fait un Coran arabe afin que vous raisonniez. Il est auprès de nous, dans l’écriture-mère (l’original au ciel), sublime et rempli de sagesse. » (Co. 43,3-4) Le Coran est irréfutable, c’est le verbe d’Allah. Il enseigne tout ce qu’il faut faire et ne pas faire pour le salut des hommes. Il ne peut être lu qu’en arabe. Les Indonésiens, les Pakistanais et les Nigérians qui représentent la majorité des fidèles non arabes, apprennent le Coran, par cœur sans comprendre. Pas de problème, c’est le souffle de Dieu.
La Bible a été révélée à plusieurs prophètes, ce qui explique le nombre de livres et une certaine ambiguïté. Le Coran n’a été révélé qu’à une seule personne. Il est intact, mais sclérosé à « l’âge d’or » du califat de Bagdad. L’islam, c’est le culte de la prière.
Abraham et les personnages de la Bible
Le Coran a complètement altéré le message de l’Ancien Testament sous prétexte que les juifs avaient falsifié le message de Dieu. Par un trait de génie linguistique, tous les personnages de la Bible sont devenus musulmans, soumis à Dieu. Ainsi le verset 132 de la sourate 2, dans le saint Coran de Médine est rédigé ainsi : « Et c’est ce qu’Abraham recommanda à ses fils, de même que Jacob : Ô mes fils, certes Allah vous a choisi la religion, ne mourrez point, donc, autrement qu’en soumis ! » Et une note de base de page spécifie : soumis (muslim en arabe) = musulman (en français).
Les versets qui précédent ne laissent aucun doute, voici donc les versets 128 et 129 de la sourate 2.
Notre seigneur ! Fais de nous [Abraham et son fils Ismaël] tes soumis, et de notre descendance une communauté soumise à toi. Et montre-nous les rites et accepte de nous le repentir. Car c’est toi certes l’accueillant au repentir, le miséricordieux.
Notre seigneur ! Envoie l’un des leurs [les Arabes] comme messager parmi eux, pour leur réciter tes versets, leur enseigner le Livre et la Sagesse, et les purifier. Car c’est toi certes le puissant, le sage.
Dans ce dernier verset, Abraham n’annonce rien de moins que la venue de Mahomet.
Conclusion
On ne négocie pas avec les principes fondamentaux. Le dialogue christianisme-islam basé sur la doctrine aurait donc été impossible.
Un analyse même superficielle permet de mettre en doute que Dieu et Allah soient le même concept. Déjà au deuxième siècle, Marcion, à qui j’ai déjà consacré un article, avait proclamé que le dieu de Jésus n’était pas le dieu d’Israël et qu’il fallait abandonner la Bible hébraïque.
Source : « Le Coran des historiens » sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi(Paris-Londres)et Guillaume Dye(Bruxelles). Première partie du chapitre « Le shi’isme et le Coran » par Mohammad Ali Amir-Moezzi.
Mohammad Ali Amir-Moezzi qualifie le Coran de décousu, déstructuré et fragmentaire. Effectivement, le Coran reste déconcertant : on sait rarement qui parle à qui on parle et de qui ou de quoi on parle : des pronoms ont été préférés aux noms. Ce qui donne des phrases comme : « je sais qu’il…, mais vous ne savez pas… » Bien entendu, les croyants savent que c’est Dieu qui parle à Mahomet.
Les chiites ont une explication à ces incohérences : le texte reçu par Mahomet a été falsifié à sa mort pour s’emparer du pouvoir qui aurait dû revenir à son cousin et gendre Ali. (voir notre article sur le chiisme). Voici le scénario défendu par les partisans d’Ali, les chiites.
Dieu avait prévu la mort de Mahomet et avait désigné sa famille (son gendre Ali et sa fille Fatima ainsi que leurs fils Hassan et Hussein (Husayn)) pour poursuivre son oeuvre. Mais à la mort de Mahomet, différentes factions vont se déchirer pour obtenir le pouvoir temporel et spirituel. A ce jeu, se sont les beaux-pères du prophète qui vont tirer les marrons du feu : Abu Bakr, père de Aïcha et Umar, père de Hafsa. Ils vont s’empresser de supprimer du texte des « révélations » tout ce qui concerne la famille directe de Mahomet. Ces « feuillets » sont remis à Hafsa. Elle les transmettra au troisième calife Uthman qui publiera le Coran et détruira tous les documents antérieurs, pour effacer toute trace de la falsification. Mais Ali a gardé une copie du Coran original, trois fois plus volumineux, qu’il a transmise à ses descendants, les imams (du chiisme) jusqu’au douzième et dernier, qui n’est pas mort, mais a été « occulté » en même temps que le Coran original qu’il détenait. Ils réapparaîtront à la fin des temps.
Ce récit a une faiblesse. Pourquoi Ali, qui a succédé à Uthman, comme quatrième calife, n’a-t-il pas détruit le Coran de Uthman pour le remplacer par le sien ? Et pourquoi les imams qui lui ont succédé à la tête du mouvement chiite n’ont-ils pas fait de même alors qu’au Xe siècle, ils dominaient le monde musulman : les Fatimides en Afrique et les Bouyides au sein-même du califat de Bagdad au Proche et Moyen Orient ?
Notons que dès le Xe siècle, après la « disparition » du dernier imam, Mahomet al-Mahdi (vers 870), les chiites ont adopté le même Coran que les sunnites !
Qu’y avait-il dans ce Coran ?
D’après les sources chiites du début de l’islam, le Coran citait nommément les partisans et les ennemis de Mahomet, comme c’est le cas dans la Bible et le Nouveau Testament qui regorgent de personnages. Il est effectivement bizarre que seuls deux personnages secondaires contemporains du prophète soient nommés dans le Coran : son fils adoptif Zayd dont le prophète convoitait l’épouse et son oncle Abu Lahab… et leur existence réelle fait débat. Dans le Coran original, la question de la succession de Mahomet était clairement indiquée. Comment Dieu aurait-il pu ignorer cette question ? De plus, Ali était présenté comme le Messie, Mahomet n’étant que l’annonciateur. Dans un article suivant, je discuterai de l’aspect eschatologique du Coran (qui concerne la fin du monde).
Face à cette situation, les compagnons de Mahomet, qui avaient « usurpé » le pouvoir avaient tout intérêt à censurer le texte original… d’autant plus que la fin du monde n’a pas eu lieu (on est dans la même situation que le christianisme… qui attend toujours).
Voici quelques exemples cités par Mohammad Ali Amir-Moezzi. En italique le verset du « saint Coran » de Médine.
Co. 2:59 : Mais, à ces paroles, les pervers en substituèrent d’autres, et pour les punir de leur fourberie, nous leur envoyâmes du ciel un châtiment avilissant. Alors ceux qui étaient injustes à l’égard des droits des descendants de Mahomet substituèrent une autre parole à la parole qui leur avait été dite. Ainsi, nous avons fait tomber une colère sur ceux qui étaient injustes à l’égard des droits des descendants de Mahomet en réponse à leur perversité.
Co. 2:87 : … Est-ce que chaque fois qu’un messager vous apportait des vérités contraires à vos souhaits vous vous enfliez d’orgueil ? vous traitiez les uns d’imposteurs et les vous tuiez les autres. (autres = Jésus) Chaque fois que Mahomet est venu à vous en vous apportant ce que vous ne vouliez pas concernant le saint pouvoir d’Ali, vous vous êtes enorgueillis et, au sein de la famille de Mahomet, vous avez traité certains de menteurs et vous en avez tué d’autres. (autres = Hussein, le fils d’Ali tué à Kerbala)
Co. 2:90 : Comme est vil ce contre quoi ils ont troqué leurs âmes. Ils ne croient pas en ce qu’Allah a fait descendre… Combien est mauvais ce contre quoi ils ont vendu leurs âmes en ne croyant pas à ce que Dieu a révélé au sujet d’Ali en se révoltant.
Mohammad Ali Amir-Moezzi cite une vingtaine de versets, mais il y en aurait près de 300 dans un ouvrage du IXe siècle intitulé « La révélation et la falsification« .
Réflexions personnelles
Que peut-on conclure de ces exemples ? Tout d’abord que le Coran prévoit l’avenir. Il décrit les réactions des disciples après la mort de Mahomet, qui ignorent et rejettent Ali, ce qui n’a pu être constaté qu’a posteriori. Ensuite que le texte est devenu bien plus clair. Les versets ont maintenant un sens… mais peut-être pas celui que l’auteur original a voulu leur donner. Il « suffit » (?) de lire les trois mille pages de commentaire des versets du Coran dans les volumes 2 et 3 du « Coran des historiens » pour se rendre compte que le ou les auteurs du Coran étaient de bons versificateurs (le Coran est écrit en vers), mais de piètres narrateurs, peu capables d’exprimer clairement leurs idées. Il faut dire que la langue arabe de l’époque n’était pas un bon vecteur de diffusion d’idées abstraites. Elle avait trop peu de signes (lettres) pour représenter par écrit les sons (alphabet) et les mots manquaient pour exprimer des notions philosophiques, ce qui obligeait à recourir aux termes hébreux, syriaques (araméens), farsis (perses) ou même éthiopiens. Ces termes sont entrés dans la langue arabe, mais on n’en connaît plus la signification première. Le Coran restera à jamais un ensemble de textes décousu et peu compréhensible. Ah s’il avait été écrit en grec, la langue des philosophes !
Les versets 93 à 98 de la sourate 18 racontent une bien étrange histoire qui met en scène Alexandre le grand, appelé Dul-Qarnayn (le biscornu) et deux tribus, Gog et Magog. Voici le texte :
Dul-Qarnayn suivit une nouvelle route et arriva entre les deux digues au-delà desquelles se trouvait un peuple qui ne comprenait presqu’aucune langue. Ces gens dirent » Ô Dul-Qarnayn voici que les Gog et les Magog sèment le désordre sur terre. Pouvons-nous t’accorder un tribut pour élever une barrière entre eux et nous ? » – Ce que m’a accordé mon Seigneur est préférable à votre tribut. Aidez-moi avec zèle et j’établirai cette barrière entre vous et eux…
Et Dul-Qarnayn construisit donc une porte de fer et une porte d’airain (versets 95-97). La suite :
Ceci est une miséricorde de mon Seigneur dit-il. Quand s’accomplira sa promesse, il nivellera cet ouvrage car la promesse de mon Seigneur est vérité.
Ce texte est inséré dans la sourate hors de tout contexte, comme si les lecteurs connaissaient l’histoire. D’où vient ce passage et que signifie-t-il ?
Gog roi de Magog est un personnage de la Bible, il apparaît dans le livre d’Ézéchiel (38:2,15). Gog et ses innombrables guerriers montés sur des chevaux viendront du nord semer la désolation en Israël… à la fin des temps.
Mahomet avait-il épluché la Bible pour connaître cette histoire ? Ce n’était pas nécessaire. Le Coran est le reflet du contexte culturel et cultuel de son époque (VI et VIIe siècles). Le monde où s’est élaboré le Coran est un monde essentiellement religieux. Tous les écrits, tous les récits font intervenir Dieu. Ce monde est très interlope, les chrétiens, les juifs, les zoroastriens et les manichéens cohabitent, plus ou moins pacifiquement selon les régions et les époques. L’Arabie n’échappe pas à la diffusion des idées et des récits venant de Syrie et de Perse.
La Syrie est essentiellement chrétienne et grecque, elle fait partie de l’empire byzantin. L’ennemi héréditaire des Byzantins n’est autre que l’empire perse sassanide. Or Alexandre le grand, un grec, a vaincu les Perses et occupé leur territoire. C’est un héro en Syrie. De nombreux récits vantent ses exploits. C’est dans ces récits qu’il faut rechercher la source de l’inspiration du Coran, et plus particulièrement dans les apocalypses mettant en scène Alexandre. Un récit apocalyptique, du grec « apocalypsis« , signifiant révélation, est l’explication de ce qui va se passer à la fin des temps. Les plus célèbres sont l’Apocalypse de Jean, dans le Nouveau Testament, et le Livre de Daniel, dans la Bible. Notons que le qualificatif « biscornu » dont est affublé Alexandre viendrait du Livre de Daniel qui fait intervenir un personnage ayant deux cornes. En Syrie, à l’époque qui nous occupe, circulent plusieurs récits apocalyptiques ayant comme héro Alexandre : « L’Apocalypse d’Alexandre », « Les Exploits d’Alexandre, fils de Philippe », « Alexandre et la Porte du Nord« …
L’insouciance n’est pas de mise au Proche Orient en ce début du VIIe siècle. La peste a sévi et a même eu raison de l’empereur Justinien, les tribus du nord, les Huns et les Alains ont déferlé sur la Syrie, venant du Caucase et emporté de nombreux captifs On craint leur retour. De plus, la guerre contre les Perses (612-628) a repris, ils se sont installé à Jérusalem (614) puis sont allé jusqu’à Constantinople avant d’être repoussé (en 622) par l’empereur byzantin Héraclius, le nouvel Alexandre.
Dans ce contexte, la fin des temps est annoncée par de nouveaux prophètes. Les portes qui retiennent Gog et Magog vont être ouvertes, les Huns et les Alains vont revenir semer la ruine. C’est ce que dit la Bible, mais aussi le Coran : « Quand s’accomplira sa promesse, il nivellera cet ouvrage car la promesse de mon Seigneur est vérité« . La promesse de Dieu, c’est l’arrivée de la fin des temps, lorsque les hommes seront jugés, l’imminence de l’avènement du royaume de Dieu sur terre. Notons que les deux portes qui retiennent Gog et Magog n’existent pas, mais elles symbolisent deux passages, de part et d’autre de la mer Caspienne, que les Perses gardent… aux frais de l’empire byzantin.
Cette légende n’appartient pas au fond traditionnel de la Péninsule arabique, mais à la Syrie-Palestine. L’histoire est racontée dans la Bible, évoquée dans la Guerre des Juifs de Flavius Josèphe (VII, 4 : « …passage que le roi Alexandre a fermé avec des portes de fer« ), avant d’être reprise dans les apocalypses associées à Alexandre le Grand. On pourrait en déduire que le Coran, ou du moins une partie, a été rédigé en Syrie, ce qui n’est pas à écarter, mais surtout, que la Péninsule arabique, désert géographique, n’était pas isolée. Elle faisait partie d’un vaste espace culturel comprenant également la Syrie-Palestine, la Perse et l’Éthiopie. Des souverains juifs, puis chrétiens ont régné sur le Yémen (appelé Himyar) dès le IVe siècle et des évêchés ont été créés sur la côte est, le long du Golfe persique. Le nord de la péninsule a toujours été en contact avec la Syrie-Palestine (voir l’article sur Pétra). La situation du Hedjaz, la côte ouest, comprenant les villes de La Mecque et Médine, est beaucoup moins connue. L’interdiction des fouilles dans les villes saintes de l’islam et les destructions causées par les Séoudiens à la fin du XIXe siècle ne permettent pas aux historiens de vérifier la véracité des faits racontés dans les biographies de Mahomet. Le mystère qui planait sur cette région a t-il incité les autorités musulmanes du début de l’islam d’y transposer l’histoire du prophète, faisant du lieu de pèlerinage berbère de La Mecque une riche ville caravanière et de Yathrib le refuge de trois tribus juives ? La question mérite d’être posée.
Que de mystères entourent ce livre ! Pourtant, si on se réfère à la tradition, tout est bien clair. Le Coran renferme toute la révélation que Mahomet a reçue de Dieu par l’intermédiaire de l’ange Gabriel entre 610 de notre ère et 632, date de la mort du prophète. La révélation était orale et récitée par les fidèles. Au fil du temps, la récitation s’est faite moins respectueuse de l’original, ce qui a amené le troisième calife, Uthman (644-656), a la mettre par écrit, « dans un arabe clair« . C’est du moins ce que raconte Boukhari, un chroniqueur du IXe siècle.
Un livre saint
Les citations qui suivent sont extraites de l’introduction du « saint Coran » édition AlBouraq (Médine 2019).
« C’est le livre d’Allah qui englobe des questions très variées, notamment le dogme, la loi (Charia), la morale, la prédiction à l’islam, l’usage des bons conseils, la moralité, la critique constructive, l’avertissement, les argumentations et témoignages, les récits historiques, les références aux signes cosmiques d’Allah, etc.« « Le Coran est par essence miraculeux et inimitable, tant au point de vue du fond que de la forme. C’est la parole incréé d’Allah, révélée à son messager Muhammad…«
Sa traduction est un exercice difficile : « Le traducteur doit être un expert chevronné en langues arabes et étrangères, il doit disposer d’un savoir encyclopédique incontestable et jouir en plus de qualités morales indéniables. Car chaque terme dans la langue du Coran a un certain poids, chaque voyelle a sa raison d’être et le simple fait d’omettre une voyelle peut être lourd de conséquence.«
La version actuelle du Coran, en arabe, date de 1923/1924 et a été composée au Caire. Elle ne modifie pas le texte antérieur, mais lève des imprécisions : « Les gens ne formaient (à l’origine) qu’une seule communauté (Co. 10,19) ». Les ajouts sont toujours entre parenthèses ou entre crochets. C’est la version canonique. Jusqu’alors, on admettait sept ou dix lectures différentes du Coran, suivant les écoles juridiques.
Présentation du texte
C’est un texte déroutant, « sans contexte » : il met en scène des personnages biblique tels qu’Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus…, sans les présenter dans leur contexte, comme si les destinataires des récits coraniques les connaissaient déjà. Ce qui était probablement le cas. C’est une oeuvre relativement courte de 6236 versets regroupés en 114 chapitres, appelés sourates. A titre de comparaison, il comporte trois fois moins de mots que le Nouveau Testament. Chaque sourate porte un nom. Le Saint Coran de Médine, de petit format, comporte 700 pages, plus ou moins 250 à l’origine où les feuillets étaient plus grands. La plupart des versets sont écrits en prose rimée, il ne se lit donc qu’en arabe. A l’école coranique, les enfants musulmans apprennent à lire le Coran en arabe. Il leur faut trois ans pour pouvoir le réciter par cœur. L’enseignement ne vise pas à comprendre le texte, mais à le lire en arabe et à le réciter.
Jean Damascène ou Jean de Damas de son véritable nom Mansour ibn Sarjoun, ancien fonctionnaire du gouvernement omeyyade, devenu moine chrétien, né vers 676 et mort en 749, connaît le Coran. Il cite le nom de certaines sourates qu’il nomme « traités ». Ainsi, il parle du « traité de la femme », du « traité de la vache ». La sourate 2 s’appelle aujourd’hui « La vache », et la sourate 4 « Les femmes ». Ce fait est remarquable, car la découpe du Nouveau et de l’Ancien Testament en chapitres et versets ne s’est faite qu’au XVIe siècle ! La Bible de Gutenberg, imprimée en 1455, est un texte monolithique.
Bible de Gutenberg
Longtemps, il fut interdit de publier le Coran sous format imprimé. Gardons à l’esprit que le premier journal imprimé dans l’Empire ottoman date de 1864 ! Au XIXe et jusqu’au début du XXe siècle, la reproduction du Coran s’est faite par lithographie, inventée en 1796, qui respecte le tracé manuel des lettres, et le travail des copistes.
Les sourates sont classées par ordre de taille, en versets. Les plus longues au début. Les sourates 1, 143 et 144 sont des textes liturgiques, des prières. Le classement n’est pas strictement respecté. Je tenterai d’apporter une explication à ces exceptions.
Graphique de la taille des 25 premières sourates
Parole incréée d’Allah ?
Dans les premiers temps de ce qui va devenir l’islam et que j’appellerai le « proto-islam », la notion de parole incréée n’a pas cours. La tradition rapporte que la femme de Mahomet, Aïcha, avait sa propre version du Coran dans laquelle les versets étaient rangés par ordre de révélation. De même, le Coran compilé par Abdullâh ibn Masûd, un compagnon du prophète, coexista avec le Coran « canonique » jusqu’au Xe siècle, puis ses propriétaires furent persécutés et les livres détruits.
Sous le calife Abd al-Malik (646-705), personne ne s’étonne que le général al-Hajjaj ben Youssef (661-714) ajoute 2000 harf au Coran. « Harf » peut signifier signe, lettre ou mot. On ne connaît donc pas l’importance des modifications faites. La plupart des historiens pensent qu’il ajouta des signes diacritiques différenciant les sons représentés par des signes (lettres) identiques.
La tradition conserve le souvenir d’une autre variation du texte connu sous le nom de hadith des sept ahruf (ahruf est le pluriel de harf). Le récit met en scène Umar, le deuxième calife et un compagnon du prophète. Ils ne sont pas d’accord sur la façon de réciter des versets. Ils demandent donc l’arbitrage de Mahomet. Umar récite les versets et Mahomet avalise la récitation en disant : « C’est bien ainsi qu’ils m’ont été révélés ». Umar jubile. Mahomet demande au compagnon de lui donner sa version. Mahomet confirme « C’est bien ainsi qu’ils m’ont été révélés ». Même si cette histoire n’est pas vraie, elle montre que dans la période du proto-islam, le fond était plus important que la forme. Tout à fait le contraire d’aujourd’hui.
Qui a conçu le Coran et qui l’a mis par écrit ?
Question embarrassante et souvent éludée par les historiens qui se retranchent derrière la tradition. Le Coran a été révélé à Mahomet entre 610 et 632, date de sa mort. Les révélations ont été compilées par le troisième calife, Uthman, vers 650, qui fait détruire tous les textes pré-existants. Cette chronologie nous vient de Boukhari qui écrit vers 850, soit deux cents ans après les faits. Cette histoire a été érigée en dogme.
En ce basant sur l’étymologie syriaque du mot « coran » (« lectionnaire« ), certains milieux catholiques veulent voir dans ce livre un livre liturgique (chrétien) contenant les passages des textes religieux lus à l’occasion des cérémonies religieuses. Je ne les suivrai pas dans cette voie, le Coran est un texte original. « Coran » en arabe signifie « récitation« . Bien qu’il reprend les thèmes bibliques, à aucun endroit il n’y a un verset copié de la Bible ou d’un évangile. Les récits s’éloignent même souvent des textes bibliques (voir mon article sur Jésus dans le Coran). Plus qu’une copie, c’est une réinterprétation des textes anciens. Une remise en forme pour qu’ils soient compris par des auditeurs provenant d’horizons divers.
Il est probable que le Coran ait été initié par Mahomet, ce qui lui donna une aura de chef et de prophète. Mais le texte original a été altéré plusieurs fois suivant les circonstances. Jean-Jacques WALTER un ingénieur, chercheur en technologie, a publié sa thèse de doctorat en islamologie (hé oui) sous le titre « Le Coran révélé par la théorie des codes ». Il y analyse le texte à l’aide d’outils informatiques pour trouver les strates de rédaction. Il a détecté plus d’une trentaine de rédacteurs différents. Chacun ayant pris à son compte un thème différent. Il n’y a donc pas de versets écrits à La Mecque et d’autres à Médine, mais des rédacteurs différents suivant les circonstances historiques, comme je vais tenter de le montrer dans le chapitre suivant.
La mise par écrit de la première version du Coran a pu être faite sous le calife Uthman vers 650. Cet assertion traditionnelle ne gène pas : c’est l’édition d’un texte qui existe déjà. Le Coran n’aurait été produit qu’à quatre exemplaires lors de cette première compilation (tous perdus). Le papier n’existant pas encore, la création d’un coran nécessitait d’énorme quantité de peaux de mouton, environ une peau complète pour deux feuillets de 40 cm, ce qui était la norme à l’époque.
Ce qui étonne, c’est l’écriture des plus anciens textes qui nous sont parvenus.
Pages de deux Corans anciens (VII ou VIIIe siècle)
Je rappelle ce que proclamait l’introduction du « saint Coran » : « … chaque voyelle a sa raison d’être et le simple fait d’omettre une voyelle peut être lourd de conséquence. » Or dans ces textes, il n’y a aucun signe diacritique : les voyelles brèves sont absentes et une même lettre peut représenter plusieurs sons différents. Dans l’alphabet arabe, il n’y a que 18 lettres pour 28 sons. C’est d’autant plus bizarre que nous avons des bons de réquisitions datant de la conquête de l’Égypte, datés de 643, comportant des signes diacritiques différenciant les sons.
On pourrait croire que cette mise par écrit ne servait que de support à la récitation et qu’il n’était donc pas nécessaire d’être précis. Mais il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, il faut trois ans pour apprendre à réciter le Coran en s’y attelant tous les jours. Les nouveaux convertis avaient d’autres choses à faire, c’étaient des guerriers.
Le Coran est écrit en arabe clair ou plutôt, « rendu clair ». Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui où on a perdu le contexte culturel de l’époque. Il a été rédigé dans un environnement cosmopolite, l’écriture est sommaire et beaucoup de termes font polémique ; empruntés au syriaque (araméen), à l’hébreu, au grec, etc., ils sont devenus ambigus, leur sens a changé avec le temps en intégrant le vocabulaire arabe.
Les écrits musulmans sur la conquête ne manquent pas d’incohérences et d’incongruités : Tabari, qui écrit au Xe siècle, nous relate que lors d’une entrevue entre le général arabe (Sa’d bn Abi-Waqquas) et son homologue persan, le musulman lui a proposé de se rendre : « si vous acceptez, nous ne vous attaquerons plus, nous nous en retourneront en vous laissant le livre de Dieu« . Nous sommes en 637 bien avant la mise par écrit du « livre de Dieu ».
Un développement historique
Je vais tenter de donner une chronologie au développement d’un premier coran embryonnaire élaboré du vivant de Mahomet ou peu de temps après sa mort. Ceci reste une hypothèse, les chercheurs ne sont arrivés à aucun consensus.
Après 622. Le Coran naît dans un environnement multilingue et multiculturel. Chassés par les Byzantins qui reconquièrent les territoires que les Perses leur avaient pris depuis 612, les juifs fuient vers la péninsule arabique et se joignent aux disciples de Mahomet. Le Coran va s’affiner avec l’apport des rabbins juifs.
Avons-nous des preuves de cette mixité ? Elles sont au nombre de trois. Tout d’abord, la charte de Yathrib mentionne que les tribus arabes combattent sur le chemin de Dieu avec leurs clients juifs. Les juifs migrants ont été acceptés dans les tribus arabes comme clients, ce qui est conforme aux coutumes de l’époque. Sébéos, un chrétien, dans son Histoire d’Héraclius (l’empereur byzantin) parle de l’exil des juifs d’Edesse : « Ils prirent le chemin du désert et arrivèrent en Arabie chez les enfants d’Ismaël (les Arabes) ». Plus loin, il parle de la conquête arabe et dénombre « 12000 enfants d’Israël pour les guider (les Ismaëliens) dans le territoire d’Israël ». 12000, car chaque tribu d’Israël compte 1000 représentants ! Enfin, la tradition musulmane donne à Umar, le deuxième calife (634-644), un conseiller juif, rabbi Ka’ab qui le guide dans le choix de l’emplacement du lieu de prière à construire à Jérusalem.
Durant cette période, le Coran encense les juifs, « ceux qui savent, ceux qui donnent l’exemple« , et reprend les histoires des personnages bibliques.
Le début des Omeyyades(660). Lors de la conquête, des tribus arabes chrétiennes, les Ghassanides, se joignent aux disciples de Mahomet. Elles prennent même la direction des opérations et portent au califat la dynastie des Omeyyades. Il est probable que l’entente avec les juifs, trop intransigeants sur les questions religieuses et ennemis des chrétiens, dégénère. Ce qui se marque dans le Coran où les juifs deviennent des ennemis à éviter : ils ont contrefait la parole de Dieu. Jésus et les grands principes chrétiens font leur entrée dans le Coran. Mais les Ghassanides sont des hérétiques, ils rejettent le dogme de la Trinité imposé par les Byzantins. Dans le Coran, ces chrétiens orthodoxes seront traités d’associateurs, associant d’autres personnes au Dieu unique. La position des chrétiens dans le Coran est dès lors ambiguë, ils sont amis des musulmans et en même temps ennemis. Il faut bien comprendre qu’on parle de deux types de chrétiens.
On constate que plusieurs versets concernant Jésus ont été placés (ajoutés) à la fin des sourates. C’est le cas des sourates 4 et 5 (9 versets).
Abd al-Malik(685). Sous le calife Abd al-Malik l’arabe remplace le grec et le farsi dans l’administration. On peut donc considérer que la langue arabe est arrivée à maturité : la tenue des documents officiels en arabe ne permet plus la moindre interprétation. Le Coran va être réécrit pour y ajouter des signes diacritiques. Les quelques corans qui étaient en circulation sont détruits. C’est la phase de canonisation du Coran. Il devient le support d’une nouvelle religion.
Jésus est omniprésent dans les textes ornant les murs du Dôme du Rocher construit sous Abd al-Malik, mais il n’est pas le fils de Dieu.
Les Abbassides(750). En 750, la dynastie omeyyade est renversée et décimée par un coup d’Etat organisé par une armée composite venant des confins orientaux de la Perse. D’après la tradition, elle est commandée par un petit cousin de Mahomet, descendant de son oncle Abbas. Cette nouvelle dynastie prendra le nom d’abbasside. Damas est abandonnée au profit d’une nouvelle ville construite sur le Tigre, près de l’ancienne capitale de l’Empire perse, Ctésiphon. Cette nouvelle capitale du califat, c’est Bagdad. Si les Arabes sont toujours présents au gouvernement, la culture sera influencé par les Perses et petit à petit, la force armée passera aux mains des Turcs. Notons que l’animal chimérique qui transporte Mahomet vers Jérusalem, Buraq, est issu de la mythologie perse.
C’est peut-être à cette époque que le Coran devient la parole incréée de Dieu. Pour se faire, il faut lever les ambiguïtés de 332 versets qui visiblement ne sont pas prononcés par Allah comme : « Seigneur, je cherche ta protection contre les incitations du Diable » (Co. 23, 97). On a donc ajouté « Dis : » devant ces versets. Le verset cité devient : « Dis: Seigneur, je cherche… ».
Al-Mamun et les mutazilites(810). Au IXe siècle, le calife, al-Mamun (813-833), privilégie le mutazilisme, courant religieux qui considère le Coran comme une oeuvre humaine, inspirée par Dieu. Et la modification du Coran continue. Ainsi, les 3 versets finaux de la sourate 59 semblent avoir échappés à l’ajout du « Dis :« . On y lit (Co. 59, 23) : « C’est lui Allah, le créateur, celui qui donne le commencement à toute chose… ». On peut penser que ces versets ont été ajoutés après la purge précédente et qu’ils sont restés tels quels lors du retour à l’orthodoxie (en 848), car trop de corans étaient en circulation pour les détruire.
Incidemment, on remarque que la sourate 58 a 22 versets, la 59 : 24 (dont 3 ajoutés ?) et le 60 : 13. Les divergences dans l’ordre des sourates seraient-elles dues à des ajouts ?
On peut supposer que les partisans d’Ali, les chiites, ont développé leur propre version du Coran faisant la place belle à la famille du prophète. C’est ce que raconte la tradition. Mais au Xe siècle, alors qu’ils prennent le contrôle de l’Egypte, ils adoptent le Coran sunnite. Ils vont créer en Egypte un califat chiite qui va dominer la Palestine et les lieux saints. Ils seront les principaux adversaires des croisés.
L’honnêteté m’oblige à citer des versets qui ne corroborent pas mon hypothèse, les versets 36 à 59 de la sourate 3 qui narrent la naissance de Marie et de Jésus. Ces versets interpellent par leur emplacement. Dans le contexte de la sourate, ils présentent Marie comme la sœur de Moïse et d’Aaron. De plus, ils ne représentent pas des paroles de Allah et ne sont pas précédés de « Dis » contrairement aux versets qui précédent : 31 et 32.
« Son seigneur l’agréa du bon agrément… (37) « Alors Zacharie pria son seigneur… (38) « Et Allah lui enseigna l’écriture… (48)
En quoi est-ce un problème ? Ses versets sont déjà connus de Jean de Damas qui est mort en 749… avant l’arrivée des Abbassides. Dans mon hypothèse, ils auraient dû être corrigés.
Une curiosité.
Vingt-neuf sourates, dans les premières, commencent par des lettres isolées (par exemple : « A L D »). On a dit que c’était des hésitations de Mahomet et que par respect, ses secrétaires avaient tout retranscrit. Le « saint Coran » de Médine avoue son ignorance sur leur signification. François Déroche se demande si ce n’était pas des indications pour l’assemblage des sourates.
Conclusion
Le Coran n’a pas livré tous ses secrets, les chercheurs ont encore du pain sur la planche.