Une nouvelle mosquée à Istanbul

Erdogan a remis ça ! Après la basilique Sainte-Sophie, il a converti l’église Saint-Sauveur in-Chora (dans les champs) en mosquée. Cette église a été bâtie au Ve siècle. Elle est devenue une mosquée, en 1511, après la prise Constantinople par les Ottomans.

Comme pour Sainte-Sophie, Kémal Atatürk en avait fait un musée en 1945. Les nombreuses mosaïques avaient été rendues visibles dès 1958. Aujourd’hui, elles sont de nouveaux occultées, non par de la chaux, mais par des rideaux. Erdogan prépare-t-il la fin de son règne et le retour à la « normale » ?

Malgré l’immense portait de Mustapha Kémal Atatürk qui trône dans le bureau présidentiel, Erdogan détricote petit à petit tout l’héritage du père de la Turquie moderne.

Erdogan (en bas) Atatürk (en haut)

Alors, suspense ! Erdogan va-t-il réintroduire l’alphabet arabe, abandonné en 1928 par Mustapha Kémal et interdit en 1929, pour mieux s’imprégner de l’islam ? Mustapha Kémal l’avait remplacé par l’alphabet latin espérant que cela aiderait son pays à se développer économiquement. De plus, l’arabe est une langue consonantique, l’alphabet ne compte que 3 voyelles brèves (a, i, u) et 3 voyelles longues (â, î, û), alors que la langue turque utilise de nombreuses voyelles (A, E, I (sans point), I (avec un point), O, Ö, U, Ü ).
A l’époque, 80% de la population était illettrée. Le moment du changement était très bien choisi. Le retour en arrière serait problématique.

2020 : le conflit gréco-turc

Cet article a été inspiré de l’émission « Reportages » de la chaîne de télévision Arte du dimanche 18 octobre 2020.

Raisons du conflit

Le navire de recherche minérale truc, l’Oruç Reis croise dans les eaux territoriales grecques. Il étudie les fonds marins pour détecter les gisements de gaz et de pétrole.

L’Oruç Reis (nom turc du pirate Barberousse)
La situation géopolitique

La Turquie n’a presque pas d’eaux territoriales, sa zone économique exclusive est limitée, conséquence de la défaite de l’Empire turc ottoman lors de la guerre mondiale de 1914-1918. Une zone économique exclusive (ZEE) est, d’après le droit de la mer, un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources.

Zones économiques exclusives de la Grèce et de la Turquie.

L’exploitation du gaz et du pétrole serait bienvenue pour la Turquie qui vit une situation économique pour le moins difficile. Cela donnerait de la crédibilité au gouvernement.
Pour former le gouvernement majoritaire actuel (52,6%) Erdogan a dû s’allier au MHP (Parti d’Action nationale aussi connu sous le nom de Parti National des Travailleurs). C’est un parti d’extrême droite, nationaliste, islamique, anti-kurde et anti-européen.

Erdogan doit plaire à ses nouveaux partenaires politiques. Alors, il prend des mesures. Tout d’abord, il remet en cause le Traité de Versailles (1919) qui a mis fin à la première guerre mondiale et a sévèrement lésé les empires vaincus : l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois et l’Empire turc ottoman. (NB : les traités concernant l’Empire ottoman sont ceux de Sèvres (1920) et de Lausanne (1926))
Erdogan déplore le démembrement de l’Empire, qui avant la guerre comprenait tous les territoires arabes du Proche orient (les actuels Syrie, Irak, Jordanie, Israël/Palestine, Liban et les lieux saints de l’islam dans la Péninsule arabe). Il remet également en cause la limitation de sa zone économique exclusive en Méditerranée.

Erdogan prononce des discours musclés tels que : « Il y a cent ans, nous avons rejeté les Grecs à la mer, nous allons poursuivre le travail ». (voir mon article sur Mustapha Kémal). Il ajoute : « Nous sommes prêts à sacrifier des martyrs ». Il faut comprendre qu’en plus de l’extension des eaux territoriales, il vise toutes les îles grecques qui font face à la Turquie.

Dans les anciens territoires ottomans, il agit également : il a envahi le nord de la Syrie, attaquant les Kurdes, abandonnés par les État-Unis et les Européens alors qu’ils ont été les seuls à combattre DAESH sur le terrain. (voir mon article sur les Kurdes).

Pour s’affirmer comme puissance régionale, la Turquie s’implique aussi dans le Haut Karabagh. Cette région est une aberration géopolitique. Lors du démembrement de l’URSS, ce territoire n’a pas été attribué à une république issue de l’ancienne union, il a été laissé de côté. L’Arménie et l’Azerbaïdjan devaient se mettre d’accord sur sa destination. Aucun accord n’ayant été trouvé, la guerre a remplacé les négociations. La Turquie soutient naturellement l’Azerbaïdjan. (voir mon article sur les Arméniens).

Le mauvais signal de la France

Revenons au conflit entre la Turquie et la Grèce, tous deux membres de l’OTAN. On ne peut pas donner tort à Emmanuel Macron qui déclarait que l’organisation était en état de mort cérébrale. Comme dans tout conflit, chaque camp a ses alliés. La Turquie peut compter sur la Libye avec qui elle a des accords maritimes et la Russie, toute contente de voir l’OTAN se déchirer.

La Grèce a des accords maritimes avec l’Egypte, l’Italie et Chypre qui sont ses alliés. Comme la Russie soutient la Turquie, les État-Unis se sont rangés aux côtés la Grèce. Plus curieux, Israël et les Emirats arabes soutiennent la position grecque. En principe, les États de l’Union européenne sont favorables à la Grèce avec des nuances dans leur soutien. Son plus fervent défenseur est la France à qui la Grèce vient de commander 18 avions Rafale et 4 hélicoptères de combat pour la marine… avec torpilles et missiles. Quatre frégates devraient suivre. Rappelons que l’économie de la Grèce vit sous perfusion. La survie de la Grèce dépend de l’aide que l’Union européenne lui accorde. L’Europe donne, la France prend.

La réponse d’Erdogan ne s’est pas fait attendre : « Macron n’a pas fini d’avoir des ennuis avec moi » et aussi « Je n’ai pas de leçons à recevoir de la France. Qu’elle se penche sur son passé colonial en Algérie et son rôle dans le génocide ruwandais de 1994″. Ambiance ! Et ce n’est pas tout, après la cérémonie en l’honneur du professeur décapité par un islamiste près de Paris, Erdogan a attaqué le président français lors d’un discours télévisé : « Tout ce qu’on peut dire d’un chef d’État qui traite des millions de membres de communautés religieuses différentes de cette manière, c’est : allez d’abord faire des examens de santé mentale« .

Erdogan a une arme redoutée des Européens : il héberge plus de trois millions de réfugiés, la plupart Syriens, qui n’attendent qu’une occasion pour migrer vers l’Europe.

Conclusion

Actuellement, on ne voit plus de bateaux de tourisme dans les eaux de la Méditerranée orientale. Ils ont été remplacés par des navires de guerre. Comment cela va-t-il finir ? La guerre est-elle inévitable ?

La Turquie peut demander à la Cour Internationale de Justice de La Haye de trancher le différent. Plusieurs observateurs neutres donnent (partiellement) raison à la Turquie : sa zone économique exclusive est bien trop restreinte.

La Turquie et la Grèce peuvent également s’associer pour exploiter les gisements en commun, comme l’ont fait l’Iran et le Qatar, pourtant ennemis, pour l’exploitation des gisements de gaz dans le Golfe persique.

Mais Erdogan préfère menacer que négocier. Il veut se montrer fort et inflexible pour son électorat.

L’exploitation des gisements du plateau continental méditerranéen n’est pas sans danger. La mer Égée est une zone sismique. En 2017, un séisme de magnitude 6,6 a frappé les îles grecques du sud-est et la côte turque dans la région de Bodrum. Faut-il s’attendre à une guerre ou à une catastrophe écologique ?

Epilogue

Ce que je redoutais dans le dernier chapitre est arrivé : le 30 octobre au début de l’après-midi, trois jours après la fin de la mission du navire Oruç Reis, un séisme de 7 sur l’échelle de Richter s’est déclaré dans la mer Égée, entre l’île grecque de Samos et la côte turc, dans la région d’Izmir, la troisième ville de Turquie. L’onde de choc a été ressentie jusqu’à Istanbul et Athènes.
Pour l’heure, on dénombre 100 morts et près de 1000 blessés.
Face à cette catastrophe, la Turquie et la Grèce ont mis les tensions diplomatiques de côté, elles se disent prêtes à s’entraider.

Sainte-Sophie

Il l’avait promis lors de la campagne électorale pour les municipales de 2019, il l’a fait !
Malgré la perte des plus grandes villes de Turquie (Istanbul, Ankara, Antalya, etc.) par son parti, le président Recep Tayyip Erdogan a signé, le 10 juillet 2020, un décret transformant la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul en mosquée. Le 24 juillet, la première prière a eu lieu en présence du président.
En 1934, le premier président de la république de Turquie, Mustapha Kémal Ataturk, avait « offert le bâtiment à l’Humanité » en le transformant en musée. C’est la seconde attraction touristique de Turquie en nombre de visiteurs après le palais de Topkapi.
La basilique chrétienne était devenue une mosquée en 1453, après la prise de Constantinople par les troupes du sultan ottoman Mehmet II.

[NB : J’ai consacré un article à Mustapha Kémal Ataturk et à Recep Tayyip Erdogan]

Sainte-Sophie : un nom

Qui est cette Sainte-Sophie ? En fait, ce n’est pas une sainte, même pas une personne. Le nom grec de la basilique a été mal traduit : Hagia Sophia signifie la Sagesse divine, la Sagesse de Dieu. La tradition chrétienne, veut que la Sagesse divine désigne Jésus. C’est très peu probable. La basilique a été commandée par l’empereur Constantin en 325, elle a été inaugurée par son fils Constance II qui était arien, il ne croyait pas à la Trinité, pour lui, Jésus n’était pas Dieu, donc pas la Sagesse divine. On peut pousser le questionnement plus loin. Est-ce que le bâtiment était une réplique du Panthéon de Rome, un temple dédié, comme son nom l’indique, à tous les dieux ? Constantin voulait-il élever un temple au « divin qui est au céleste séjour pour qu’il soit bienveillant pour lui » comme le mentionne l’édit de Milan (voir le texte dans l’article sur les ariens) ? A-t-il fait construire un temple dédié à Dieu, quel qu’il soit ?

Une histoire mouvementée
Constantinople (carte issue de l’atlas historique mondial de Christian Grataloup *****)

De la première basilique il ne reste rien. Elle a été incendiée en 404 puis en 532 lors d’émeutes. Elle est rebâtie par l’empereur Justinien en 532 sur le modèle du Panthéon de Rome. La décoration intérieure, faite de mosaïques, est achevée sous le règne de Justin II (565-578).

Après les incendies, ce sont les séismes qui s’acharnent sur le bâtiment. Pas moins de 16 tremblements de terre vont mettre à mal l’édifice de 553 à 1999. Quand ce ne sont pas les éléments qui se déchaînent, ce sont les hommes : l’empereur Léon l’Isaurien, en 726, bannit les images des lieux de culte, c’est la période dite iconoclaste (du grec « briseur d’icônes ». Les statues et les mosaïques sont détruites. En 1204, Constantinople est prise… par les croisés qui devaient aller défendre le royaume latin de Palestine. Ils pillent les bâtiments et ne respectent pas les églises ! Le sac de la ville a servi à payer les Vénitiens qui devaient transporter les troupes sur leurs navires. Les fameux chevaux de Saint-Marc, le quadrige que l’on peut admirer à Venise, ne sont qu’une partie du butin, ils ornaient l’hippodrome de Constantinople.

Les chevaux de la basilique Saint-Marc à Venise

Les dégâts occasionnés par les hommes et surtout les catastrophes naturelles ont façonnés l’aspect extérieur de la basilique Sainte-Sophie. Toutes les constructions qui l’entourent, qui lui font un corset, sont des contreforts destinés à renforcer sa fragile structure.

L’époque ottomane

En mai 1453, le sultan ottoman Mehmet II assiège Constantinople. A cette époque, l’Empire byzantin est réduit à une portion congrue : la région de Constantinople et le Péloponnèse, le sud de la Grèce. Malgré cela, l’empire reste vivace, son commerce est florissant. Il rivalise avec les cités italiennes : Venise et Gênes.
Les défenseurs de Byzance sont confiants. Ils sont secondés par des Génois, qui occupent la colline de Galata (voir la carte). La ville a résisté à tous les sièges depuis 11 siècles grâce à trois lignes de défense et des citernes d’eau d’une capacité totale de plus d’un million de m³, dont la célèbre citerne souterraine « Basilique », qui se visite. Elle est un des lieux emblématiques du roman de Dan Brown, « l’Enfer », avec les ville de Florence.

La citerne Basilique

Mais les Ottomans ont les moyens de leurs ambitions : ils ont disposé des bombardes devant le mur de Théodose. Elles vont s’acharner sur les murailles de la ville pendant trois semaines. Quand enfin des brèches apparaissent, les 100.000 hommes de Méhmet II entrent dans la ville. Les 7.000 défenseurs sont massacrés en vertu des lois de la guerre : si la ville ne se rend pas, c’est le sort des habitants, la mort ou l’esclavage.

Sainte-Sophie est épargnée du pillage : Mehmet II s’y rend pour prier. Il fera ajouter deux minarets à l’édifice bien délabré et procédera à des réparations. Les mosaïques placées au cours des siècles précédents sont recouvertes d’un lait de chaux : la religion islamique interdit les représentations humaines… Quoique ! Les portraits des princes saoudiens s’étalent sur les murs des gratte-ciels de la Péninsule et les miniatures ottomanes et perses représentent Mahomet.

Le sultan Sélim II (1566-1577), fils de Soliman le magnifique, fit ajouter deux minarets au bâtiment et des contreforts pour le consolider. Il lui donne son aspect actuel.

Dernières restaurations

Le sultan Abdulmecid entreprit une restauration très important à partir de 1847. Elle fut confiée à deux architectes suisses, les frères Fossati. Les mosaïques furent nettoyées, les lustres remplacés et huit panneaux circulaires de 7,5 mètres de diamètre accrochés au piliers. Ces panneaux portent, en arabe, les noms d’Allah, de Mahomet, des quatre premiers califes : Abu Bakr, Umar, Uthman et Ali, ainsi que Hussayn et Hassan, les fils d’Ali et de Fatima.

Panneau reprenant le nom de Mahomet.

Après la guerre 14-18, dans ce qui reste de l’Empire ottoman, Mustapha Kémal chasse les armées d’occupation grecques, italiennes, françaises et britanniques et instaure une république turque et laïque. En 1932, la récitation du Coran en turc est diffusée à la radio à partir de Sainte-Sophie dont il a fait enlever les panneaux écrits en arabe. En 1934, il désacralise Sainte-Sophie (en turc : Ayasofya) et en fait un musée.

Les panneaux ne seront remis qu’en 1951.
En 1993, l’UNESCO entreprend de grands travaux de restauration qui durent jusqu’à aujourd’hui.
Que vont devenir les mosaïques qui ont été restaurées, maintenant que l’édifice est rendu au culte islamique ?

Les représentations chrétiennes ont été recouvertes de voiles (au-dessus de la tête d’Erdogan)

Dans quel état va se trouver Sainte-Sophie après le séisme d’une magnitude d’au moins 5 sur l’échelle de Richter qui est attendu dans les années à venir à Istanbul ?

Première prière musulmane à Sainte-Sophie en 2020 en présence du président Erdogan. L’édifice est trop petit pour accueillir tous les fidèles.

Les Kurdes

Origine et Moyen Age

Les Kurdes sont originaires du sud de la mer Caspienne, des montagnes du nord de l’Iran. Leurs langues sont apparentées au persan. J’ai utilisé le pluriel car les Kurdes ne forment pas une communauté homogène : ils parlent des dialectes différents et s’ils sont à majorité sunnite, on trouve des Kurdes alévis, yésidis, chiites, juifs et chrétiens.
Ils nous sont connus depuis d’Antiquité. Certains historiens les considèrent comme descendants des Mèdes. Un royaume kurde est devenu province romaine en 66 avant notre ère, conquis par Pompée. A titre de comparaison, les Turcs originaires des steppes de l’Asie centrale et de la Sibérie font leur entrée dans l’Histoire du Proche Orient vers 750 lorsqu’ils accompagnent les troupes du futur calife abbasside venant des confins orientaux de la Perse.

Les Kurdes se feront remarquer lors des croisades où l’un de leurs émirs, Salah al-Din (qui signifie « la perfection de la religion », connu sous le nom de Saladin) défait les chrétiens aux Cornes de Hattin (en Galilée) en juillet 1187 puis reprend Jérusalem en octobre de la même année. En 1190, il prend le contrôle de l’Egypte fatimide.

Salah al-Din est né en 1138 à Tikrit, comme Saddam Hussein. Il est mort à Damas en 1193. A cette époque, le Proche Orient est une mosaïque d’émirats. Le calife de Bagdad ne contrôle plus rien, il est une autorité spirituelle, rien de plus. Des Turcs seldjoukides occupent une partie de l’Anatolie et le sud du Caucase. Une autre tribu seldjoukide s’est installée autour de Bagdad. Une dynastie turque différente, les Zengides, dirigée par Nur al-Din (qui signifie « la lumière de la religion », connu sous le nom de Nourédine) occupe la Syrie et effectue des raids dans le califat fatimide d’Egypte. Il a sous ses ordres Salah al-Din qui deviendra vizir du calife égyptien tout en servant Nur al-Din. (Ô le faux-cul.) A la mort de ce dernier, il continuera son oeuvre et mettra fin au califat du Caire. (Ô le traître.) Il va placer la Syrie (d’alors) et l’Egypte sous le contrôle d’une éphémère dynastie kurde, les Ayyoubides (du nom de son père).
Nur al-Din et Salah al-Din, comme leur nom l’indique, ont beaucoup œuvrer pour la religion musulmane en ouvrant, entre autres, des écoles coraniques dans les villes qu’ils avaient conquises. Mais ils n’ont jamais fait le pèlerinage à La Mecque.

Le Proche Orient au temps de Saladin. Cette carte est issue de l’Atlas historique mondial de Christian Grataloup (Les Arènes) que je recommande vivement.
Situation des Kurdes dans l’Empire ottoman

Après l’occupation mongole (vers 1230-1340) et les raids de Tamerlan (vers 1380-1405), le Proche Orient est dominé par un empire turc sunnite (l’Empire ottoman) et un empire perse chiite. Dans l’Empire ottoman, une douzaine d’émirats kurdes vivent de façon autonome : l’émir possède la terre en échange d’un impôt et de la mise à disposition d’une armée.

En 1846, le sultan ottoman met fin aux émirats et crée une province appelée Kurdistan, qui se transformera en district de Diyarbakir (une ville de l’est de la Turquie actuelle). Les émirs reçoivent en compensation des postes honorifiques. Bien entendu, cette « annexion » n’est pas acceptée de bon cœur, et des insurrections éclatent.

Lors de la guerre de 1914-1918, les Kurdes restent fidèles au sultan et rejoignent l’armée ottomane. Ils participeront au génocide des Arméniens chrétiens, leurs voisins.

Situation actuelle

Aujourd’hui, on dénombre 40 millions de Kurdes. C’est l’ethnie la plus importante sans Etat. A titre de comparaison, il n’y a que 15 millions de Juifs de par le monde, dont 6 millions en Israël. Les Kurdes vivent dans le sud-est de la Turquie (12 à 15 millions sur 82 millions), le nord de la Syrie (environ 3 millions sur 17 millions), le nord de l’Irak, où ils forment une entité politique autonome (5 à 7 millions sur 40 millions), et en Iran (6 à 9 millions sur 82 millions). Lors de la guerre contre DAESH, ils ont fourni les seules troupes à combattre sur le terrain, avec les Syriens.

On distingue plusieurs groupes de peshmergas, mot kurde désignant les combattants :

  • Les forces de défense du peuple du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) implantées en Turquie où ils sont considérés comme terroristes. L’Union européenne et les Etats-Unis leur donnent également cette étiquette.
  • Les unités de protection du peuple (YPG) opèrent en Syrie contre DAESH.
  • Les unités de protection des femmes (YPJ) combattent avec les YPG. Les femmes tiennent un rôle important chez les Kurdes. Elles sont égales aux hommes, elles ne sont pas soumises à un tuteur. Contrairement aux autres musulmans, hommes et femmes dansent ensemble lors des fêtes.
En pointillé, les populations kurdes. Cette carte est issue de l’Atlas historique mondial de Christian Grataloup (Les Arènes).
Situation des Kurdes en Iran, en Syrie et en Iraq

En Iran, les Kurdes sont tolérés, mais n’ont aucun droit spécifique, ils doivent se comporter comme des Iraniens. Toute contestation est sévèrement réprimée.

La situation n’est guère différente dans la Syrie de Bachar al-Assad. Les Kurdes doivent parler arabe et donner des noms arabes à leurs enfants. Bien que combattant DAESH, ils s’opposent également aux troupes gouvernementales.

En Iraq, après la guerre du Golfe, ils ont obtenu un territoire autonome dans le nord autour d’Erbil. Ils avaient soutenu l’intervention militaire américaine. En 1988, le gouvernement de Saddam Hussein avait mené des attaques à l’arme chimique contre des villages kurdes. Les Kurdes irakiens ont également combattu DAESH.

Situation des Kurdes en Turquie

En 1920, le traité de Sèvres prévoyait le démembrement de l’Empire ottoman qui aurait donné naissance à un Etat kurde indépendant (en bleu ciel sur la carte) et un Etat arménien (en rouge). Le refus de reconnaître ce traité par certains officiers ottomans dont Mustapha Kémal et l’offensive contre l’occupation de l’Anatolie qui s’en suivit, a forcé les vainqueurs de la première guerre mondiale à revoir leurs exigences. Un nouveau traité, celui de Lausanne de 1922, a abouti à la création de la Turquie moderne, abandonnant l’idée d’une Arménie et d’un Kurdistan indépendants.

Ce revirement est la source des dissensions entre les Turcs et les Kurdes qui n’ont pas accepté d’être spolié par un morceau de papier. Il faut rappeler que le président américain Wilson avait posé comme préalable aux traités mettant fin à la guerre qu’ils devaient tenir compte de l’intérêt des peuples.

Sous le gouvernement de Mustapha Kémal, plusieurs révoltes kurdes ont été réprimées : dont celles de 1920-1922 et de 1937-1938.

En 1980, profitant du climat d’insurrection en Turquie, le PKK, le Parti des ouvriers kurdes, prend les armes. Depuis, la région du Kurdistan est placée en état d’urgence, elle devient un territoire occupé par l’armée turque et des groupes paramilitaires qui font régner la terreur. Un cessez-le-feu a été décrété en 1999. La guerre aura fait 40.000 morts.

En 2005, Erdogan, alors premier ministre, promet de résoudre le problème kurde dans le respect de la constitution. Il autorise la création d’une chaîne de télévision kurde (TRT 6) ainsi que l’ouverture d’écoles privées enseignant en kurde. Il prononce même quelques mots en kurde lors de l’inauguration de la chaîne TRT 6. Mais cette libéralisation sera de courte durée, en 2016, suite au coup d’Etat avorté, les écoles kurdes sont fermées. Les Kurdes sont priés de s’exprimer en turc lors des contacts avec l’Administration ou dans les hôpitaux.

En 2019, l’AKP, le parti d’Erdogan est désavoué lors des élections municipales. Le parti du président perd les grandes villes et des membres importants du parti font défection. Erdogan doit réagir : il va créer une vague nationaliste favorable en s’attaquant aux Kurdes de Syrie qu’il considère comme des terroristes menaçant la Turquie. Un scénario bien huilé est mis au point avec les Etats-Unis. C’est l’opération « Source de paix » !

Le 6 octobre 2019, les Etats-Unis retirent leurs troupes du nord de la Syrie pour laisser la voie libre à l’armée turque et à ses supplétifs islamistes.
Le 9 octobre, les forces turques bombardent les positions kurdes et entrent en Syrie. Il faut savoir que le nord de la Syrie n’est pas désert, il abrite une population nombreuse. Pour faire face à l’invasion de ce qui est encore son pays, Bachar al-Assad, le président syrien, envoie deux divisions. On pense que le conflit va s’internationaliser.
Le 13 octobre, suivant le scénario écrit par avance, les Etats-Unis « obtiennent » une trêve pour permettre aux combattants kurdes d’évacuer les zones de combats.
La trêve va prendre fin lorsque la Russie entre en jeu. Elle propose de sécuriser le nord de la Syrie et se porte garante de l’évacuation des combattants kurdes pour laisser un no-man’s land de 30 km de profondeur en territoire syrien.
Le 22 octobre, on apprend que les soldats russes et turcs vont patrouiller ensemble pour sécuriser la frontière.

Qui sort vainqueur de cette invasion ? Certainement Poutine et son allié Bachar al-Assad, mais aussi Erdogan qui a reconquis son électorat en se montrant ferme avec les « terroristes ».

Et l’Union européenne ? Elle s’est agitée ou plutôt, elle a gesticulé. Erdogan l’avait menacée : si elle osait utiliser le mot « invasion », il lâchait les 3,6 millions de réfugiés qui stationnent en Turquie. Timidement, l’UE a proposé que le no-man’s land établi passe sous contrôle de l’ONU. Les deux organisations (l’UE et l’ONU) dont l’inefficacité est proportionnelle à leur coût de fonctionnement espéraient revenir au premier plan… C’est raté.

Recep Tayyip Erdogan

Enfance

Recep Tayyip Erdogan naît le 26 février 1954 à Beyoglu, un des districts européens d’Istanbul, dans une famille modeste : son père est capitaine sur un navire du Bosphore. Un quartier de Beyoglu est bien connu pour son équipe de football et son université : Galata. Pour rappel, la Turquie est un pays d’Asie avec un tout petit bout de territoire en Europe séparé de l’Asie par le Bosphore.
Il suit les cours d’une école religieuse qui forme des imams.
De 1969 à 1982, il joue au football et deviendra même semi-professionnel.

Entrée en politique

Il travaille dans une entreprise de transport lorsqu’il épouse Emine Gülbaran (née en 1955) en 1978. Elle militait au sein de l’Association des femmes idéalistes, une organisation islamique ultranationaliste proche des « Loups gris ». Ils ont 4 enfants.

Sa femme et ses enfants

En 1983, après que les militaires aient rendu le pouvoir aux civils, il adhère au Parti du salut national, le parti islamique d’Erbakan qui deviendra premier ministre mais sera démis de ses fonctions par un nouveau putsch militaire en 1997.
Pour comprendre l’intervention de l’armée, il faut se remémorer la création de la Turquie moderne. Le pays a été fondé par un militaire, Mustapha Kemal, qui a refusé les conditions du traité de Sèvres de 1920 et continué la guerre, chassant les Grecs, les Italiens, les Britanniques et les Français qui s’étaient installés dans l’Empire ottoman démembré. Il avait créé une république laïque que l’armée devait protéger. L’armée est la gloire nationale, l’âme turque. Elle reversera quatre fois le gouvernement élu : en 1960, 1971, 1980 et une dernière fois en 1999.

Maire d’Istanbul

A 40 ans (1994) il devient maire d’Istanbul avec comme objectif la lutte contre la corruption. Il n’y restera pas longtemps. En 1998, il est condamné à 10 mois de prison pour incitation à la haine. Il avait minimisé le rôle de l’armée en récitant un poème nationaliste qui dit « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats ».

En 2001, il s’éloigne d’Erbakan et fonde l’AKP, le Parti de la justice et du développement.

Premier ministre

Il devient premier ministre en 2003. Il prône l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne. Pour cela, la Turquie doit réunir plusieurs conditions dont :

  • œuvrer à la réunification de Chypre (en 1974, l’armée turque a créé la République turque de Chypre du nord, un Etat indépendant non reconnu par l’ONU)
  • et éloigner l’armée du pouvoir.

En 2008, à Cologne lors d’un meeting électoral, il déclare que l’assimilation et l’intégration des Turcs est un crime contre l’Humanité. La même année, il autorise le port du voile à l’université, où sa fille vient d’entrer, déclarant que son interdiction empêche les femmes de se cultiver.
Il faut savoir qu’en 1999, une élue avait fait son entrée au Parlement la tête couverte d’un foulard. Elle avait été huée et expulsée avant d’avoir pu prêter serment. Les choses changent. Mais il faudra attendre 2013 pour que les premières députées voilées reviennent au Parlement. En France et en Belgique, les députées peuvent siéger voilées. Les fonctionnaires ne peuvent pas arborer de signes religieux, mais les politiciens le peuvent puisqu’ils ne sont pas neutres. Dans les années 60, la France, laïque, a connu des députés en soutane !

En 2009, il s’attaque aux militaires. Ici, je dois introduire un nouveau personnage : Fethullah Gülen (né en 1941).

C’est un ami d’Erdogan. Il est philosophe et prédicateur musulman. Pour lui, l’islam doit être au service du bien commun. Il croit en la science, à la démocratie et au dialogue interconfessionnel. Il a rencontré le pape Jean-Paul II, le patriarche orthodoxe grec et le grand rabbin israélien. Objet d’une enquête par les militaires lors du putsch de 1999, il s’est exilé aux Etats-Unis.
Pourquoi est-il important ? Son mouvement, Hizmet (le service), gère des centaines d’écoles mixtes en Turquie. Je parle ici de mixité au sens islamique : dès la puberté les femmes sont séparées des hommes en dehors des cours. Ces écoles ont une très bonne réputation et elles fournissent les cadres de la société. De fait, ses diplômés contrôlent l’administration et la justice.

Gülen doit le succès de son mouvement au financement des Etats-Unis. Pour comprendre, il faut remonter aux années 70. Le communisme prend de l’ampleur en Turquie. Tous les jours des heurts violents opposent la droite et la gauche. On déplore des morts chaque jour à Istanbul. En 1980, l’armée met fin à l’anarchie en prenant le pouvoir. Les communistes sont arrêtés, la censure instaurée. Pour contrer le communisme, l’armée remet la religion au premier plan : les cours de religion sont rétablis dans les écoles et le prosélytisme est favorisé. Avec l’accord de l’armée, les Etats-Unis mettent la main au portefeuille en finançant les confréries musulmanes ce dont va profiter Gülen.

Erdogan et Gülen au temps de leur amitié

L’armée est accusée de préparer des attentats pour déstabiliser le pays. Les chefs d’état major sont arrêtés lors d’une vaste opération policière… menée par des juges de la mouvance Gülen. L’accusation n’est pas sans fondement, des perquisitions ont permis de mettre au jour des documents compromettants que les militaires justifient par des procédures d’entraînement. Libéré de la menace des militaires, Erdogan peut rêver à un avenir radieux.
Mais en 2013, son fils, plusieurs de ses amis ainsi que 4 ministres (sur 25) sont arrêtés, sur ordre des mêmes juges, pour faits de corruption. Erdogan crie au complot. Le procureur est dessaisi du dossier. Gülen toujours en exil, devient un terroriste, il perd la nationalité turque et un mandat d’arrêt international est lancé contre lui avec demande d’extradition. Les Etats-Unis n’ont pas donné suite.
Erdogan avait lancé de grands projets de travaux publics dans le pays et surtout à Istanbul : modernisation de la ville, tunnel sous le Bosphore, aéroport ultra-moderne, extension du métro, troisième pont sur le Bosphore, etc. C’est à l’occasion de ces travaux que des milliards de dollars ont/auraient été détournés.

En 2014, les Panama Papers dévoilent que des proches d’Erdogan et des dirigeants de l’AKP administrent des sociétés offshore. Complot ! 150 journaux, sites d’information et chaînes de télévision sont fermés.

Président

En Turquie, pour être élu président, il faut avoir fait des études universitaires. Des doutes subsistent sur les études d’Erdogan. Mais il arbore un diplôme de la faculté des sciences économiques et commerciales de l’université de Marmara… dirigée par un ami politique. Or, cette faculté n’existait pas lorsqu’il a obtenu son diplôme et il semble qu’on ne l’y ait jamais vu : il ne figure pas sur les photos de classe. L’avoir dénoncé a peut-être coûté la vie à Ömer Basoglü. Il a été retrouvé mort, mais l’enquête n’a pas confirmé l’assassinat.
Cette polémique ne l’empêche pas de remporter les élections de 2014 à une écrasante majorité et à devenir le premier président élu au suffrage universel. Il promet d’islamiser la Turquie et d’effacer l’héritage laïc de Mustapha Kemal. Pourtant il reste dans la voie tracée par Kemal.

Erdogan dans son nouveau palais sous la photo de Mustapha Kemal

En faisant référence au Coran, Erdogan déclare que les femmes sont inférieures aux hommes, leur tâche principale étant de faire des enfants (2014). Sa femme est un modèle : toujours voilée, elle suit docilement son mari et ne prend jamais la parole.
Dans le discours de fin d’année 2015, il compare son régime à celui de « Monsieur Hitler ».

Les programmes scolaires sont revus : le djihad est enseigné comme principe de l’islam, le darwinisme est supprimé. Des milliers de livres luxueux sont envoyés dans les établissements scolaires secondaires des pays européens pour dénigrer le darwinisme.

Nouveau « sultan »

Il déjoue une tentative de coup d’Etat militaire en 2016 en appelant la population à descendre dans la rue… comme Eltsine l’avait fait à Moscou. 250 personnes perdent la vie, 103.000 personnes sont arrêtées (chiffre officiel) dont 18.000 condamnées. 50.000 voient leur passeport confisqué. Rien ne peut plus lui résister : il dira que ce coup d’Etat est un don de Dieu. Beaucoup d’universitaires fuient vers l’Allemagne qui compte 3 millions de Turcs. La plupart acquis à Erdogan.

Le régime présidentiel qu’il soumet à référendum en 2017 est adopté à une courte majorité : 51% des voix grâce à l’appui des nationalistes (MHP : Parti d’action nationale). La presse d’opposition résume ainsi le nouveau régime : l’exécutif, c’est Erdogan, le législatif, c’est l’AKP et le judiciaire est nommé par le président. Il a rétabli de système de Kemal qui proclamait que la séparation des pouvoirs était une aberration qui empêchait le développement du pays.

La presse s’insurge ? On la muselle : des journalistes sont emprisonnés pour outrage, terrorisme ou espionnage. Celui qui a été accusé d’espionnage avait révélé que la Turquie livrait des armes à DAESH en échange de pétrole, photos à l’appui. 3000 journalistes ont perdu leur travail. Les médias sont maintenant contrôlés directement ou indirectement par l’Etat.
La Turquie occupe la 157ème position sur 180 selon l’indice de la liberté de presse.

Erdogan ne s’est pas oublié, il a fait construire un palais de 1000 pièces à Ankara. En comparaison, Versailles en compte 2300 et la Cité interdite de Pékin, 8700 !
Comme les sultans ottomans, il s’est entouré de janissaires.

Le palais d’Ankara et la garde présidentielle
Politique extérieure

La politique extérieure de la Turquie est très complexe. La Turquie fait partie de l’OTAN. Elle constitue la deuxième armée en nombre. Elle occupe une situation stratégique dans l’OTAN comme frontalière avec Russie, bien que depuis la crise de Cuba, les Etats-Unis aient dû démanteler les missiles pointés vers Moscou. Elle contrôle les détroits permettant l’accès de la Mer Noire vers la Méditerranée, points de passage obligés des navires russes. Mais cette situation ne l’empêche pas d’entretenir de très bonnes relations avec la Russie de Poutine. La Turquie a même acheté des missiles S400 à la Russie… missiles conçus pour abattre les avions de l’OTAN ! Elle sera punie, elle sera privée des F35 qu’elle avait commandés.

La Turquie se sent l’héritière de l’empire ottoman : la Syrie, l’Irak lui ont été arrachés au traité de Sèvres en 1920. Lors de la guerre d’Irak, Erdogan a refusé la présence de 62.000 soldats américains sur son territoire… même pour un chèque de 15 milliards de dollars.

La Turquie est proche de l’Iran chiite, son voisin, mais aussi des pays musulmans sunnites. Elle soutient l’intervention des Saoudiens au Yémen, mais elle accuse les mêmes Saoudiens de l’assassinat de Jamal Khashoggi dans leur ambassade à Istanbul. Elle veut se présenter comme l’autre représentant des musulmans dans le monde. En 2017 à Istanbul, lors du sommet des pays musulmans (Organisation de la coopération islamique : OCI), Erdogan a accusé l’Occident (ses alliés) de piller les richesses des pays musulmans.

Erdogan est également l’allié des Israéliens, mais ne manque pas de les critiquer lors des attaques sur la bande de Gaza. Il a déclaré : « Les Israéliens traitent les Palestiniens comme ils ont été traité eux-mêmes il y a 50 ans. » Il a envoyé une flottille pour briser le blocus de Gaza en 2010. Cette opération s’est soldée par un échec et la mort de 9 Turcs. Israël, accusé de terrorisme d’Etat, a présenté ses excuses.

La Turquie et l’Europe

La Turquie menace régulièrement l’Europe de laisser partir les 3,6 millions de réfugiés qui ont fui la guerre en Syrie et en Irak.
Si les négociations avec l’Union européenne se sont pas rompues, la Turquie sait depuis 2009 qu’elle ne peut espérer qu’un partenariat privilégié et non une adhésion complète.

Deux anecdotes pour suivre.
Pour le référendum de 2017, des meetings étaient prévus dans plusieurs pays européens. Les Pays-Bas ont interdit ces meetings sur leur territoire. La ministre turque de la famille, en tournée en Allemagne, a voulu bravé cet interdit et faire un discours à partir du balcon de l’ambassade (extraterritoriale). Elle a été arrêtée devant la grille et expulsée. Erdogan a traité les Pays-Bas d’Etat nazi et fasciste et a demandé des excuses… ce que le premier ministre Mark Rutten a refusé, qualifiant les propos d’Erdogan de nauséabonds et d’hystériques. L’Allemagne et plusieurs pays d’Europe ont pris parti pour les Pays-Bas.

Erdogan a reçu de nombreuses distinctions de par le monde, mais une seule lui a été accordée par un pays européen. La Belgique l’a gratifié de la plus haute distinction en 2015 : le grand cordon de l’ordre de Léopold, qui correspond à la légion d’honneur française. La grande différence entre les deux décorations réside dans le nombre de décorés : des centaines par an en France, 156 en tout en Belgique, surtout des hommes d’Etat belges et étrangers. Devant les critiques, le ministre des relations extérieures a expliqué : « C’est simplement une coutume lors d’une visite d’Etat: des décorations sont échangées entre chefs d’État. Il ne faut y voir qu’une tradition protocolaire. » Donc, pas besoin de la mériter.

Erdogan, le roi et le premier ministre belges lors de la cérémonie de remise de la décoration.
Et aujourd’hui (2019) ?

Erdogan est à l’apogée de son règne en 2016. L’AKP a apporté la stabilité au pays et favorisé son développement économique. Erdogan a gagné son pari : il a redonné son lustre à la Turquie, elle a sa place sur l’échiquier politique mondial. Il reste néanmoins très nostalgique de l’Empire ottoman. Lors de ses voyages au Kosovo et en Bosnie, il ne manque pas de rappeler les liens qui unissent ces pays et la Turquie (la religion et un passé commun). Il a déclaré que la Turquie ne devait pas avoir honte de son passé… lors de l’évocation de « la guerre civile » contre les Arméniens dont il refuse toujours de reconnaître le génocide.

La situation économique est florissante : le taux de croissance flirte avec les 10%. Les investissements étrangers affluent. Les grandes marques automobiles (Ford, Toyota, Renault, Volkswagen, Hyundai, Fiat, Mercedes) produisent un million de voitures par an dont plus de 80% sont exportées.

Mais dès 2018, tout s’arrête.
L’inflation atteint 25% en octobre, le salaire minimum est augmenté de 26%. Les constructeurs automobiles se désengagent suite à l’augmentation des salaires et à l’inflation. Le chômage remonte à 13%.

2019 est l’année noire. C’est une année d’élections municipales. Les partis d’opposition se regroupent, ils présentent une liste unique. L’AKP perd les villes d’Istanbul, d’Izmir et d’Ankara remportées par le CHP : le Parti républicain du peuple. Erdogan dénonce « les irrégularités, les abus et la corruption ». Gonflé le gars ! On recompte les voix à Istanbul, le vote est annulé… nouvelle élection. Le candidat social démocrate l’emporte à nouveau, non plus avec 8000 voix d’avance, mais avec 180.000 !
L’AKP doit faire face à de nombreuses défections dont un ex-président de ce parti et un ex-ministre.

Trois maires kurdes sont accusés de détourner l’argent de la ville au profit du terrorisme. Ils sont destitués et leurs villes placées sous le contrôle de gouverneurs désignés par l’Etat.

Erdogan doit réagir. Il doit regagner la confiance.
Le 9 octobre 2019, il envahit le nord de la Syrie pour y chasser les Kurdes. Les nationalistes se rallient à lui, sa popularité remonte. La question kurde a toujours été son joker.

A suivre