La chasse aux sorcières

Cet article fait suite à l’article intitulé « L’Inquisition« .

Au XVI° siècle, l’Eglise est en train de perdre son combat contre la Réforme sauf en Espagne et dans des principautés de la péninsule italienne. Rome se doit de réagir, de montrer sa toute puissance et elle en a les moyens : l’Inquisition est un véritable outil de terreur. Elle va s’attaquer maintenant à une autre hérésie, celle des adeptes du Diable, la sorcellerie. La chasse aux sorcières va s’étendre à tous les pays, catholiques comme protestants.

L’Eglise contre le Diable

Dès 1468, le pape Innocent VIII a confié à l’Inquisition la lutte contre la sorcellerie. En ce temps-là, le Diable est omniprésent pour les chrétiens, il vit à leurs côtés. Le Diable, c’est le subterfuge qu’a trouvé l’Eglise pour justifier la présence du mal dans la création d’un dieu bon et miséricordieux. Tout le mal est l’oeuvre du Diable : les mauvaises récoltes, les épidémies (la peste), l’impuissance masculine, la stérilité, les revers de fortune, etc. Mais le Diable est un hypocrite, il n’agit pas à visage découvert : il se sert des hommes qui ont la faiblesse de lui faire confiance, de passer un pacte avec lui en échange d’un pouvoir maléfique qui leur permettra de dominer les autres quitte à perdre leur âme.

En 1486, deux moines dominicains, Heinrich « Institoris » Krämer et Jakob Sprenger publient un livre détaillant le pouvoir des adeptes de Satan, la façon de les débusquer et de les combattre : le Malleus malificarum, le Marteau des sorcières. Car ce sont les femmes, que l’Eglise considère comme faibles et inférieures intellectuellement, qui sont les plus exposées aux tentations du Diable. N’est-ce pas la femme qui est à l’origine du péché ? Il suffit de lire le chapitre 3 de la Genèse pour se convaincre… du contraire ! C’est beau d’avoir la foi, de croire tout ce qu’on dit, mais c’est mieux de vérifier. Voici la séquence des événements :

  1. Dieu crée l’homme (Ge. 2, 7)
  2. Dieu interdit à l’homme de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal (Ge. 2, 16)
  3. Dieu crée la femme (Ge. 2, 22)

La femme était donc ignorante du commandement de Dieu. Les seuls responsables du péché originel sont Dieu et l’homme.

Notons que le Malleus malificarum, qui connut 31 rééditions, fut mis à l’index par le Vatican parce qu’ il ne respectait pas le dogme. Il donnait trop d’importance au Diable, qui n’a aucun pouvoir sur les perturbations atmosphériques. C’est bon à savoir.

Revenons aux sorcières. Si quelque chose ne va pas dans un village, une sorcière est mise en cause. (Je vais utiliser le féminin, car la plupart des procès concerne des sorcières). C’est souvent une veuve, habitant à l’écart du village, qui prodigue des remèdes aux villageois, mais qui peut aussi leur jeter des sorts. Elle connaît les plantes. On fait appel à elle pour les accouchements mais aussi les avortements. Elle a le mauvais œil. Elle participe aux sabbats qui se tiennent dans les clairières, présidés par un démon qui, dans un simulacre de messe, conforte son pouvoir sur ses disciples.

Des inquisiteurs ont publié des livres reprenant les déclarations des invités aux sabbats, comme Pierre de Lancre, envoyé par Henri IV pour nettoyer le Pays basque (Tableau de l’inconstance des mauvais anges et des démons, 1612). Il y recense les aspects du Diable, tantôt un bouc avec 2, 3 ou 4 cornes, tantôt un géant monstrueux, tantôt un arbre, etc. Il apparaît dans le noir ou éclairé de mille feux. De Lancre en conclut que le Diable peut prendre toutes les apparences et qu’il faut redoubler de vigilance… au lieu de voir dans ces descriptions l’imagination d’esprits naïfs.

Une simple accusation peut envoyer une sorcière au bûcher. Pourtant dans ces XVIe et XVIIe siècles, les choses ont changé : la justice est rendue par le pouvoir civil, le parlement régional (le conseil municipal). Les procès sont souvent publics, c’est un spectacle. Les accusés sont maintenant confrontés aux accusateurs et aux témoins. Les inquisiteurs ne font qu’instruire l’affaire et mener les exorcismes, car il faut faire avouer les démons qui ont pris possession de l’âme des sorcières. Les moines restent néanmoins tout puissants car ils ont les moyens d’impressionner les juges. Rares sont les sorciers et les sorcières qui sortent blanchis des accusations, car le Diable laisse des marques sur ses adeptes. Un moment important du procès est la recherche de ces marques, recherche qui confine à la perversion sexuelle : la victime est mise à nu, complètement rasée, les yeux bandés. Un médecin recherche dans les moindres recoins une altération de la peau et y enfonce une aiguille. Si la sorcière ne crie pas, on a trouvé une marque du Diable… mais on continue l’investigation, le spectacle doit durer. Parfois, pour convaincre les juges, le médecin ne fait que poser l’aiguille sur la peau, évitant ainsi la douleur et le cri. Mais ce n’est pas très utile, car si on ne trouve pas de marque, c’est la preuve qu’on a affaire à une grande sorcière : le Diable a caché ses marques. On perquisitionne également au domicile des accusées pour trouver des statuettes de cire, le pacte signé avec le Diable, des onguents, des clous, etc. Inutile d’invoquer un alibi : il est connu que les sorcières ont le pouvoir de bilocation !

Souvent, l’accusée, de bonne foi, doute et avoue tout ce que l’inquisiteur veut entendre : elle est bonne chrétienne et croit fermement au Diable. L’autorité de la Faculté de médecine a détecté des marques, l’autorité religieuse l’accuse, ça doit donc être vrai.

Sorcière au bûcher (XVIIe siècle)
Les possédées

A côté des sorciers et sorcières qui ont pris contact avec le Diable, qui sont conscients de leur faute, on trouve les possédées. Un sort leur a été jeté par un sorcier. Le Démon a pris possession de leur corps à leur insu, ou plutôt les démons. On peut en compter des milliers ! Ils viennent se présenter à tour de rôle : Belzébuth (le seigneur des mouches en araméen), Lucifer (le porteur de lumière en latin), Asmodée (le démon de la peur), Astaroth (l’ancienne déesse Astartée), et bien d’autres.

Le Diable s’attaque à une autre classe de la société : les religieuses. Il s’attaque aux citoyens des villes alors que les sorcières relevaient d’un phénomène rural. Les procès de possession sont les plus documentés et ils concernent principalement des religieuses. La possession semble contagieuse, car souvent tout le couvent est infecté. Les inquisiteurs ont beaucoup à faire car les démons qu’ils exorcisent se relaient et tourmentent la victime dont le corps se tord et prend des positions pour le moins inconfortables. Lors des exorcismes, les démons dénoncent le sorcier qui a envoûté la malheureuse. C’est très paradoxale, le Diable dénonce ses propres adeptes. Il y a donc un double procès, celui des possédées, victimes, et celui du sorcier, souvent un prêtre, qui les a mis dans cet état.

Les procès les plus connus sont ceux d’Urbain Grandier, confesseur des nonnes du couvent des ursulines de Loudun (vers 1632) et de Louis Gaufridy de Marseille qui aurait ensorcelé Madeleine de Demandolx, une ursuline également, dont il fut le confesseur (vers 1610). Si le premier n’a jamais avoué, le second s’est repenti avant de revenir sur ses aveux. Ils ont néanmoins subi le même sort : le bûcher… et la torture. Voici la condamnation proposée par les inquisiteurs au Parlement d’Aix-en-Provence au sujet de Louis Gaufridy : « Il sera dégradé des ordres sacrés, fera amende honorable, tête et pieds nus, la corde au cou, tenant un flambeau. Il sera tenaillé en tous les lieux et carrefours d’Aix avec des tenailles ardentes en tous les endroits du corps. Il sera brûlé tout vif par un feu de bûches… après avoir subi la question ordinaire et extraordinaire pour dénoncer ses complices. »

Car même condamné, le sorcier est torturé : n’est-il pas allé aux sabbats dans lesquels il a rencontré d’autres sorciers ? Il doit les dénoncer, ce qui va donner de l’ampleur au procès, l’accusé désignant d’autres innocents, comme à Salem, dans la colonie britannique du Massachusetts en 1692.

Avec la recherche des marques, la torture est un autre moyen d’arriver aux aveux. Dans un premier temps on se contente de priver l’accusé de sommeil ou de lui imposer la présence de moines qui l’encouragent à avouer et qui empêchent le Diable de lui venir en aide. Puis on en vient aux tourments : on simule la noyade, on écrase les doigts, les genoux ou on utilise l’estrapade, entre autres. La différence entre la question ordinaire et extraordinaire réside dans la durée ou la violence de la séance. Ainsi, pour l’estrapade (voir illustration ci-après), dans un premier temps, la corde est peu solide, quand on fait violemment retomber l’accusé, la corde casse et il est projeté par terre. Ensuite, la corde, plus solide, le maintient à quelque distance du sol, brisant ses articulations lors de la chute.

Illustration d’un livre de Mille de Souvigny (1541)

Notons que ces procès visent souvent des prêtres ouverts aux idées nouvelles, parfois proches des protestants, rebelles à l’autorité.

Trop c’est trop !

En 1644, dans le village maléfique de Mâlain en Bourgogne où une grotte sert d’entrée aux Enfers (le Trou du Diable), les récoltes ont été mauvaises. Un habitant dénonce une sorcière. Ce seront bientôt une douzaine d’accusés, hommes et femmes, sur une population de 600 âmes, qui vont comparaître devant les juges. Ils sont directement soumis à l’ordalie de la baignade : un jugement de Dieu qui consiste à jeter les accusés pieds et poings liés dans un lac, une rivière ou un puits. Si le prévenu coule, c’est qu’il était innocent. Six se noient. Ils sont enterrés en bons chrétiens dans le cimetière entourant l’église. Malheur aux autres, ils sont amenés devant l’Inquisition qui prononce deux exécutions et des bannissements.

Mais l’action en justice ne s’arrête pas là. Des proches portent l’affaire devant le Parlement de Dijon. Le jugement est sans appel : les accusés sont relâchés, trois des accusateurs sont pendus sur la place de la ville, les autres envoyés aux galères. Les temps changent.

Note : l’étymologie du mot Mâlain n’a rien de maléfique, mais vient du latin « Mediolanum », nom donné à plusieurs villages se trouvant « au milieu ». Milan ou Melun ont la même origine.

En 1660, le Parlement de Paris sceptique lors du procès des possédées du couvent des ursulines (encore) d’Auxonne ne prononce aucune condamnation, mais disperse les nonnes dans plusieurs couvents.

Le sorcellerie n’existe pas !

Les procès en sorcellerie vont s’attaquer à des personnages de plus en plus importants : la rumeur accuse des courtisans de faire appel à des empoisonneurs ou de participer à des messes noires.

En 1672, le roi Louis XIV et son ministre Colbert signent une ordonnance déclarant que la sorcellerie n’existe pas, mais que « le pays est infesté de devins, bohémiens et empoisonneurs ». Leurs méfaits seront poursuivis et punis pour vols, escroquerie ou assassinats.

Ainsi prend fin la chasse aux sorcières en France.

Je laisse la conclusion à Roland Villeneuve qui dans un livre sur les procès de sorcellerie déclare : « Ici, la réalité dépasse de loin les fictions sadiennes. L’homme jette le masque et apparaît dans toute sa haine, sa bêtise et sa lubricité. »

Note : Le Marquis Donatien Alphonse François de Sade (1740-1814) était homme de lettre, homme politique et philosophe athée, viscéralement anticlérical. Ses livres ne sont que le reflet d’une époque.

L’inquisition

Jamais dans l’Histoire, une religion n’a fait preuve d’autant d’ignominie et de violence pour imposer sa doctrine. Entre le XIII° et le XIX° siècle, suivant les pays, l’Eglise de Rome a semé la terreur dans toute l’Europe traquant tous ceux qu’elle soupçonnait d’hérésie ou de commerce avec le Diable (j’aborderai ce volet dans l’article suivant).

Il n’y a pas de consensus entre les historiens quant au nombre des victimes de l’Inquisition. Les chiffres vont de plusieurs millions à quelques centaines ! L’historien Guy Bechtel a répertorié plus de 250.000 poursuites pour sorcellerie. Même si tous les procès ne se sont pas terminés par une condamnation à mort et compte tenu que la plupart des dossiers ont disparu, on peut estimer à plusieurs dizaines de milliers, si pas à quelques centaines de mille le nombre de victimes de l’Inquisition.

Mettons fin tout de suite un malentendu : l’Inquisition n’a tué personne, l’Eglise n’a pas de sang sur les mains. Si un accusé était reconnu coupable, il était « relâché ». Cet euphémisme traduit la remise du coupable, ou du moins ce qu’il en restait, au bras séculier, à la justice civile, qui appliquait la sentence au « bienheureux ». Car l’objectif de l’Inquisition était de sauver l’âme du pécheur qui s’était détourné de la seule Vérité. S’il avait abjuré, il était absous et avait gagné sa place au purgatoire.

Des débuts hésitants

Comme nous l’avons vu dans un article précédent, l’Inquisition ou Saint Office a été créé par le pape Innocent III en 1199, confirmé en 1213 pour éradiquer les hérésies cathares et vaudoises. Aujourd’hui cette institution existe toujours sous le nom de Congrégation pour la doctrine de la foi qui a été présidée par Joseph Ratzinger, avant qu’il ne devienne Benoît XVI.
Au début, la procédure était confiée aux évêques, mais dès 1235, elle sera confiée à des moines dominicains ou franciscains (les capucins) avec pour seule mission d’éradiquer les hérésies. Les inquisiteurs sont relevés de leur vœux d’obéissance, pour échapper à l’influence des évêques. Ils sont tout puissants, ils ne réfèrent qu’au pape et héritent de son autorité.

Pourquoi s’attaquer aux hérétiques, poursuivis pour crime de lèse majesté ? Le religion et l’Etat ne font qu’un. La religion est le ciment de la société médiévale, elle garantit l’ordre sociale. L’hérétique est donc considéré comme un hors-la-loi, un renégat qu’il faut extirper de la société pour éviter la contagion. L’empereur germanique Frédéric II Hohenstaufen (1198-1250) est le premier à décider que les hérétiques seraient livrés au bûcher… à moins que le juge ne décide de leur couper la langue. Le premier bûcher fut allumé à Catane, en 1224, en Lombardie, terre du Saint empire romain germanique.

Frédéric II est un personnage pour le moins ambigu. C’est lui que les cathares espéraient pour les secourir à Montségur, c’est lui qui fut assimilé à l’Antéchrist par le pape Grégoire IX. Homme très cultivé, parlant plusieurs langues dont l’arabe, il gouvernait l’Empire germanique, de la Baltique à la Sicile en passant par la Provence. Lors de la VI° croisade, le sultan Saladin (Salah al-Din), avec qui il entretenait d’excellentes relations, lui offrit la ville de Jérusalem qu’il venait de reprendre aux croisés. Mais il ne supportait par les hérétiques sur ses terres.

La procédure inquisitoriale

L’Inquisition innove par rapport au droit romain, toujours d’application au Moyen Age : une plainte ne doit plus être déposée pour instruire un procès. Une simple dénonciation anonyme ou même une suspicion pouvait amener une personne devant l’Inquisition.

Les inquisiteurs se déplaçaient dans une région accompagnés de gens d’arme, de notaires qui transcrivaient les débats, de greffiers, etc. Tout commençait par une prédication, l’inquisiteur exposait la doctrine de l’Eglise et réfutait les thèses hérétiques. Pour une durée de 15 ou 30 jours, un décret de grâce était proclamé : les hérétiques étaient appelés à confesser spontanément leur déviance. Ils échappaient alors aux sanctions du pouvoir civil, ils recevaient un châtiment religieux (pénitence, retrait dans un monastère, pèlerinage). Ce décret de grâce permettaient également les dénonciations. La terreur s’installait alors dans la région : tout un chacun craignant faire l’objet d’une malveillance de ses voisins.

Ceux qui avouaient spontanément n’étaient pas sauvés pour autant des griffes de l’Inquisition. Ils devaient faire des aveux complets : ils devaient dénoncer leur congénères qui ne s’étaient pas présentés.

Devant le tribunal le prévenu pouvait être accompagné d’un avocat… jusqu’à ce qu’une bulle papale considère que ceux qui aidaient les hérétiques étaient certainement des hérétiques eux-mêmes. Le suspect n’était pas confronté à ses dénonciateurs ni aux témoins dont il ignorait les noms. Il ne connaissait même pas le motif de sa présence devant le tribunal. La première question qu’on lui posait était : « pourquoi êtes-vous ici ? ». Une stratégie de défense était donc très difficile à établir.

L’accusé avait néanmoins certains droits : il pouvait faire appel à Rome où la cause serait jugée au vu du dossier composé par le notaire. Mais dans son « Manuel des Inquisiteurs », le dominicain catalan Nicolas Eymeric (1330-1399) précise : « Il faut rendre la procédure la plus courte possible en rejetant tout appel qui sert à éloigner le jugement ». L’accusé pouvait aussi donner la liste des personnes qui auraient pu lui nuire et dont le témoignage ne sera pas pris en compte. Tout faux témoignage était puni de la prison à vie.

Le prévenu devait jurer sur les évangiles, ce qui était contraignant pour certains hérétiques. Après avoir prêté serment, tout mensonge, tout parjure condamnait l’accusé à la prison à vie… ou au bûcher.

Pour être reconnu coupable, le prévenu devait avouer. Le but étant la sauvegarde des âmes, l’aveu et la contrition étaient très importants. Les nombreux manuels de l’Inquisiteur recèlent des astuces pour faire avouer les récalcitrants : pression morale, pression physique, privation de nourriture, privation de sommeil, questions vicieuses, ruse et enfin la torture, qui ne sera admise officiellement qu’en 1252. Un aveu sous la torture devait être réitérer par la suite… le silence était considéré comme une confirmation.

Quelles sont les sentences ?
Le jugement est prononcé en public, lors d’une cérémonie. Les peines sont énoncées en commençant par les acquittements. Puis viennent les repentants, condamnés à des mortifications durant les messes, à des séjours dans un monastère ou à des pèlerinages où ils seront probablement flagellés à chaque étape. Certains doivent porter un vêtement d’infamie qui les identifiera à vie. Les peines les plus sévères sont l’emprisonnement et la condamnation à mort. Les condamnés sont remis alors au pouvoir temporel, le bras séculier chargé d’appliquer les sanctions.

L’application des peines donnait lieu à un grand rassemblement, une grande foire, c’est l’auto da fé, l’acte de foi. Les condamnés à mort étaient voués au bûcher, ce qui n’empêchait pas, dans certains cas de leur couper des membres, de les écarteler ou de leur faire subir d’autres joyeusetés qui faisaient le bonheur de la foule. Le condamné ne montait pas sur le bûcher. Celui-ci était constitué de fagots à hauteur d’homme, disposés en U. Le condamné était placé au milieu puis on y mettait le feu. Les fagots s’effondraient sur le supplicié. Parfois, celui-ci était étranglé avant de brûler ou sa tunique était enduite de poix pour qu’il soit asphyxié avant la crémation.

La sanction s’accompagnait souvent de la confiscation des biens au bénéfice de l’Inquisition dans un premier temps, puis du pouvoir civil qui, dans ce cas, payaient les frais d’entretien des condamnés à la prison. Ce procédé sera mis à profit par les rois pour s’enrichir.

Auto da fe
Le pape perd la main

En 1301, le roi de France Philippe IV le Bel (1268-1314) sous prétexte des excès commis par l’Inquisition, en prend le contrôle. Ce qui lui permettra d’accuser les templiers d’hérésie et de sodomie et de les faire arrêter partout dans le royaume, le vendredi 13 octobre 1307. Les templiers formaient un Etat dans l’Etat, ils étaient les créanciers du roi. Philippe le Bel comptait s’emparer de leur richesse et de leur propriétés.

L’Inquisition contre la science

L’Inquisition s’est aussi attaquée aux idées nouvelles. Pour l’Eglise, Dieu a créé la terre pour l’homme. Tout ce qui l’entoure lui est subordonné. En 1600, le moine dominicain Giordano Bruno (1548-1600) est condamné au bûcher par l’Inquisition de Rome pour avoir professé que les étoiles étaient d’autres soleils autour desquelles tournaient des planètes. En 1616, les idées de Copernic sont condamnées par le Saint Office : non, la terre ne tourne pas autour du soleil. Pour la même raison, en 1633, Galilée est assigné à résidence.

L’Inquisition espagnole

La « reconquête » du territoire sur les musulmans a coûté très cher aux nouveaux souverains Isabelle de Castille (1451-1504) et Ferdinand II d’Aragon (1452-1516) qui par leur mariage réunissaient tous les territoires espagnols.

Dans l’Espagne musulmane, al-Andalus, les juifs ont pu prospérer relativement librement. Ils se sont enrichis par le commerce. Ils deviennent donc la cible des souverains « très catholiques » en quête de richesse. En 1492, l’année même de la « reconquête » de la péninsule espagnole qui se termine par la chute de Grenade, dernier bastion musulman, les juifs doivent choisir entre quitter l’Espagne, en abandonnant leurs biens, ou se convertir au catholicisme. Dans les territoires qui avaient déjà été reconquis, plusieurs juifs s’étaient fait baptiser pour échapper à l’humiliation et à l’ostracisme décrété par le statut de Valladolid (1412) : port de la rouelle (l’ancêtre de l’étoile jaune), habit humble fait de toile grossière, interdiction de se couper les cheveux et la barbe, interdiction d’être armé, d’avoir des amis chrétiens, d’occuper une charge officielle.

Mais par leur conversion, ils devenaient la cible de l’Inquisition qui n’avait de pouvoir que sur les chrétiens. A part en Aragon (1232), l’Inquisition n’était pas présente dans la péninsule. Les souverains vont donc demander au pape de leur envoyer des inquisiteurs, qui entrent en fonction dès 1480, mais sous le contrôle exclusif des souverains. Les confiscation de biens se feront à leur seul avantage.

L’Inquisition va s’acharner contre ces nouveaux catholiques sous prétexte qu’ils ne respectent pas le dogme… ce qui dans la plupart des cas était vrai : personne ne s’était soucié de leur apprendre le catéchisme. Déjà avant le décret d’expulsion, plusieurs juifs convertis vont faire appel au pape Sixte IV qui va prendre leur défense : en 1482, il dénonce la soif du lucre de l’Inquisition qui pour rappel est à la solde des souverains espagnols. Ceux-ci s’insurgent et le pape annule la bulle qui sermonnait l’Inquisition espagnole.

En 1516, un nouveau souverain arrive sur le trône d’Espagne : Charles Ier d’Autriche, neveu de la reine Isabelle, plus connu sous le nom de Charles Quint empereur d’Allemagne. Il n’a que 16 ans. En 1518, les Cortès lui demandent de prendre des mesures « pour que la sainte Inquisition se consacre à assurer l’exercice et le respect de la justice, à punir les mauvais et à empêcher les innocents de souffrir ». Il ne réagira pas. L’Inquisition poursuivra son oeuvre jusqu’en 1834 en Espagne, jusqu’en 1850 au Mexique. Le dernier bûcher d’Espagne a été allumé en 1781 pour une nonne mystique : Maria de los Dolores Lopez. Après s’être attaquée aux juifs convertis (les maranes), l’Inquisition s’en prendra aux musulmans à qui on a posé le même ultimatum au nom de la pureté de la race : l’exil ou la conversion. Les musulmans convertis ont été appelés morisques.

L’inquisition et la Réforme

En 1517, un nouveau danger menace Rome : à Wittenberg, un moine s’en prend à l’autorité du pape : Martin Luther. Dans cette ville, il affiche sur la porte de l’Eglise de la Toussaint 95 revendications, appelées thèses : abolition du célibat des prêtres et des vœux monastiques, dénonciation du purgatoire, du salut par les œuvres, suppression des sacrements autres que le baptême et l’eucharistie, abolition du culte des saints et des images. L’Inquisition est chargée d’éradiquer cette nouvelle hérésie. Mais sa tâche va se compliquer car plusieurs princes adhèrent au nouveau dogme. C’est différent de l’épopée cathare, où aucun prince n’était cathare, uniquement sympathisant. Ici les princes se libèrent de la tutelle de Rome, le pouvoir spirituel n’a plus de prise sur eux, finies les menaces d’excommunication qui les mettaient au ban de la société et qui exposaient leurs terres à la confiscation.

Les conséquences vont être différentes suivant les pays. En Espagne, les protestants sont condamnés par l’Inquisition et la Réforme est éradiquée. En France, une guerre civile, dite Guerres de Religion, va opposer des princes au pourvoir royal. Dans le Saint empire germanique, l’empereur Charles Quint doit s’incliner. En 1555, la paix d’Augsbourg reconnaît officiellement le luthéranisme : chaque prince peut choisir sa religion… et l’imposer à ses sujets. Il faut se rappeler que l’empereur est élu par les princes. Face à cet échec, Charles Quint abdiquera. Dans les Pays-Bas espagnols, les provinces du nord, à majorité protestantes, déclarent unilatéralement leur indépendance en 1581. S’en suit une guerre civile de 70 ans qui donnera naissance à la Hollande qui deviendra une grande puissance maritime.

Epilogue

En 2000, à l’instigation de Joseph Ratzinger, le pape Jean-Paul II a offert « sa repentance officielle » pour tous les dommages causés au nom de la religion : Inquisition, croisades, traitement des juifs et des indigènes, etc.

« Certains aspects de ces procédures et, en particulier, leur issue violente par la main du pouvoir civil, ne peuvent pas ne pas constituer aujourd’hui pour l’Eglise un motif de profond regret » déclare le cardinal Angelo Sodano. Mais la doctrine hérétique de Giordano Bruno empêche l’Eglise de lui accorder le pardon chrétien…
Et qui va accorder son pardon à l’Eglise ?

Les cathares

Lorsqu’on voyage dans le Midi de la France, vers Béziers, Carcassonne ou Toulouse, on rencontre des panneaux portant l’inscription « Vous êtes en pays cathare« . On ne sait pas si c’est un avertissement d’un danger immédiat ou une information touristique.

Dès le XII° siècle, le catharisme s’implante en Occitanie, dans les terres du comte de Toulouse, vassal du roi de France. A cette époque, le domaine royal est un tout petit territoire (voir carte en bas de l’article, en bleu). Le roi, Philippe Auguste (1165/1179-1223), a peu de pouvoirs, ses vassaux sont plus puissants que lui, surtout le roi d’Angleterre qui occupe la moitié ouest de la France actuelle. Le comté de Toulouse est plus proche des domaines des Plantagenêts anglais et du roi d’Aragon que des terres du roi de France avec lequel il ne partage pas la même langue.

La doctrine

Les cathares (les purs), aussi appelés albigeois (les blancs), se disent bon chrétiens alors que leur religion fait peu de cas de Jésus (le Christ). Pour eux, Dieu essentiellement bon n’a pas créé la terre qui est l’œuvre d’un démiurge, Satan, le dieu de la Bible qui y fait régner le Mal. Les corps, œuvres de Satan, sont une prison pour les âmes, créations de Dieu : l’Enfer est sur la terre. Dieu a créé des purs esprits, les âmes, qui ont été capturés par Satan pour animer les corps qu’il avait tiré du néant.
Jésus n’est qu’un messager de Dieu, il a fait prendre conscience aux hommes de leur état. Jésus ne s’est pas incarné. Comment aurait-il pu se vêtir d’un corps impur ? C’était un pur esprit, il n’a pas été crucifié. Nous avons déjà rencontré des idées identiques chez Marcion, mais la filiation avec le catharisme n’est pas directe. Les idées dualistes se sont propagées de l’est, de la Bulgarie, par la Dalmatie et la Lombardie. L’époque était aux hérésies. On rencontre des cathares en Lombardie, en Aragon, en France et même en Flandre.

L’objectif des cathares est de rapprocher l’âme de Dieu jusqu’à ce qu’elle abandonne la terre. La vie sur terre ne vaut pas la peine d’être vécue. Malheureusement, tant qu’on n’a pas atteint un degré de perfection suffisant, on se réincarne après la mort, dans un nouveau né humain ou plus rarement dans un animal. L’endroit où on se réincarne n’est pas déterminé par ses actions sur terre.

On distingue deux niveaux d’initiation chez les cathares :

  • Les bons-hommes et les bonnes-dames aussi appelés « parfaits » ont atteint un degré de perfection qui leur laisse envisager de ne pas se réincarner. Ils sont végétariens (par refus de violence) et chastes (pour ne pas créer un nouvel être voué au Diable). Ils vivent pauvrement de leur travail ou de l’aumône, ils ne possèdent rien. Ils vont de village en village pour prêcher, rassurer et consoler les mourants.
  • Les pratiquants se soumettent périodiquement à l’apparelhament (la confession publique). Ils passent un pacte (le convenenza) avec un parfait pour recevoir le baptême par imposition des mains au moment de la mort (le consolament). Ils pratiquent le melhorament (l’amélioration) qui n’est pas un rite mais une manière de vivre : ils s’inclinent quand ils rencontrent un parfait pour recevoir sa bénédiction.

Il n’y a pas de rites spécifiques, sauf le consolament. Les cathares rejettent le baptême par l’eau, le sacrement du mariage, le culte de saints et des reliques, l’Eucharistie c’est-à-dire la transformation du vin en sang de Jésus et de l’hostie en corps de Jésus, comme pratiqué lors de la messe catholique.

Plus qu’une religion, c’est une civilisation différente qui émerge en Occitanie, en Languedoc. Les cathares sont loin d’être majoritaires, à peine 10% de la population. Mais ils ont le soutien de celle-ci par leur exemple alors que le clergé romain vit dans le luxe et la débauche, éloigné du peuple. Mêmes les nobles leur sont favorables bien qu’ils s’insurgent contre la féodalité : pour eux, la terre n’appartient à personne, elle est prêtée à celui qui la cultive. Contrairement aux catholiques, ils acceptent les prêts avec intérêt pour favoriser le commerce.

La société occitane est très tolérante, cathares, catholiques et juifs se côtoient en bonne entente que ce soit dans la vie de tous les jours, dans le commerce ou dans les assemblées de consuls où ils siègent à égalité. C’est également le temps des troubadours et de l’amour courtois.

La réaction de Rome

Dès 1119, le pape Calixte II (1065-1124) se rend à Toulouse pour enjoindre le comte de sévir contre ceux qui refusent le baptême. Il ne réagit pas. En 1145, Bernard de Clervaux(1090-1153), fondateur de l’ordre des Cisterciens et rédacteur de la règle des Templiers, vient prêcher dans la région de Toulouse et d’Albi. Il se rend compte que la nouvelle doctrine attire non seulement de hauts personnages, mais aussi des membres du clergé. Dans sa correspondance, il encense les parfaits : « leur conversation n’a rien de répréhensible, leurs actes sont en accord avec leurs paroles, ils ne mangent pas le pain de l’oisiveté, ils se nourrissent du travail de leurs mains, rien ne peut plus être chrétiens que ces hérétiques« . Mais ses joutes verbales avec les parfaits ne sont que des échecs

Dans ces joutes verbales, le prêcheur catholique en appelle à la foi, le parfait cathare se réfère à la raison. Voici ce qu’aurait pu être une confrontation :

Prêcheur : Jésus s’est fait homme et a souffert pour racheter nos péchés.
Parfait : Est-ce que Dieu ne remet une dette que si elle a été payée ? Est-ce qu’il pardonne l’impureté pourvu qu’elle soit pure ?

Prêcheur : Dieu a tout créé, mais le mal vient de l’homme à qui Dieu a donné le libre arbitre.
Parfait : Si Dieu a prévu que l’homme se servirait mal du libre arbitre, il a donc prévu le péché et on comprend mal qu’il ne l’ait point empêcher de se produire.

Puis vint un moine espagnol, Dominique Guzman (1170-1221) qui deviendra saint-Dominique. Il comprend le contexte du pays et demande au pape de créer un ordre de religieux mendiants : « il me semble qu’il est impossible de réduire par la seule parole des hommes qui s’appuient avant tout sur l’exemple« . Le pape obtempérera en 1231. Avant cela, il envoie son légat Pierre de Castelnau (1170-1208) qui multiplie les provocations et excommunie le comte de Toulouse Raimon VI (1156-1222). Mais alors qu’il rentre à Rome, il est assassiné.

La croisade

Accusant les sympathisants cathares, le pape Innocent III lance une croisade, en 1208, contre ceux qu’il nomme les « albigeois ». C’est la première croisade dans un pays chrétien. Le roi de France, Philippe II Auguste (1165/1179-1223) ne veut pas y prendre part, trop occupé à guerroyer contre les Anglais en Normandie, mais il laisse ses vassaux décider : le duc de Bourgogne et le comte de Nevers en seront. Le pouvoir spirituel est confié à un légat du pape : Arnaud Amaury (1160-1225). Les croisés ont les mêmes avantages que ceux qui partent en Palestine : ils obtiennent une indulgence, leurs péchés sont pardonnés, ils gagnent leur place au Paradis… en plus du butin qu’ils peuvent espérer et des territoires qu’ils peuvent conquérir.

Le comte de Toulouse, Raimon VI est sommé de livrer les cathares de ses territoires et de chasser les juifs sous peine de confiscation de ses terres. Pour éviter le pire, et effacer son excommunication, il s’engage dans la croisade… contre ses vassaux, le vicomte de Carcassonne et de Béziers et le comte de Foix. L’armée entre en Occitanie en 1209… Raimon VI n’est pas prêt, il tergiverse.

Premier objectif : Béziers, ville de 10.000 habitants, forte de sa position défensive. La ville refuse de livrer les cathares. Mais un événement rocambolesque permet aux ribauds d’entrer dans la ville. Les ribauds sont des hors-la-loi qui avec les prostituées, suivent les armées. Le gros des troupes s’engouffre à leur suite dans la ville qui est livrée au pillage. Les habitants se réfugient dans l’église de la Madeleine. Ils sont tous exterminés, curé compris. Le légat du pape aurait dit : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens« . D’autres habitants trouvent refuge dans la cathédrale saint-Nazaire. Les croisés y mettent le feu. Le bâtiment explosera. Le légat se vantera au pape d’avoir exterminé 20.000 personnes !?
Puis c’est au tour de Carcassonne qui a court de vivre et d’eau se rend. Les habitants peuvent quitter la ville sans rien emporter. Le comte Raimon-Roger Trencavel (1185-1209), qui s’est livré en otage, périra dans sa geôle. Plus rien n’arrêtent les Croisés qui occupent ville après ville.
Aucun des grands seigneurs qui participent à la croisade n’accepte les biens de Trencavel, car seul le suzerain pour démettre son vassal. Un noblion de l’Île de France accepte : Simon IV de Monfort (1165-1218).

La croisade fait une halte. Il faut savoir que les barons ne s’engagent que pour une période déterminée, en principe 40 jours, durant lesquels ils doivent veiller à la nourriture et à l’équipement de leurs hommes, ce qui leur coûte très cher. On combat surtout au printemps et en été.

La croisade reprend au printemps 1210 grâce aux subsides du pape. Le comte de Toulouse y est… pour 40 jours. Ses terres restent donc hors de portée des Français. Durant cette campagne, les premiers bûchers sont allumés dans la petite ville de Minerve (Menèrba en occitan) où 140 cathares sont brûlés lors de la prise de la ville.

En 1211, le comte Raimon VI est convoqué à Montpellier. On lui présente un ultimatum : il doit raser ses forteresses, licencier son armée et la noblesse doit quitter les villes pour les campagnes. Il refuse et est de nouveau excommunié : ses terres peuvent être confisquées. La prochaine cible sera Toulouse, mais elle va résister. Mieux, le comte fait appel à son beau-frère, Pierre II, roi d’Aragon (1174-1213) qui vient de remporter une victoire contre les Maures. L’espoir change de camp, les Occitans sont beaucoup plus nombreux. Mais à la bataille de Muret, près de Toulouse, Pierre II est tué et ses troupes battent en retraite. On est en septembre 2013, Simon IV de Monfort devient comte de Toulouse en plus de vicomte de Carcassonne et de Béziers. La bataille est perdue, Raimon et son fils se réfugient sur leurs terres de Provence, rattachées au Saint Empire romain germanique.

En 2016, le pape Innocent III (1161/1198-1216) meurt. Raimon a rassemblé une armée en Lombardie et en Provence, son fils, qui n’a que 15 ans, en Aragon. C’est la marche triomphante jusqu’à Toulouse. Simon de Monfort s’entête, il assiège la ville et en juin 2018, il est tué par un jet de pierre. Son fils Amaury (1192-1241) prend sa succession, mais à court d’argent, il abandonne la partie. Notons qu’en occitan, un niais se dit « amauri ».
Mais il n’est pas si bête que cela, il vend son titre de comte de Toulouse… au roi de France, Philippe Auguste, qui envoie son fils, le futur Louis VIII (1187/1223-1226), récupérer son bien… Le temps de massacrer toute la population de Marmande, il revient après ses 40 jours de service.
Fin du deuxième acte : les Occitans ont reconquis tout le pays, un pays certes dévasté. Le catharisme peut prospèrer de nouveau.

En 1226, Louis, devenu roi de France trois ans plus tôt, reprend sa campagne. Avignon, Béziers et Carcassonne sont prises. Il n’ira pas plus loin, il meurt la même année. Son fils, Louis IX (1214/1226-1270), n’a que 12 ans. Il est néanmoins sacré roi, sa mère Blanche de Castille assurant la régence. Celle-ci, très catholique fait excommunier Raimon VII (1197-1249), comte de Toulouse, le comte de Foix et le vicomte Raimon II Trencavel (1207-1265), toute la nouvelle génération des seigneurs occitans. Il n’y aura plus de croisade, mais une destruction systématique du pays en incendiant les forêts, les cultures et les villages, en empoisonnant les puits et en tuant le bétail.

La fin

En 1229, sans combattre, Raimon VII doit signer le traité de Meaux qui met fin à l’indépendance de l’Occitanie. Il continue à régner, mais à sa mort ses terres reviendront à sa fille Jeanne, qui doit épouser le frère du roi de France.

Que vont devenir les cathares ? En 1223, le pape Grégoire IX a confié aux moines dominicains l’éradication des hérésies, qui dépendait auparavant des évêques. Leur tâche est simple, détruire l’hérésie cathare par tous les moyens. Ils sont totalement libres, ils ne dépendent que du pape. Ils vont faire régner la terreur sur le pays. On les appelle les « chiens de Dieu », par jeu de mots : en latin « dominicains » se dit « dominicanes », soit « Domini canes », les chiens du Seigneur. Je consacrerai l’article suivant à l’Inquisition.

L’Inquisition est une véritable révolution en matière judiciaire. Le droit romain, toujours en vigueur au Moyen Age, ne prévoit d’action judiciaire que sur dépôt d’une plainte en bonne et due forme. L’Inquisition, elle, peut arrêter sur dénonciation anonyme ou simple présomption. Les inquisiteurs s’installent à Carcassonne qui dispose de nombreuses prisons appelées « les murs » et à Toulouse.

Les condamnés ne sont pas tous voués au bûcher. En cas d’aveux spontanés l’accusé devra soit faire un pèlerinage, soit s’humilier devant chaque église de la ville. Pour ne pas être condamné, il suffit de ne pas avouer, car l’aveu est nécessaire à la condamnation. Mais l’inquisition a plus d’un tour dans son sac pour faire avouer. Tout d’abord, elle peut faire traîner le procès… pendant plusieurs années. Ou elle recourt à la torture pratiquée par des bourreaux séculiers mais à laquelle au moins un inquisiteur doit assister. Quand un parfait est arrêté, c’est le bûcher qui l’attend : il avoue presque tout de suite car il ne peut pas prêter serment sur les évangiles, ni mentir, de plus il doit faire preuve de courage. Comme il n’abjure pas sa foi, il est condamné à mort. Les autodafé (acte de foi) sont publics, ce sont des cérémonies de pénitence qui terrifient ceux qui se sentent coupables et réjouissent la populace.

Mais la révolte couve toujours. Des chevaliers ont pris le maquis, se sont les faidits, les hors la loi, ils font de la résistance. Ils libèrent des villes qui retombent aux mains des Français qui punissent les habitants. Ils assiègent même Carcassonne et entrent dans les faubourgs, mais la forteresse tient bon.

Dans le comté de Foix, des forteresses résistent toujours, l’une d’entre elles, Montségur va entrer dans l’Histoire. En 1242, des inquisiteurs, revenant de leurs sinistres tâches, sont assassinés à Avignonet par des chevaliers de Montségur. Ce crime sonne le début de la révolte. Les espoirs les plus fous sont entretenus : le roi d’Angleterre Henri III va venir au secours des Occitans, de même que l’empereur d’Allemagne Frédéric II qui voue une haine viscérale au pape. Hélas, rien de tout cela ne se produira. Au contraire, en 1243, Montségur, forteresse entourée d’habitations, perchée en haut d’une montagne est assiégée. Vu la configuration des lieux, on se dit que les assiégeants se lasseront vite. Escalader la montagne n’est pas chose aisée et il est impossible de contrôler tous les accès à la forteresse. Mais le 1er mai 1244, après 11 mois de siège, les gens de Montségur se résignent à négocier. Le traité est très favorable : les défenseurs seront absous de leurs fautes, même du meurtre des inquisiteurs. Il en sera de même pour les cathares qui consentent à abjurer. Les occupants du château ont 15 jours pour se retirer avec armes et bagages. Les 215 cathares présents dans l’enceinte refusent : « plutôt brûler que d’abjurer« . Ils reçoivent le « consolalent » puis sont réunis dans un enclos fermé auquel on boutera le feu. La légende veut que cet endroit soit le Camp dels Cremats que l’on peut voir en bas de la montagne. Sur une pierre, on peut lire « Als Catars, als martirs del pur amor crestian » : Aux cathares, aux martyrs du pur amour chrétien.

Ne nous laissons pas abuser par le romantisme que dégage la forteresse de Montségur, perchée à 1200 mètres, elle n’a rien de cathare ! Le château où les cathares ont vécu en paix 40 ans a été détruit par le croisés. Les ruines que l’on peut visiter sont celles d’un castrum construit pour protéger la nouvelle frontière sud du royaume de France.

En 1249, quelques jours avant sa mort, le comte de Toulouse Raimon VII fait brûler 80 cathares sans passer par le tribunal de l’Inquisition et sans leur permettre de se rétracter. Il espérait sans doute gagner sa place au Paradis.

En mai 1255, le château de Quéribus est conquis par le roi de France. Mais c’est un château peu connu qui aura l’honneur de résister le plus longtemps, celui de Niort-de-Sault, qui tombe quelques mois après. De ce castel, il ne reste rien.

Le dernier parfait, Guilhem Bélibaste sera brûlé à Villerouge-Termenès dans l’Aude, en 1321, après avoir été jugé à Carcassonne. Le dernier cathare y sera brûlé en 1328.

Epilogue

Que reste-t-il de tout ça ?
Depuis le début du XX° siècle, des centaines d’ouvrages consacrés aux cathares ont vu le jour. Les parfaits sont remis à l’honneur.
A Carcassonne, dans la vieille ville (re-)construite au XIX° siècle par Eugène Viollet-le-duc, on peut visiter le musée de l’Inquisition.

A Minerve, petite ville pittoresque de l’Hérault, on visite un musée retraçant toute l’épopée cathare en santons, chaque vitrine fait revivre un événement de la croisade.

La langue occitane a été reconnue comme langue officielle en Catalogne au même titre que sa cousine, le catalan, et que le castillan. En France, elle n’a pas de statut, mais est reconnue comme patrimoine de France. Elle souffre de ne pas avoir une diffusion générale, seuls des patois existent, l’occitan standard a disparu au XIV° siècle. Plusieurs villes du Languedoc sont annoncées dans les deux langues.

En 2017, à l’occasion de l’année de la miséricorde, Mgr. Eychenne, évêque de Pamers dans l’Ariège, a demandé pardon pour les événements contés ici, mais le propos est ambigu : « Nous ne sommes pas dans l’autoflagellation. Nous ne demandons pas pardon aux cathares, mais au Seigneur, pour cet inconscient (?) collectif blessé. » Dont acte.

Plus étrange, au printemps 1944, un avion à croix gammée a survolé Montségur en traçant dans le ciel une croix de Toulouse, appelé à tort « croix cathare »… ils ne vénéraient pas de croix.

La France au début de la croisade
La France sous Louis IX (saint-Louis) après la croisade.