11 septembre : 20 ans déjà

Cet article est inspiré du dossier « Les États-Unis et le Monde. 2001-2021, le grand tournant » paru dans le magasine l’Histoire de septembre 2021.

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La naissance du djihad moderne et la montée de Ben Laden : « 1979 : que le djihad commence« 

Conséquences du 11 septembre

Sous le coup de l’émotion des attentats qui ont fait près de 3000 morts et 16000 blessés, les États-Unis, par la voix de leur président, George Bush, ont déclaré la guerre au terrorisme (war on terror) et débuté la traque de Ben Laden, jugé responsable, protégé par les talibans qui régnaient sur l’Afghanistan. Cette guerre totale les conduira au Pakistan, en Irak (de 2003 à 2011 sous mandat de l’ONU), au Yémen, dans la Corne de l’Afrique et aux Philippines… sans grands résultats.
Dès le 18 septembre, quand le Congrès a voté le recours aux armes, la parlementaire californienne Barbara Lee a justifié son opposition en déclarant : « qu’elle refusait de cautionner une guerre sans stratégie de sortie ni cible précise. » La proposition a été votée à la majorité… moins une voix.

L’attaque de l’Afghanistan n’est pas une guerre des États-Unis, mais bien de l’OTAN : l’article 5 de la charte atlantique a été invoqué. Il déclare que s’attaquer à un membre est considéré comme une agression contre tous les membres.

La dérive

45 jours après l’attaque terroriste, le Patriot Act a été voté. Il fragilisait l’État de droit : il permettait au FBI d’accéder à la correspondance privée et aux comptes bancaires sans décision de Justice ; la NSA pouvait mettre n’importe qui sur écoute ou perquisitionner sur base d’un soupçon ; la CIA pouvait détenir et interroger des présumés terroristes sans limite de temps.

Plus la traque s’éternisait, plus les mesures se renforçaient. Ainsi, des interrogatoires « agressifs » vont être autorisés sans en référer au Congrès. La décision a été prise en petit comité : par le vice-président de Bush, Dick Cheney, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, le ministre de la Justice, John Ashcroft et le directeur de la CIA, George Tenet.

Ces décisions, prises hors du cadre légal, vont mener à des abus comme la torture dans la prison d’Abu Ghraïb (Irak : 2004), le massacre de civils à Haditha par des marines en novembre 2005 ou l’exécution de 17 civils sur la place Nisour à Bagdad en septembre 2007 par une compagnie privée de sécurité, la Blackwater.

Le Patriot Act avait été voté pour une durée de quatre ans. Il a été remplacé en 2015 par son frère jumeau, le USA Freedom Act. On se demande de quelle liberté on parle !

Sous la présidence d’Obama (2009-2017)

Barack Obama va tenter de changer de stratégie… d’occupation, car il n’a toujours pas de stratégie de sortie des guerres entreprises par son prédécesseur : George Bush (2001-2009).
Il réduit drastiquement le nombre de militaires au sol, qu’il remplace par des agents de sécurité privés. Avant son mandat, en 2007, il y avait déjà 180.000 agents privés pour 160.000 soldats pour en Irak.

Il accentue l’utilisation des drones, la technologie devient un acteur important de la guerre. Les drones n’empêchent pas les bavures. Ainsi un citoyen américain a été abattu par un drone. C’était probablement un terroriste, mais l’opinion publique américaine s’est mobilisée contre cette exécution sans jugement. Qui décide de la peine de mort ?

L’administration Obama a donné son feu vert au projet Maven dont l’objectif est de rendre les drones tueurs autonomes. Un programme de reconnaissance faciale décide de la cible à atteindre. Est-ce un de ces drones qui a envoyé un missile lors d’un mariage dans la province de Kandahar en Afghanistan tuant 37 personnes ? Des dégâts collatéraux ? Et ce n’est pas la seule bavure en Afghanistan, au Yémen, en Irak et même au Pakistan.
Google a quitté du projet en 2018 à la suite de ses errements.

Dans sa traque contre Ben Laden, Obama ne va pas hésiter à violer l’espace aérien de pays amis comme le Pakistan.

Vingt ans de guerre pour rien

La réaction aux attentats de 11 septembre a coûté 6000 milliards de dollar, 7000 morts du côté américain, 350.000 civils tués (ce chiffre est contesté) et 40 millions de réfugiés.

Notons que 6000 milliards sur 20 ans, soit 300 milliards par an représente 0,015% du PIB° des États-Unis et 42% de leurs dépenses militaires.

Et toutes ces dépenses en vies humaines et en matériel pour rien ! Al Qaïda est toujours actif, une nouvelle organisation terroriste a vu le jour : DAESH. Les talibans ont repris le contrôle de l’Afghanistan et y appliquent toujours une charia d’un autre âge.
L’Irak est totalement déstabilisé : un nouveau despote dirige le pays où règne la corruption. Il faut savoir que la première mesure prise par les Américains a été de limoger tous les fonctionnaires et les militaires appartenant au parti de Saddam Hussein, le parti Baas. En 1945, dans l’Allemagne vaincue, les fonctionnaires, nazis ou non, avaient été maintenus à leur poste pour faire redémarrer le pays.

L’Iran a tiré profit des guerres. Malgré l’assassinat en janvier 2020 du général iranien Qassem Soleimani, tué par un drone américain à sa sortie de l’aéroport de Bagdad, son plan de désenclavement de l’Iran a été mené à bien. Il voulait créer un front chiite au Proche Orient, du Hezbollah libanais pro-iranien à l’Iran en passant par la Syrie et l’Irak où le Hezbollah irakien s’est constitué suite à l’invasion américaine. L’Iran contrôle toute une bande de territoire.

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

Il est plus simple de voir ce qui a fonctionné : les invasions ont été très rapides, Kaboul a été libérée en novembre 2001 et Bagdad est tombée moins d’un mois après le début de la guerre.
Mais après… les États-Unis n’avaient aucune stratégie. Les Afghans et les Irakiens devaient leur tomber dans les bras pour les remercier de leur avoir apporté la démocratie. C’est tout le contraire qui s’est produit. En traînant pour mettre fin aux pillages et pour rétablir l’électricité, l’eau et le ramassage des immondices, les Américains se sont fait des ennemis des Irakiens les plus enthousiastes.

Quant à la démocratie, on en est loin. Les États-Unis entretenaient l’illusion que des élections libres allaient engendrer un gouvernement démocratique. Au lieu de cela, les électeurs ont pu choisir les corrompus qui allaient s’enrichir des millions de dollars que les États-Unis allaient déverser sur leur pays.

En Afghanistan, ils ont commis une autre erreur. Ils ont voulu ignorer que le Pakistan était l’allié des talibans. Les États-Unis et la France ont continué à livrer des armes aux Pakistanais qui les transféraient en Afghanistan. Ces deux pays étaient pourtant au courant puisqu’en 2001, lors du retrait des talibans de Kaboul, ils avaient découvert des armes livrées au Pakistan dans les caves des bâtiments occupés par les talibans.

La fin de la guerre

Le 31 août 2021, les troupes américaines ont quitté l’Afghanistan. La situation n’a pas évolué en 20 ans, les talibans sont de nouveau au pouvoir. Ils ont négocié le départ des troupes américaines à Doha, au Qatar… sans compensation. Avec le retrait des troupes, les civils Américains et leurs collaborateurs ont essayé de s’extirper de l’Afghanistan. On a vécu les mêmes scènes de chaos, de bousculades, de drames que lors de l’évacuation de Saïgon en 1973. A Kaboul, au moins, les États-Unis n’ont pas oublié de soldats. Au Vietnam, une dizaine de soldats avaient été oubliés dans l’ambassade. Tout s’est bien terminé pour eux, après quelques négociations, un hélicoptère a pu les évacuer par le toit.

En Irak, bien que les militaires se soient officiellement retirés en 2011, il reste toujours des conseillers chargés de former la police et l’armée… en plus des sociétés privées de sécurité.

Un autre ennemi

La guerre est terminée, les Américains continuent à commémorer les attaques du 11 septembre. Ils restent convaincus que leur pays est le garant de la liberté dans le monde et qu’il agit toujours dans le respect du droit international. Jamais ils ne s’interrogent sur les causes de la tragédie de 2001. Or aujourd’hui, les causes sont toujours présentes et plus vivaces que par le passé, car la population de plusieurs pays ont subi l’effroi des bombardements intensifs et l’occupation d’une armée étrangère. Le problème n’a pas disparu, il s’est aggravé. Le sentiment de vengeance reste vivace dans les deux camps.
De plus, si l’Occident considère l’évacuation de l’Afghanistan comme une défaire politique, les ennemis des États-Unis la considèrent comme une défaite militaire : une milice islamique a fait mordre la poussière au géant américain. Tout devient possible.

Les Américains veulent oublier le Moyen-Orient trop lointain, ils sont passés à autre chose, ils se sont déjà trouvé un nouvel ennemi : la Chine. Un sondage Gallup de mars 2021 révèle que 50% des citoyens américains voient la Chine comme une priorité absolue de la politique étrangère à mettre en place par Jo Biden. De plus, 80% d’entre eux considèrent la Chine comme un ennemi, au mieux un adversaire, qui effraie par son pouvoir militaire, technologique et économique.

Or si l’on compare les effectifs militaires des deux pays, la Chine est loin de posséder un armement comparable aux États-Unis. (La Chine est 4 fois plus peuplée que les États-Unis). Elle n’entre pas dans la course aux armements qui a causé la chute de l’URSS qui vivait au-dessus de ses moyens pour égaler les États-Unis en puissance militaire.

                              Chine                       États-Unis
Dépenses annuelles            205 milliards de $          705 milliards de $ 
Soldats actifs                2,2 M (0,15 % population)   1,4 M (0,42%)
Porte-avions                  2                           11
Navires de guerre             777                         490
Ogives nucléaires             280                         6450
Avions                        3260                        13233

Notes

Le PIB d’un pays est la richesse produite par ce pays en un an. Le PIB peut être calculé comme suit (du point de vue des entreprises) : la somme des salaires payés + les bénéfices + la plus-value boursière + les rapports des immeubles (bâtis ou non) + l’accroissement des stocks – les subventions.

1991 : le bal des dupes

Le 2 août 1990, les troupes irakiennes envahissent leur petit voisin du sud, le Koweït. Saddam Hussein, le président de l’Irak, invoque trois prétextes :

  • Le surproduction du Koweït et des Emirats arabes a fait chuté le cours du pétrole de 19 à 10 $ le baril, faisant perdre 7 milliards de dollars par an à l’Irak.
  • L’Irak accuse le Koweït de creuser de nouveaux puits en oblique sous sa frontière.
  • Enfin, l’Irak considère le Koweït comme une province détachée de l’Irak par la Grande Bretagne en 1922.

Mais la vraie raison est ailleurs. La guerre meurtrière qui a opposé l’Irak à l’Iran vient de se terminer sans vainqueur. Guerre durant laquelle les Etats-Unis ont livré des missiles et des armes chimiques à l’Irak. L’Irak est exsangue et les pays qui ont financé la guerre réclame le paiement des dettes. Le Koweït a prêté 15 milliards de dollars à l’Irak, l’Arabie saoudite 45 milliards.

L’invasion a chassé l’émir du Koweït, cheikh Jaber Al-Ahmad, vers les Etats-Unis qui l’accueillent à bras ouverts bien qu’ils aient soutenu Saddam Hussein durant sa guerre contre l’Iran. Pour sa part, l’Arabie saoudite s’inquiète. La CIA lui a fait parvenir des photos d’une incursion des troupes irakiennes sur son territoire, photos qui ne seront jamais publiées. Fake news. L’Arabie demande l’aide des Etats-Unis. Après d’âpres discussions plus de 100.000 militaires américains sont déployés dans le nord de l’Arabie. C’est l’opération Bouclier du désert.

Cette installation des Américains va avoir des conséquences aussi énormes qu’inattendues. Un certain Oussama Ben Laden, dont la famille est très proche du pouvoir saoudien et qui a fait ses preuves militaires en Afghanistan avec le soutien des Américains, propose au roi Fadh d’utiliser sa milice pour défendre le pays contre les Irakiens. A la suite du refus du roi, il l’accuse de corruption et d’autoriser des infidèles à souiller le sol sacré de l’Arabie saoudite. Son passeport saoudien lui est retiré… l’histoire d’Al-Qaïda est en marche.

Aux Etats-Unis la propagande anti Saddam Hussein s’organise. De héros, il devient un monstre, un autre Hitler qui projette d’envahir tous ses voisins. Une ING se constitue : « Citizens for free Koweit » . L’émir Jaber loue les services de l’agence de communication Hill and Knowlton pour un montant de 12 millions de dollars (de l’époque). Cette agence fournit des films de propagande aux médias, elle analyse les réactions de la population américaine par une série de questions faisant appel à sa sensibilité. Enfin, elle tient son sujet. Le 14 octobre 1990, une toute jeune fille Nayirah, présentée par les médias comme une infirmière, dévoile l’innommable devant une commission du sénat américain : des soldats irakiens ont fait irruption dans une maternité de Koweït City et ont embarqué les couveuses pour les transporter en Irak, jetant au sol les nouveaux-nés. Elle est en pleurs : 22 bébés ont été assassinés.

Nayirah devant la commission du sénat américain

Amnesty International surenchérira, ce n’est pas 22 bébés mais 74 ! Nayirah continue : « Les Irakiens ont tout détruit au Koweït. Ils ont vidé les supermarchés de nourriture, les pharmacies de médicaments, les usines de matériel médical, ils ont cambriolé les maisons et torturé des voisins et des amis. J’ai vu un de mes amis après qu’il ait été torturé par les Irakiens. Il a 22 ans mais on aurait dit un vieillard. Les Irakiens lui avaient plongé la tête dans un bassin, jusqu’à ce qu’il soit presque noyé. Ils lui ont arraché les ongles. Ils lui ont fait subir des chocs électriques sur les parties sensibles de son corps. Il a beaucoup de chance d’avoir survécu. »

Mme Thatcher enjoint George Bush d’intervenir. Le Conseil de sécurité de l’ONU est convoqué. Un pédiatre koweïtien vient témoigner : il a vu la tombe de 122 enfants tués dans les maternités. La résolution 678 du 29 novembre 1990 adresse un ultimatum à l’Irak, qui a jusqu’au 15 janvier 1991 pour évacuer le Koweït, sous peine d’intervention militaire

Le 12 janvier 1991, le Sénat américain vote l’intervention militaire par 52 oui contre 47 non. Le 17, le journaliste Alexander Cockburn dénonce la supercherie dans un article : il y aurait 122 couveuses à Koweït City alors que le plus grand hôpital de Los Angeles n’en compte que 13. Mais c’est trop tard, la guerre est déclarée : c’est l’opération Tempête du désert. Trente quatre nations vont s’attaquer à l’Irak. La guerre durera 5 semaines.

Epilogue

La plupart des infrastructures de l’Irak ont été détruites. Le montant des réparations est estimé à 500 milliards de dollar. On estime à 150.000 le nombre d’Irakiens qui ont perdu la vie.

Le dernier convoi irakien, militaire et civil, à quitter le Koweït a été pulvérisé par l’aviation américaine.

732 puits de pétrole koweïtiens ont été incendiés et 20 millions de tonnes de pétrole déversés sur le sol.

La guerre a coûté aux alliés plus de 100 milliards de dollars, surtout financés par l’Arabie saoudite..

Le journaliste John Martin de la chaîne ABC a retrouve le médecin qui a témoigné à l’ONU. Ce n’est pas un pédiatre, mais un dentiste et il ne souvient plus où les enfants ont été enterrés. Un autre journaliste, Andrew Whitley a enquêté dans les 3 hôpitaux de Koweït City : les couveuses étaient bien en place et aucun enfant n’avait été tué par les soldats irakiens. Mais tant les infirmières que les médecins étaient convaincus que si leur maternité avait été épargnée, ça s’était bien passée dans les autres.

John Mac Arthur du magazine Harper’s a identifié l’héroïne de l’histoire, Nayirah. Elle s’appelle Nayirah Al-Sabah, c’est la fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington, membre de la famille royale.

L’opinion publique est prête, les organismes de communication ont bien rôdé leur discours, les politiciens sont toujours aussi naïfs. Tout est prêt pour le deuxième acte : les armes de destruction massives.

Inspiré par le documentaire 1991, première guerre du Golfe de Bénédicte Delfaut

Elections législatives 2018 en Irak

La presse ne nous épargne aucun attentat en Irak, mais oublie de nous parler des élections qui se sont déroulée le 12 mai 2018 afin d’élire les 329 membres du Conseil des représentants (le parlement). Il a fallu attendre le mois d’août pour connaître les résultats. S’en suivi de longues discussions pour former un gouvernement.

Actuellement, l’Irak est une république fédérale dans laquelle les territoires kurdes du nord jouissent d’une grande autonomie. Chaque entité fédérée obtient un nombre de représentants proportionnel à sa population. neuf sièges sont réservés aux minorités religieuses dont cinq  pour les chrétiens. Les femmes ont droit à 25% des sièges. Comme au Liban, le pouvoir est partagé entre un président kurde, un premier ministre chiite (Haïder al-Abadi) qui détient le pouvoir réel et un président du parlement sunnite.

Pas moins de 35 partis se présentaient au suffrage des électeurs qui ne se sont pas déplacés en masse : moins de 50%.

La victoire (relative) est revenue à la coalition « En marche (vers les réformes) ». Plus que la victoire, c’est la composition de ce parti qui est importante. Il a été fondé par Moqtada Sadr qui s’est allié au parti communiste !

Moqtada Sadr ne nous est pas inconnu. Il est issu d’une lignée de dirigeants religieux, mais surtout, il était à la tête du l’armée du Mahdi qui a mené une guérilla sanglante contre les troupes américaines en 2004 et 2006. Bien que chiite, il a pris ses distances envers l’Iran, souhaitant une indépendance totale de l’Irak. Il a même pris récemment des contacts avec l’Arabie saoudite sunnite.

Malheureusement vu la grande fragmentation de l’électorat, c’est une coalition de cinq partis, tous chiites, qui va gouverner le pays pour les quatre ans à venir. A eux cinq, ils ont à peine la majorité, 166 sièges sur 329. Le premier ministre (Haïder al-Abadi) a été reconduit dans ses fonctions.

L’indépendance n’est pas encore acquise, l’Iran et les Etats-Unis ont fortement influencé la formation du gouvernement.