La culture islamique est une culture sans image. Vraiment ? La première dynastie musulmane, les Omeyyades, qui succède aux compagnons du prophète Mahomet, installe son pouvoir en Syrie-Palestine, entre Damas et Jérusalem. Elle ignore ce qui deviendra les lieux saints de l’islam : La Mecque et Médine. Les califes omeyyades ont conquis le pouvoir par les armes, en battant le quatrième calife, Ali, gendre et beau-fils du prophète (voir mon article sur les premiers califes omeyyades).
Ils vont tisser un réseau de résidences fortifiées dans tout le territoire qu’ils contrôlent, d’Alep au nord de la Syrie jusqu’au nord de la péninsule arabique en passant par l’actuelle Jordanie. On dénombre aujourd’hui plus d’une trentaine de « châteaux de désert » ainsi qu’on les appelle. Ils sont tous de forme et de taille différente. Ils servaient de résidence à la cour califale lors des déplacements du calife que l’on peut imaginer rendant visite à ses sujets, comme les rois de France le pratiquaient… d’où l’abondance des châteaux royaux en France.
Le château du désert de Qusayr Amra en Jordanie
Un de ces châteaux a gardé sa décoration originale et elle surprend. Les murs sont recouverts de 400 m² de fresques qui montrent une tout autre culture musulmane que celle que véhicule l’islam d’aujourd’hui. On se croirait dans une villa romaine : les scènes de fêtes succèdent aux scènes de chasse. Des femmes dansent et se baignent. C’est un lieu de perdition pour les intégristes.
Femme au bain
Danseuse
Femmes (grecques ?)
J’ai parlé de lieu de perdition, mais ce sont plutôt des scènes de paradis, tel que se l’imagine les salafistes. C’est là toute l’ambiguïté des combattants d’Allah : ils veulent détruite la civilisation occidentale qu’ils jugent décadente et débauchée pour gagner un paradis où ils pourront vivre une vie de repos et de débauche. (Exemples de citations sur le Paradis tirées du Coran d’après Les Grands Thèmes du Coran par Jean-Luc Monneret) :
Le Paradis est un jardin parcouru de ruisseaux (Co. 4, 122). On y trouve d’immenses ombrages (56, 30) , non le soleil implacable. On y reçoit des fruits (56, 32) et des boissons en abondance, du vin dont on ne se lasse pas et qui n’enivre pas (37, 47). Des « houris » aux grands yeux sont là, toujours vierges et d’âge égal (55, 36) ainsi que de beaux éphèbes (56, 17). Vêtus de brocart et de soie, parés de bijoux précieux (18, 31) les élus se reposeront pour l’éternité dans de profonds divans (76, 13).
Mais revenons aux Omeyyades. Doit-on s’étonner de la décoration de ces châteaux ? Oui si on se réfère à la tradition islamique qui fait des Omeyyades, les descendants d’Abu Sufyan, le maître de La Mecque, un fils du désert, converti sur le tard à l’islam. Non, si on suit l’hypothèse que j’ai développée dans l’article précité, qui fait des Omeyyades des Arabes de Syrie, alliés (abandonnés) des Byzantins, donc de culture grecque. Leur tribu dirigeait la confédération des Ghassan (ou Ghassanides) et construisaient déjà des résidences dans les déserts comme Jabiya dans le Golan ou Jilliq au sud de Damas.
Mais connaît-on vraiment l’histoire de l’islam ?
Les représentations humaines dans l’islam
Aucun verset du Coran n’interdit de représenter des personnes. La tradition islamique vient probablement du judaïsme. Dans le livre de l’Exode 20, 4-5, il est dit : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point. Cette interdiction vise à éviter l’idolâtrie. Certains auteurs considèrent que l’interdiction des images dans l’islam serait une conséquence de la crise des icônes qui frappa l’Empire byzantin au VIIIe siècle. En 730, l’empereur Léon III l’Isaurien (empereur de 717 à 741 né en Isaurie, région du centre de la Turquie moderne) interdit l’usage des icônes du Christ, de Marie et des saints, et ordonne leur destruction. Cette raison est peu probable, car le Dôme du Rocher, construit avant la crise, ne comporte aucune représentation « d’être ayant une âme« .
La croyance populaire fait état d’un califat islamique s’étendant de l’Océan Atlantique au Gange. C’est aussi faux que de croire qu’à la même époque, le pape régnait sur toute l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural ou qu’au XIIe siècle, le roi de France gouvernait tout le territoire français (voir la carte dans l’article sur les Cathares). A l’exception des VIIIe et IXe siècles, les califes n’avaient qu’un pouvoir limité, plusieurs émirats ou sultanats indépendants administraient ce vaste territoire. Cette mosaïque d’États favorisa l’installation dans le Levant des barons chrétiens lors des croisades. Jamais ils ne durent affronter une armée levée par le calife. Ils combattaient des troupes locales commandées par des émirs. La seule armée de coalition qu’ils durent affronter est celle rassemblée par Saladin (Salah al-Din) à la bataille des Cornes de Hattin en juillet 1187. Mais cette armée se dispersa bien vite, empêchant Saladin de rejeter les chrétiens à la mer. Ils purent se maintenir jusqu’en 1291.
Il n’y a pas eu un califat, mais cinq, si l’on ne tient pas compte de l’éphémère califat autoproclamé d’Abu Bakr al-Baghdadi, le chef spirituel de DAESH. Voyons comment ils ont fini.
Les califat omeyyade (661-749)
La première dynastie califale n’a régné que 88 ans. Les Omeyyades ont toujours été considérés comme des usurpateurs, des impies. Ils ne font pas partie de la famille du prophète et ils ne descendent même pas d’un compagnon de Mahomet. La tradition islamique les considère comme héritiers du plus grand adversaire du prophète : Abu Sufyan, maître de La Mecque qui lui fit la guerre jusqu’à Médine. Pour ma part, j’estime qu’ils sont issus de l’aristocratie ghassanide établie en Syrie.
Ils ont toujours dû faire face à l’opposition des disciples d’Ali, descendant d’Abu Talib, l’oncle protecteur de Mahomet ou des compagnons du prophète. Pourtant, c’est d’ailleurs qu’allait venir le danger. Des confins de la Perse, du Khurasan et de la Transoxiane, une armée hétéroclite commandée par un descendant d’un autre oncle de Mahomet, Abbas, se dirige vers Damas, et massacre tous les membres de la famille omeyyade… sauf un dont on reparlera. Cette armée est composée d’Arabes, de Perses, de Turcs descendus des steppes, mais aussi de Sindis, d’Alains, de Khazars et de Mèdes ! La civilisation islamique rompt avec l’orientation judéo-chrétienne de Damas. L’élite syro-arabe fait place à un monde cosmopolite. Délaissant Damas, le deuxième calife abbasside, al-Mansur, fait construire une ville nouvelle là où le Tigre et l’Euphrate sont les plus proches : la ville de Bagdad, face à l’ancienne capitale perse, Ctésiphon qui servira de carrière. Elle sera inaugurée en 762.
A ma connaissance, l’oncle Abbas n’apparaît pas dans la Sîra, la biographie de Mahomet pourtant écrite sous la dynastie abbasside.
Quatorze califes omeyyades se sont succédés. Pour plus de détails, voir mes articles sur Muawiya, Abd al-Malik et le Dôme du Rocher.
Le califat de Cordoue (912-1031)
Fuyant la rage homicide des Abbassides, le prince Abd al-Rahman, le dernier des Omeyyades, trouve refuge dans la tribu de sa mère en Ifriqya, la Tunisie actuelle. Là, il recrute une armée et passe en Espagne où il se fait reconnaître émir de Cordoue. On est en 756. C’est le premier territoire perdu par les califes abbassides, d’autres suivront à commencer par le Maghreb. Sous le règne des Omeyyades de Cordoue, la ville va prendre de l’éclat et devenir la seconde ville de l’Islam après Bagdad.
En 912, Abd al-Rahman III se proclame calife d’Al-Andalus. Dans cet État, les chrétiens et les juifs vivent en bonne entende avec les musulmans, tous parlent arabe, en plus de leur langue maternelle. Les sciences sont à l’honneur à Cordoue et à Tolède. Les savants traduisent les textes des auteurs grecs, perdus du monde chrétien.
En 976, le calife qui monte sur le trône n’est encore qu’un enfant. C’est son conseiller surnommé al-Mansur, le victorieux, qui dirige effectivement le califat. Il entreprend de soumettre les royaumes chrétiens qui subsistent dans le nord de l’Espagne : d’ouest en est, les royaumes de Léon, de Castille, de Navarre, d’Aragon et le comté de Barcelone. L’antagonisme qui règne entre les royaumes chrétiens lui facilite la tâche. Mais quand ils s’allient enfin, al-Mansur doit faire appel à des mercenaires maghrébins, les Almoravides qui ont acquis leur indépendance vis à vis du califat abbasside.
A la mort d’Al-Mansur, les Almoravides, islamistes radicaux, imposent leur vision de l’islam et prennent petit à petit le pouvoir. C’est la fin d’Al-Andalus et de son califat. Divers émirats, indépendants et concurrents, vont se partager le territoire, ce sont les taïfas (faction en arabe).
Les rois chrétiens, surtout Alphonse VI roi de Léon puis de Castille, vont profiter de la situation pour conquérir la taïfa de Tolède (1085), la plus étendue. La culture d’Al-Andalus subsistera dans la ville de Tolède au grand dam des papes qui iront jusqu’à considérer les chrétiens de Tolède comme des hérétiques. Grâce à la prise de Tolède, les auteurs grecs dont Aristote, seront étudiés dans l’Europe chrétienne.
Après la bataille de Las Navas de Toloso (1212), il ne restera plus qu’une seule taïfa, celle de Grenade, qui sera conquise en 1492
Le califat fatimide (909-1171)
Au Maghreb oriental (Ifriqya), une dynastie chiite proclame un califat qui s’oppose à celui de Bagdad. Leur nom leur vient de la fille de Mahomet, Fatima, épouse d’Ali dont le premier calife, Ubbay Allah al-Madhi, se prétend le descendant. Malgré l’opposition des oulémas sunnites, la dynastie va se maintenir et commencer son expansion, en Sicile tout d’abord, puis en Égypte (en 969). Les Fatimides vont développer la ville du Caire qui deviendra le pendant de Bagdad et de Cordoue au point de vue architectural et culturel. Ils n’imposent pas leur foi, ils font preuve de tolérance. Au Xe siècle, il y avait encore près de 50% de chrétiens en Égypte (les coptes), Toute l’Afrique, sauf le Maroc actuel passe sous la domination du califat chiite.
Les califes visent maintenant la Syrie, qui est repassée aux mains des Byzantins bientôt chassés par les Turcs seldjoukides. Turcs et Égyptiens vont se disputer la possession de Jérusalem. Cette guerre permanente décidera les papes à organiser la croisade pour permettre aux pèlerins de gagner la Palestine sans risque.
Les Égyptiens (re-) prennent Jérusalem en 1098. C’est donc eux que les croisés affronteront en juillet 1099. L’armée califale constituée de Berbères dans les premiers temps, devient hétéroclite, incorporant des Turcs et des esclaves capturés très jeunes en pays chrétiens et convertis à l’islam. Pour faire face aux barons chrétiens, les califes font appel à des armées syriennes dont celle de Saladin qui va infliger une défaite mémorable aux chrétiens en Galilée, aux Cornes de Hattin en 1187, avant de reprendre Jérusalem.
Saladin va s’installer en Egypte. Il mettra fin au califat chiite, prêtant allégeance au calife de Bagdad. Sa dynastie, les Ayyoubides ne se maintiendra au pouvoir que 79 ans. En 1250, l’armée prend le pouvoir et installe ce que l’on a appelé le sultanat mamelouk. Mamelouk signifie « qui appartient aux autres ». Souvenons-nous que l’armée égyptienne était composée d’esclaves convertis. Ce sont eux qui ont pris le pouvoir. Ils vont se maintenir jusqu’en 1517, lorsque les Turcs ottomans envahiront la Syrie et l’Egypte. Mais le corps d’armée mamelouk continuera à servir ses nouveaux maîtres. Lorsque le général Bonaparte quittera l’Egypte en 1799, il emmènera avec lui Roustan, un mamelouk arménien qui sera son intendant, son garde du corps.
Quatorze califes fatimides se sont succédés.
Le califat abbasside (750-1258-1517)
C’est le califat qui va résister le plus longtemps. Il a très vite perdu toutes velléités expansionnistes, perdant petit à petit des territoires et se contentant d’un rôle spirituel, laissant la direction du califat à des émirs ou des sultans, essentiellement turcs.
Au XIIIe siècle, une nouvelle puissance apparaît sur l’échiquier politique : les Mongols. Ils envahissent toute l’Asie du nord, et occupent l’Europe jusqu’à Vienne. Ils abandonnent leurs conquêtes en l’Europe à la mort de leur grand khan Ogodeï en 1241. Tous les chefs quittent leurs positions pour participer à l’élection du nouveau khan. Möngke le successeur d’Ogodeï, reprend la conquête, délaissant l’Europe, il s’attaque à l’empire islamique. Il s’empare de l’Iran en 1253 et détruit Bagdad en 1258, mettant fin au califat. Des membres de la famille abbasside vont se réfugier en Egypte, sous la protection des mamelouks. Ils garderont le titre honorifique de calife.
Les Mongols sont des guerriers redoutables. Si une ville ne se rend pas, elle est détruite et ses habitants massacrés, leurs têtes empilées aux portes de la ville. C’est ce qui est arrivé à Bagdad. Mais, ils sont aussi très hospitaliers, curieux des autres cultures. Des prêtres chrétiens nestoriens vivaient à la cour mongol. Les nestoriens sont les disciples de l’évêque Nestorius qui a refusé de considérer Marie comme « mère de Dieu », car en toute logique, la mère précède le fils, donc Marie aurait dû être créée avant Dieu. Les Nestoriens ont été expulsés de l’empire Byzantin au Ve siècle, ils sont partis vers l’est.
Dans leur combat contre les musulmans, les Mongols ont demandé l’aide du pape et des rois de France (Louis IX et Philippe le Bel) et d’Angleterre (Richard Cœur de lion). En vain. Seuls le royaume d’Arménie et le principat d’Antioche s’allieront à eux. Par contre, les autres barons chrétiens permettront au mamelouk Baybars de traverser leur territoire, tout en assurant leur ravitaillement, pour s’attaquer à une faible armée mongole, laissée en Palestine, alors que les chefs étaient retournés à Pékin pour élire le successeur de Möngke (1260). Cette coutume leur a coûté de nombreux territoires.
On compte 37 califes abbassides à Bagdad et 17 au Caire.
Le califat ottoman (1876-1924)
La tradition circulant au XVIe siècle dans l’empire ottoman rapporte que le sultan Selim Ier, au moment de la conquête de l’Egypte s’est fait remettre les insignes du califat abbasside transféré au Caire au moment de la prise de Bagdad par les Mongols. Mais ce n’est qu’en 1876 que la constitution précisa que le sultan était le calife, protecteur de la religion musulmane.
Lorsque Mustapha Kémal reprit les armes en 1919 pour s’opposer au traité de Sèvres qui morcelait l’empire ottoman, il abolit le sultanat, mais conserva à Abdulmecit II le titre de calife. Ce titre ne sera aboli qu’en février 1924, comme ne correspondant plus à une réalité, au grand dam des musulmans de l’Inde et des Arabes.
Que de mystères entourent ce livre ! Pourtant, si on se réfère à la tradition, tout est bien clair. Le Coran renferme toute la révélation que Mahomet a reçue de Dieu par l’intermédiaire de l’ange Gabriel entre 610 de notre ère et 632, date de la mort du prophète. La révélation était orale et récitée par les fidèles. Au fil du temps, la récitation s’est faite moins respectueuse de l’original, ce qui a amené le troisième calife, Uthman (644-656), a la mettre par écrit, « dans un arabe clair« . C’est du moins ce que raconte Boukhari, un chroniqueur du IXe siècle.
Un livre saint
Les citations qui suivent sont extraites de l’introduction du « saint Coran » édition AlBouraq (Médine 2019).
« C’est le livre d’Allah qui englobe des questions très variées, notamment le dogme, la loi (Charia), la morale, la prédiction à l’islam, l’usage des bons conseils, la moralité, la critique constructive, l’avertissement, les argumentations et témoignages, les récits historiques, les références aux signes cosmiques d’Allah, etc.« « Le Coran est par essence miraculeux et inimitable, tant au point de vue du fond que de la forme. C’est la parole incréé d’Allah, révélée à son messager Muhammad…«
Sa traduction est un exercice difficile : « Le traducteur doit être un expert chevronné en langues arabes et étrangères, il doit disposer d’un savoir encyclopédique incontestable et jouir en plus de qualités morales indéniables. Car chaque terme dans la langue du Coran a un certain poids, chaque voyelle a sa raison d’être et le simple fait d’omettre une voyelle peut être lourd de conséquence.«
La version actuelle du Coran, en arabe, date de 1923/1924 et a été composée au Caire. Elle ne modifie pas le texte antérieur, mais lève des imprécisions : « Les gens ne formaient (à l’origine) qu’une seule communauté (Co. 10,19) ». Les ajouts sont toujours entre parenthèses ou entre crochets. C’est la version canonique. Jusqu’alors, on admettait sept ou dix lectures différentes du Coran, suivant les écoles juridiques.
Présentation du texte
C’est un texte déroutant, « sans contexte » : il met en scène des personnages biblique tels qu’Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus…, sans les présenter dans leur contexte, comme si les destinataires des récits coraniques les connaissaient déjà. Ce qui était probablement le cas. C’est une oeuvre relativement courte de 6236 versets regroupés en 114 chapitres, appelés sourates. A titre de comparaison, il comporte trois fois moins de mots que le Nouveau Testament. Chaque sourate porte un nom. Le Saint Coran de Médine, de petit format, comporte 700 pages, plus ou moins 250 à l’origine où les feuillets étaient plus grands. La plupart des versets sont écrits en prose rimée, il ne se lit donc qu’en arabe. A l’école coranique, les enfants musulmans apprennent à lire le Coran en arabe. Il leur faut trois ans pour pouvoir le réciter par cœur. L’enseignement ne vise pas à comprendre le texte, mais à le lire en arabe et à le réciter.
Jean Damascène ou Jean de Damas de son véritable nom Mansour ibn Sarjoun, ancien fonctionnaire du gouvernement omeyyade, devenu moine chrétien, né vers 676 et mort en 749, connaît le Coran. Il cite le nom de certaines sourates qu’il nomme « traités ». Ainsi, il parle du « traité de la femme », du « traité de la vache ». La sourate 2 s’appelle aujourd’hui « La vache », et la sourate 4 « Les femmes ». Ce fait est remarquable, car la découpe du Nouveau et de l’Ancien Testament en chapitres et versets ne s’est faite qu’au XVIe siècle ! La Bible de Gutenberg, imprimée en 1455, est un texte monolithique.
Bible de Gutenberg
Longtemps, il fut interdit de publier le Coran sous format imprimé. Gardons à l’esprit que le premier journal imprimé dans l’Empire ottoman date de 1864 ! Au XIXe et jusqu’au début du XXe siècle, la reproduction du Coran s’est faite par lithographie, inventée en 1796, qui respecte le tracé manuel des lettres, et le travail des copistes.
Les sourates sont classées par ordre de taille, en versets. Les plus longues au début. Les sourates 1, 143 et 144 sont des textes liturgiques, des prières. Le classement n’est pas strictement respecté. Je tenterai d’apporter une explication à ces exceptions.
Graphique de la taille des 25 premières sourates
Parole incréée d’Allah ?
Dans les premiers temps de ce qui va devenir l’islam et que j’appellerai le « proto-islam », la notion de parole incréée n’a pas cours. La tradition rapporte que la femme de Mahomet, Aïcha, avait sa propre version du Coran dans laquelle les versets étaient rangés par ordre de révélation. De même, le Coran compilé par Abdullâh ibn Masûd, un compagnon du prophète, coexista avec le Coran « canonique » jusqu’au Xe siècle, puis ses propriétaires furent persécutés et les livres détruits.
Sous le calife Abd al-Malik (646-705), personne ne s’étonne que le général al-Hajjaj ben Youssef (661-714) ajoute 2000 harf au Coran. « Harf » peut signifier signe, lettre ou mot. On ne connaît donc pas l’importance des modifications faites. La plupart des historiens pensent qu’il ajouta des signes diacritiques différenciant les sons représentés par des signes (lettres) identiques.
La tradition conserve le souvenir d’une autre variation du texte connu sous le nom de hadith des sept ahruf (ahruf est le pluriel de harf). Le récit met en scène Umar, le deuxième calife et un compagnon du prophète. Ils ne sont pas d’accord sur la façon de réciter des versets. Ils demandent donc l’arbitrage de Mahomet. Umar récite les versets et Mahomet avalise la récitation en disant : « C’est bien ainsi qu’ils m’ont été révélés ». Umar jubile. Mahomet demande au compagnon de lui donner sa version. Mahomet confirme « C’est bien ainsi qu’ils m’ont été révélés ». Même si cette histoire n’est pas vraie, elle montre que dans la période du proto-islam, le fond était plus important que la forme. Tout à fait le contraire d’aujourd’hui.
Qui a conçu le Coran et qui l’a mis par écrit ?
Question embarrassante et souvent éludée par les historiens qui se retranchent derrière la tradition. Le Coran a été révélé à Mahomet entre 610 et 632, date de sa mort. Les révélations ont été compilées par le troisième calife, Uthman, vers 650, qui fait détruire tous les textes pré-existants. Cette chronologie nous vient de Boukhari qui écrit vers 850, soit deux cents ans après les faits. Cette histoire a été érigée en dogme.
En ce basant sur l’étymologie syriaque du mot « coran » (« lectionnaire« ), certains milieux catholiques veulent voir dans ce livre un livre liturgique (chrétien) contenant les passages des textes religieux lus à l’occasion des cérémonies religieuses. Je ne les suivrai pas dans cette voie, le Coran est un texte original. « Coran » en arabe signifie « récitation« . Bien qu’il reprend les thèmes bibliques, à aucun endroit il n’y a un verset copié de la Bible ou d’un évangile. Les récits s’éloignent même souvent des textes bibliques (voir mon article sur Jésus dans le Coran). Plus qu’une copie, c’est une réinterprétation des textes anciens. Une remise en forme pour qu’ils soient compris par des auditeurs provenant d’horizons divers.
Il est probable que le Coran ait été initié par Mahomet, ce qui lui donna une aura de chef et de prophète. Mais le texte original a été altéré plusieurs fois suivant les circonstances. Jean-Jacques WALTER un ingénieur, chercheur en technologie, a publié sa thèse de doctorat en islamologie (hé oui) sous le titre « Le Coran révélé par la théorie des codes ». Il y analyse le texte à l’aide d’outils informatiques pour trouver les strates de rédaction. Il a détecté plus d’une trentaine de rédacteurs différents. Chacun ayant pris à son compte un thème différent. Il n’y a donc pas de versets écrits à La Mecque et d’autres à Médine, mais des rédacteurs différents suivant les circonstances historiques, comme je vais tenter de le montrer dans le chapitre suivant.
La mise par écrit de la première version du Coran a pu être faite sous le calife Uthman vers 650. Cet assertion traditionnelle ne gène pas : c’est l’édition d’un texte qui existe déjà. Le Coran n’aurait été produit qu’à quatre exemplaires lors de cette première compilation (tous perdus). Le papier n’existant pas encore, la création d’un coran nécessitait d’énorme quantité de peaux de mouton, environ une peau complète pour deux feuillets de 40 cm, ce qui était la norme à l’époque.
Ce qui étonne, c’est l’écriture des plus anciens textes qui nous sont parvenus.
Pages de deux Corans anciens (VII ou VIIIe siècle)
Je rappelle ce que proclamait l’introduction du « saint Coran » : « … chaque voyelle a sa raison d’être et le simple fait d’omettre une voyelle peut être lourd de conséquence. » Or dans ces textes, il n’y a aucun signe diacritique : les voyelles brèves sont absentes et une même lettre peut représenter plusieurs sons différents. Dans l’alphabet arabe, il n’y a que 18 lettres pour 28 sons. C’est d’autant plus bizarre que nous avons des bons de réquisitions datant de la conquête de l’Égypte, datés de 643, comportant des signes diacritiques différenciant les sons.
On pourrait croire que cette mise par écrit ne servait que de support à la récitation et qu’il n’était donc pas nécessaire d’être précis. Mais il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, il faut trois ans pour apprendre à réciter le Coran en s’y attelant tous les jours. Les nouveaux convertis avaient d’autres choses à faire, c’étaient des guerriers.
Le Coran est écrit en arabe clair ou plutôt, « rendu clair ». Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui où on a perdu le contexte culturel de l’époque. Il a été rédigé dans un environnement cosmopolite, l’écriture est sommaire et beaucoup de termes font polémique ; empruntés au syriaque (araméen), à l’hébreu, au grec, etc., ils sont devenus ambigus, leur sens a changé avec le temps en intégrant le vocabulaire arabe.
Les écrits musulmans sur la conquête ne manquent pas d’incohérences et d’incongruités : Tabari, qui écrit au Xe siècle, nous relate que lors d’une entrevue entre le général arabe (Sa’d bn Abi-Waqquas) et son homologue persan, le musulman lui a proposé de se rendre : « si vous acceptez, nous ne vous attaquerons plus, nous nous en retourneront en vous laissant le livre de Dieu« . Nous sommes en 637 bien avant la mise par écrit du « livre de Dieu ».
Un développement historique
Je vais tenter de donner une chronologie au développement d’un premier coran embryonnaire élaboré du vivant de Mahomet ou peu de temps après sa mort. Ceci reste une hypothèse, les chercheurs ne sont arrivés à aucun consensus.
Après 622. Le Coran naît dans un environnement multilingue et multiculturel. Chassés par les Byzantins qui reconquièrent les territoires que les Perses leur avaient pris depuis 612, les juifs fuient vers la péninsule arabique et se joignent aux disciples de Mahomet. Le Coran va s’affiner avec l’apport des rabbins juifs.
Avons-nous des preuves de cette mixité ? Elles sont au nombre de trois. Tout d’abord, la charte de Yathrib mentionne que les tribus arabes combattent sur le chemin de Dieu avec leurs clients juifs. Les juifs migrants ont été acceptés dans les tribus arabes comme clients, ce qui est conforme aux coutumes de l’époque. Sébéos, un chrétien, dans son Histoire d’Héraclius (l’empereur byzantin) parle de l’exil des juifs d’Edesse : « Ils prirent le chemin du désert et arrivèrent en Arabie chez les enfants d’Ismaël (les Arabes) ». Plus loin, il parle de la conquête arabe et dénombre « 12000 enfants d’Israël pour les guider (les Ismaëliens) dans le territoire d’Israël ». 12000, car chaque tribu d’Israël compte 1000 représentants ! Enfin, la tradition musulmane donne à Umar, le deuxième calife (634-644), un conseiller juif, rabbi Ka’ab qui le guide dans le choix de l’emplacement du lieu de prière à construire à Jérusalem.
Durant cette période, le Coran encense les juifs, « ceux qui savent, ceux qui donnent l’exemple« , et reprend les histoires des personnages bibliques.
Le début des Omeyyades(660). Lors de la conquête, des tribus arabes chrétiennes, les Ghassanides, se joignent aux disciples de Mahomet. Elles prennent même la direction des opérations et portent au califat la dynastie des Omeyyades. Il est probable que l’entente avec les juifs, trop intransigeants sur les questions religieuses et ennemis des chrétiens, dégénère. Ce qui se marque dans le Coran où les juifs deviennent des ennemis à éviter : ils ont contrefait la parole de Dieu. Jésus et les grands principes chrétiens font leur entrée dans le Coran. Mais les Ghassanides sont des hérétiques, ils rejettent le dogme de la Trinité imposé par les Byzantins. Dans le Coran, ces chrétiens orthodoxes seront traités d’associateurs, associant d’autres personnes au Dieu unique. La position des chrétiens dans le Coran est dès lors ambiguë, ils sont amis des musulmans et en même temps ennemis. Il faut bien comprendre qu’on parle de deux types de chrétiens.
On constate que plusieurs versets concernant Jésus ont été placés (ajoutés) à la fin des sourates. C’est le cas des sourates 4 et 5 (9 versets).
Abd al-Malik(685). Sous le calife Abd al-Malik l’arabe remplace le grec et le farsi dans l’administration. On peut donc considérer que la langue arabe est arrivée à maturité : la tenue des documents officiels en arabe ne permet plus la moindre interprétation. Le Coran va être réécrit pour y ajouter des signes diacritiques. Les quelques corans qui étaient en circulation sont détruits. C’est la phase de canonisation du Coran. Il devient le support d’une nouvelle religion.
Jésus est omniprésent dans les textes ornant les murs du Dôme du Rocher construit sous Abd al-Malik, mais il n’est pas le fils de Dieu.
Les Abbassides(750). En 750, la dynastie omeyyade est renversée et décimée par un coup d’Etat organisé par une armée composite venant des confins orientaux de la Perse. D’après la tradition, elle est commandée par un petit cousin de Mahomet, descendant de son oncle Abbas. Cette nouvelle dynastie prendra le nom d’abbasside. Damas est abandonnée au profit d’une nouvelle ville construite sur le Tigre, près de l’ancienne capitale de l’Empire perse, Ctésiphon. Cette nouvelle capitale du califat, c’est Bagdad. Si les Arabes sont toujours présents au gouvernement, la culture sera influencé par les Perses et petit à petit, la force armée passera aux mains des Turcs. Notons que l’animal chimérique qui transporte Mahomet vers Jérusalem, Buraq, est issu de la mythologie perse.
C’est peut-être à cette époque que le Coran devient la parole incréée de Dieu. Pour se faire, il faut lever les ambiguïtés de 332 versets qui visiblement ne sont pas prononcés par Allah comme : « Seigneur, je cherche ta protection contre les incitations du Diable » (Co. 23, 97). On a donc ajouté « Dis : » devant ces versets. Le verset cité devient : « Dis: Seigneur, je cherche… ».
Al-Mamun et les mutazilites(810). Au IXe siècle, le calife, al-Mamun (813-833), privilégie le mutazilisme, courant religieux qui considère le Coran comme une oeuvre humaine, inspirée par Dieu. Et la modification du Coran continue. Ainsi, les 3 versets finaux de la sourate 59 semblent avoir échappés à l’ajout du « Dis :« . On y lit (Co. 59, 23) : « C’est lui Allah, le créateur, celui qui donne le commencement à toute chose… ». On peut penser que ces versets ont été ajoutés après la purge précédente et qu’ils sont restés tels quels lors du retour à l’orthodoxie (en 848), car trop de corans étaient en circulation pour les détruire.
Incidemment, on remarque que la sourate 58 a 22 versets, la 59 : 24 (dont 3 ajoutés ?) et le 60 : 13. Les divergences dans l’ordre des sourates seraient-elles dues à des ajouts ?
On peut supposer que les partisans d’Ali, les chiites, ont développé leur propre version du Coran faisant la place belle à la famille du prophète. C’est ce que raconte la tradition. Mais au Xe siècle, alors qu’ils prennent le contrôle de l’Egypte, ils adoptent le Coran sunnite. Ils vont créer en Egypte un califat chiite qui va dominer la Palestine et les lieux saints. Ils seront les principaux adversaires des croisés.
L’honnêteté m’oblige à citer des versets qui ne corroborent pas mon hypothèse, les versets 36 à 59 de la sourate 3 qui narrent la naissance de Marie et de Jésus. Ces versets interpellent par leur emplacement. Dans le contexte de la sourate, ils présentent Marie comme la sœur de Moïse et d’Aaron. De plus, ils ne représentent pas des paroles de Allah et ne sont pas précédés de « Dis » contrairement aux versets qui précédent : 31 et 32.
« Son seigneur l’agréa du bon agrément… (37) « Alors Zacharie pria son seigneur… (38) « Et Allah lui enseigna l’écriture… (48)
En quoi est-ce un problème ? Ses versets sont déjà connus de Jean de Damas qui est mort en 749… avant l’arrivée des Abbassides. Dans mon hypothèse, ils auraient dû être corrigés.
Une curiosité.
Vingt-neuf sourates, dans les premières, commencent par des lettres isolées (par exemple : « A L D »). On a dit que c’était des hésitations de Mahomet et que par respect, ses secrétaires avaient tout retranscrit. Le « saint Coran » de Médine avoue son ignorance sur leur signification. François Déroche se demande si ce n’était pas des indications pour l’assemblage des sourates.
Conclusion
Le Coran n’a pas livré tous ses secrets, les chercheurs ont encore du pain sur la planche.
A la mort de Muawiya, après 20 ans de règne (en 680), un arrangement dynastique permit à son fils Yazid de devenir calife. Consternation parmi les factions rivales qui attendaient une élection par consensus comme le voulait la coutume dans les tribus. C’est le début de la deuxième guerre civile qui durera 12 ans et occupera 4 califes.
Dans le sud de la Mésopotamie (de l’Irak actuel), le fils d’Ali, Husayn, tenta de rassembler les partisans de son père parmi les tribus lakhmides rivales des Ghassanides de Syrie car soutien des Perses contre les Byzantins. Il n’en eut pas le temps, sa petite armée fut décimée à Karbala en 680, où il fut tué. Sa mort est toujours commémorée de nos jours par les chiites.
L’opposition du fils d’un compagnon de Mahomet a été plus sérieuse. Abd Allah ibn al-Zubayr, présenté comme petit-fils d’Abu Bakr, le neveu de Aïcha, se proclama « commandeur des croyants ». Parti d’Irak, il avait conquis la majorité du califat quand Abd al-Makik succéda à son père Marwan en 685. ibn al-Zubayr avait rassemblé tous les disciples de Mahomet. Il fit frapper des pièces de monnaie dans lesquelles l’influence perse est manifeste.
Dès son accession au pouvoir, Abd al-Malik chargea son fidèle général al-Hajjaj ben Youssef de mater le dissident. l’Egypte, puis l’Irak furent reprises. ibn al-Zubayr se réfugia dans la péninsule arabique. Le dernier acte se déroula à La Mecque où le rebelle aurait péri, d’après la tradition. Des récits contradictoires circulent sur les faits.
Les récits de la conquête ont été écrits au IX° siècle, sous la dynastie des Abbassides qui prit le pouvoir en 750, anéantissant les derniers représentants omeyyades. Ceux-ci ont alors été présentés comme des usurpateurs, des tyrans impies.
ibn al-Zubayr aurait détruit la Kaaba pour y décrocher la pierre noire et la mettre en lieu sûr. Si les sédentaires bâtissent des temples pour y vénérer leur(s) dieu(x), les nomades les emportent avec eux. ibn al-Zubayr a-t-il perpétué la tradition ?
Les troupes d’abd al-Malik auraient assiégé la Mecque durant 8 semaines et détruit la Kaaba en lançant des projectiles sur les assiégés. Cette version est peu crédible quand on connaît la situation de La Mecque, une cuvette entourée de collines rocheuses, sans eau (sauf une source à faible débit), où rien ne pousse. Les attaquants ont une position idéale, ils dominent la ville. Les nombreux chantiers de La Mecque pour construire des hôtels de luxe et aménager les lieux de pèlerinage n’ont jamais mis à jour la moindre trace d’un rempart de protection de la ville.
Vers un Etat arabe
Jusqu’à l’accession au pouvoir d’abd al-Malik, les administrations grecque et perse étaient restées en place. Le nouveau calife va rénover l’administration : les fonctionnaires seront arabes, et les documents seront rédigés en arabe. On peut donc en conclure qu’à cette époque, la langue arabe écrite était standardisée et ne prêtait plus à interprétation. Les anciens fonctionnaires et même l’entourage non arabe du calife furent congédiés. Ainsi, Jean de Damas (Jean Damascène ou Mansour ibn Sarjoun) dont le père, collecteur d’impôt pour l’empereur byzantin, était resté au service des califes, se retira dans le monastère de Saint-Sabas près de Jérusalem où il rédigea un livre sur les hérésies. Malgré son éviction de l’entourage du calife, il garda de lui une image d’un homme juste et tolérant.
Dans son ouvrage, daté de 743, il parle de l’islam et du Coran qu’il semble bien connaître ainsi que de la Kaaba comme lieu de pèlerinage.
… et musulman
Si mon opinion est confirmée, les Omeyyades sont originaires de Syrie où les tribus étaient chrétiennes. Alors pourquoi ont-ils opté pour l’islam ? La réponse est différente pour les dirigeants et pour citoyens.
Il faut se replonger dans l’époque. L’islam primitif n’a rien à voir avec ce qu’il est devenu au fil des siècles. Les hadiths, ces paroles de Mahomet, réelles ou inventées, n’ont pas encore été collectées, elles ne le seront qu’au VIIIe siècle. L’islam n’est pas encore une religion formaliste, le dogme n’est pas encore entièrement défini, mais les grandes lignes sont tracées : Mahomet a reçu le Coran, Jésus est un prophète qui n’a pas été crucifié, il faut embrasser la pierre noire de la Kaaba, le vin est proscrit… nous raconte Jean de Damas.
En abandonnant la religion chrétienne, les Omeyyades deviennent entièrement indépendants. En tant que chrétiens, ils étaient soumis à l’empereur byzantin, lui même aux ordres du pape de Rome (le schisme entre catholiques et orthodoxes n’était pas encore consommé). Ils devaient répondre de leurs actes auprès des patriarches et des évêques qui pouvaient les excommunier, les exclure de la communauté. Même s’ils n’adhéraient pas au dogme édicté à Chalcédoine en 451 (Il y a trois personnes en Dieu et Jésus est homme et dieu, il a deux natures et deux volontés), ils n’en étaient pas moins soumis à leurs évêques. En devenant musulmans, ils devenaient califes, représentants de Dieu sur terre, successeurs du prophète Mahomet, et commandeurs des croyants. Ils étaient tout puissants. La fonction de calife ira en se dépréciant au fil du temps, les docteurs en religion prenant de plus en plus d’importance.
C’est sous abd al-Malik que la première référence à Mahomet apparaît sur les pièces de monnaie. On y lit la chahada complète : « il n’y a qu’un seul Dieu et Mahomet est son prophète ».
Pour le commun des mortels, devenir musulmans permettait d’échapper à l’impôt de capitation (djizia) dû par tous les hommes non musulmans en âge de porter les armes. Les musulmans devaient eux s’acquitter de l’aumône, qui est un principe religieux (zakât). Cette « conversion » faisaient d’eux des citoyens de première classe.
Le Dôme (ou Coupole) du Rocher de Jérusalem.
L’oeuvre majeure d’abd al-Malik, toujours visible de nos jours est le Dôme du Rocher à Jérusalem, construit en l’an 72 du calendrier musulman, qui correspond à 691/692. Je lui consacrerai l’article suivant car cet édifice est plein de mystères.
Le cas de Muawiya est très intéressant car il illustre la manière dont l’idéologie reconstruit l’Histoire.
Que nous dit la tradition sur ce calife ?
Muawiya est le cinquième calife. Il « succède » (prend le pouvoir) aux califes « bien guidés », les compagnons de Mahomet :
Abu Bakr (632-634) qui, selon la tradition, a rassemblé toutes les tribus de la péninsule arabique sous la bannière de l’islam.
Umar (634-644) toujours selon la tradition, lance la conquête des empires byzantin et perse. Il serait également le législateur, celui qui mit en place les grandes lignes de l’administration. Il meurt assassiné à Médine.
Uthman (644-656) aurait compilé le Coran. Il meurt assassiné à Médine.
Ali (656-660) meurt assassiné à Koufa en 661, sur les rives de l’Euphrate, en entrant dans la mosquée. Il était accusé d’avoir fait assassiner son prédécesseur.
De ces califes, nous n’avons aucune preuve historique de leur existence : ni pièce de monnaie à leur effigie, ni document signé de leur main, ni inscription. Il faut attendre le IX° siècle pour que la tradition musulmane nous renseigne sur les faits et gestes de ces personnages. A cette époque, les califes omeyyades sont présentés comme des tyrans impies ayant mis fin à l’âge d’or de l’islam. C’est seulement à cette époque également que la différence en sunnites et chiites fait son apparition. Les quatre premiers califes sont appelés « salaf« , les ancêtres, aussi honorés sous le nom de « al-salaf al-salih« , les pieux ancêtres. Le salafisme est donc un mouvement qui veut retourner aux sources de l’islam. Or on ne sait rien de cet islam des débuts de la conquête.
NB : la grande majorité des historiens (99% ?), même ceux qui se qualifient de chercheurs, acceptent la tradition musulmane comme étant la transcription exacte de l’Histoire.
Muawiya est le fils d’Abu Sufyan et le cousin d’Uthman. D’après la tradition, tous les califes appartiennent à la tribu des Qurayshites qui occupait La Mecque. A l’époque de Mahomet, Abu Sufyan, du clan des Abd Shams, était le riche chef de la tribu. Il était hostile à Mahomet, du clan des Hashim, et à sa prédication. Il le chassa de La Mecque et l’assiégea plusieurs fois à Médine, avant de se convertir quelques temps avant la mort du prophète. Le nom Omeyyade vient d’un ancêtre du clan appelé Umayya, grand-père d’Abu Sufyan.
Muawiya, cousin de Uthman, était gouverneur de Syrie, c’est lui qui accusa Ali du meurtre du calife. Il est donc à l’origine de la première guerre civile entre Arabes. Il profita de défaite d’Ali pour se faire proclamer calife (660-680) à Jérusalem et installer le califat à Damas, alors qu’auparavant, le centre de décision était à Médine… à mille kilomètres du théâtre des opérations militaires ! Il offrit une grosse d’argent au fils survivant d’Ali, Hasan, pour qu’il abandonne la vendetta et renonce à ses prétentions califales.
Durant cette première guerre civile qui opposa les Arabes de Syrie aux partisans de Mahomet, la tradition nous rapporte un événement surréaliste que les historiens considèrent comme un fait avéré. Voici ce qu’en dit le très sérieux « Dictionnaire historique de l’islam », sous la rubrique « Ali ibn Abi Talib » : « Lors de la bataille de Siffin (658), tandis que les troupes syriennes semblaient faiblir, leur chef fit hisser des feuillets du Coran sur les lances demandant par là que l’on recourût à un arbitrage fondé sur la consultation du Coran. » Dans le même ouvrage, on lit sous la rubrique « Coran » que le troisième calife, Uthman, qui est mort deux ans avant la bataille, fut chargé de compiler le Coran : « Le calife conserva un exemplaire à Médine où il résidait et envoya les (trois) autres exemplaires dans les grandes villes de l’empire Bassorah, Koufra et Damas. »
Il y avait donc quatre exemplaires du Coran, à cette époque, que les soldats impies transportaient avec eux et qu’ils déchiraient allègrement… Pas étonnant qu’on n’en retrouve aucune trace.
Que sait-on du personnage historique ?
C’est le premier calife dont le nom apparaît sur des monnaies et des documents. En tant que gouverneur de Syrie, il fait construire une flotte pour s’emparer de l’île de Chypre. C’est la première flotte musulmane. Il enverra même son fils Yazid, qui lui succéda, assiéger Constantinople… en vain. Il ne change rien à l’administration qui reste aux mains des Grecs (byzantins) et des Perses. Un contemporain dira de lui : « il permit à chacun de vivre à sa façon« . Il nomma cependant deux familiers comme « vice-rois » représentant le pouvoir dans l’ancien empire byzantin et dans l’ancien empire perse.
Il poursuivit la conquête vers l’ouest pour atteindre le Maghreb où il dut faire face à une vigoureuse opposition des Berbères. A l’est, les Arabes ont atteint le fleuve Oxus : tous les territoires de l’empire perse (sassanide) sont sous leur contrôle. L’Arménie et l’Anatolie restent aux mains des Byzantins et de leurs alliés.
Ce qui est remarquable, c’est le pèlerinage que Muawiya effectua à Jérusalem où il pria au Saint-Sépulcre, qui englobe le mont Golgotha et le tombeau de Jésus s’il faut en croire la tradition. Il se rendit également sur la tombe de Marie (l’église de l’Assomption), située dans la vallée du Cédron, près du Jardin des Oliviers. Cette vallée a été comblée, il faut donc descendre une quarantaine de marches pour voir un banc de pierre présenté comme la sépulture de Marie… qui d’après une autre tradition est morte à Éphèse où elle aurait suivi l’apôtre Jean.
Muawiya épousa une chrétienne, Maysun qui lui donna un fils : Yazid. Celui-ci épousa deux filles nobles de la tribu des Ghassanides, des chrétiennes. Tiens donc ! Il est probable que Muawiya et la dynastie omeyyade étaient originaires de Syrie, et non des Arabes de la péninsule. Durant son règne, il n’est jamais fait allusion ni à l’islam, ni à Mahomet. C’est le calife qui légifère, pas les religieux comme ce sera le cas au IX° siècle. Était-il chrétien ou voulait-il s’attirer la sympathie des chrétiens ?Mais dans ce cas, pourquoi ne pas se rendre sur les hauts lieux du zoroastrisme en Perse. N’oublions pas que les Arabes de Syrie et d’Irak étaient chrétiens, mais opposés à l’orthodoxie de Byzance (et de Rome).
Quelle est la situation religieuse à cette époque ?
Il n’y a pas de distinction claire entre ce qui deviendra l’islam et les autres religions. L’islam est-il une autre forme de christianisme ou une déviance du judaïsme, on pouvait se poser la question. Essayons de nous projeter dans l’époque : les habitants s’habillent de la même façon, ils parlent la même langue, ont les mêmes usages et probablement, prient de la même manière. Allah signifie dieu en arabe quelque soit la religion. Et si les évêques ont une idée plus ou moins précise du dogme, ce n’est pas pareil pour le commun des croyants… comme c’est toujours le cas aujourd’hui.
La variété des monnaies est la preuve de ce syncrétisme. On voit indifféremment des croix chrétiennes héritées de l’empire byzantin frappées sur des pièces arabes ou, plus tard, le symbole perse d’Ahura-Mazda s’afficher avec l’inscription « Mahomet envoyé d’Allah ». A l’époque de Muawiya, les pièces de monnaie portent la formule « Au nom de Dieu mon seigneur ». Son fils les datera de « année 1 de Yazid ».
La société est donc multiforme : il n’y a pas d’ostracisme racial, linguistique ou religieux. Il faudra attendre Abd al-Malik (685-705) pour que les Arabes soient favorisés dans l’administration et Umar II (717-720) pour que les chrétiens et les juifs reçoivent un statut différent, inférieur aux musulmans, la dhimma, un contrat de protection pour les non-musulmans. Ce statut est à l’origine financier : les hommes non-musulmans en âge d’être soldat devaient payer un impôt spécifique, mais c’est aussi une copie des lois byzantines à l’égard des non chrétiens « orthodoxes ».