Contexte historique
En 63 avant notre ère, le général romain Pompée, conquiert la Syrie en battant le dernier roi grec, Mithridate VI, d’origine perse. Pour la petite histoire, notons que son frère s’appelait Mitridate Chrestos. Personne ne lui a voué un culte, car « chestos » signifie « bon ou bienfaisant ».
La Judée, dirigée par la dynastie hasmonéenne qui a acquis une quasi indépendance vers 167 avant notre ère, s’est agrandie petit à petit en profitant de la faiblesse des Grecs, descendants des généraux d’Alexandre le Grand.
A l’arrivée des Romains en Syrie, deux frères se disputent le trône de Judée : Hyrcan II et Aristobule II. Pompée intervient, prend Jérusalem et fait de la Judée un protectorat romain sous le contrôle du gouverneur romain de Syrie. Après sa victoire, Pompée visite le temple de Jérusalem, ce qui sera considéré comme une grave profanation.
Suite à la guerre qu’il a menée en Judée, Pompée ramène à Rome des prisonniers qui lorsqu’ils passeront du statut d’esclaves à celui d’affranchis constitueront les premières communautés juives de Rome. A cette époque, Babylone et Alexandrie (Egypte) comptaient déjà d’importantes communautés juives.
Avec l’accès au trône d’Antigone, le neveu d’Hyrcan II, la situation devient confuse. Les Parthes, ennemis des Romains, qui occupaient un vaste territoire à l’est de l’Euphrate, envahissent Israël.

En 37 avant notre ère, les Romains placent Hérode sur le trône de Judée. Il sera appelé le Grand à la suite des travaux qu’il va entreprendre dans le pays : construction de villes (Césarée maritime, etc.), de forteresses (Machéronte, Massade, etc.), d’un théâtre et d’un amphithéâtre à Jérusalem et surtout il va agrandir et embellir le temple de la ville qui deviendra un des temples les plus imposants de l’Empire romain. Les travaux débuteront en 19 avant notre ère et se termineront 82 ans plus tard, en 63 de notre ère. Le gros oeuvre n’avait demandé que 7 ans et le temple semble n’avoir jamais été fermé.

A la mort d’Hérode, en l’an 4 avant notre ère, son territoire est partagé, selon ses souhaits, entre trois de ses fils :
- Archélaos obtient la Judée avec Jérusalem avec le désert du Néguev.
- Hérode dit Antipas, obtient la Samarie et la Galilée au nord de la Judée.
- Philippe obtient les territoires à l’est du Jourdain, jusqu’à la frontière nord du royaume des Nabatéens (Pétra).
En l’an 6 ou 7 de notre ère, Archélaos est destitué par les Romains qui prennent le contrôle direct de la Judée. Elle devient une province impériale, dirigée par un préfet qui s’installera à Césarée maritime, avec une petite armée d’un millier d’hommes. C’est à cette occasion que le gouverneur de Syrie envoie son légat, Quirinus, effectuer un recensement. Ce recensement a pour objectif de déterminer l’impôt des personnes. Comme je l’ai dit par ailleurs, ce recensement ne concerne que la Judée (pas la Galilée) et a été fait 11 ans après la mort d’Hérode. La naissance de Jésus racontée dans l’Évangile de Luc est une fable. C’est le gouverneur de Syrie qui contrôle le recensement, car un préfet n’a pas de prérogatives financières sur le territoire qu’il dirige.
Sous l’empereur Claude (41-54), la Judée devient une province sénatoriale, gouvernée par un procurateur. Remarquons que Ponce Pilate n’était pas procurateur, mais préfet.
Les temps messianiques
Un des derniers livres de la Bible, le Livre de Daniel, écrit vers 150 avant notre ère, par un auteur inconnu, déclare que les temps sont venus… Dieu va envoyer un prince, un messie pour préparer le royaume de Dieu sur terre.
Le Livre de Daniel donne même la date du début de l’insurrection qui précédera l’arrivée des troupes célestes : la fin des temps (de malheur) arrivera 70 semaines d’années à partir de la première année du règne de Darius, fils d’Artaxerxés, soit Darius II dont le règne commença en -423. La fin des temps est donc prévue en 66/67 de notre ère (490 moins 423). Ceci sera l’œuvre d’un « prince messie », du « Fils de l’homme » et se soldera par « la destruction de la ville et du sanctuaire…causée par un prince qui consolidera une alliance avec un grand nombre et qui fera cesser le sacrifice et l’oblation … ».
Le Livre de Daniel est à la fois un livre apocalyptique, du grec « révélation, découverte » et messianique, qui a foi dans l’intervention miraculeuse de Dieu. Depuis la destruction de Jérusalem par les Babyloniens et l’exil qui s’en suivit (-586), la conception du temps pour les élites juives a changé. Le temps ne s’écoule plus indéfiniment, il a eu un début, il aura une fin. La fin des temps sera cataclysmique, mais une ère nouvelle, de paix et de justice : le royaume de Dieu, sera la récompense des épreuves qu’Israël endure.
Pour comprendre l’histoire du premier siècle de notre ère en Palestine, et par conséquent, le christianisme, il est important de prendre en compte le messianisme. Les évangiles de Matthieu (25, 15-25), de Marc (13,14-23) et de Luc (21-20,24) font d’ailleurs dire à Jésus :
« Quand vous verrez installé dans le lieu saint l’Abominable Dévastateur, dont a parlé le prophète Daniel, alors que ceux qui sont en Judée fuient dans les montagnes ; celui qui sera sur la terrasse, qu’il ne descende pas pour emporter ce qu’il y a dans la maison ; celui qui est aux champs, qu’il ne se retourne pas pour prendre son manteau… ».
Jésus est un annonciateur, il reprend les thèmes du Livre de Daniel : un messie va venir annonçant la fin des temps de malheur et l’arrivée du royaume de Dieu. L’idée sous-jacente au messianisme est que le dieu d’Israël ne peut pas avoir abandonné son peuple et sa terre à la domination étrangère. Un jour il manifestera sa puissance et sa justice et cela d’autant plus vite que son peuple observera fidèlement la loi. La terre est actuellement dominée par le mal. Il sera extirpé après une succession de calamités.
Dans les évangiles, ces événements sont imminents :
« En vérité je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive » (24-34).
Ou : « En vérité je vous le déclare, vous n’achèverez pas le tour des villes d’Israël avant que vienne le Fils de l’homme » (10-23).
Ou encore « Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son père » (16-28).
Et enfin : « En vérité, je vous le dit, tout cela va retomber sur cette génération » (23-36).
Je n’ai cité que les passages de l’Évangile de Matthieu. Jésus apparaît comme l’annonciateur du Fils de l’homme, du messie. Il n’est pas ce personnage. Mais comme la prédiction ne s’est pas réalisée du vivant de Jésus, ses disciples vont annoncer son retour, cette fois en tant que messie… pour très bientôt.
Si Jésus a annoncé les événements, d’autres se sont présentés comme messies et ont lancé la révolte. Dès la mort d’Hérode, Judas bar Ezéchiel, un descendant des Hamonéens, se proclame messie et se révolte. Il attaque l’arsenal de la ville de Sépphoris, ville dont Nazareth devait être un faubourg mais qui n’est jamais citée dans les évangiles. Sa révolte est écrasée par les légions de Varus venues de Syrie et Sépphoris est détruite. Il y aura plus de 2000 crucifiés.
Le recensement de Quirinus est l’occasion pour Judas le Gaulanite (ou Judas de Gamala) de se proclamer messie. Il crée le parti des zélotes qui s’opposent dans la violence aux envahisseurs romains et pensent qu’ils seront secondés par YHWH lors de la guerre finale qui rétablira la justice divine. Ce qui reflète bien le contenu du Livre de Daniel.
La révolte est une nouvelle fois réprimée par les légions romaines venues de Syrie. On ignore comment mourut Judas. Par contre ses fils Jacques et Simon seront crucifiés vers 44.
Flavius Josephe en guerre
En l’an 66 (quelle coïncidence !), lassés par les provocations du procurateur Florus (64-66), qui puise dans le trésor du temple pour ses besoins personnels, les jeunes prêtres du Temple refusent de procéder au sacrifice journalier financé par l’empereur romain, Néron. Sous l’impulsion des zélotes, le pays entier s’embrase. La garnison romaine de la forteresse Antonia, jouxtant le temple, est massacrée.
Agrippa II et sa sœur Bérénice, qui règnent sur la Galilée, tentent de calmer les insurgés, en vain. Rome envoie la XIIe légion basée en Syrie pour rétablir l’ordre à Jérusalem, mais elle a mal estimé l’importance de la révolte, c’est un échec.
En 67, Néron décide d’envoyer Vespasien avec 3 légions (V, XII et la Xe qui avait un sanglier comme emblème). Il se met en route à partir d’Antioche, capitale de la Syrie. Il doit faire la jonction à Ptolémaïs (Saint Jean d’Acre) avec son fils Titus commandant la XVe légion, partie d’Égypte.
Et c’est ici qu’entre en scène Joseph bar Matthias, un juif né vers l’an 30 ou 40, plus connu sous le nom de Flavius Josèphe. Il va prendre une part active dans la révolte de 66. Il est chargé par Anan, le grand prêtre, de ralentir la progression des légions de Vespasien venant de Syrie. Il va donc défendre la Galilée. (C’est du moins ce qu’il racontera dans ses ouvrages.)
Après avoir résisté 40 jours, il est fait prisonnier lors du siège de Jotapata. Chose étrange, il est le seul rescapé du siège de la ville. Il va séduire Vespasien en prédisant qu’il sera le futur empereur romain. Dans la prophétie de Daniel, un prince doit voir le jour en Judée. La plupart y ont vu le messie juif, or Josephe déclare que ce prince, c’est Vespasien. Et l’avenir lui donnera raison.
La conquête du territoire va prendre de longs mois. Car à Rome, des troubles ont éclaté à la mort de Néron en 68. Cette année verra se succéder trois empereurs, proclamés par leurs légions. Et à ce petit jeu, c’est Vespasien, soutenu par les généraux du Danube, qui l’emportera. Il part à Rome en juillet 69, confiant les légions à son fils Titus qui, en 70, assiège Jérusalem.
Dans la ville encerclée, les vivres commencent à manquer. Trois factions rivales défendent encore la cité : Eléazar ben Simon commande les zélotes qui sont retranchés dans l’enceinte intérieure du Temple, Jean de Gischala défend le parvis extérieur du Temple et Simon bar Gioras, un chef de bande, règne sur le reste de la ville.
Titus fait ériger un mur de 7 kilomètres autour de la ville, pour ce faire, il fait abattre tous les arbres des environs. A titre de comparaison, l’enceinte construite autour de Paris par Philippe Auguste ne mesurait que 5 kilomètres. Il profite des sabbats, jours chômés par les juifs, même en temps de guerre, pour ériger une terrasse face à la partie nord du temple, le point le plus exposé, les autres côtés étant protégés par des ravins.

En juillet 70, les légions de Titus donnent l’assaut. C’est la curée, le temple est incendié et une bonne partie de Jérusalem s’enflamme. Le trésor du temple, dont la ménorah, le chandelier à sept branches, est ramené à Rome et exhibé lors du triomphe de Titus. Le butin et la vente des esclaves serviront, entre autres, à construire le fameux Colisée.

Les fils de la lumière n’ont pas triomphé des forces du mal… mais la prophétie de Daniel s’est réalisée dans sa totalité. Ne prédisait-elle pas : « la destruction de la ville et du sanctuaire… causée par un prince qui consolidera une alliance avec un grand nombre et qui fera cesser le sacrifice et l’oblation … ». La fin du temple marque le début du judaïsme moderne qui a dû se redéfinir sans lieu de culte et de sacrifices… et celui du christianisme qui souhaitait prendre la relève.
La tradition chrétienne veut que les disciples de Jésus aient quitté la ville de Jérusalem lors de l’insurrection pour se réfugier dans les grottes des environs de Pella. J’estime qu’au contraire, ils ont pris une part active à la révolte espérant le retour de Jésus au terme de la catastrophe annoncée. La communauté chrétienne de Jérusalem aurait disparu dans la guerre.
Flavius Josephe écrivain
Vespasien et son fils Titus, qui lui succéda à la tête des légions romaines en Judée, ont utilisé Joseph comme interprète. Après la chute de Jérusalem, il s’installe à Rome, sous la protection de Vespasien et de ses fils Titus et Domitien, dont il prend le nom de famille « Flavius », en tant qu’affranchi. Il est donc connu sous le nom de Flavius Josèphe. Il est notre principale source pour connaître l’histoire de la Judée de -175 à la chute de forteresse de Massada, tombée en 73, dernier bastion de résistance juive lors de la révolte contre les Romains.
Il a écrit quatre ouvrages :
- La Guerre des Juifs (vers 75). En 7 livres, il développe les causes de la révolte de 66 et détaille celle-ci. Il rédige en fait l’histoire des 2 siècles précédents : de l’avènement des Hasmonéens à la destruction du temple de Jérusalem.
Les copies que nous possédons (en grec) datent des Xe et XIe siècles. - Autobiographe. C’est la suite du précédent où il justifie sa conduite lors de la guerre contre les Romains. Il ne faut pas oublier qu’il est un traître pour les Juifs.
- Antiquités juives (vers 93). En 20 livres il raconte, pour le public romain et grec, l’histoire des Juifs de la création du monde jusqu’au procurateur Gessius Florus (64).
- Contre Apion (vers 95). Dans ce document, il défend le peuple juif et le judaïsme qu’Apion avait critiqué. Apion était mort sous l’empereur Claude.
On remet ça !
En 132, sous l’empereur Hadrien, les Juifs se révoltent à nouveau sous la conduite d’un messie : Bar Kokhba, « le fils de l’étoile » (de David). Il faudra trois années aux Romains pour venir à bout de la guérilla. Les conséquence seront terribles : les Juifs se verront interdire l’accès à Jérusalem, qui sera entièrement détruite et rebâtie. Elle prendra le nom d’Aelia Capitolina, du nom de famille d’Hadrien (Aelius) et des attributs de Jupiter (capitolin) dont le temple sera construit sur l’emplacement du temple juif. La Judée deviendra la Palestine. Le messie vaincu sera renommé Bar Koziba dans le Talmud, « le fils du mensonge ».
Cette nouvelle défaite va creuser le fossé entre le judaïsme et le christianisme. Marcion, un penseur chrétien ne va-t-il pas prôner d’abandonner de la Bible hébraïque (l’Ancien Testament) et de rejeter YHWH comme dieu ? Le fossé deviendra infranchissable au IVe siècle, lorsque le concile de Nicée (325) fixera la date de Pâques au dimanche suivant la Paque juive. Jusqu’alors, il n’était pas rare que les juifs et les chrétiens célèbrent ensemble les fêtes de Pâque(s) et de la Pentecôte.