Retranscription d’un échange de vue sur la musique, le peinture et la danse entre une musulmane (Oum Layla : Mère de Layla) et un islamiste (Abou Jihad : Père de/du Jihad [note 1]) sur un forum de discussion salafiste.
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Les dissensions entre chiites et sunnites
On pourrait croire que les conflits entre chiites et sunnites au Proche-Orient ne sont qu’un remake des guerres de religions, opposant catholiques et protestants. Guerres qui ont ensanglanté l’Europe au XVIe et XVIIe siècle. Il n’en est rien. Au début, la différence entre les deux mouvements n’était pas religieuse mais politique et le rejet des uns et des autres ne sera que très progressif.
Lire la suite « Les dissensions entre chiites et sunnites »Le salafisme (2. Les Frères musulmans)
Dans l’article précédent, j’ai situé le salafisme dans son contexte : un mouvement utopiste qui projette dans un passé fantasmé des idéologies contemporaines. La première de ces idéologies était le wahhabisme, la seconde, ce sont les Frères musulmans.
Les Frères musulmans.
Au XXe siècle un mouvement politico-religieux se développa à partir de l’Égypte : les Frères musulmans. Il a été fondé, en 1928, par un instituteur, Hassan al Banna, par ailleurs grand-père maternel du très controversé Tariq Ramadan. Il combat l’influence de l’Occident sur les mœurs et le libéralisme. Son objectif avoué était de répandre l’instruction religieuse et d’améliorer le niveau de vie des populations défavorisées, mais quand on regarde son programme en 50 points, on s’aperçoit qu’il veut renforcer le carcan religieux : il veut abolir les partis, préparer la jeunesse au djihad, fermer les lieux de loisirs, éradiquer la prostitution, interdire les jeux de hasard, combattre l’alcool, contrôler le cinéma, la chanson, orienter la presse, combattre les mœurs étrangères dans les foyers.
À partir de 1936, date à laquelle les Anglais imposent au jeune roi Farouk un nouveau traité qui leur permet de conserver le pouvoir réel sur l’Égypte, le mouvement de Hassan al Banna devient plus politique et déborde des limites de l’Égypte pour défendre la cause des Arabes de Palestine où affluent des Juifs chassés d’Europe. La propagation de ses idées est favorisée par la distribution de journaux dont l’édition est contrôlée par des amis comme Rachid Ridha. La prise de pouvoir en 1953 de Nasser se fit avec l’aide des Frères musulmans qui par la suite deviennent gênants car Nasser voulait faire de l’Égypte un pays laïc et socialiste.
Le théoricien du djihad contemporain est Sayyid Qutb (prononcé kotob) qui a fait l’apologie du djihad radical dans son livre « Les jalons sur le chemin de l’islam » écrit en Égypte en 1964. Sayyid Qutb est un des Frères Musulmans exécuté sous le gouvernement de Nasser en 1966. Il prône la guerre sainte contre tous les mécréants, et par mécréant, il entend toute personne qui ne se conforme pas à la charia, musulmans inclus. Pour lui, le bon musulman non seulement se soumet à la charia, mais adopte le mode de vie des wahhabites : djellaba courte ou longue pour les hommes et abaya pour les femmes.
Étrange personnage que ce Qutb.
Il commence sa carrière comme critique littéraire. Fin des années 40, il part en mission aux États-Unis pour y étudier le système éducatif. Le choc culturel qu’il ressent l’entraîne vers le radicalisme. Il rejettera la modernité et prônera le retour aux racines de l’islam, le salafisme.
Les Frères Musulmans se sont distanciés des propos de Sayyid Qutb et ont même soutenu le successeur de Nasser, Anwar el Sadate en échange de l’islamisation de la société égyptienne que Nasser voulait laïque. Le ralliement des Frères Musulmans au régime de Sadate a créé une scission dans le mouvement. Plusieurs groupes armés, les Gamaat Islamiya, ont emboîté le pas aux théories de Qutb. Sadate s‘en est débarrassé en les envoyant en « pèlerinage » en Afghanistan, avec l’assentiment des Américains et le financement de l’Arabie Saoudite… Cela n’a pas empêché Sadate d’être assassiné, en 1981, par les islamistes pour avoir signé une paix séparée avec Israël.
De nos jours, si les Saoudiens financent l’implantation de mosquées wahhabites à travers le monde, les Frères musulmans sont soutenus par le Qatar qui n’hésite pas à ouvrir les cordons de sa bourse pour contrecarrer les wahhabites. Depuis les printemps arabes de 2011, les Frères musulmans sont entrés en conflit avec les Saoudiens dont ils critiquaient le faste. La chaîne de télévision qatari al Jazeera s’est fait l’écho de la propagande des Frères musulmans, ce qui a envenimé les relations entre les deux voisins (voir mon article sur ce conflit).
Le fonds souverain du Qatar, le Qatar Investment Authority, celui-là même qui achète des complexes hôteliers et investit dans le luxe, finance l’implantation de mosquées et de centres culturels dirigés par les Frères musulmans. Il fait face au Fonds public d’investissement d’Arabie saoudite qui lui investit dans l’industrie américaine en même temps qu’il finance l’implantation du wahhabisme dans le monde.
Note : un fonds souverain est un fonds d’investissement détenu par un Etat. Le fonds souverain le plus important est celui de la Norvège capitalisé à hauteur de 661 milliards de dollar. Ce fonds est constitué des bénéfices dans l’exploitation des hydrocarbures de la mer de Nord. Il est suivi par le fonds des Emirats Arabes Unis (627 milliards). L’Arabie saoudite est quatrième (533) et le Qatar treizième (115).
Le salafisme (1. Le wahhabisme)
La naissance du salafisme
Dès le XVIIIe siècle, des courants de pensée se sont développés pour réformer l’islam, pour le faire revenir à sa forme originelle. Ce retour aux traditions des ancêtres est connu sous le nom de salafisme : l’arabe safal, signifie « les (pieux) devanciers ». Le salafisme est donc une idéologie que ses adaptes définissent comme « un retour aux sources de la foi, épurées des scories et des déformations qui résultent des siècles de décadence ».
Mais on ne connaît rien des débuts de l’expansion de l’islam sinon qu’elle s’est déroulée dans un état de guerre, guerres civile et guerres de conquête. Les premiers califes (les salaf), Abu Bakr, Umar et Uthman, et dans une moindre mesure Ali, n’ont laissé aucune trace directe dans l’Histoire : pas un écrit, par un sceau, pas un document signé. Leurs faits et gestes ont été rapportés, idéalisés par des auteurs du VIIIe ou IXe siècle, soit plus de 100 ans après les événements.
Dans ces conditions, comment savoir quelle était la pratique de l’islam « aux sources de la foi » ?
Comme un des premiers documents de l’islam semble être le Coran, voyons comment se vivait l’islam d’après le Coran. Jetons un coup d’œil sur ce que dit le Coran des 5 piliers de l’islam?
La profession de foi (shahâdâ).
Aujourd’hui, pour devenir musulman, il suffit de réciter, avec conviction : « Dieu, il n’y a de dieu que Dieu et Mahomet est son prophète. » Curieusement, cette phrase ne se retrouve nulle part dans le Coran. Nulle part, on ne nous dit que pour devenir croyant il faut prononcer cette formule. Il semble qu’au début de l’islam, ce sont les actes qui déterminaient un musulman, pas les mots. Ainsi, le verset 5 de la sourate 9 nous donne les conditions pour que les infidèles rejoignent la Oumma : « Si ensuite ils se rependent, accomplissent la Salat (prière) et acquittent la Zakat (aumône), alors laissez-leur la voie libre, car Allah est pardonneur et miséricordieux« .
La prière.
Aujourd’hui, le musulman est astreint à cinq prières par jour, à des moments bien précis. A l’appel à la prière, toute activité cesse, le musulman se purifie et prie suivant un cérémonial codifié.
Le Coran n’est pas très clair sur la prière, si le cérémonial de la purification est expliqué (Co. 5, 6), le nombre de prières n’est pas indiqué : « Souviens-toi de ton seigneur en ton âme avec humilité et respect et à mi-voix, le matin et le soir. Ne soit pas négligent » (Co. 7, 205).
Plus surprenant :
« Ton Seigneur sait bien que toi et une grande partie de tes compagnons restez en prière moins des deux tiers de la nuit ou la moitié ou le quart. Il sait que vous ne pourrez jamais passer toute la nuit à prier et il vous pardonne. » (Co. 73, 20)
Ou : « Accomplis la prière du déclin du jour jusqu’à l’obscurité de la nuit et récite le Coran à l’aube car la lecture de l’aube a des témoins ». (Co. 17, 78)
L’aumône.
Ce pilier de l’islam est le mieux défini dans le Coran : « Les aumônes sont destinées aux pauvres, aux indigents et à ceux qui s’occupent d’eux, à ceux dont le cœur a été gagné par l’islam, au rachat des esclaves, à ceux qui sont endettés au combat dans le chemin de Dieu et aux voyageurs. Tel est l’ordre de Dieu. Il est savant et sage. » (Co. 9, 60)
L’aumône constitue un fonds de secours envers les plus faibles. La communauté n’abandonne pas les nécessiteux. C’était également le cas pour les communautés juives et chrétiennes.
Le jeûne.
Le jeûne est une coutume pré-islamique : « Ô croyants, le jeûne vous est prescrit comme il était prescrit aux générations qui vous ont précédés. Craignez le Seigneur » (Co. 2, 186).
Le pèlerinage
Comme le jeûne, le pèlerinage est une pratique pré-islamique. La Mecque n’a probablement jamais été une ville caravanière (voir mon article : Pétra, La Mecque), mais c’était un lieu de pèlerinage qui attirait les nomades et les bédouins. Le Coran rappelle cette tradition et la fait remonter à Abraham.
En conclusion, le salafisme n’est pas un retour aux sources de l’islam, mais une projection dans un passé fantasmé des pratiques et de l’idéologie actuelle. Jamais les premiers musulmans n’ont envisagé un état islamique, isolé du monde, régi par la charia, qui ne commence à s’élaborer que vers 750.
Le wahhabisme
La première radicalisation de l’islam est l’œuvre d’un prêcheur solitaire, un bédouin nommé Muhammad ibn Abd al-Wahhab, qui au beau milieu du désert d’Arabie, vers 1740, proclamait qu’il n’y a de dieu que Dieu. On ne peut pas dire que les débuts de son mouvement furent un succès : il se heurta à l’hostilité des populations à tendance chiite. Par dérision on a appelé son mouvement le wahhabisme, la religion du seul Abd al-Wahhab… c’est son frère qui l’aurait ainsi surnommé.
Le wahhabisme est l’exemple type du fondamentalisme musulman. Quoi de plus fondamental en effet que sa profession de foi : il n’y a de dieu que Dieu, point. L’homme ne doit pas compter sur les saints ni même sur le prophète pour intercéder auprès d’Allah. Abd al-Wahhab s’attaque donc au culte des saints (les marabouts) et des ancêtres. Il rejette les confréries soufies. Il interdit le tabac, la musique, toute espèce de loisir ainsi que les chapelets qu’on égraine.
On le traite d’ignare, d’égaré et même d’hérétique.
Mais la situation change du tout au tout lorsqu’il rencontre un émir du Nadj, la région centrale de l’Arabie autour de Riyad, dont il aurait épousé la fille. Son ambitieux beau-père, Muhammad ibn Saoud, va transformer le prêcheur en une figure de proue d’un mouvement militaro-religieux et va prendre petit à petit le contrôle du centre de l’Arabie puis, au début du XXe siècle, de la péninsule entière pour créer ce qui est toujours aujourd’hui l’État saoudien fondé en 1932.
Avant la conquête complète de la péninsule, ils vont prendre, en plusieurs occasions, le contrôle de la Mecque et de Médine et même de Karbala, en Irak, ce qui va provoquer la réaction du sultan ottoman qui s’était désintéressé d’un mouvement se développant dans une région qui échappait à son contrôle. Il envoie la troupe, une armée égyptienne commandée par Mehmet Ali. Lors de leur occupation de Médine, les wahhabites ont détruit plusieurs tombeaux de saints qui entouraient celui de Mahomet dont ceux de Khadija, d’Hassan et d’Hussein… qu’ils avaient déjà détruits à Karbala. Pour eux, il ne s’agit pas d’un sacrilège, mais d’un retour à la normale. Un hadith ne proclame-t-il pas « le prophète m’a ordonné de démolir les idoles et d’aplanir toute tombe » ? Ils ont profité de ces incursions pour également emporter l’or et les pierres précieuses déposées en offrande par les pèlerins. Aujourd’hui, cette violence est oubliée et on présente le wahhabisme comme un mouvement religieux nationaliste.
Le wahhabisme est la religion d’État de l’Arabie saoudite. Si l’Arabie est une monarchie absolue, le pouvoir est partagé entre la famille Saoud, qui compte 50 fils et 500 petits-fils et les oulémas wahhabites. L’Arabie se pose en défenseur de l’islam qu’elle juge traditionnel alors que nous le jugeons radical. Hamadi Redissi illustre bien ce propos en sous-titrant son ouvrage « Une histoire du wahhabisme » par « Comment l’islam sectaire est devenu l’islam ». Un pas vers la modernisation avait été fait par le roi Abdallah qui avait entrepris quelques réformes. Mais des attentats, qui ont fait près de 300 morts à la fin du XXe siècle, avaient persuadé les oulémas de renforcer le carcan : les cinémas ont été fermés, la publicité des produits occidentaux exposant des femmes a été proscrite. Dans la société, la femme est considérée comme mineure, elle ne peut rien faire sans un tuteur. Les femmes ont pu participer aux élections municipales en 2016… mais leurs représentantes ne peuvent pas siéger avec les hommes ! Elles doivent être cachées par… un hijab, un voile, une cloison comme les femmes de Mahomet. Et ce n’est pas les déclarations d’intention du prince Mohammed ben Salmane (MBS) qui changent quoique ce soit. Un journaliste a prédit que lorsque la femme de MBS apparaîtra en public, accompagnant son mari dans les voyages officiels, l’Arabie serait prête à rejeter ses tabous et à évoluer.
C’est au XIXe siècle que le mouvement salafiste prend de l’ampleur dans tous les pays musulmans bordant la Méditerranée. À cette époque la plupart des pays musulmans se trouvaient sous dépendance directe ou indirecte des puissances européennes. Cette occupation modifiait la vie sociale des populations autochtones par l’introduction de l’enseignement traditionnel non religieux et des missions chrétiennes, toute innovation qui était perçue comme un abaissement de l’islam, comme une humiliation.
Ces réformes voulaient redonner à l’islam sa force première face au matérialisme colonialiste. Elles exhortaient les musulmans à quitter leur comportement fataliste issu de la notion de prédétermination et les encourageaient à l’effort ce qui signifie pour eux, le djihad.