Massada : un symbole

Le site archéologique de Massada, à cent kilomètres au sud de Jérusalem et à moins de deux kilomètres de la Mer Morte, attire énormément de touristes. Pourtant Massada n’est pas citée ni dans la Bible, ni dans le Nouveau Testament. C’est une forteresse aménagée par Hérode le Grand pour protéger le sud de son pays, la grande Judée. Hérode avait aussi fait transformer les forteresses existantes d’Hérodion et de Machéronte.

La prise de Massada par les Romains

Massada est restée totalement ignorée jusqu’en 1927, lorsqu’un émigré Ukrainien, Yitzhak Lamdan, publia un poème intitulé « Massada ». Massada est plus un événement qu’un lieu : c’est le dernier bastion qui a résisté aux Romains lors de la première révolte juive de 66 à 73.
Alors que Jérusalem est prise et le temple incendié en 70, des résistants se réfugient dans la forteresse de Massada. Ils sont environ 900, dont des femmes et des enfants. Leur histoire a été contée par Flavius Josephe dans le livre VII de son ouvrage « La guerre des Juifs« .


Ce document peut être consulté sur le site http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Flajose/guerre7.htm.

C’est en 73, après avoir nettoyé les dernières poches de résistance dans le territoire de Judée que les Romains, commandés par Flavus Silva mirent le siège devant la colline de Massada. La forteresse était commandée par Éléazar, un des descendants de Judas de Galilée qui s’était opposé au recensement de Quirinus lorsque la Judée était devenue une province romaine en l’an 8.

La forteresse était imprenable, elle était pourvue de bassins qui fournissaient l’eau et des vivres avaient été stockées en prévision du siège : « en effet, on tenait en réserve du blé, en quantité suffisante pour un long temps, plus beaucoup de vin et d’huile, de légumes secs d’espèces variées, des monceaux de dattes. » (Flavius Josephe).

Les Romains entourèrent le site d’une palissade pour empêcher la fuite des assiégés et entreprirent la construction d’une rampe d’accès… ce n’était pas les esclaves qui manquaient ! Mais quand ils parvinrent dans la citadelle, tous les défenseurs étaient morts. Ils avaient choisi le suicide collectif.

A gauche, la maquette de Massada, à droite le site actuel avec la rampe construite par les Romains.

Exploitation du symbole

1927

La Palestine est sous mandat britannique. L’immigration est contrôlée et en Europe de l’est, les Juifs sont persécutés, parfois l’objet de pogroms. Pour Yitzhak Lamdan, Massada est un symbole social. Pour les Juifs de son temps, il n’y a que deux destinations : là où ils ne peuvent pas aller (pour les modernes, la Palestine, pour les anciens, Jérusalem) et là où ils ne peuvent pas vivre (l’Europe de l’est et Massada).

1948

A la création de l’État d’Israël (voir l’article), le symbole a changé : comme les défenseurs de Massada, les Israéliens sont encerclés par des forces hostiles et supérieures en nombre. Massada devient le symbole de la volonté nationale, le symbole de la résistance.

1967

Les Arabes, harangués par le président égyptien Nasser, ont décidé de détruire Israël (voir l’article). En Israël, alors qu’on creuse des tombes dans les parcs et les terrains de sport, le paradigme change. On ne veut pas d’un nouveau Massada. Les militaires proclament que les Israéliens ne seront pas pris au piège dans leur petit pays, leur forteresse. Ils doivent précipiter les événements et attaquer les premiers. Ce qui sera fait et la menace réduite à néant en six jours.

L’exemple de Massada reste, mais, dans l’avenir, il devra être évité à tout prix.

Qu’en disait Flavius Josephe ?

Lorsqu’il écrit la Guerre des Juifs, vers 90, Flavius Josephe réside à Rome, il est l’hôte de l’empereur Domitien, le fils de Vespasien à qui le prisonnier de guerre Josephe servait d’interprète. Il n’est plus prisonnier, il a été affranchi et il tient à flatter ses bienfaiteurs.

Dans le livre 7, les défenseurs de Massada ne sont pas de braves résistants Juifs qui veulent défendre leur pays contre l’envahisseur romain, mais des brigands, des sicaires, des zélotes. Leur attitude « n’était qu’un prétexte pour voiler leur cruauté et leur avidité… »
Il est vrai que lors du siège de Jérusalem, plusieurs bandes rivales s’opposaient et n’hésitaient pas à massacrer d’autres Juifs, qui comme eux, défendaient la ville : « les uns avaient la passion de la tyrannie, les autres celle d’exercer des violences et de piller les biens d’autrui« . Josephe parle d’une maladie contagieuse qui s’était emparée des défenseurs de Jérusalem. Leur violence a causé leur perte.

Massada, d’un fait divers peu glorieux, qui s’est terminé par un « suicide » collectif, raconté par le seul Flavius Josephe, ignoré pendant des siècles, est devenu au XXe siècle un symbole de la résistance d’une nation.

Les juifs dans l’empire romain

Des révoltes

Un article précédent (70 : Jérusalem incendiée par les légions romaines) nous a laissé devant Jérusalem dévastée, son temple et une partie de la ville incendiés. Nous étions en 70. De nombreux prisonniers ont été amenés comme esclaves à Rome et dans les grandes villes de l’Empire. Ils ont rejoint les Juifs fait prisonniers par Pompée en -63 lorsque les Romains ont arbitré une guerre de succession entre les fils d’Alexandra Salomé. Ces prisonniers ont pour la plupart été affranchis et se sont intégrés aux Romains. Parmi les nouveaux prisonniers se trouvait Flavius Josèphe qui avait eu la chance d’avoir été affranchi par l’empereur Vespasien dont il avait pris le nom de famille : Flavius. C’est grâce à son récit détaillé que nous connaissons les circonstances de cette guerre entre les Juifs et les Romains. Il a écrit « La Guerre des Juifs » en 7 livres en grec, à Rome, sous le principat de Vespasien. S’il a minutieusement détaillé son récit, il n’est pas pour autant objectif : il dédouane les Juifs, entraînés par des « séditieux », et il insiste sur les qualités de Vespasien et de son fils Titus. Il soigne sa situation.

Dans Jérusalem dévastée, la Xe légion a pris ses quartiers. Son enseigne arbore un sanglier… suprême injure pour les Juifs. Les Romains n’entreprennent aucune persécution contre les Juifs de leur empire : la guerre est restée un fait divers local.

Au début des années 130, l’empereur Hadrien est en tournée d’inspection dans son empire. En Ecosse, il a fait construire un long mur (le mur d’Hadrien toujours visible) pour tenir les Pictes, peuplade du nord, à l’écart de la Bretagne romaine. En Judée, il décide de bâtir une ville romaine nouvelle sur les ruines de Jérusalem. Il n’en faut pas plus pour déclencher une nouvelle révolte dirigée par Simon bar Koziba, appelé Bar Kochba (le fils de l’étoile) par ses partisans et par Bar Kozba (le fils du mensonge) dans le Talmud au IVe siècle. D’après le nom que lui donne le Talmud, on peut penser qu’il s’est présenté comme le Messie. On a peu d’information sur cette guerre, faite surtout de guérillas et pas d’affrontements directs. Elle durera trois ans et demi, de 132 à 135. Des pièces de monnaie indiquent que le calcul du temps a été revu :

On y lit l’an 2 de la libération d’Israël

Comme pour la première guerre, les Romains se sont désintéressés de celle-ci, seul Dion Cassius (IIIe siècle) nous révèle l’ampleur du carnage… avec quelques exagérations :

 Très peu survécurent. 50 de leurs postes les plus importants, 985 de leurs plus fameux villages furent rasés. 580.000 hommes furent tués dans les différentes opérations et batailles, et le nombre de ceux qui périrent par la famine, la maladie et le feu est impossible à déterminer. Ainsi, presque toute la Judée fut dévastée.

Sur les ruines de Jérusalem, Hadrien fera bâtir sa nouvelle ville, Aelia Capitolina. Aelius étant le nom de famille d’Hadrien. Les Juifs sont chassés de leur patrie. La Judée devient la Palestine : le pays des Philistins. De nouveaux esclaves arrivent dans l’Empire. Mais les Romains n’entreprennent aucunes représailles envers les Juifs malgré leurs rebellions.

Intégration

Comment vont se comporter les Juifs arrivés comme esclaves puis affranchis ou ceux qui voyagent pour le commerce ? Peu de textes s’intéressent à eux. Il faudra attendre le IVe siècle pour que les chrétiens se déchaînent contre eux. Nous devons donc avoir recours à l’archéologie qui nous apporte de précieux renseignements. A Rome, on a retrouvé la trace de vingt synagogues. D’après les inscriptions qui les ornaient, les Juifs étaient bien intégrés dans la société : ils parlaient latin ou grec. Il faut dire que l’hébreu, langue sacrée, langue de la Bible, n’était plus la langue parlée, même en Judée où l’on entendait le grec (à partir du début du IIIe siècle avant notre ère) et l’araméen, la langue « commerciale » imposée par les Perses dès le VIe siècle avant notre ère. L’hébreu de la Bible ne comporte que 8000 mots issus de 500 racines. A la même époque, le grec comptait 120.000 mots. L’hébreu n’était pas adapté à la vie courante. L’hébreu moderne, langue officielle de l’Etat d’Israël, a été « créé » à la fin du XIXe siècle par Ben Yehouda, de son vrai nom Éliézer Isaac Perelman Elianov, qui a rédigé le « Grand Dictionnaire de la langue hébraïque ancienne et moderne« … malgré l’opposition des ultraorthodoxes opposés à l’usage de la langue sacrée par des profanes. Ils continuent à utiliser le yiddish, langue issue de l’allemand.

Décoration d’une synagogue. Le texte latin est une dédicace d’une certaine Julia qui a fait don du pavement à la synagogue.

La présence de Juifs à Rome est aussi documentée par les tombeaux que l’on trouve dans les catacombes. Pas moins de 6 catacombes de Rome contiennent des tombes juives… parmi les tombes chrétiennes et romaines.

Détail d’un sarcophage juif

Sur le détail du sarcophage qui illustre cet article on voit une ménorah, le chandelier à 7 branches, porté par des personnages qui ne se distinguent nullement des Romains. Mais s’il faut en croire le chrétien Tertullien (150-220) dans Apologétiques 18, 9, on reconnaissait la femme juive à son voile :

« Le voile sur la tête est si coutumier aux femmes juives qu’on les reconnaît par là ».

Notons que la plupart des Romaines portaient un voile (le vélum) sur la tête lorsqu’elles quittaient leur domicile.

D’après Saint-Jérôme (347-420), qui a traduit la Bible en latin, les femmes chrétiennes ne devaient pas passer inaperçues à Rome. Il incitait les filles des patriciens romains à vivre recluses dans une pièce retirée du palais familial, à manger seules pour échapper à la tentation du regard d’un homme. Il leur demandait de jeûner souvent, de s’habiller de sombre. « La négligence et la malpropreté corporelle étaient élevées au rang de vertu », nous dit Catherine Salle, maître de conférences à l’université de Paris X, où elle enseigne la civilisation romaine.

Donc, les juifs ont vécu pacifiquement dans l’Empire romain, où ils se sont bien intégrés. Ils n’ont jamais été vu comme des ennemis, sauf dans certaines villes comme Alexandrie (Egypte) et Césarée (Judée) au Ier et IIe siècle de notre ère où ils étaient très nombreux dans une population à faible majorité grecque.

Et les chrétiens ?

La tradition, qui a la vie dure, fait des chrétiens des persécutés, obligés de vivre leur foi clandestinement, se cachant dans les catacombes… jusqu’à l’intervention de l’empereur Constantin (272-337). Foutaises ! Comme les juifs, ils avaient pignon sur rue, côtoyaient les hautes sphères du pouvoir (voir mes articles sur les martyrs). De plus, longtemps, les Romains n’ont fait aucune distinction entre les chrétiens et les juifs. Pour eux, la religion importait peu, ils distinguaient les gens par leur ethnie : un tel est Thrace, tel autre Judéen ou Germain, etc.

Il est vrai que les chrétiens ont dû subir des persécutions comme celles de l’empereur Dioclétien  (284-305), mais ils ne furent pas les seuls, les persécutions touchaient toutes les couches de la population tant la période fut troublée.

Jamais les religions juives ou chrétiennes n’ont été interdites par une loi comme le confirme le Code Théodosien qui reprend l’historique des décrets.

Les esséniens

Ceci est le premier de trois articles qui vont parler des esséniens, des manuscrits de la Mer morte, de la figure emblématique de certains manuscrits : le Maître de Justice.

Encore aujourd’hui, les esséniens constituent une énigme. Nous avons peu d’écrits anciens qui y font référence et les découvertes des manuscrits de la Mer Morte, à Qumran en 1947, ne font qu’ajouter à la confusion, car aucun ne mentionne le nom d’essénien. À travers la lecture de ces rouleaux, on découvre une secte apocalyptique à la pensée proche des pharisiens, mais prête à en découdre avec les forces des ténèbres pour hâter la fin des temps.

Apocalypse ne veut pas dire catastrophe, mais bien « révélation ». En anglais, le livre de l’Apocalypse s’appelle d’ailleurs le « livre des Révélations ». Les écrits apocalyptiques révèlent le dessein de Dieu pour les temps à venir. Ces récits sont souvent eschatologiques, l’eschatologie étant un discours sur la fin des temps. Donc, un récit apocalyptique décrit souvent ce que Dieu réserve aux bons et aux forces du mal à la  fin des temps. On y oppose Babylone, la cité du mal (les juifs y ont été déporté) qui symbolise ce qui doit être détruit et la Jérusalem céleste, Sion, qui est le but à atteindre. Babylone ne se réfère pas à la ville ancienne, c’est le symbole de toutes les villes « mauvaises », dont Rome au Ier siècle de notre ère.

Les sources

Nous connaissons les esséniens par trois sources, dans l’ordre chronologique : Philon d’Alexandrie, Pline l’Ancien dans son ouvrage « Histoire naturelle » qu’il dédia en 77 de notre ère à Titus Flavius, le futur empereur et Flavius Josèphe, dont j’ai abondamment parlé. Les talmuds n’en parlent pas, les évangiles non plus. Justin, un auteur chrétien, qui écrit sur les sectes juives les ignore de même qu’Irénée qui disserte sur le monachisme (les moines). Tous deux ont vécu au IIe siècle de notre ère !

On sait donc très peu de chose d’eux.

Pline (23 à 79), qui n’a jamais voyagé en Judée, les présente comme une communauté d’hommes exclusivement, dont le nombre de membres ne diminue jamais : « Ils vivent sans femme et sans rapport sexuel, sur les bords de la Mer Morte au-dessus d’Engadi ». Cette déclaration a beaucoup influencé l’attribution des manuscrits de la Mer Morte aux esséniens. Car Engadi se trouve près de Qumran où les rouleaux ont été découverts. J’en reparlerai.

Pline l’Ancien périra lors de l’éruption du Vésuve en 79. Il se trouvait à Misène, port de la baie de Naples, en tant que préfet, commandant la flotte militaire romaine. Voulant porter secours aux victimes de l’éruption, il traversa la baie avec ses galères et mourut, probablement étouffé, à 56 ans. Nous devons à son neveu, Pline le jeune, également présent à Misène, le récit, parfaitement précis de cette éruption. notons que les Romains ignoraient tout des éruptions volcaniques. Pompéi, détruite par l’éruption du Vésuve, admirablement conservée sous les cendres, fouillée par une multitude d’archéologues, n’a encore livré aucune trace de chrétiens.

Notons que Pline l’Ancien, philosophe stoïcien, curieux de tout, sciences, arts et bien entendu philosophie, ne parle pas des chrétiens dans ses ouvrages et que son neveu, Pline le Jeune, écrivain et politicien romain, ne les découvrira qu’en 113 !

Philon d’Alexandrie (-25 à 45) parle des esséens (sans le N) vivant en Judée et des thérapeutes vivant en Égypte dans son ouvrage « Contre Flaccus ». D’après lui, ce sont des saints, serviteurs de Dieu, pauvres, tout à fait pacifistes, refusant l’esclavage. Ils rendent service à leurs semblables et ne pratiquent pas le célibat. Il y aurait environ 4000 esséens en Judée.

Philon d’Alexandrie, nous a laissé un nombre impressionnant d’écrits la plupart philosophiques, plus grecs que juifs. À tel point que les chrétiens l’ont longtemps considéré comme l’un des leurs. Philon va être envoyé à Rome auprès de l’empereur Caïus Caligula pour défendre les juifs durant l’hiver 39-40. Dans son réquisitoire « Legato ad Caium », il parle des provocations de Ponce Pilate à Jérusalem où il voulait décorer le temple de boucliers romains, mais il ne mentionne ni Jésus, ni les chrétiens.

Représentation de Philon d’Alexandrie… en évêque chrétien ?

Flavius Josèphe (vers 37 à 100) est plus prolixe sur les esséniens, alors qu’il nous en dit très peu de choses sur les pharisiens et les sadducéens. Il nous explique :

  • Quand ils entrent dans la secte, ils font don de leurs biens. On retrouve cette coutume chez les premiers chrétiens dans les Actes des Apôtres.
  • Ils insistent sur le rôle du destin, de la prédestination : la vie est toute tracée.
  • Ils effectuent un noviciat d’un an suivi d’une période probatoire de 2 ans.
  • Ils s’habillent de blanc.
  • Ils ne rendent pas de sacrifices au temple de Jérusalem, mais participent à des repas pris en commun. Le Cène chrétienne est un repas commun essénien.
  • Ils respectent le gouvernement, quel qu’il soit, car « c’est par la volonté de Dieu que le pouvoir échoit à un homme ». Les évangiles font dire à Jésus : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

On ne retrouve pas les caractéristiques énumérées par les trois écrivains dans les manuscrits de la Mer Morte, sauf la vie communautaire et le noviciat. Comme ils ne parlent pas du temple de Jérusalem, on peut supposer que Flavius Josèphe a raison de dire qu’ils ne rendent pas de sacrifice au temple.

La disparition des esséniens

Les esséniens resteront une énigme, même dans leur disparition : on ne parle plus d’eux après la destruction du temple de Jérusalem en 70, conséquence de la révolte des juifs en 66. Ils sortent de l’Histoire quand les chrétiens y font leur entrée. Ils ont des points communs avec les chrétiens. D’ailleurs bon nombre d’écrivains chrétiens l’ont constaté.

  • Au IVe siècle, l’évêque d’Italie Philastre de Brescia dit d’eux qu’ils sont des moines qui considéraient Jésus non comme le fils de Dieu, mais comme un prophète… alors qu’ils existaient avant la prédication de Jésus.
  • Jérôme (347-420) affirme que les thérapeutes sont des moines croyant au Christ et vivant dans des monastères.
  • Eusèbe de Césarée (265-340 env.) indique que les thérapeutes «étaient un groupe de premiers chrétiens »
  • Épiphane de Salamine (315-403) affirme que c’est le nom original des chrétiens.

Le Christ chez Pline le jeune

Contexte : dans un article précédent, j’ai parlé d’un texte de Flavius Josèphe, écrit en 75, qui mentionnait « Jacques, frère de Jésus dit le Christ« . Comme Josèphe ne spécifie pas qui est Jésus, on se trouvait devant une alternative : soit Jésus était un personnage insignifiant, soit il était tellement connu du monde gréco-romain, qu’il était inutile de le présenter. Je réfutais la seconde proposition, je vais m’en expliquer.

On pourrait m’opposer que Flavius Josèphe a parlé de Jésus dans un autre ouvrage : « Antiquités juives ». D’accord, si on n’admet pas l’ajout du paragraphe par un scribe chrétien. Mais cet argument ne tient pas, cet ouvrage ayant été écrit en 93, soit près de vingt ans après le texte qui nous occupe.

Autre remarque, en grec, « christ« , traduction de « messiah« (oint) en hébreux, signifie « huileux« , « frotté d’une substance graisseuse« . J’ignore comment les lecteurs de Josèphe pouvait interpréter ce qualificatif. Pour les Romains, c’était incompréhensible, ils ignoraient ce qu’était un messie, personnage du monde judéo-chrétien.

La lettre de Pline le jeune

Dans la lettre 93 du livre X, adressée à l’empereur Trajan en 112, Pline demande ce qu’il doit faire avec les membres d’une secte qui « s’assemblaient avant le lever du soleil, et chantaient tour à tour des hymnes à la louange de Christos, comme s’il eût été un dieu (quasi deo) ». Nous possédons la réponse de Trajan qui est ambiguë. Dans cette lettre, dont rien ne prouve qu’elle soit originale, il demande de ne pas pourchasser les chrétiens, mais de punir ceux qui avouent être chrétiens.

Il faut noter que les avis des historiens divergent sur les recueils des lettres de Pline le jeune. Certains pensent que c’était un genre littéraire, que les lettres n’étaient pas envoyées. Il est troublant que seules les lettres du livre X adressées à Trajan aient reçu une réponse.

Revenons au texte de Pline. Au premier coup d’œil, on peut dire qu’il ne connaît pas les chrétiens. Or Pline est un homme public de l’Empire romain.

La vie de Pline le jeune

Il est contemporain de Flavius Josèphe quoique plus jeune. Il est né en 61 et meurt entre 113 et 115. C’est le neveu de Pline l’ancien qui nous a laissé une « Histoire naturelle » en 37 volumes. Cet oncle est mort lors de l’éruption du Vésuve en 79. Il était commandant de la flotte romaine basée à Misène. Il a disparu en voulant sauver les habitants de Pompéi et Herculanum sous le feu du volcan. Pline le jeune a assisté à l’éruption dont il a fait un compte-rendu si détaillée qu’il n’a été avalisée qu’au XXe siècle. Depuis lors, les éruptions de ce type, très rares, sont appelées « éruptions pliniennes« .

Pline le jeune est avocat. Il appartient à l’élite romaine, il fait partie de la classe des sénateurs. Sous l’empereur Domitien, il est tribun de la plèbe à Rome, en 93, il devient préteur et en 94, il est administrateur du trésor militaire (il s’occupe de la paie et des pensions). C’est donc un proche de l’empereur, comme il le sera des suivants Nerva et Trajan. C’est sous l’empereur Trajan qu’il devient gouverneur de Bithynie, province du nord-ouest de la Turquie actuelle, qui aurait fait face à Constantinople, de l’autre côté du Bosphore, si cette ville avait existé à l’époque. C’est lorsqu’il exerçait cette fonction qu’il a écrit cette lettre.

Il ne connaît donc pas les chrétiens, or, la tradition chrétienne considère l’empereur Domitien comme grand persécuteur des chrétiens… ce qu’il n’a pas été. Domitien a la fin de sa vie s’en est pris aux hauts personnages de l’Etat qu’il a exilé ou fait assassiné. La tradition a fait de ces hauts fonctionnaires des chrétiens, raison de leur persécution. Domitien fut assassiné par des comploteurs issus de son entourage.

Pline qui a vécu dans l’entourage de Domitien ne connaît pas les chrétiens. Pas plus que Flavius Josèphe qui lui a vécu 30 ans en Judée (après Jésus) avant de rejoindre Rome et le palais impérial.
On peut conclure que les chrétiens n’étaient pas connus à Rome à la fin du Ier siècle. A cette époque, ils étaient encore confondus avec les juifs dont ils formaient une secte. Pour revenir au texte de Flavius Josèphe, le fait de ne donner aucun détail sur Jésus est fortement suspect. Même si Jésus avait été un personnage secondaire, Josèphe l’aurait dit ou alors, il ne l’aurait pas cité. On peut penser qu’un scribe chrétien en recopiant le texte a ajouté les mots « frère de Jésus-Christ » pour bien rappeler : « ce Jacques-là, c’est celui dont parlent nos écritures« .

Pourquoi les textes sont-ils interpolés ? Avant de répondre à cette question, il faut s’en poser une autre : pourquoi les textes sont-ils copiés. A l’évidence, pour les diffuser, mais aussi parce que le support, le parchemin, en rouleau tout d’abord, puis vers le IIIe siècle en codex (parchemins reliés, comme nos livres) sont fragiles, pas toujours de bonne qualité. Les textes étaient lus en petit comité et discutés. Dans le cas qui nous occupe, il est probable qu’un auditeur ait relevé que Jacques était celui dont parlaient les Actes des Apôtres et qu’il serait séant de le mentionné. Jésus étant bien connu du cercle chrétien, il n’a pas été nécessaire de s’étendre sur le personnage. Ainsi au cours des siècles, les textes se modifiaient, s’enrichissaient… mais pervertissaient la pensée de l’auteur.

On peut conclure que Flavius Josèphe ne connaissait pas Jésus, et qu’il n’a rien écrit à son sujet.

Jésus chez Flavius Josèphe

Que les choses soient bien claires : aucun auteur du monde gréco-romain n’a jamais parlé de Jésus comme personnage historique. Les quelques textes qui nous sont parvenus parlent d’un concept religieux : le Christ, le Messie. Quand on évoque un texte ancien, il faut toujours garder une certaine prudence. Ce ne sont jamais des versions originales, mais des copies de copies. De plus, ces copies sont l’oeuvre de moines chrétiens… donc sujets à caution : on fait dire aux textes ce que l’on veut, suivant l’évolution du dogme, comme on va avoir un exemple avec l’oeuvre de Flavius Josèphe (vers 30/40-100).

Dans les versets XVIII, 63-64 des « Antiquités juives » (écrit vers 93) de cet auteur, que j’ai présenté dans un autre article, nous trouvons ce que l’Église chrétienne appelle le « testinonium flavianum », (le témoignage de Flavius)  la preuve absolue de l’existence de Jésus. Au moment où il écrit cet ouvrage, Josèphe vit à Rome sous l’empereur Domitien, fils de l’empereur Vespasien et frère de Titus, ceux qui ont maté la révolte des Juifs en 70… dont il est proche. Voici ce qu’on y lit.

« Vers le même temps vint Jésus, homme sage, si toutefois il faut l’appeler un homme. Car il était faiseur de miracles et le maître des hommes qui reçoivent avec joie la vérité. Et il attire à lui beaucoup de Juifs et beaucoup de Grecs. C’était le Messie. Et lorsque sur la dénonciation de nos premiers concitoyens, Pilate l’eut condamné à la crucifixion, ceux qui l’avaient chéri ne cessèrent pas de le faire, car il leur apparut trois jours après, ressuscité, alors que les prophètes divins avaient annoncé cela et mille merveilles à son sujet. Et le groupe appelé après lui chrétiens n’a pas encore disparu ».

Première remarque en lisant ce texte : Flavius Josèphe était chrétien ! Un juif qui reconnaît Jésus comme étant le Messie est chrétien. Ce qui pose problème, car à notre connaissance, Josèphe n’a jamais été chrétien. Ce détail n’a pas échappé à l’Eglise qui admet que texte a été modifié lors d’une copie. Les milieux traditionalistes proposent comme texte original ce qui apparaît en gras, sans la notion de Messie, ni la référence à la résurrection.

Flavius Josèphe et les messies

Dans ses ouvrages, Flavius Josèphe nous parle de plusieurs messies qui se sont manifestés au premier siècle de notre ère et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas beaucoup d’estime pour eux. Je rappelle qu’au début de la révolte, il était persuadé, comme beaucoup de Juifs, que la prophétie du Livre de Daniel allait se réaliser, un prince allait venir délivrer les juifs de l’emprise des étrangers. Mais après sa capture par le général romain Vespasien, il estima que ce prince dont parlait Daniel était Vespasien lui-même… stratégie très habile qui lui permit de vivre libre dans l’entourage de Vespasien lorsqu’il devint empereur.

Quand Flavius Josèphe parle d’autres messies il n’utilise jamais le mot « christ » (il rédige en grec).

  • De l’Égyptien (Antiquités Juives XX) il dit « un Égyptien qui se disait prophète ».
  • De Theudas (AJ XX) : « il prétendait être prophète ». Theudas est cité dans les Actes des Apôtres, comme l’Égyptien.
  • Un prophète samaritain (AJ XVIII) : « Un imposteur… ».
  • Il ne juge pas Jésus, fils d’Ananias, que les Romains considérait comme fou (Guerre des Juifs, livre VI). L’histoire de ce second Jésus est intéressante. Elle se passe 4 ans avant la révolte, vers 60. Jésus parcourt les rues de Jérusalem en prédisant que des malheurs vont s’abattre sur la ville. Il est arrêté par des juifs et conduit au procurateur (c’est bien son titre à l’époque) Albinus qui l’interroge, le fait fouetté jusqu’aux os, sans obtenir de réponse. Le jugeant fou, il le libère. Il sera tué lors du siège de Jérusalem. Certains points rappellent étrangement l’histoire du nazaréen. Le texte complet se trouve à la fin de cet article.

Ce ton contraste avec celui employé pour Jésus ( » Il était maître des hommes. C’était le Messie« ) et Jean le Baptiste (« C’était un homme d’une grande piété (AJ XVIII) »).
Voyons l’importance qu’il donne à ses faux prophètes :

  • Quand il parle de Jésus fils d’Ananias, il utilise 429 mots.
  • Le paragraphe sur l’Égyptien contient 221 mots (51%).
  • L’épopée de Theudas est racontée en 118 mots (27%).
  • Jésus ne mérite que 110 mots (25%).

110 mots, c’est bien peu pour le Messie, le sauveur de l’Humanité.

Jésus dans le contexte

Le passage sur Jésus tombe mal à-propos. Le chapitre, consacré à Ponce Pilate, comporte 4 paragraphes. Le premier décrit une révolte des Juifs suite à l’introduction d’images dans Jérusalem. Le sujet du deuxième paragraphe, celui qui précède l’évocation de Jésus, est le compte rendu d’une autre révolte, suite au vol du trésor du temple pour financer un aqueduc. Il se termine par « Ainsi fut réprimée la sédition ». Le  chapitre 4 débute par : «Vers le même temps un autre trouble grave agita les Juifs ». Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut pas dire que le passage sur Jésus intercalé au chapitre 3 soit « un trouble grave ». Si Flavius Josèphe a vraiment parlé de Jésus, le texte est perdu à jamais, supplanté par un texte aux forts relents chrétiens. Notons que le chapitre 3, sur Jésus, débute par les mêmes mots que le chapitre 4 : « Vers le même temps… ».

Le chapitre consacré à Ponce Pilate se trouve à la fin du présent article.

Flavius Josèphe et les chrétiens

Dans un autre ouvrage de Josèphe, « La Guerre des Juifs » (vers 75), il nous parle des « philosophies » juives, ce que nous appelons les sectes juives du Ier siècle. Il cite les esséniens, les pharisiens et les sadducéens auxquels s’ajoutent depuis l’an 6 les zélotes, le bras armé des pharisiens. Et ici, il ne parle pas des chrétiens. Il faut dire, quoiqu’en pensent les milieux traditionalistes, que les Romains n’ont pas fait de distinction entre les juifs et les chrétiens avant la fin de la première moitié du IIe siècle. Les disciples du Christ étaient des juifs pour les Romains… et pour Flavius Josèphe.

Des détails

Les chercheurs qui considèrent le texte comme authentique argue qu’il est conforme au style de Flavius Josèphe. Je n’adhère pas à cet argument. Deux détails font tache. Jésus était un nom commun dans la Judée antique. On le retrouve donc souvent dans les écrits de Flavius Josèphe. Chaque fois les personnages qui portent ce prénom sont nommés suivant la coutume juive : Jésus fils de… Une seule exception, le « testinonium flavianum ».

Pourquoi fait-il rejaillir la mort de Jésus sur « l’élite des juifs » alors qu’il est juif, descendant de souche sacerdotale et fier de l’être ? Tous les livres qu’il écrit sont à la gloire du peuple juif. Il écrit d’ailleurs un dernier livre « Contre Apion » (en 95), pour réfuter les attaques de ce grammairien contre les juifs, alors qu’il était mort depuis quelques dizaines d’années.

Les versions de l’ouvrage de Flavius Josèphe

Si l’évocation de Jésus dans « Antiquités juives », est une interpolation, comme je le crois, quand le texte a-t-il été incorporé ? Le plus ancien exemplaire de l’ouvrage date du Xe siècle. On le connait en version latine, grec et slavonne (ancien slave). Dans cette dernière édition, le texte se trouve dans la « Guerre des Juifs » !

Au moins trois auteurs chrétiens disposent de versions dans lesquelles le paragraphe est absent : Origène (IIIe siècle), Thédoret de Cyr (Ve siècle) et Photios (IXe siècle).
Dans son pamphlet contre Celse (qui critiquait les chrétiens), Origène regrette que Flavius Josèphe « ne reconnaisse pas Jésus comme étant le Christ« . Il écrit :

« C’est Josèphe qui, au XVIIIe livre de son Histoire des Juifs, témoigne que Jean était revêtu de l’autorité de baptiser, et qu’il promettait le rémission des péchés à ceux qui recevaient son baptême. Le même auteur bien qu’il ne reconnaisse pas Jésus pour le Christ recherchant la cause de la prise de Jérusalem et de la destruction du temple, ne dit pas véritablement comme il eût dû faire, que ce fut l’attentat des Juifs contre la personne de Jésus qui attira sur eux ce malheur, pour punition d’avoir fait mourir le Christ qui leur avait été promis : mais il approche pourtant de la vérité, et lui rendant témoignage comme malgré soi, il attribue la ruine de ce peuple à la vengeance que Dieu voulut faire de la mort qu’ils avaient fait souffrir à Jacques le Juste, comme de grande vertu, frère de Jésus, nommé Christ. »

On entend souvent que le premier auteur chrétien à avoir parlé du « testinonium flavianum » était Eusèbe de Césarée (IVe siècle) dans ses ouvrages « Histoire ecclésiastique » et « Préparation évangélique« . Or s’il parle bien de Flavius Josèphe auquel il consacre 2 et 7 chapitres, il ne mentionne jamais le fameux passage sur Jésus. Donc, il n’apparaissait pas dans l’exemplaire qu’il possédait.

Un autre passage de Flavius Josèphe

Flavius Josèphe nous parle de nouveau de Jésus dans les Antiquités juives (XX, 198-203), le passage cité par Eusèbe (voir plus haut) :

« Comme Anan était tel et qu’il croyait avoir une occasion favorable parce que Festus était mort et Albinus encore en route (Note : Festus et Alabinus sont des gouverneurs romains), il réunit un sanhédrin, traduisit devant lui Jacques, frère de Jésus appelé le Christ, et certains autres, en les accusant d’avoir transgressé la loi, et il les fit lapider. Mais tous ceux des habitants de la ville qui étaient les plus modérés et les plus attachés à la loi en furent irrités et ils envoyèrent demander secrètement au roi (Note : dernier roi des Juifs, nommé par Claude) d’enjoindre à Anan de ne plus agir ainsi, car déjà auparavant il s’était conduit injustement. Certains d’entre eux allèrent même à la rencontre d’Albinus qui venait d’Alexandrie et lui apprirent qu’Anan n’avait pas le droit de convoquer le sanhédrin sans son autorisation. Albinus, persuadé par leurs paroles, écrivit avec colère à Anan en le menaçant de tirer vengeance de lui. Le roi Agrippa lui enleva pour ce motif le grand-pontificat qu’il avait exercé trois mois et en investit Jésus, fils de Damnaios.

Dans ce passage de 162 mots, l’auteur ne dit pas que Jésus est le messie, mais qu’on l’appelait ainsi. Si le passage est authentique, c’est le vrai « testinonium flavianum », la preuve qu’un personnage appelé Jésus, reconnu comme messie par ses disciples a existé. Mais ce texte serait alors un dilemme. Soit Jésus est un personnage insignifiant que Josèphe n’a pas cru bon de présenter : c’est le frère de Jacques, point. Soit il est tellement connu du monde romain qu’il ne faut plus le présenter. En principe, Jacques aurait dû être le fils de …, or ici, il est le frère de … On retrouve ce même lien de fratrie sur une urne qui a circulé dans le circuit parallèle des antiquités, on y lit : « Jacques fils de Joseph frère de Jésus ». La justice israélienne n’a pas décidé si c’était un faux, elle rechigne à se prononcer sur des faits religieux.

La reconnaissance de Jésus dans le monde romain au Ier siècle n’est pas corroborée par les faits. Je m’en expliquerais dans un prochain article : « Le Christ dans les écrits de Pline le Jeune« . Pline le jeune est un contemporain de Josèphe, ils ont dû se côtoyer étant tout deux proches des empereurs Titus et Domitien.

Y a-il eu interpolation chrétienne ? Au IIIe siècle, Origène connaît déjà ce passage.
Si ce texte est une interpolation chrétienne, un autre problème se pose. Selon le dogme, Jésus n’a pas de frères, sa mère est restée vierge à la conception, à l’accouchement et après… alors qu’on lit dans les évangiles « N’est-ce pas le fils du charpentier? n’est-ce pas Marie qui est sa mère? Jacques, Joseph, Simon et Jude, ne sont-ils pas ses frères (adelfos en grec) ?et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous? » (Matthieu 13:55,56). L’Eglise de Rome a voulu en faire des cousins qui en grec se dit anepsios. Lorsqu’on touche à la fratrie de Jésus, on s’aventure sur un terrain miné. J’en parlerai dans un autre article.

D’après les « Actes des apôtres », Jacques aurait succédé à Jésus à la tête de la communauté de Jérusalem.

Annexes : textes de Flavius Josèphe

Jésus fils d’Ananias dans la « Guerre des Juifs » (livre VI)

Mais voici de tous ces présages le plus terrible : un certain Jésus, fils d’Ananias, de condition humble et habitant la campagne, se rendit, quatre ans avant la guerre, quand la ville jouissait d’une paix et d’une prospérité très grandes, à la fête où il est d’usage que tous dressent des tentes en l’honneur de Dieu, et se mit soudain à crier dans le Temple : « Voix de l’Orient, voix de l’Occident, voix des quatre vents, voix contre Jérusalem et contre le Temple, voix contre les nouveaux époux et les nouvelles épouses, voix contre tout le peuple ! » Et il marchait, criant jour et nuit ces paroles, dans toutes les rues. Quelques citoyens notables, irrités de ces dires de mauvais augure, saisirent l’homme, le maltraitèrent et le rouèrent de coups. Mais lui, sans un mot de défense, sans une prière adressée à ceux qui le frappaient, continuait à jeter les mêmes cris qu’auparavant. Les magistrats, croyant avec raison, que l’agitation de cet homme avait quelque chose de surnaturel, le menèrent devant le gouverneur romain. Là, déchiré à coups de fouet jusqu’aux os, il ne supplia pas, il ne pleura pas mais il répondait à chaque coup, en donnant à sa voix l’inflexion la plus lamentable qu’il pouvait : « Malheur à Jérusalem ! » Le gouverneur Albinus lui demanda qui il était, d’où il venait, pourquoi il prononçait ces paroles ; l’homme ne fit absolument aucune réponse, mais il ne cessa pas de réitérer cette lamentation sur la ville, tant qu’enfin Albinus, le jugeant fou, le mit en liberté. Jusqu’au début de la guerre, il n’entretint de rapport avec aucun de ses concitoyens ; on ne le vit jamais parler à aucun d’eux, mais tous les jours, comme une prière apprise, il répétait sa plainte : « Malheur à Jérusalem ! » Il ne maudissait pas ceux qui le frappaient quotidiennement, il ne remerciait pas ceux qui lui donnaient quelque nourriture. Sa seule réponse à tous était ce présage funeste. C’était surtout lors des fêtes qu’il criait ainsi. Durant sept ans et cinq mois, il persévéra dans son dire, et sa voix n’éprouvait ni faiblesse ni fatigue ; enfin, pendant le siège, voyant se vérifier son présage, il se tut. Car tandis que, faisant le tour du rempart, il criait d’une voix aiguë : « Malheur encore à la ville, au peuple et au Temple », il ajouta à la fin : « Malheur à moi-même », et aussitôt une pierre lancée par un onagre le frappa à mort. Il rendit l’âme en répétant les mêmes mots.

Chapitre consacré à Ponce Pilate dans « Antiquités juives » (livre XVIII)

Ce livre rapporte des événements survenus alors que Ponce Pilate était préfet de Judée.
1-2. Soulèvement des Juifs contre Ponce Pilate ; sa répression
 3. Vie, mort et résurrection de Jésus-Christ.
 4. Scandale du temple d’Isis à Rome (on se demande ce que vient faire cette histoire).
 5. Expulsion des Juifs de la capitale.

On remarquera comment se termine le paragraphe 2 et comment débute le paragraphe 4.

[55]. 1. Pilate, qui commandait en Judée, amena son armée de Césarée et l’établit à Jérusalem pour prendre ses quartiers d’hiver. Il avait eu l’idée, pour abolir les lois des Juifs, d’introduire dans la ville les effigies de l’empereur qui se trouvaient sur les enseignes, alors que notre loi nous interdit de fabriquer des images ; [56] c’est pourquoi ses prédécesseurs avaient fait leur entrée dans la capitale avec des enseignes dépourvues de ces ornements. Mais, le premier, Pilate, à l’insu du peuple – car il était entré de nuit – introduisit ces images à Jérusalem et les y installa. Quand le peuple le sut, il alla en masse à Césarée et supplia Pilate pendant plusieurs jours de changer ces images de place. [57] Comme il refusait, disant que ce serait faire insulte à l’empereur, et comme on ne renonçait pas à le supplier, le sixième jour, après avoir armé secrètement ses soldats, il monta sur son tribunal, établi dans le stade pour dissimuler l’armée placée aux aguets. [58] Comme les Juifs le suppliaient à nouveau, il donna aux soldats le signal de les entourer, les menaçant d’une mort immédiate s’ils ne cessaient pas de le troubler et s’ils ne se retiraient pas dans leurs foyers. [59] Mais eux, se jetant la face contre terre et découvrant leur gorge, déclarèrent qu’ils mourraient avec joie plutôt que de contrevenir à leur sage loi. Pilate, admirant leur fermeté dans la défense de leurs lois, fit immédiatement rapporter les images de Jérusalem à Césarée.

[60] 2. Pilate amena de l’eau à Jérusalem aux frais du trésor sacré, en captant  la source des cours d’eau à deux cents stades de là. Les Juifs furent très mécontents des mesures prises au sujet de l’eau. Des milliers de gens se réunirent et lui crièrent de cesser de telles entreprises, certains allèrent même jusqu’à l’injurier violemment, comme c’est la coutume de la foule. [61] Mais lui, envoyant un grand nombre de soldats revêtus du costume juif et porteurs de massues dissimulées sous leurs robes au lieu de réunion de cette foule, lui ordonna personnellement de se retirer. [62] Comme les Juifs faisaient mine de l’injurier, il donna aux soldats le signal convenu à l’avance, et les soldats frappèrent encore bien plus violemment que Pilate le leur avait prescrit, châtiant à la fois les fauteurs de désordre et, les autres. Mais les Juifs ne manifestaient aucune faiblesse, au point que, surpris sans armes par des gens qui les attaquaient de propos délibéré, ils moururent en grand nombre sur place ou se retirèrent couverts de blessures. Ainsi fut réprimée la sédition.

[63] 3. Vers le même temps vint Jésus, homme sage, si toutefois il faut l’appeler un homme. Car il était un faiseur de miracles et le maître des hommes qui reçoivent avec joie la vérité. Et il attira à lui beaucoup de Juifs et beaucoup de Grecs. [64] C’était le Christ. Et lorsque sur la dénonciation de nos premiers citoyens, Pilate l’eut condamné à la crucifixion, ceux qui l’avaient d’abord chéri ne cessèrent pas de le faire, car il leur apparut trois jours après avoir ressuscité, alors que les prophètes divins avaient annoncé cela et mille autres merveilles à son sujet. Et le groupe appelé d’après lui celui des chrétiens n’a pas encore disparu.

[65] 4. « Vers le même temps un autre trouble grave agita les Juifs et il se passa à Rome, au sujet du temple d’Isis, des faits qui n’étaient pas dénués de scandale ».

 Suit alors un long récit mettant en scène une belle et chaste romaine : Paulina. L’histoire n’a rien à voir avec les Juifs, ni avec Ponce Pilate. Cette dame a été abusée par un amoureux éconduit qui s’était fait passer pour le dieu Anubis…. 
« [79] Quand Tibère eut de toute l’affaire une connaissance exacte par une enquête auprès des prêtres, il les fait crucifier… il fit raser le temple et ordonna de jeter dans le Tibre la statue d’Isis…» Je reviens maintenant à l’exposé de ce qui arriva vers ce temps-là aux Juifs vivant à Rome, ainsi que je l’ai déjà annoncé plus haut.

[81] 5. Il y avait un Juif qui avait fui son pays parce qu’il était accusé d’avoir transgressé certaines lois et craignait d’être châtié pour cette raison. Il était de tous points vicieux. Établi alors à Rome, il feignait d’expliquer la sagesse des lois de Moïse. [82] S’adjoignant trois individus absolument semblables à lui, il se mit à fréquenter Fulvia, une femme de la noblesse, qui s’était convertie aux lois du judaïsme, et ils lui persuadèrent d’envoyer au temple de Jérusalem de la pourpre et de l’or. Après les avoir reçus, ils les dépensèrent pour leurs besoins personnels, car c’était dans ce dessein qu’ils les avaient demandés dès le début. [83] Tibère, à qui les dénonça son ami Saturninus, mari de Fulvia, à l’instigation de sa femme, ordonna d’expulser de Rome toute la population juive. [84] Les consuls, ayant prélevé là-dessus quatre mille hommes, les envoyèrent servir dans l’île de Sardaigne ; ils en livrèrent au supplice un plus grand nombre qui refusait le service militaire par fidélité à la loi de leurs ancêtres. Et c’est ainsi qu’à cause de la perversité de quatre hommes les Juifs furent chassés de la ville.

70 : Jérusalem incendiée par les légions romaines

Contexte historique

En 63 avant notre ère, le général romain Pompée, conquiert la Syrie en battant le dernier roi grec, Mithridate VI, d’origine perse. Pour la petite histoire, notons que son frère s’appelait Mitridate Chrestos. Personne ne lui a voué un culte, car « chestos » signifie « bon ou bienfaisant ».

La Judée, dirigée par la dynastie hasmonéenne qui a acquis une quasi indépendance vers 167 avant notre ère, s’est agrandie petit à petit en profitant de la faiblesse des Grecs, descendants des généraux d’Alexandre le Grand.

A l’arrivée des Romains en Syrie, deux frères se disputent le trône de Judée : Hyrcan II et Aristobule II. Pompée intervient, prend Jérusalem et fait de la Judée un protectorat romain sous le contrôle du gouverneur romain de Syrie. Après sa victoire, Pompée visite le temple de Jérusalem, ce qui sera considéré comme une grave profanation.

Suite à la guerre qu’il a menée en Judée, Pompée ramène à Rome des prisonniers qui lorsqu’ils passeront du statut d’esclaves à celui d’affranchis constitueront les premières communautés juives de Rome. A cette époque, Babylone et Alexandrie (Egypte) comptaient déjà d’importantes communautés juives.

Avec l’accès au trône d’Antigone, le neveu d’Hyrcan II, la situation devient confuse. Les Parthes, ennemis des Romains, qui occupaient un vaste territoire à l’est de l’Euphrate, envahissent Israël.

L’empire romain et l’empire parthe sous l’empereur Auguste. La carte est extraite de l’Atlas historique mondial de Christian Grateloup que je recommande chaudement.

En 37 avant notre ère, les Romains placent Hérode sur le trône de Judée. Il sera appelé le Grand à la suite des travaux qu’il va entreprendre dans le pays : construction de villes (Césarée maritime, etc.), de forteresses (Machéronte, Massade, etc.), d’un théâtre et d’un amphithéâtre à Jérusalem et surtout il va agrandir et embellir le temple de la ville qui deviendra un des temples les plus imposants de l’Empire romain. Les travaux débuteront en 19 avant notre ère et se termineront 82 ans plus tard, en 63 de notre ère. Le gros oeuvre n’avait demandé que 7 ans et le temple semble n’avoir jamais été fermé.

Reconstitution du temple de Jérusalem

A la mort d’Hérode, en l’an 4 avant notre ère, son territoire est partagé, selon ses souhaits, entre trois de ses fils :

  • Archélaos obtient la Judée avec Jérusalem avec le désert du Néguev.
  • Hérode dit Antipas, obtient la Samarie et la Galilée au nord de la Judée.
  • Philippe obtient les territoires à l’est du Jourdain, jusqu’à la frontière nord du royaume des Nabatéens (Pétra).

En l’an 6 ou 7 de notre ère, Archélaos est destitué par les Romains qui prennent le contrôle direct de la Judée. Elle devient une province impériale, dirigée par un préfet qui s’installera à Césarée maritime, avec une petite armée d’un millier d’hommes. C’est à cette occasion que le gouverneur de Syrie envoie son légat, Quirinus, effectuer un recensement. Ce recensement a pour objectif de déterminer l’impôt des personnes. Comme je l’ai dit par ailleurs, ce recensement ne concerne que la Judée (pas la Galilée) et a été fait 11 ans après la mort d’Hérode. La naissance de Jésus racontée dans l’Évangile de Luc est une fable. C’est le gouverneur de Syrie qui contrôle le recensement, car un préfet n’a pas de prérogatives financières sur le territoire qu’il dirige.

Sous l’empereur Claude (41-54), la Judée devient une province sénatoriale, gouvernée par un procurateur. Remarquons que Ponce Pilate n’était pas procurateur, mais préfet.

Les temps messianiques

Un des derniers livres de la Bible, le Livre de Daniel, écrit vers 150 avant notre ère, par un auteur inconnu, déclare que les temps sont venus… Dieu va envoyer un prince, un messie pour préparer le royaume de Dieu sur terre.

Le Livre de Daniel donne même la date du début de l’insurrection qui précédera l’arrivée des troupes célestes : la fin des temps (de malheur) arrivera 70 semaines d’années à partir de la première année du règne de Darius, fils d’Artaxerxés, soit Darius II dont le règne commença en -423. La fin des temps est donc prévue en 66/67 de notre ère (490 moins 423). Ceci sera l’œuvre d’un « prince messie », du « Fils de l’homme » et se soldera par « la destruction de la ville et du sanctuaire…causée par un prince qui consolidera une alliance avec un grand nombre et qui fera cesser le sacrifice et l’oblation … ».

Le Livre de Daniel est à la fois un livre apocalyptique, du grec « révélation, découverte » et messianique, qui a foi dans l’intervention miraculeuse de Dieu. Depuis la destruction de Jérusalem par les Babyloniens et l’exil qui s’en suivit (-586), la conception du temps pour les élites juives a changé. Le temps ne s’écoule plus indéfiniment, il a eu un début, il aura une fin. La fin des temps sera cataclysmique, mais une ère nouvelle, de paix et de justice : le royaume de Dieu, sera la récompense des épreuves qu’Israël endure.

Pour comprendre l’histoire du premier siècle de notre ère en Palestine, et par conséquent, le christianisme, il est important de prendre en compte le messianisme. Les évangiles de Matthieu (25, 15-25), de Marc (13,14-23) et de Luc (21-20,24) font d’ailleurs dire à Jésus :

« Quand vous verrez installé dans le lieu saint l’Abominable Dévastateur, dont a parlé le prophète Daniel, alors que ceux qui sont en Judée fuient dans les montagnes ; celui qui sera sur la terrasse, qu’il ne descende pas pour emporter ce qu’il y a dans la maison ; celui qui est aux champs, qu’il ne se retourne pas pour prendre son manteau… ».

Jésus est un annonciateur, il reprend les thèmes du Livre de Daniel : un messie va venir annonçant la fin des temps de malheur et l’arrivée du royaume de Dieu. L’idée sous-jacente au messianisme est que le dieu d’Israël ne peut pas avoir abandonné son peuple et sa terre à la domination étrangère. Un jour il manifestera sa puissance et sa justice et cela d’autant plus vite que son peuple observera fidèlement la loi. La terre est actuellement dominée par le mal. Il sera extirpé après une succession de calamités.
Dans les évangiles, ces événements sont imminents :

« En vérité je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive » (24-34).
Ou : « En vérité je vous le déclare, vous n’achèverez pas le tour des villes d’Israël avant que vienne le Fils de l’homme » (10-23).
Ou encore « Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son père » (16-28).
Et enfin : « En vérité, je vous le dit, tout cela va retomber sur cette génération » (23-36).

Je n’ai cité que les passages de l’Évangile de Matthieu. Jésus apparaît comme l’annonciateur du Fils de l’homme, du messie. Il n’est pas ce personnage. Mais comme la prédiction ne s’est pas réalisée du vivant de Jésus, ses disciples vont annoncer son retour, cette fois en tant que messie… pour très bientôt.

Si Jésus a annoncé les événements, d’autres se sont présentés comme messies et ont lancé la révolte. Dès la mort d’Hérode, Judas bar Ezéchiel, un descendant des Hamonéens, se proclame messie et se révolte. Il attaque l’arsenal de la ville de Sépphoris, ville dont Nazareth devait être un faubourg mais qui n’est jamais citée dans les évangiles. Sa révolte est écrasée par les légions de Varus venues de Syrie et Sépphoris est détruite. Il y aura plus de 2000 crucifiés.

Le recensement de Quirinus est l’occasion pour Judas le Gaulanite (ou Judas de Gamala) de se proclamer messie. Il crée le parti des zélotes qui s’opposent dans la violence aux envahisseurs romains et pensent qu’ils seront secondés par YHWH lors de la guerre finale qui rétablira la justice divine. Ce qui reflète bien le contenu du Livre de Daniel.
La révolte est une nouvelle fois réprimée par les légions romaines venues de Syrie. On ignore comment mourut Judas. Par contre ses fils Jacques et Simon seront crucifiés vers 44.

Flavius Josephe en guerre

En l’an 66 (quelle coïncidence !), lassés par les provocations du procurateur Florus (64-66), qui puise dans le trésor du temple pour ses besoins personnels, les jeunes prêtres du Temple refusent de procéder au sacrifice journalier financé par l’empereur romain, Néron. Sous l’impulsion des zélotes, le pays entier s’embrase. La garnison romaine de la forteresse Antonia, jouxtant le temple, est massacrée.

Agrippa II et sa sœur Bérénice, qui règnent sur la Galilée, tentent de calmer les insurgés, en vain. Rome envoie la XIIe légion basée en Syrie pour rétablir l’ordre à Jérusalem, mais elle a mal estimé l’importance de la révolte, c’est un échec.

En 67, Néron décide d’envoyer Vespasien avec 3 légions (V, XII et la Xe qui avait un sanglier comme emblème). Il se met en route à partir d’Antioche, capitale de la Syrie. Il doit faire la jonction à Ptolémaïs (Saint Jean d’Acre) avec son fils Titus commandant la XVe légion, partie d’Égypte.

Et c’est ici qu’entre en scène Joseph bar Matthias, un juif né vers l’an 30 ou 40, plus connu sous le nom de Flavius Josèphe. Il va prendre une part active dans la révolte de 66. Il est chargé par Anan, le grand prêtre, de ralentir la progression des légions de Vespasien venant de Syrie. Il va donc défendre la Galilée. (C’est du moins ce qu’il racontera dans ses ouvrages.)

Après avoir résisté 40 jours, il est fait prisonnier lors du siège de Jotapata. Chose étrange, il est le seul rescapé du siège de la ville. Il va séduire Vespasien en prédisant qu’il sera le futur empereur romain. Dans la prophétie de Daniel, un prince doit voir le jour en Judée. La plupart y ont vu le messie juif, or Josephe déclare que ce prince, c’est Vespasien. Et l’avenir lui donnera raison.

La conquête du territoire va prendre de longs mois. Car à Rome, des troubles ont éclaté à la mort de Néron en 68. Cette année verra se succéder trois empereurs, proclamés par leurs légions. Et à ce petit jeu, c’est Vespasien, soutenu par les généraux du Danube, qui l’emportera. Il part à Rome en juillet 69, confiant les légions à son fils Titus qui, en 70, assiège Jérusalem.

Dans la ville encerclée, les vivres commencent à manquer. Trois factions rivales défendent encore la cité : Eléazar ben Simon commande les zélotes qui sont retranchés dans l’enceinte intérieure du Temple, Jean de Gischala défend le parvis extérieur du Temple et Simon bar Gioras, un chef de bande, règne sur le reste de la ville.

Titus fait ériger un mur de 7 kilomètres autour de la ville, pour ce faire, il fait abattre tous les arbres des environs. A titre de comparaison, l’enceinte construite autour de Paris par Philippe Auguste ne mesurait que 5 kilomètres. Il profite des sabbats, jours chômés par les juifs, même en temps de guerre, pour ériger une terrasse face à la partie nord du temple, le point le plus exposé, les autres côtés étant protégés par des ravins.

Enceintes de Paris

En juillet 70, les légions de Titus donnent l’assaut. C’est la curée, le temple est incendié et une bonne partie de Jérusalem s’enflamme. Le trésor du temple, dont la ménorah, le chandelier à sept branches, est ramené à Rome et exhibé lors du triomphe de Titus. Le butin et la vente des esclaves serviront, entre autres, à construire le fameux Colisée.

La ménorah rapportée par les légionnaires romains (détail de l’arc de triomphe de Titus à Rome)

Les fils de la lumière n’ont pas triomphé des forces du mal… mais la prophétie de Daniel s’est réalisée dans sa totalité. Ne prédisait-elle pas : « la destruction de la ville et du sanctuaire… causée par un prince qui consolidera une alliance avec un grand nombre et qui fera cesser le sacrifice et l’oblation … ». La fin du temple marque le début du judaïsme moderne qui a dû se redéfinir sans lieu de culte et de sacrifices… et celui du christianisme qui souhaitait prendre la relève.

La tradition chrétienne veut que les disciples de Jésus aient quitté la ville de Jérusalem lors de l’insurrection pour se réfugier dans les grottes des environs de Pella. J’estime qu’au contraire, ils ont pris une part active à la révolte espérant le retour de Jésus au terme de la catastrophe annoncée. La communauté chrétienne de Jérusalem aurait disparu dans la guerre.

Flavius Josephe écrivain

Vespasien et son fils Titus, qui lui succéda à la tête des légions romaines en Judée, ont utilisé Joseph comme interprète. Après la chute de Jérusalem, il s’installe à Rome, sous la protection de Vespasien et de ses fils Titus et Domitien, dont il prend le nom de famille « Flavius », en tant qu’affranchi. Il est donc connu sous le nom de Flavius Josèphe. Il est notre principale source pour connaître l’histoire de la Judée de -175 à la chute de forteresse de Massada, tombée en 73, dernier bastion de résistance juive lors de la révolte contre les Romains.

Il a écrit quatre ouvrages :

  • La Guerre des Juifs (vers 75). En 7 livres, il développe les causes de la révolte de 66 et détaille celle-ci. Il rédige en fait l’histoire des 2 siècles précédents : de l’avènement des Hasmonéens à la destruction du temple de Jérusalem.
    Les copies que nous possédons (en grec) datent des Xe et XIe  siècles.
  • Autobiographe. C’est la suite du précédent où il justifie sa conduite lors de la guerre contre les Romains. Il ne faut pas oublier qu’il est un traître pour les Juifs.
  • Antiquités juives (vers 93). En 20 livres il raconte, pour le public romain et grec, l’histoire des Juifs de la création du monde jusqu’au procurateur Gessius Florus (64).
  • Contre Apion (vers 95). Dans ce document, il défend le peuple juif et le judaïsme qu’Apion avait critiqué. Apion était mort sous l’empereur Claude.
On remet ça !

En 132, sous l’empereur Hadrien, les Juifs se révoltent à nouveau sous la conduite d’un messie : Bar Kokhba, « le fils de l’étoile » (de David). Il faudra trois années aux Romains pour venir à bout de la guérilla. Les conséquence seront terribles : les Juifs se verront interdire l’accès à Jérusalem, qui sera entièrement détruite et rebâtie. Elle prendra le nom d’Aelia Capitolina, du nom de famille d’Hadrien (Aelius) et des attributs de Jupiter (capitolin) dont le temple sera construit sur l’emplacement du temple juif. La Judée deviendra la Palestine. Le messie vaincu sera renommé Bar Koziba dans le Talmud, « le fils du mensonge ».

Cette nouvelle défaite va creuser le fossé entre le judaïsme et le christianisme. Marcion, un penseur chrétien ne va-t-il pas prôner d’abandonner de la Bible hébraïque (l’Ancien Testament) et de rejeter YHWH comme dieu ? Le fossé deviendra infranchissable au IVe siècle, lorsque le concile de Nicée (325) fixera la date de Pâques au dimanche suivant la Paque juive. Jusqu’alors, il n’était pas rare que les juifs et les chrétiens célèbrent ensemble les fêtes de Pâque(s) et de la Pentecôte.