Un document du tout début de l’islam

Perf558 : Musée National d’Autriche à Vienne

Ce papyrus ne parle pas de l’islam, c’est un bon de réquisition pour 65 moutons destinés à l’armée d’invasion de l’Egypte commandée par un certain Abdallah. Ce bon est destiné au fonctionnaire byzantin de la région de Héracléopolis dans le sud du delta du Nil. Mais il est très important car il est bilingue grec-arabe et il est daté.

Le texte grec est signé « Jean, notaire et diacre », le texte arabe est de la main de « ibn Hadid »

Que nous apprend ce texte sur les débuts de l’islam.

Les dates

Le document est daté en arabe du 1er jumada de l’année 22. En grec, il est daté du 30 
Pharmouth de la 1ère indiction
. A quoi cela correspond ?

La datation grecque est indéterminée : l’indiction est une période fiscale de 15 ans au terme de laquelle l’impôt, en nature, est réévalué. Cette pratique a été établie par l’empereur Constantin. La première année d’indiction court du 1er septembre 312 au 31 août 313. La seule certitude apportée par cette date est le jour et le mois : le 24 avril.  Pour déterminer l’année, faisons confiance à la tradition et présumons que l’année 22 soit bien celle du calendrier musulman qui démarre le 24 septembre 622. Il y a deux mois de jumada dans le calendrier musulman. Heureusement, l’un couvre le mois d’avril, c’est jumada al-Thani. En prenant en compte cette date, nous obtenons le 27 avril 643. Cette année est bien une première année d’indiction (avril 313 + 330). Les deux dates correspondent, car le 24 avril 643 dans le calendrier julien est bien le 27 du même mois dans le calendrier grégorien.

Nous constatons que l’adoption du calendrier hégirien s’est faite très tôt. L’année 622 a donc été particulière pour les Arabes : la tradition y voit arrivée de Mahomet à Médine, fuyant La Mecque. Par comparaison, le début de l’ère chrétienne n’a été fixé qu’en 532 !

La religion

Le texte grec commence par une croix et la formule : « au nom de Dieu » (στο όνομα του Θεού), le texte arabe, en est simplement une traduction bismallah (au nom d’Allah, de dieu). Cette formule est suivie de qualificatifs : « le Compatissant, le Miséricordieux ! ». Cette formulation se trouve au début de la plupart des sourates du Coran.

L’écriture

En arabe, plusieurs sons ont la même graphie : il n’y a que 18 signes pour 28 sons. La différenciation se fait par l’adjonction de signes diacritiques (les accents en français sont des signes diacritiques). On pensait que ces signes avaient été introduits au début du VIII° siècle, or dans ce texte, certaines lettres sont déjà surmontées de points. Par contre, il n’y a pas de voyelles brèves. Donc, le Coran, qui aurait été écrit entre 644 et 656, sous le calife Uthman, aurait pu être écrit avec des lettres ponctuées. 

La conquête

Comme ce texte le montre, la conquête n’a pas été brutale : l’administration byzantine reste en place et les troupes d’invasion consignent leurs réquisitions qui étaient soit payées, soit prélevées comme impôt. 

Le document présenté ici fait partie d’une collection. Certains documents sont écrits uniquement en grec (PERF 556 et 557). Faut-il en conclure que certains Arabes étaient de culture grecque, d’autant plus que la manière d’écrire l’arabe ressemble au style d’écriture grec ?

Le document 557 nous apprend d’Abdallah ne dispose que de 342 soldats et 12 armuriers-forgerons. On est loin de l’invasion de dizaines de milliers d’hommes.

Remarque

Ces documents n’ont pas été datés par une méthode scientifique moderne. On n’a cependant pas de raisons de mettre en doute leur origine. Ce sont les premiers textes arabes en écriture cursive.

Les chroniqueurs musulmans tardifs nous disent que l’écriture n’a été introduite à La Mecque qu’au temps de Mahomet (ibn Khallikan : XIIIe siècle) et qu’à Médine, seule une dizaine de personnes maîtrisait l’écriture (Baladhuri : IXe siècle). Par contre, c’est en Syrie-Palestine que l’on retrouve les inscriptions les plus anciennes écrites avec les caractères arabes. Il se peut que le commandant musulman soit un Arabe syrien et non un Arabe de la Péninsule.

La femme de Jésus ?

FRONT

Dans mon livre, j’avais parlé d’un Papyrus présenté par Karen Leigh King, professeure d’histoire ancienne à la faculté théologique d’Harvard. Dans ce document, incomplet, on pouvait lire « Jésus leur dit : ma femme » (ligne 4) et à la ligne 3, on citait Marie. J’avais conclu : « affaire à suivre ».

Et la suite est venue.
Ce papyrus a été réalisé par Walter Fritz, un étudiant en égyptologie à l’université libre de Berlin. Fin de l’enquête.

Le jour où Turquie gagna la guerre

La Grande Boucherie, organisée par des généraux incompétents et où les seuls vrais héros ont été fusillés pour insoumission, ne s’est pas terminée le 11 novembre 1918. L’après-guerre ne s’est pas réglée par le traité de Versailles le 28/06/1919. Ces événements n’ont concerné que le front ouest et l’Allemagne. Chaque vaincu a eu son traité : l’Autriche, celui de Saint-Germain-en-Laye le 10/09/1919, la Bulgarie, celui de Neuilly le 27/11/1919, l’Empire Ottoman, celui de Sèvres, le 10/08/1920 et quelques autres… 16 en tout.

Alors que la guerre ne fait plus de doute, l’Empire Ottoman a déjà perdu ses territoires d’Afrique et d’Europe. En Afrique, la France a occupé l’Algérie en 1830 et la Tunisie en 1881. L’Italie a envahi la Tripolitaine (Libye) en 1911. Quant à la Grande Bretagne, elle met l’Egypte sous tutelle en 1882 et en fait un protectorat en 1914. Si en Afrique, l’Empire a laissé faire, faute de moyens, en Europe, il vient d’être vaincu dans une guerre qui l’a opposé à la Grèce, à la Serbie et à la Bulgarie, guerre dans laquelle il a perdu les derniers lambeaux de territoires qu’il conservait en Europe (1912-1913).

En 1914, il entre en guerre, sans enthousiasme, aux côtés de l’Allemagne qui depuis quelques années l’aide. L’Allemagne a pris en main l’armée ottomane et construit les chemins de fer Berlin-Beyrouth et Damas-La Mecque.

En mars 1915, pour ravitailler les Russes, ses alliés français et britannique tentent de forcer le détroit des Dardanelles. C’est un échec, des mines barrent le passage et les canons ottomans, concentrés sur la péninsule de Gallipoli déciment la flotte, 10 navires sur le 18 engagés sont hors combat. Le 25 avril, des fantassins australiens, néo-zélandais et français débarquent sur la péninsule. Bloqués entre la mer et les falaises, ils resteront cloués sur place pendant près d’un an avant que les survivants soient ré-embarqués et redéployés en Grèce pour combattre la Bulgarie qui vient d’entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne. Les troupes ottomanes de Gallipoli sont commandées par le général allemand Otto Liman von Sanders, mais celui dont le monde va retenir le nom, est un jeune lieutenant-colonel de 34 ans, Ali Rıza oğlu Mustafa qui deviendra célèbre sous le nom de Mustapha Kemal (le parfait) auquel s’ajoutera plus tard le titre d’Atatürk (le père des Turcs).

NB : oğlu = fils de (comme ibn ou ben en arabe)

La victoire de Gallipoli n’empêche pas l’Empire de subir la défaite qui va le priver de tous ses territoires asiatiques excepté l’Anatolie et, chose exceptionnelle en 1918, va entraîner l’occupation de son territoire par les forces alliées.

AfterWar
Zones d’occupation et annexions prévues par le traité de Sèvres de 1920

Le traité de Sèvres prévoit la découpe des territoires d’Asie entre une Arménie et un Kurdistan indépendants, des mandats français sur deux  nouveaux pays : le Liban et la Syrie et des mandats anglais sur l’Irak, la Transjordanie et la Palestine, territoires créés artificiellement.

Mustapha Kemal prétextant que le sultan est retenu prisonnier à Constantinople par les Britanniques et qu’il est donc impossible de réunir le parlement, déplace celui-ci vers Ankara. Ce parlement, la Grande Assemblée Nationale, rejette le traité de Sèvres, et reprend la guerre. Très vite les Français abandonnent la Cilicie, les Britanniques évacuent la région de Constantinople et les Italiens sont repoussés. Kemal reste face aux Grecs. Dans un premier temps, ceux-ci avancent en Anatolie, mais après leur première défaite, les alliés leur retirent leur soutien tandis que le nouvel Etat soviétique offre son aide aux Turcs. Mais il faudra attendre octobre 1922 pour que l’armistice soit signé. Le traité de Lausanne (24 juillet 1923), qui remplace le traité de Sèvres, donne à la Turquie la souveraineté sur toute l’Anatolie, oubliant les Kurdes et les Arméniens. Il prévoit également un nettoyage ethnique, près d’un million de Grecs sont contraints à l’exil et partent vers la Grèce, 360.000 Turcs prennent le chemin inverse. Le nom du pays, Turquie (et non Anatolie) montre bien que c’est un pays mono-ethnique, celui des Turcs.

Mustapha Kemal devient président de la république. Il abolit le califat en 1924. Le dernier sultan Mehmet V avait repris le titre et appelé au djihad tous les musulmans en novembre 1914… sans beaucoup de succès.

Le but de Kemal est de « libérer la Turquie des forces obscurantistes », selon ses propres termes. Il supprime les confréries religieuses et les tribunaux islamiques. En 1925, la Turquie adopte le Code Civil suisse… juste après que Kemal ait répudié son épouse Latifé selon la loi musulmane. Elle était très libre, très éduquée et parlait plusieurs langues. Elle avait fait ses études à Paris. Kemal ne se remariera pas.

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Après son mariage, elle porta le voile lors des sorties officielles.

Les réformes vont continuer : la polygamie est supprimée, le fez est interdit ainsi que le port du voile pour les femmes. Cette mesure aura peu d’effet hors des villes. L’islam n’est plus religion d’Etat.

En 1928, l’alphabet arabe est remplacé par l’alphabet latin sous sa variante allemande. Le Coran est traduit en turc. Auparavant, il était lu en arabe par des personnes qui ne le comprenaient pas, comme la Bible en latin dans la religion chrétienne. Le pays connaît également un boum économique qui va permettre à la Turquie de ne pas subir la crise de 1929.

En 1930, Constantinople devient Istanbul du nom de la Vieille Ville : Stamboul.

Enfin, en 1934, tout citoyen dut adopter un nom de famille. Mustapha Kemal choisit Atatürk.