Le dialogue interreligieux

Le dialogue interreligieux est une initiative chrétienne. Il englobe toutes les religions dont le bouddhisme et l’hindouisme. Il a été initialisé en 1999 par le cardinal Ratzinger, qui deviendra pape sous le nom de Benoît XVI en 2005 et démissionnera, fait exceptionnel, en 2013. Si à l’origine l’objectif était ambitieux comme le laisse supposer la déclaration du chrétien, Samir Khalil Samir pour qui « le devoir apostolique oblige les chrétiens à aider les musulmans à décanter leur foi, pour découvrir ce qu’elle offre de pierres d’attente (sic ?) et finalement pour s’ouvrir à l’Évangile qu’ils croient connaître à travers le Coran, alors qu’ils l’ignorent. En suscitant le désir d’une spiritualité plus exigeante, on permet la rencontre avec le Christ des Évangiles et pas seulement celui du Coran ». Si on lit entre les lignes, le dialogue consiste donc à faire reconnaître aux musulmans que Jésus est le fils de Dieu, dieu lui-même ! La position de l’Église n’a pas changé depuis Pierre de Montboisier, dit le Vénérable, qui en 1156 publia « Contre la secte des Sarrasins » après avoir fait traduire la Coran en latin. Pourquoi, dit-il, « S’ils adhèrent à une partie des Écritures, n’ont-ils pas adhéré à tout ? De deux choses l’une, soit le texte est mauvais et il faut le rejeter, soit il est vrai et il convient de l’enseigner ».

Aujourd’hui l’objectif est plus prosaïque. Le cardinal Jean-Louis Tauran a écrit dans l’Observatore Romano fin 2017 : « Malgré les positions qui peuvent parfois sembler distantes, il faut promouvoir des espaces de dialogue sincère. Malgré tout, nous sommes vraiment convaincu qu’il est possible de vivre ensemble ». L’objectif est donc de vivre ensemble dans la paix et le respect mutuel avec les fidèles des autres traditions.

Le pape François à Abu Dabi

Un rapprochement doctrinal est-il possible avec l’islam ? Chrétiens, juifs et musulmans ont le même dieu et un ancêtre commun : Abraham. Voici deux points fondamentaux qui devraient permettre le rapprochement. Mais Allah peut-il être identifié à YHWH ? Est-ce le même dieu ?

Le même dieu ?

Tout le laisse penser. Ne lit-on pas dans le Coran : « Nous avons envoyé sur les traces de Noé et d’Abraham d’autres messagers comme Jésus fils de Marie à qui nous avons donné l’évangile… » (Co. 57, 27). C’est donc Allah qui guidait les prophètes juifs et Jésus. Pourtant le dieu du Coran est à l’opposé du dieu de la Bible, comme le montre ce qui suit.

Dans la suite de l’exposé, j’emploierai le mot Dieu pour le dieu des juifs et des chrétiens et Allah (al ilal : littéralement la divinité, le dieu) pour le dieu des musulmans. Ce chapitre est inspiré de l’ouvrage de Christian Makarian : « Le choc Jésus-Mahomet » (CNRS 2008)

Dieu a une histoire, il est acteur, il accompagne les hommes. Allah est transcendant, il est dans une autre sphère : « A Allah appartient l’Est et l’Ouest. Où que vous vous tourniez, la face d’Allah est donc là, car Allah a la grâce immense. Il est omniscient. » (Co. 2,115) Je profite de ce verset pour faire une petite remarque sur la prière. Pourquoi faut-il se tourner vers La Mecque alors qu’Allah est partout ?

Dieu est paternel, il a une relation de père à fils avec l’homme. Il s’irrite, il punit et se réconcilie. C’est l’idée maîtresse de la Bible hébraïque. Allah n’a aucun sentiment, le Coran ne tombe pas dans l’anthropomorphisme bien qu’Allah veuille être adoré et craint. Il décide tout, il a tout prévu : « Allah, point de divinité à part lui, le Vivant, celui qui subsiste par lui-même. … A lui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur terre. Qui peut intercéder auprès de lui sans sa permission ? Il connaît leur passé et leur futur… » (Co. 2, 255)

La religion juive et chrétienne a évolué avec le temps et les circonstances : la destruction du temple de Jérusalem a donné naissance au judaïsme, la croyance en Jésus a donné naissance au christianisme. Le Coran, lui, clôt les révélations. Dieu a tout dit : « Nul malheur n’atteint la terre ni vos personnes qui ne soit enregistré dans un livre avant que nous l’ayant créé et cela est certes facile à Allah. » (Co. 57,22)

La foi chrétienne et juive est un processus individuel, un choix librement consenti. On s’engage personnellement dans la confiance. L’islam est une soumission collective, une prosternation aveugle : on naît musulman dans une communauté et on le reste. L’apostasie est punie de mort.

Les gens du livre

La Bible n’est pas l’équivalent du Coran pour les juifs et les chrétiens. D’ailleurs, l’expression « les gens du livre » souvent employée dans le Coran pour désigner les juifs et les chrétiens est impropre, il faudrait parler des « gens des livres » au pluriel. Chaque livre est le résultat d’une vision personnelle de son auteur. Les livres juifs et chrétiens sont des productions humaines, le Coran est l’oeuvre d’Allah pour les musulmans. De plus, le Coran est incréé, il existe de tout temps, l’exemplaire original se trouve à la droite de Dieu : « Nous avons fait un Coran arabe afin que vous raisonniez. Il est auprès de nous, dans l’écriture-mère (l’original au ciel), sublime et rempli de sagesse. » (Co. 43,3-4) Le Coran est irréfutable, c’est le verbe d’Allah. Il enseigne tout ce qu’il faut faire et ne pas faire pour le salut des hommes. Il ne peut être lu qu’en arabe. Les Indonésiens, les Pakistanais et les Nigérians qui représentent la majorité des fidèles non arabes, apprennent le Coran, par cœur sans comprendre. Pas de problème, c’est le souffle de Dieu.

La Bible a été révélée à plusieurs prophètes, ce qui explique le nombre de livres et une certaine ambiguïté. Le Coran n’a été révélé qu’à une seule personne. Il est intact, mais sclérosé à « l’âge d’or » du califat de Bagdad. L’islam, c’est le culte de la prière.

Abraham et les personnages de la Bible

Le Coran a complètement altéré le message de l’Ancien Testament sous prétexte que les juifs avaient falsifié le message de Dieu. Par un trait de génie linguistique, tous les personnages de la Bible sont devenus musulmans, soumis à Dieu. Ainsi le verset 132 de la sourate 2, dans le saint Coran de Médine est rédigé ainsi : « Et c’est ce qu’Abraham recommanda à ses fils, de même que Jacob : Ô mes fils, certes Allah vous a choisi la religion, ne mourrez point, donc, autrement qu’en soumis ! » Et une note de base de page spécifie : soumis (muslim en arabe) = musulman (en français).

Les versets qui précédent ne laissent aucun doute, voici donc les versets 128 et 129 de la sourate 2.

Notre seigneur ! Fais de nous [Abraham et son fils Ismaël] tes soumis, et de notre descendance une communauté soumise à toi. Et montre-nous les rites et accepte de nous le repentir. Car c’est toi certes l’accueillant au repentir, le miséricordieux.

Notre seigneur ! Envoie l’un des leurs [les Arabes] comme messager parmi eux, pour leur réciter tes versets, leur enseigner le Livre et la Sagesse, et les purifier. Car c’est toi certes le puissant, le sage.

Dans ce dernier verset, Abraham n’annonce rien de moins que la venue de Mahomet.

Conclusion

On ne négocie pas avec les principes fondamentaux. Le dialogue christianisme-islam basé sur la doctrine aurait donc été impossible.

Un analyse même superficielle permet de mettre en doute que Dieu et Allah soient le même concept. Déjà au deuxième siècle, Marcion, à qui j’ai déjà consacré un article, avait proclamé que le dieu de Jésus n’était pas le dieu d’Israël et qu’il fallait abandonner la Bible hébraïque.

La dhimma

En 1492, les rois d’Espagne, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, ont conquis le dernier bastion arabe, le royaume de Grenade. L’Espagne est totalement aux mains des souverains catholiques. Quelques semaines plus tard, le 2 août 1492, soit le 9 Ab du calendrier juif, jour de deuil commémorant la destruction du temple de Jérusalem en 70, ils expulsent les juifs. Ou du moins, ils leur donnent le choix : se convertir ou partir. Ceux qui partent ne peuvent emporter que des lettres de change et seront fouillés à la frontière. Environ un quart des quelques 300.000 juifs, d’après les estimations, que compte l’Espagne partiront. Les autres, nouveaux convertis au catholicisme, seront à la merci de l’Inquisition qui va espionner le moindre de leurs gestes déviants. L’Inquisition est aux ordres des souverains et toute condamnation entraîne la confiscation des biens qui reviennent à la couronne.

Vers quelle destination vont se diriger les expulsés ? Vers les pays voisins, le Portugal et la France ? Ceux qui auraient opté pour le Portugal subiront le même sort 5 ans plus tard. Non, la majorité partira vers des pays musulmans, le Maghreb ou l’Empire ottoman et les villes de Smyrne (actuellement Izmir) et d’Istanbul. Pourquoi ? Les musulmans sont-ils plus tolérants ? Mais que veut dire tolérant ? Aujourd’hui cette notion a une connotation positive, mais à l’époque, où chaque religion est convaincue de détenir la vérité, permettre le culte d’une autre religion, c’est accepter le droit à l’erreur. Donc non, les pays musulmans ne sont pas plus tolérants, mais ils supportent les religions juives et chrétiennes, comme s’ils pardonnaient à des coupables. Ces pays n’offrent pas la tolérance, mais un cadre juridique apportant la stabilité. C’est la dhimma. Les juifs et les chrétiens sont des dhimmis, ils sont protégés. En échange de discriminations fiscales et civiles ils peuvent exercer leur culte et organiser juridiquement leur communauté.

La dhimma

En quoi consiste la dhimma ?
Les nombreuses discriminations n’ont pas été appliquées avec la même vigueur, ni la même régularité partout en tout temps. Voici les principales.

  • Le dhimmi (le protégé) sera soumis à un impôt foncier (kharaj). Les conquérants arabes avaient pris possession de toutes les terres, les paysans dépossédés étaient devenus des métayers.
  • Il devra s’acquitté d’un impôt sur les personnes physiques (jizya) en vertu du verset 29 de la sourate 9 : « Combattez-les jusqu’à ce qu’ils paient le tribut après s’être humiliés. » Durant certaines périodes, le dhimmi devait payer individuellement au receveur en s’inclinant devant lui, en s’humiliant. En échange, il était dispensé du service militaire et de l’aumône, obligatoire pour les musulmans. L’impôt était fixé à un dinar d’or byzantin, soit 4,55 g, par an et par personne, quelque soit ses revenus autre part, à 2 dinars ou 4 dinars et même à 20% des revenus. L’impôt variait en fonction du percepteur. Cet impôt a été imposé bien avant l’instauration de la dhimma, lors de la prise d’une ville ou d’une région, comme prix de la paix.
  • Le dhimmi ne devra exercer aucune autorité sur un musulman. Donc, les dhimmis étaient exclus des fonctions publiques… théoriquement. On retrouvera des médecins juifs dans l’entourage du sultan comme des généraux chrétiens à la tête de ses armées.
  • Il ne pourra témoigner contre un musulman. Il ne peut pas frapper un musulman… même en état de légitime défense.
  • Il ne construira pas de nouvelles églises ou de nouvelles synagogues. Toute réparation aux anciens édifices sera soumise à l’approbation d’une autorité musulmane.
  • Il devra accueillir durant trois jours tout musulman de passage qui en fera la demande.
  • Il lui sera interdit de cacher des musulmans recherchés par les autorités.
  • Il n’enseignera pas le Coran à ses enfants.
  • Il ne fera pas de prosélytisme et n’empêchera pas un membre de sa famille de se convertir à l’islam.
  • Il se vêtira différemment des musulmans.
  • Il sera déférent envers les musulmans et leur cédera la place, que se soit en rue, où il s’effacera devant eux, ou dans une réunion, où il cédera son siège.
  • Il ne pourra chevaucher sur une selle. Il devra préférer une mule à un cheval.
  • Il ne portera pas d’arme.
  • Il ne vendra pas de porc.
  • Les dhimmi juifs couperont leurs mèches de cheveux.
  • Il ne montrera pas de croix ou de livre saint dans les rues empruntées par les musulmans. Les prières seront récitées à voix basse. Faire sonner les cloches des églises est interdit.
  • Il ne pourra pas construire d’édifice plus élevés que ceux des musulmans.
Qui a instauré la dhimma ?

La tradition veut que la dhimma ait été instituée par le deuxième calife, Umar. Cette tradition assigne un rôle particulier aux califes « bien guidés » qui ont succédé directement à Mahomet. Abu Bakr a converti toutes les tribus arabes à l’islam (il n’a régné que deux ans !). Umar est le législateur et Uthman le collecteur du Coran.

Il est peu vraisemblable que le deuxième calife ait imposé la dhimma. A son époque et pour plus de 50 ans encore, l’administration est restée aux mains des chrétiens dans l’ex-empire byzantin et aux mains des Perses à l’est de l’Euphrate. Les auteurs chrétiens, dont Jean Damascène (676-749), n’en parlent pas. Jean Bar Penkayê, un moine chrétien de la fin du VIIe siècle témoigne : « Un homme parmi eux, nommé Muawiya (le premier calife omeyyade), prit les rênes du gouvernement des deux empires : persan et romain. La justice prospéra sous son règne, et une grande paix s’établit dans les pays qui étaient sous son gouvernement, et permit à chacun de vivre comme il le souhaitait ».

Un texte chrétien se plaint qu’après le recensement organisé en 691 par le calife Abd al-Malik, l’impôt de capitation (sur les personnes) a été exigé alors que les Byzantins ne prélevaient que l’impôt foncier (sur la terre).

Ibn Qayyim al-Jawagiyya, un juriste de Damas (1291-1350) signale que la dhimma a été instaurée par Umar II qui a rédigé le « Pacte d’Umar » en 717, document qui ne nous est pas parvenu dans sa version originale. Mais à Damas, la basilique, qui est aujourd’hui la grande mosquée, servait de lieu de culte conjoint aux chrétiens et aux musulmans et l’omeyyade Abd Al-Rahman n’avait pas l’air de connaître la dhimma lorsqu’il créa l’émirat de Cordoue vers 750. En 822, c’est toujours un chrétien qui dirige l’armée de l’émirat. Ensuite, des juifs servirent non seulement comme chefs des armées, mais aussi comme médecin personnel du premier calife de Cordoue ou comme Premier Ministre (voir l’article sur la fin des califats).

A moins que l’instauration de la dhimma soit plus récente et date du calife Jafar al-Mutawakkil (821-861) dont j’ai déjà parlé dans mon article sur le mutazilisme, l’islam éclairé. C’est lui qui a mis fin à cette période d’ouverture u’est le mutazilisme pour restaurer l’orthodoxie sunnite. Après avoir persécuté les chiites, il s’en prend aux juifs et aux chrétiens les obligeant à porter des vêtements distinctifs, à raser les édifices trop élevés. Il les chasse des fonctions officielles. Il met donc en pratique ce qui ressemble très fort à la dhimma.

Certains auteurs y voient une influence des lois chrétiennes, ajoutées au droit romain qui prévoyaient la protection des juifs en contrepartie de certaines vexations. Si les juifs en tant que personnes physiques étaient protégés, si leurs synagogues étaient des endroits sacrés, si on ne pouvait pas faire déplacer un juif pour raison administrative ou judiciaire le jour du shabbat, par contre, ils ne pouvaient pas épouser une chrétienne, ils ne pouvaient pas avoir de domestiques chrétiens et ils ne pouvaient pas exercer de fonction impliquant la domination sur des chrétiens.

Ces lois n’ont pas été appliquées partout avec la même vigueur. Ainsi, en Espagne, l’Al-Andalus musulmane, les chrétiens et les juifs ont vécu relativement libres jusqu’à l’arrivée des Almoravides (1056-1147) et des Almohades (1130-1269) venant du Maghreb. Ces fous de Dieu ont alors persécuté les non musulmans qui se sont convertis ou se sont réfugiés dans les territoires reconquis par les rois chrétiens. Ainsi, le symbole de l’Espagne pluriculturelle, le philosophe et théologien juif Maïmonide (1138-1204) qui a sa statue à Cordoue, a dû fuir Al-Andalus. Sa famille obligée de se convertir s’est réfugiée à Fez avant de gagner l’Egypte. En sécurité, il est revenu au judaïsme, devint rabbin et médecin. Il est l’auteur d’une oeuvre philosophique et scientifique, en arabe, mondialement reconnue.

La Dhimma de nos jours

 Le dernier décret ottoman ordonnant des habits différents pour les dhimmis a été promulgué en 1837 par Mahmoud II, mais quelques années plus tard, la dhimma a été abolie (1856).

Lors de la première guerre entre Israël et les pays arabes, en 1948, les juifs furent victimes de pogroms en Egypte, en Libye, en Syrie, en Irak et au Yémen, ce qui amena des dizaines de milliers de juifs à se réfugier en Israël… renforçant par là même les forces armées israéliennes.
En Algérie, les juifs considérés comme Français depuis le décret Crémieux de 1870, ont quitté le pays avec les Français en 1961 et 1962.

"Jésus est supérieur à Mahomet"

C’est une bien étrange histoire.
Elle se passe en 1527, dans l’empire ottoman, sous le sultan Soliman (Suleiman). Un religieux musulman, Molla Kabiz, professe publiquement que Jésus est supérieur spirituellement à Mahomet, qu’il est plus vertueux. Il ne fait aucune propagande pour le christianisme qu’il réfute. Mais les oulémas sont outrés et portent plainte au palais. Molla Kabiz est convoqué pour s’expliquer par le grand vizir ibn Ibrahim Pacha. Il est entendu par le Divan, l’assemblée des vizirs (ministres), le 2 novembre 1527.

Il argumente pendant des heures, le Coran en main et citant des hadiths. Les hadiths sont les propos que Mahomet aurait tenus. L’ensemble des hadiths forme la sunna (d’ou dérive le mot « sunnite »), la tradition. On compte des centaines, des milliers de hadiths, certifiés ou non. Si on tient compte de tous les hadiths que ses compagnons auraient mémorisés, Mahomet aurait exprimé 10 à 20 maximes par jour durant les 10 années de sa prédication.

Mais revenons à la comparution de Molla Kabiz. Après sa défense, stupéfaction ! Les vizirs ne peuvent contrer ses allégations. Il est donc libre de quitter le palais de Topkapi. Mais le sultan qui a assisté, dissimulé derrière un moucharabieh (un grillage) ne l’entend pas de cette oreille. Il fait arrêter Molla Kabiz qui sera exécuté. Innocent mais coupable de déplaire au sultan !

Salle du Divan avec en haut le grillage d’où le sultan assistait aux réunions.

NB : Le Divan est une assemblée et une salle. C’est devenu un nom commun désignant les sièges sur lesquels les vizirs se tenaient.

Quels sont les arguments de Molla Kabiz ?

On ne les connaît pas, aucune archive n’a été conservée.
On peut néanmoins se faire une idée à l’aide des versets du Coran et des hadiths.

Mahomet

Mahomet n’est pas nommé dans le Coran. Dans les versions actuelles, son nom a été ajouté pour une meilleure compréhension. Le Coran parle du « prophète », sans lui donner de nom. Le verset 6 de la sourate 61 déclare que Jésus a annoncé la venue d’un messager après lui dont le nom est Ahmad.
La vie de Mahomet est racontée par la Sîra. Dans ce document, Mahomet est présenté tour à tour comme un prédicateur incompris et un bon mari à La Mecque ensuite comme un chef de bande puis comme un chef de guerre collectionneur de femmes à Médine. La Sîra a été écrite des dizaines d’années après la mort du prophète, mais il semble que Molla Kabiz n’ait pas utilisé ce document. Il avait donc peu d’arguments pour mettre en valeur le prophète qui, d’après le Coran, était traité de possédé, de poète ou de divin.

Dis-leur : « Je ne prétends pas disposer des trésors de Dieu ni connaître les mystères, je ne vous dis pas que je suis un ange. Je ne fais que suivre ce qui m’ a été révélé (Co. 6, 50).

Que nous apprennent les hadiths au sujet de Mahomet ? (Les hadiths suivants proviennent du site : www.hadithdujour.com/hadiths-prophete.asp)

D’après Ibn Omar, j’ai trouvé une femme qui avait été tuée durant l’une des batailles du Prophète , alors le Prophète a interdit de tuer les femmes et les enfants.
(Rapporté par Boukhari dans son Sahih n°3015 et Mouslim dans son Sahih n°1744)

D’après Jabir Ibn Abdillah , le Prophète ne dormait pas avant d’avoir lu – Tanzil Sajda (souate 32) et – Tabarak (sourate 67).
(Rapporté par Tirmidhi dans ses Sounan n°3404)

D’après ‘Abdallah Ibn ‘Abbas, le Prophète a maudit les hommes efféminés et les femmes masculines et il a dit : Faites les sortir de vos maisons.
(Rapporté par Boukhari dans son Sahih n°5886)

D’après ‘Abdallah Ibn ‘Abbas, le Prophète a interdit de tuer 4 animaux: la fourmi, l’abeille, la huppe et la pie-grièche.
(Rapporté par Abou Daoud dans ses Sounan n°5267 )

Tous les hadiths mettent en scène un prophète qui organise la vie quotidienne de ses disciples.

Jésus

Dans tout le Coran, Jésus est appelé Isa (Iça) alors que le prénom Yasou existe en arabe. Josué est traduit pas Youcha.

Contrairement à Mahomet, le caractère de Jésus est bien défini par le Coran, bien qu’il ne soit cité que dans une cinquantaine de versets (sur 6236).
Si Mahomet meurt comme tout homme, Jésus n’a pas été crucifié : « Ils disent : nous avons mis à mort le messie Jésus fils de Marie, le prophète de Dieu. Mais ils ne l’ont point tué ni crucifié… Ils ne l’ont point tué c’est certain » (Co. 4, 157)

mais il a été rappelé par Dieu : « Dieu dit : Ô Jésus, je vais te rappeler à moi, t’élever vers moi. » (Co. 3, 55)

Jésus a été créé par Dieu : « Aux yeux de Dieu, Jésus est comme Adam : il le forma de terre et dit : Sois et il fut. » (Co. 3,59)

Et Jésus peut créer à partir de terre, comme Dieu : « Avec ma permission, tu as façonné de boue une forme d’oiseau ; avec ma permission, tu lui a donné vie de ton souffle » (Co. 5, 110). Jean-Luc Monneret dans son ouvrage les « Grands thèmes du Coran » note que les mots employés sont réservés à Dieu dans le Coran : Jésus crée (halaqa est réservé à la création divine), il crée par le souffle (nafaha) comme Dieu crée Adam et Jésus.

Jésus parle dès le berceau : « Dès le berceau tu parlais aux hommes comme à l’âge mur » (Co. 5, 100). Il fait des miracles alors que les Arabes demandent à Mahomet de faire de même et qu’il répond qu’il n’est qu’un homme : « Tu as guéri l’aveugle de naissance et le lépreux avec ma permission ; avec ma permission, tu as ressuscité les morts » (Co. 5, 110)

Que nous apprennent les hadiths au sujet de Jésus ? (Les hadiths suivants proviennent du site : www.al-islam.org/fr/40-ahadith-les-exhortations-du-prophete-issa-jesus/ahadith)

Jésus a dit : « L’amour de ce monde et celui de l’autre monde ne peuvent pas cohabiter dans le cœur d’un croyant, de la même façon que le feu ne peut pas cohabiter avec l’eau dans un même récipient. »
(Biharoul Anwar, volume 14, page 327)

[Imam] as-Sadiq raconte : « Jésus a dit à ses disciples : « Ne regardez pas les défauts des autres comme si on vous avait chargé de les espionner, mais occupez-vous de l’émancipation de vos propres êtres, car vous êtes des esclaves, affranchissez-vous. »
(Biharoul Anwar, volume 14, page 324)

Jésus a recommandé : « Vous n’atteindrez jamais ce que vous aimez sans que vous ne surmontiez avec patience ce que vous détestez. »
(Moustadrak al Wassail, volume 2, page 425)

Dans ces hadiths, Jésus tient des propos philosophiques, certes ils concernent la vie quotidienne, mais ils évoluent dans une sphère supérieure à celle des propos attribués à Mahomet. Remarquons que les personnes qui citent Jésus ne l’on jamais rencontré.

A quel âge est mort Jésus ?

Pour déterminer l’âge de la mort de Jésus, il faudrait savoir quand il est né. Selon la tradition, rapportée par les évangiles de Matthieu et de Luc, il serait né alors qu’Hérode le Grand était roi de Judée. Dans un article précédent, j’ai montré que les récits de la naissance de Jésus dans ces deux évangiles étaient non seulement totalement différents, mais contradictoires. Pour moi, ces récits sont des ajouts tardifs destinés à contrer l’enseignement de Marcion qui voyait en Jésus un être surnaturel, descendu sur terre à Capharnaüm sous l’apparence d’un homme de 30 ans.

Si Jésus est né sous le règne d’Hérode, il n’est pas né en l’an 1 de notre ère, Hérode étant décédé en 4 avant notre ère. L'(ex-)pape Benoît XVI, qui a consacré trois volumes à la vie de Jésus, considère que le moine Denys le Petit, qui a estimé au VIe siècle le début de l’ère chrétienne, en créant une année 1, « s’est à l’évidence trompé de quelques années dans ses calculs ». D’après Benoît XVI, Jésus serait né en l’an 7 avant notre ère. Sur quoi se base-t-il pour choisir cette date ? Il souligne que d’après un calcul lié aux observations de l’astronome Kepler (XVIIe siècle), « le Christ serait né 6 ou 7 années plus tôt qu’on à l’habitude de croire ». En 1603, Kepler observant la conjonction rare des planètes Jupiter et Saturne, établit une relation avec l’étoile des mages et calcule que ce phénomène de brillance surnaturelle a pu être observé trois fois en l’an 7 avant notre ère.

La théorie de Benoît XVI est peu vraisemblable : L’alignement des planètes ne provoque pas une « brillance surnaturelle ». En fait, les planètes ne sont pas alignées, elles apparaissent dans une zone du ciel pas plus large que la pleine lune. Ce phénomène s’est également produit en -46, or aucune hypothèse sur l’historicité de Jésus ne situe sa naissance à cette période. Plus près de nous, le 26 février 1952, à 22 heures, quatre planètes se sont alignées : Mercure, Vénus, Mars et Saturne. Bien mieux, le 5 août 2016, vers une heure du matin, toutes les planètes visibles à l’œil nu (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) se sont « alignées » ! Et aucun éclat brillant n’a été observé : on voyait cinq points lumineux, comme les étoiles.

Et si les planètes étaient parfaitement alignées ? On ne verrait aucun phénomène spectaculaire : les planètes ne sont pas des étoiles, elles ne brillent pas, elles reflètent la lumière du soleil. On ne verrait pas la somme de leur éclat, mais une seule planète, les autres étant éclipsées, cachées par la première.

Pour mon « étude », je vais adopté la conclusion de Benoît XVI : Jésus serait né en l’an 7 avant notre ère.

Hypothèses

D’après une idée très répandue, Jésus aurait vécu 33 ans, il serait donc mort en 26 de notre ère. Il aurait donc été condamné par Ponce Pilate qui venait de prendre ses fonctions comme préfet de la province sénatoriale de Judée (de 26 à 36). Or les évangiles ne nous présentent pas un préfet novice, mais un homme maîtrisant sa fonction.

Les historiens placent la mort de Jésus en 30 ou 33, Jésus aurait alors eu 37 ou 40 ans. Lors de ces deux années, le 15 nisan (la Pâque juive) précédait le jour de shabbat (samedi). Il y avait donc deux shabbats successifs, comme le signale les évangiles. La faveur des historiens va à l’année 33. Pourquoi ? Il n’y a aucun justification scientifique ou historique. C’est un choix. Peut-être sont-ils influencés par l’éclipse de lune qui a eu lieu à Jérusalem le (vendredi) 15 nisan 33 (le 3 avril 33 dans notre calendrier). Lors d’une éclipse de lune, celle-ci apparaît rouge, une « lune de sang ». Mais si on étudie cette éclipse, on se rend compte qu’elle  a commencée à 15 heures 40 avec son maximum à 17 heures 15. À ce moment, la lune n’était pas encore levée à Jérusalem. Elle se lèvera à 18 heures 20, soit 30 minutes avant la fin de l’éclipse. Trop peu de temps pour être observée par des profanes. Par contre cette éclipse a pu être vue par les prêtres qui attendaient ce moment pour déclarer le début du sabbat (samedi 16 nisan). Pour les Juifs, le jour commence au coucher du soleil.

Dans l’Évangile de Jean, on a une information précise : La Pâque juive était proche…. Jésus leur répondit : « Détruisez ce temple, et en trois jours, je le relèverai. » Alors ces juifs lui dirent : « Il a fallu 46 ans pour construire ce temple… ». (Jean 2,19-21) Or la construction du temple a commencé en 19 ou 20 avant notre ère. 46 ans plus tard, nous sommes en l’an 26 ou 27 : Jésus a donc 33 ou 34 ans.

… avec le temps

Les auteurs chrétiens des deuxième et troisième siècles ne nous éclairent pas d’avantage.

Si on suit Lactance (240-320), rhéteur chrétien (professeur de rhétorique), la mort de Jésus aurait eu lieu le 23 mars 29, sous le consulat des deux Gemini : Caius Fufius Geminus et Lucius Rubellius Geminus.

Irénée de Lyon (vers 130-203), fait plus fort, il place la naissance de Jésus dans la 41ème année du règne d’Auguste (-27, 14), soit en l’an 14 (Contre les hérésies vol III, 21,3) ! Et Jésus serait mort à 50 ans, en l’an 64, juste avant la révolte juive contre les Romains… mais après les prédications de Paul ! Celui qui dit le contraire est un hérétique ! Si ce ne sont pas des erreurs de copistes, on peut en déduire que l’organisation du temps, que l’histoire n’était pas la préoccupation majeure des anciens. Notons, en passant, que la région de Lyon produisait déjà des vins capiteux.

Tertullien (vers 150-225) et Origène (mort en 254) reprennent la chronologie d’Irénée. Origène ajoute que Jésus est né 15 ans avant la mort d’Auguste. Ce qui est invraisemblable, car Auguste est mort la 41ème année de son règne.

Conclusion

Tout ce qui touche à la vie de Jésus, à son existence même, est nimbé d’un épais brouillard. Avec les textes chrétiens, les seuls qui parlent de Jésus, on se retrouve dans un supermarché où chacun vient chercher le passage qui permettra de justifier son discours. Jésus restera à jamais une énigme. Clément d’Alexandrie (mort en 220) nous donne de quoi réfléchir : « Toutes les choses vraies ne sont pas la vérité. Il ne faut pas préférer la vérité qui paraît telle selon l’opinion des hommes à la vérité véritable selon la foi ». En clair, la foi qui n’est pas vérifiable est l’unique vérité.

Le 1er mai

Dans la plupart des pays industrialisés, la 1er mai est un jour férié légal, donc payé, célébrant la « Fête du travail« .
Le premier pays à avoir accordé ce jour de congé est l’Allemagne. En 1933, Adolf Hitler est chancelier depuis mars et déclare le 1er mai, jour férié en l’honneur des travailleurs. Son parti, le NSAP, ne s’intitule-t-il pas « Parti national socialiste des travailleurs allemands » ? C’est la Fête national du peuple allemand. Mais dans la foulée, il dissout tous les syndicats et crée le « Front du travail », seul organisme représentatif des travailleurs.

1er mai, jour de grève et de manifestation

Avant 1933, en Allemagne et dans les pays industrialisés, le 1er mais était l’occasion pour le prolétariat de revendiquer la semaine de 48 heures (6 x 8 heures, seul le dimanche, consacré à la messe, était chômé). C’était un jour de grève et de manifestation depuis 1889, lorsque la IIe Internationale des ouvriers, réunie à Paris, à l’instigation de Friedrich Engels (1820-1895) grand ami de Karl Marx (1818-1833), décréta le 1er mai, « Fête des travailleurs ». Notons le glissement sémantique : Fête des travailleurs est devenue Fête du travail.
(Note : un prolétaire est une personne dont le seul bien sont ses enfants : il produit mais ne possède rien).

Le 1er mai 1891, à Fourmies dans le nord de la France, l’armée tire sur le cortège des manifestants qui se dispersaient. Comme d’habitude, les femmes défilaient en tête. La fusillade fait neuf morts, quatre femmes et cinq hommes. Il y aura 35 blessés. L’année suivante, les travailleurs vont arborer une fleur d’églantier rouge à leur boutonnière. Cette fleur sera remplacée par le muguet en 1907. L’églantier est un rosier sauvage qui pousse partout dans les corons du nord, même sur les crassiers (terrils). La rose rouge des partis « socialistes » n’est qu’une récupération bourgeoise de ce symbole de la lutte des classes. Les ouvriers n’envoyaient pas leurs secrétaires acheter des roses pour défiler, ils les trouvaient sur le chemin du travail. Il est probable que le muguet a supplanté l’églantine car on le trouvait dans les bois de toutes les régions fin avril-début mai.

Avec l’invasion de l’Europe par les Nazis en 1939-1940, le 1er mai devint un jour férié dans les pays occupés. Ce fut également à cette occasion que la Fête des mères fut définitivement adoptée. La carte d’identité est également une idée allemande. Elle fut imposée aux belges envahis en 1914 et en France sous le régime de Vichy en octobre 1940.

Origine du 1er mai

Mais d’où vient cette journée de revendication et pourquoi le 1er mai.
Tout commence aux Etats-Unis. Le 30 avril était le jour de la clôture de la comptabilité et par conséquent, la fin des contrats annuels des ouvriers. Le 1er mai, pour marquer la solidarité des travailleurs, les syndicats organisaient des défilés et en profitaient pour réclamer la journée de 8 heures.

Début mai 1886, le défilé de Chicago avait mis longtemps à se disperser. Il restait environ deux cents manifestants quand une bombe fut lancée sur la police faisant un mort. Dans la bagarre qui suivit, sept autres policiers trouvèrent la mort. Aux Etats-Unis, le deuxième amendement reconnaît aux citoyens le droit de porter des armes.

Huit anarcho-syndicalistes sont arrêtés, un par policier tué. Lors de sa plaidoirie, le procureur Julius Grinnel déclare  : « Nous savons que ces huit hommes ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivaient, mais ils ont été choisis parce qu’ils sont des meneurs. Messieurs du jury, faites d’eux un exemple, faites-les pendre, et vous sauverez nos institutions et notre société. » Cinq seront condamnés à mort. Quatre seront pendus, le cinquième s’étant suicidé en captivité.

En 1893, le gouverneur de l’ Etat de l’Illinois (dont la capitale est Chicago) John Peter Algeld gracia les 3 syndicalistes encore détenus, en raison de la fragilité de l’enquête et du processus judiciaire. Il déclara également qu’il suspectait le chef de la police de Chicago d’avoir organisé et peut-être même commandité l’attentat.

Note : Définition de l’anarcho-syndicalisme d’après le Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques : « Globalement, l’anarcho-syndicalisme érige les syndicats en organismes centraux de l’action politique et des transformations sociales dans la perspective d’une rupture révolutionnaire fondée en même temps sur une prise de conscience progressive de leur pouvoir par les masses populaires. De ce fait, il se présente à la fois comme un projet d’organisation et comme le vecteur d’une nouvelle éthique de la responsabilité à diffuser dans l’ensemble de la société ».

Plus simplement, les anarcho-syndicalistes veulent prendre le pouvoir par l’action directe, par la force, hors des structures de l’Etat. Ils s’opposent aux partis, même socialistes et communistes, qui veulent changer la société légalement, par la victoire aux élections.
La CGT (Centrale générale des travailleurs) en France était, à sa création en 1895, un mouvement anarcho-syndicaliste. La CNT (Centrale nationale des travailleurs, créée en 1910) en Espagne l’est restée jusqu’à sa disparition après la guerre civile de 1936-1939 et la prise de pouvoir de Franco.