Le Coran parle d’évangile, mais pas des évangiles canoniques, d’un et un seul évangile.
Ô Gens du Livre, vous ne vous appuierez sur rien de solide tant que vous n’observerez pas la Torah, l’Évangile et ce que vous a révélé votre Seigneur (Co. 5, 68)
Entrons tout de suite dans le vif du sujet : on ne sait pas qui les a écrits, on ne sait pas quand ils ont été écrits, on ne sait pas où ils ont été écrits et on ignore pourquoi ils sont quatre et pourquoi ce sont ceux-là qui ont été choisis. Voilà, tout le reste n’est que conjectures. Bien entendu, la tradition répond à toutes ces interrogations… et la plupart des historien.ne.s s’en contentent, par confort (ou par paresse ?) intellectuel ou par croyance personnelle. On en est au même stade qu’avec la vie de Mahomet et le récit des patriarches juifs. Pour la plupart des historien.ne.s et des universitaires, le document de référence est l’Histoire ecclésiastique écrite au IVe siècle par Eusèbe de Césarée… qui est (très) loin d’apporter toutes les preuves de la véracité de ses dires (voir l’article sur la généalogie de Jésus).
Les évangiles selon la tradition
Les évangiles racontent la vie de Jésus, sa naissance, son baptême par son cousin Jean qui, à cette occasion a reçu le qualificatif de « Baptiste », sa prédication en Galilée, sa montée à Jérusalem où il sera arrêté, jugé et crucifié, et enfin, les évangiles racontent sa résurrection. Quatre évangiles ont été retenu pour figurer dans le Nouveau Testament : ceux de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean. D’autres évangiles, qui nous sont parvenus, étaient également candidats. Notons que les manuscrits les plus anciens de l’Évangile de Marc ne comprennent pas les derniers versets relatant la résurrection de Jésus (16, 9-20). La TOB (Traduction œcuménique de la Bible) note : « Selon les meilleurs manuscrits, l’Évangile de Marc se termine au verset 16, 8 »
Évangile signifie « bonne nouvelle » en grec, ce qui pose parfois des problèmes de compréhension. Ainsi, dans les épîtres de Paul, les traducteurs ont retenu : « Je vous ai apporté l’évangile ». Doit-on comprendre, comme le suggèrent plusieurs chercheurs, qu’il existait un évangile initial, datant des années 40 de notre ère et que ces chercheurs n’hésitent pas à identifier comme un évangile en araméen dû à Matthieu… dont on n’a jamais retrouvé la moindre trace ? Ou faut-il lire « Je vous ai apporté la bonne nouvelle » ?
La datation des évangiles selon la tradition
L’évangile selon Marc, écrit dans un grec populaire, aurait été rédigé durant la révolte de 67-70. Marc aurait été un compagnon de Pierre. Il reflète la désolation qui régnait parmi les Juifs pour lequel l’évangile aurait été écrit. Jésus y apparaît crucifié, abandonné de Dieu tout comme les Juifs l’ont été tout au long de la guerre contre Rome. Le messie n’est pas venu au secours de son peuple. L’Évangile de Marc, du moins sa version courte, se termine par un constat d’échec et une petite lueur d’espoir : le corps de Jésus a disparu.
Pourquoi dater cet évangile d’avant 70 ? Dans le texte, Jésus dit, en parlant de Jérusalem : « Tu vois ces grandes constructions. Il ne restera pas pierre sur pierre, tout sera détruit » (Marc 13, 2). Comme le temple a été incendié en 70, on a considéré que ces paroles étaient prophétiques. On peut objecter que le texte pourrait avoir été écrit après les événements pour conforter la vision de Jésus… ou que le texte parle de la destruction de Jérusalem sur ordre de l’empereur Hadrien… en 135. Dans ce cas, il n’est plus resté pierre sur pierre, tout a été rasé : « la charrue a été passée sur la ville« .
L’Évangile selon Matthieu aurait été écrit environ 20 ans après la destruction du temple de Jérusalem, du moins à ce que l’on croit. Il promeut la doctrine de Jésus face à un judaïsme en pleine mutation. Jésus y est présenté comme un prophète juif, qui tel Moïse prêche sur la montagne. Matthieu n’hésite pas à livrer la généalogie de Jésus, c’est un descendant direct d’Abraham. À l’époque, les pharisiens tentent de rassembler les juifs autour des rabbins qui inventent un judaïsme basé sur les synagogues alors que le temple a disparu. Matthieu aurait voulu les contrer et présenter une alternative : la doctrine de Jésus. Il n’hésite pas à attaquer les pharisiens responsables selon lui de la mort de Jésus. L’évangile aurait été écrit en Galilée où s’étaient réfugiées les diverses communautés juives. Jésus est l’avenir du judaïsme, Jésus est apparu à ses disciples en Galilée, il leur a ordonné de répandre sa parole.
La datation a été choisie en opposition au judaïsme qui se reconstruit et aussi parce qu’on estime que cet évangile se serait inspiré de celui de Marc, donc, il doit lui être postérieur.
L’Évangile selon Luc veut inscrire les chrétiens dans l’environnement romain. Il aurait été écrit à la même période que celui de Matthieu. Ici, loin de la Palestine, Luc rompt déjà avec les juifs. Jésus conseille de prêcher sa doctrine aux gentils, aux non juifs. La biographie, qu’il nous donne, fait de Jésus un fils non plus d’Abraham, le père des Juifs, mais d’Adam, le père de toute l’humanité. Luc aurait été un lettré, compagnon de Paul. Son grec est très académique. Il présente Jésus comme un juif cultivé, qui très jeune lit et interprète les textes de la Torah.
Ces trois premiers évangiles sont dit synoptiques, car ils racontent les mêmes événements et citent les mêmes paroles attribuées à Jésus, parfois dans des contextes différents.
L’Évangile selon Jean est plus tardif et plusieurs fois modifié, il est traditionnellement daté de 90 ou 100. Il consomme la rupture d’avec les juifs. Son récit est totalement différent de celui des autres évangiles. Jésus meurt avant la Pâque alors que dans les autres évangiles, il participe au repas pascal avec ses disciples. Sa mort ne survient pas à sa première visite à Jérusalem, mais à son troisième voyage. l’Évangile de Jean procède par symbole, il est écrit dans un milieu philosophique grec. Contrairement à l’évangile selon Marc, Jésus est très serein, il contrôle parfaitement la situation. Tout ce qui arrive est prévu. Jean n’est plus juif. Il ne lutte plus contre les pharisiens, les chrétiens ont perdu la bataille de l’orientation du judaïsme après la destruction du temple. Les chemins se sont séparés, c’est maintenant le juif qui est l’ennemi et plus seulement les pharisiens.
L’Évangile de Jean est différent des autres car il date d’une autre époque, où la doctrine chrétienne avait déjà dû s’adapter aux positions prises par le judaïsme concurrent. Mais peu importe, l’objectif n’est pas la vérité historique. Les évangiles ne sont pas des livres d’Histoire. Ils interprètent la vie de Jésus telle qu’on se l’imaginait dans les communautés où ils ont été écrits en se référant aux passages de la Bible. L’exemple le plus frappant est la description de la crucifixion (voir l’article) qui se emprunte au psaume 22, au Livre d’Isaïe et au Livre de l’Exode.
Pourquoi trois évangiles synoptiques ?
Pourquoi trois évangiles sont-ils si proches ? Cette question occupe les chercheurs depuis de nombreuses années. Un consensus semble se dégager : une source commune, ancienne, aurait été utilisée. Elle ne contentait que les paroles de Jésus à partir desquelles les évangélistes auraient imaginé son histoire. Le texte a reçu le nom de « Q » (de l’allemand « Quelle » : la source). Marc aurait écrit son évangile, puis à partir de Q et de Marc, Luc et Matthieu auraient écrit le leur.
Je n’aime pas cette théorie qui conforte la position traditionnelle de l’Eglise : des évangiles écrits par une seule personne, dans la seconde moitié du Ier siècle. De plus, on n’a aucune trace du document Q et aucun Père de l’Église n’en parle. [ NB : On appelle « Pères de l’Église » les auteurs des premiers siècles dont les écrits ont contribué à élaborer la doctrine.] J’exposerai non hypothèse sur les synoptiques dans le chapitre suivant.
Quand ont été écrits les évangiles ?
Les historien.ne.s pensent qu’Athanase d’Alexandrie fut le premier en 367 à définir les textes canoniques. Donc, le Nouveau Testament en tant qu’ouvrage compilé a mis un certain temps avant de voir le jour. En fait, Athanase établit la liste des textes qui pouvaient être lus dans les églises. La liste a été ratifiée au concile d’Hippone en 393 et confirmée au concile de Carthage en 397. Une liste contenant les 4 évangiles, avait déjà été proposée au concile de Laodicée vers 364. La version de saint Jérôme de Stridon, écrite en latin vers 405, ne devint la version officielle de l’Église catholique qu’au Concile de Trente… en 1546 ! Les textes originaux étaient écrits en grec.
Ça c’est pour la version visible, publique des textes. Mais quand ont-ils été écrits ? Trois méthodes permettent de dater les textes anciens. (1) En se basant sur les copies anciennes. Nous n’avons aucun manuscrit des évangiles avant la fin du IIe siècle. Ce sont des papyrus trouvés en Égypte, tous écrits en grec. Un doute subsiste sur un tout petit fragment de papyrus, pas plus grand qu’une carte de crédit, qui contient 105 caractères, écrits au recto et au verso. Ce seraient un passage du chapitre 18 de l’Évangile de Jean. Il daterait de 125 ou 140 ou 150… ou de beaucoup plus tard selon les spécialistes (papyrus Rylands P52).
Papyrus Rylands P52
(2) En relevant des citations des évangiles dans d’autres sources. Certains auteurs du IIe siècle citent des passages qu’on retrouve dans les évangiles, mais sans citer leurs sources. Ce qui est étrange, c’est qu’aucun auteur chrétien des Ier et IIe siècles ne semble connaître la vie de Jésus ! Même dans le Nouveau Testament, à part les évangiles, nulle épître ne cite un événement se rapportant à Jésus, sauf sa crucifixion et sa résurrection. Tout se passe comme si sa vie était un mystère, une énigme… ou que personne ne s’en était intéressé. Irénée (130-202), évêque de Lyon, est le premier à citer le nom des quatre évangiles mais soit il ne les a pas lu, soit ils sont différents de ceux d’aujourd’hui. Car il prétend que Jésus est né la 41ème année du règne d’Auguste, soit en 14 de notre ère, et qu’il est mort à l’âge de 50 ans, en 64 ! Il insiste, et traite d’hérétiques ceux qui disent que Jésus n’a prêché qu’un an et qu’il est mort à l’âge de 30 ans… » un âge trop tendre ».
(3) En analysant les événements décrits dans les évangiles. J’ai déjà évoqué le passage de l’Évangile de Marc parlant de la destruction de temple. Mais rien de bien concluant.
Ces différentes méthodes ne font pas progresser la recherche. Y a-t-il d’autres pistes ?
A la recherche d’une autre vérité
Nous avons deux textes anciens : l’Évangile de Thomas et le Didachè. Ils dateraient tous les deux de la fin du Ier siècle, bien que l’Évangile de Thomas ait probablement été modifié au IIe siècle par les gnostiques. L’Évangile de Thomas, retrouvé à Nag Hammadi en Egypte en 1945, contient 114 logia (paroles) de Jésus. Il ne parle pas de sa vie, ni de sa crucifixion, ni de sa résurrection. Exemple : 81 – Jésus dit : « Celui qui est devenu riche, qu’il devienne roi, et celui qui a la puissance, qu’il y renonce« .
Le Didachè, ou Enseignement des douze apôtres, retrouvé en 1873, contient des prescriptions liturgiques et un enseignement moral. Il met l’accent sur l’existence de prophètes itinérants que chaque communauté doit accueillir, loger, nourrir et surtout écouter. J’ai cité le passage du Didaché dans un autre article. C’est une vision différente de la tradition qui veut que le christianisme ne s’est répandu que grâce aux actions des apôtres (l’Église de Jérusalem) et de Paul. Or un évangile, celui de Luc mentionne ces itinérants : « N’emportez pas de bourse, pas de sac, pas de sandales… Dans quelque maison que vous entrez, dites d’abord ‘Paix à cette maison’… Demeurez dans cette maison, mangeant et buvant, ce qu’on vous donnera, car le travailleur mérite son salaire. » (Luc 10, 4-7). Il semble qu’il y ait eu au Ier siècle de notre ère plusieurs mouvements christiques totalement indépendants.
Un autre texte, bien identifié et daté, est l’évangile de Marcion , auquel j’ai consacré un article. Cet évangile date de 140. Il ne nous est pas parvenu, car Marcion a été traité d’hérétique, mais son contradicteur, Tertullien (160-220), le cite abondamment. Pour Marcion, Jésus n’était pas un homme, mais une espèce d’ange, apparu sous la forme d’un homme de 30 ans à Capharnaüm. Donc, à cette époque, la figure de Jésus n’était pas encore fixée. Était-ce un sage, un prophète, le messie attendu par les Juifs, un zélote combattant les Romains, un ange, le fils de Dieu, le fils de l’Homme, le Logos (la parole de Dieu) ? Chaque mouvement, chaque assemblée produisait ses propres écrits basés sur sa vision de Jésus, si tel était bien son nom. Jésus, en hébreu Yeshoua, signifie « celui qui sauve ». Or à cette époque, dans tout l’Empire romain, on célébrait le culte de « sauveurs », soter, en grec. J’en reparlerai.
Probablement suite aux révélations de Marcion, les textes ont été unifiés. Les synoptiques n’ont peut-être pas été créés tels quels, ils ont été remaniés pour raconter la même histoire. D’ailleurs, vers 176, un grammairien romain, écrivant en grec, Celse publie « le Discours véritable », une attaque contre les chrétiens. Bien entendu, ce texte a été perdu, jamais recopié par les moines transmetteurs des traditions, mais on le connaît par le chrétien Origène (185-253) qui a écrit « Contre Celse ». On y lisait, d’après Origène :
«La vérité est que tous ces prétendus faits ne sont que des récits que vos maîtres et vous-mêmes avez fabriqués, sans parvenir seulement à donner à vos mensonges une teinte de vraisemblance, bien qu’il soit de notoriété publique que plusieurs parmi vous (…) ont remanié à leur guise, trois ou quatre fois et plus encore, le texte primitif de l’évangile, afin de réfuter ce qu’on vous objectait »
Notons qu’Origène ne fait pas référence au passage de Flavius Josèphe sur Jésus pour défendre sa position. Ce passage n’existait probablement pas encore à cette époque.
Personnellement, je crois donc que les évangiles ont été rédigés à partir de textes anciens plusieurs fois remaniés. En 150, Justin parle « des mémoires des apôtres« , pas des évangiles. Est-on dans le même contexte que l’islam, où la « biographie » de Mahomet (la Sîra) aurait été écrite par ibn Ishaq à la demande du calife, al-Mançur (745-775), dont le fils se posait la question : « Mais qui était donc Mahomet ? ». (Cette version de la Sîra ne nous est pas parvenue.) Pour les évangiles, on peut imaginer le même scénario : dans les premières communautés créées par un prédicateur, on peut l’appeler Paul, des jeunes de la troisième ou quatrième génération se sont demandés : mais qui est ce Jésus-Christ dont on nous parle ?
Il est certain qu’une trame ancienne a existé sinon pourquoi lirait-on : « Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive« . (Et les chrétiens attendent toujours !) Cette sentence se trouve dans les trois évangiles synoptiques. Mais ensuite, les textes ont été remaniés. Loin d’être des initiatives personnelles et isolées, les évangiles, tels que nous les connaissons procèdent d’une stratégie concertée pour présenter une histoire crédible pour un auditoire gréco-romain. Toute une série d’ouvrages fantaisistes ont été cachés aux adversaires du christianisme, c’est le sens du mot « apocryphe« . Exit donc le hareng ressuscité par Pierre (les Actes de Pierre) ou le coq, également ressuscité, envoyé par Jésus pour espionner Judas (Le livre du coq, qui est un livre sur la passion de Jésus). Mais ces textes ont continué à circuler dans les cercles chrétiens puisqu’ils nous sont parvenus.
Annexe : papyrus et parchemin, rouleaux et codex.
Depuis l’annexion de l’Égypte par Octave, empereur sous le nom d’Auguste, Rome détient le monopole du commerce du papyrus, un support de l’écriture fabriqué à partir des plantes qui poussent en abondance sur les rives du Nil. Ce matériau est très bien adapté à l’écriture : il est ligné de par sa fabrication qui consiste à coller des bandelettes de tiges ramollies dans l’eau et il permet une écriture souple et rapide. Il a favorisé la diffusion de la culture dans l’Empire romain. Les ouvrages se présentaient soit en rouleau, soit sous forme de codex, l’ancêtre de nos livres : des feuilles de papyrus, écrites recto-verso étaient cousues pour former un livre. Ce sont des codex d’une bibliothèque gnostique qui ont été découverts à Nag Hammadi, en Egypte, en 1945.
Après la perte de l’Egypte, occupée par les Arabes au VIIe siècle, la source des papyrus s’est tarie. On en est revenu au parchemin pour conserver les textes. Le parchemin est obtenu à partir de peaux d’animaux, essentiellement les ovins et les bovins. Un parchemin extra fin, le vélin, est obtenu à partir de la peau d’un animal mort-né. Le traitement de la peau est un long processus. Le parchemin est très coûteux et difficile à utiliser : la peau n’absorbe pas l’encre, les scribes doivent travailler avec précaution, chaque trait doit se faire d’un mouvement précis et rapide pour ne pas étendre l’encre. Rédiger une Bible pouvait prendre une année. Un scribe n’écrivait que quelques dizaines de lignes par jour. Vu le coût des ouvrages, la culture se mit à décliner.
Les manuscrits les plus anciens, les plus complets, contenant l’Ancien et le Nouveau Testament sont le codex Vaticanus et le codex Sinaiticus. Ils sont écrits sur parchemin, sur vélin pour être précis. Le premier fait partie de la bibliothèque vaticane et a une existence certaine depuis 1475, où il a été répertorié. On le date généralement du IVe siècle. Ce serait une des 50 copies que l’empereur romain Constantin aurait commandées. Mais on ignore si cette commande a réellement été faite et si les exemplaires ont été écrits. Il retranscrit l’Ancien et le Nouveau Testament sur près de 800 pages.
Le second a été découvert par Constantin von Tischendorf lors de ses voyages en Orient entre 1844 et 1859. Il daterait également du IVe siècle. von Tischendorf aurait reçu le manuscrit du supérieur du monastère orthodoxe de Sainte Catherine au pied du mont Sinaï pour en faire don à l’empereur russe Alexandre II. C’est la version officielle. Car par la suite, le supérieur du monastère a accusé Constantin von Tischendorf de lui avoir volé le manuscrit. Les pages de ce manuscrit ont été disperses. Elles sont conservées à Londres, à Leipzig, à Saint-Pétersbourg, et il reste quelques pages dans le monastère du Mont Sinaï.
Le codex Vaticanus
Page en grec, sans espace entre les mots, sans ponctuation.
J’ai déjà consacré un article à la naissance pour le moins invraisemblable de Jésus. Et je ne parle que du point de vue historique. Je ne veux même pas aborder l’aspect théologique d’une naissance miraculeuse. En quelques mots, je résume l’article mentionné. Seuls deux évangiles relatent la naissance de Jésus. L’Évangile de Matthieu le fait naître dans la maison de ses parents à Bethléem : « Il prit chez lui son épouse mais ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eut enfanté un fils auquel il donna le nom de Jésus. Jésus étant né à Bethléem… » (Ma. 1, 24-25 et 2, 1). Celui de Luc, que suit la tradition chrétienne, est plus magique, plus féerique, mais absurde d’un point de vue historique. Les parents de Jésus, qui habitent Nazareth en Galilée, se rendent à Bethléem en Judée pour se faire recenser par le romain Quirinus, alors qu’Hérode est roi de Judée. Toutes les auberges étant complètes, ils sont hébergés dans une étable où Jésus né. Ce qui ne va pas dans cette histoire, ce sont les dates : Jésus est né sous Hérode qui est mort en -4 et le recensement de Quirinus a eu lieu en 6 ou 7, alors que les Romains avaient pris le contrôle de la Judée. Le recensement servant à déterminer l’impôt. La Galilée restait indépendante et ses habitants n’étaient donc pas recensés. Dans l’article précité, j’élabore une hypothèse sur l’ajout de la naissance de Jésus dans les évangiles.
Donc, pour la Noël, pas d’étable, pas de crèche, pas de vache, ni d’âne, encore moins de bergers avec leurs agneaux, agneaux qui même en Judée, naissent au printemps !
Alors pourquoi le 25 décembre ? Le 25 décembre fait partie de ces quelques jours où le soleil semble se figer sur l’horizon à son lever avant d’inaugurer des jours de plus en plus longs : c’est le solstice d’hiver qui met fin au raccourcissement des jours. Le mot Solstice décrit bien le phénomène : sol (soleil) stare (se tenir immobile). Les peuples de l’Antiquité n’ont pas attendu les chrétiens pour célébrer le solstice d’hiver. A Rome, une fête appelée Dies Natalis Solis Invicti, « jour de la naissance du soleil invaincu » avait été fixée au 25 décembre par l’empereur Aurélien en 274, comme grande fête du culte de Sol Invictus (le soleil invaincu) qui était devenu le dieu principal des empereurs. Aurélien avait choisi cette date, proche du solstice d’hiver, qui tombait au lendemain de la fin des festivités célébrant Saturne : les Saturnales. C’était aussi le jour où la naissance de la divinité solaire Mithra, originaire de Perse et populaire dans l’armée, était célébrée.
Les chrétiens se sont associés à la fête romaine sous l’empereur Constantin. Auparavant, ils ne célébraient pas la naissance de Jésus, mais ils s’associaient aux fêtes juives auxquelles ils donnaient une autre signification. On n’a de trace d’une célébration de la naissance de Jésus avant 336. Les chrétiens s’étaient d’abord vus comme le « vrai Israël », Jésus devenait maintenant le « vrai Soleil ». Rappelons que la mère de Mithra, dont la naissance est fêtée le 25 décembre, la déesse-mère Anahita était vierge. Les traditions chrétiennes ne sont pas apparue ex-nihilo, dans un coin retiré de la Judée, elles se sont substituées aux pratiques anciennes. Il faudra attendre 529, sous le règne de Justinien, pour que le 25 décembre soit un jour chômé.
Monnaie de Constantin et son dieu, Sol Invictius
Mithra
Les Saturnales étaient célébrées du 17 au 24 décembre en l’honneur du dieu (déchu) Saturne. On vivait le crépuscule de l’année. Une certaine liberté régnait à Rome. Lors de banquets, on s’offrait des cadeaux. Les maisons étaient ornées de plantes vertes pour fêter le renouveau qui s’annonçait. On retrouve tous ces ingrédients dans la tradition chrétienne. La liberté de mœurs associée aux Saturnales a donné naissance à la fête des Fous durant laquelle, même le clergé et les évêques dansaient dans les rues. Elle ait été interdite en 1431, elle a aujourd’hui presque disparu. Le roman de Victor Hugo, Notre Dame de Paris, s’ouvre sur la fête des Fous.
La bûche de Noël, qui est servie au dessert lors du réveillon, commémore la fête de Yule des peuples germaniques (Yul signifie solstice dans les langues nordiques). Les Germains faisaient brûler un arbre en l’honneur des dieux, pour les remercier d’avoir restauré la lumière. Ils ornaient leurs cheveux de houx. C’était l’occasion de grandes fêtes familiales.
Pour déterminer l’âge de la mort de Jésus, il faudrait savoir quand il est né. Selon la tradition, rapportée par les évangiles de Matthieu et de Luc, il serait né alors qu’Hérode le Grand était roi de Judée. Dans un article précédent, j’ai montré que les récits de la naissance de Jésus dans ces deux évangiles étaient non seulement totalement différents, mais contradictoires. Pour moi, ces récits sont des ajouts tardifs destinés à contrer l’enseignement de Marcion qui voyait en Jésus un être surnaturel, descendu sur terre à Capharnaüm sous l’apparence d’un homme de 30 ans.
Si Jésus est né sous le règne d’Hérode, il n’est pas né en l’an 1 de notre ère, Hérode étant décédé en 4 avant notre ère. L'(ex-)pape Benoît XVI, qui a consacré trois volumes à la vie de Jésus, considère que le moine Denys le Petit, qui a estimé au VIe siècle le début de l’ère chrétienne, en créant une année 1, « s’est à l’évidence trompé de quelques années dans ses calculs ». D’après Benoît XVI, Jésus serait né en l’an 7 avant notre ère. Sur quoi se base-t-il pour choisir cette date ? Il souligne que d’après un calcul lié aux observations de l’astronome Kepler (XVIIe siècle), « le Christ serait né 6 ou 7 années plus tôt qu’on à l’habitude de croire ». En 1603, Kepler observant la conjonction rare des planètes Jupiter et Saturne, établit une relation avec l’étoile des mages et calcule que ce phénomène de brillance surnaturelle a pu être observé trois fois en l’an 7 avant notre ère.
La théorie de Benoît XVI est peu vraisemblable : L’alignement des planètes ne provoque pas une « brillance surnaturelle ». En fait, les planètes ne sont pas alignées, elles apparaissent dans une zone du ciel pas plus large que la pleine lune. Ce phénomène s’est également produit en -46, or aucune hypothèse sur l’historicité de Jésus ne situe sa naissance à cette période. Plus près de nous, le 26 février 1952, à 22 heures, quatre planètes se sont alignées : Mercure, Vénus, Mars et Saturne. Bien mieux, le 5 août 2016, vers une heure du matin, toutes les planètes visibles à l’œil nu (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) se sont « alignées » ! Et aucun éclat brillant n’a été observé : on voyait cinq points lumineux, comme les étoiles.
Et si les planètes étaient parfaitement alignées ? On ne verrait aucun phénomène spectaculaire : les planètes ne sont pas des étoiles, elles ne brillent pas, elles reflètent la lumière du soleil. On ne verrait pas la somme de leur éclat, mais une seule planète, les autres étant éclipsées, cachées par la première.
Pour mon « étude », je vais adopté la conclusion de Benoît XVI : Jésus serait né en l’an 7 avant notre ère.
Hypothèses
D’après une idée très répandue, Jésus aurait vécu 33 ans, il serait donc mort en 26 de notre ère. Il aurait donc été condamné par Ponce Pilate qui venait de prendre ses fonctions comme préfet de la province sénatoriale de Judée (de 26 à 36). Or les évangiles ne nous présentent pas un préfet novice, mais un homme maîtrisant sa fonction.
Les historiens placent la mort de Jésus en 30 ou 33, Jésus aurait alors eu 37 ou 40 ans. Lors de ces deux années, le 15 nisan (la Pâque juive) précédait le jour de shabbat (samedi). Il y avait donc deux shabbats successifs, comme le signale les évangiles. La faveur des historiens va à l’année 33. Pourquoi ? Il n’y a aucun justification scientifique ou historique. C’est un choix. Peut-être sont-ils influencés par l’éclipse de lune qui a eu lieu à Jérusalem le (vendredi) 15 nisan 33 (le 3 avril 33 dans notre calendrier). Lors d’une éclipse de lune, celle-ci apparaît rouge, une « lune de sang ». Mais si on étudie cette éclipse, on se rend compte qu’elle a commencée à 15 heures 40 avec son maximum à 17 heures 15. À ce moment, la lune n’était pas encore levée à Jérusalem. Elle se lèvera à 18 heures 20, soit 30 minutes avant la fin de l’éclipse. Trop peu de temps pour être observée par des profanes. Par contre cette éclipse a pu être vue par les prêtres qui attendaient ce moment pour déclarer le début du sabbat (samedi 16 nisan). Pour les Juifs, le jour commence au coucher du soleil.
Dans l’Évangile de Jean, on a une information précise : La Pâque juive était proche…. Jésus leur répondit : « Détruisez ce temple, et en trois jours, je le relèverai. » Alors ces juifs lui dirent : « Il a fallu 46 ans pour construire ce temple… ». (Jean 2,19-21) Or la construction du temple a commencé en 19 ou 20 avant notre ère. 46 ans plus tard, nous sommes en l’an 26 ou 27 : Jésus a donc 33 ou 34 ans.
… avec le temps
Les auteurs chrétiens des deuxième et troisième siècles ne nous éclairent pas d’avantage.
Si on suit Lactance (240-320), rhéteur chrétien (professeur de rhétorique), la mort de Jésus aurait eu lieu le 23 mars 29, sous le consulat des deux Gemini : Caius Fufius Geminus et Lucius Rubellius Geminus.
Irénée de Lyon (vers 130-203), fait plus fort, il place la naissance de Jésus dans la 41ème année du règne d’Auguste (-27, 14), soit en l’an 14 (Contre les hérésies vol III, 21,3) ! Et Jésus serait mort à 50 ans, en l’an 64, juste avant la révolte juive contre les Romains… mais après les prédications de Paul ! Celui qui dit le contraire est un hérétique ! Si ce ne sont pas des erreurs de copistes, on peut en déduire que l’organisation du temps, que l’histoire n’était pas la préoccupation majeure des anciens. Notons, en passant, que la région de Lyon produisait déjà des vins capiteux.
Tertullien (vers 150-225) et Origène (mort en 254) reprennent la chronologie d’Irénée. Origène ajoute que Jésus est né 15 ans avant la mort d’Auguste. Ce qui est invraisemblable, car Auguste est mort la 41ème année de son règne.
Conclusion
Tout ce qui touche à la vie de Jésus, à son existence même, est nimbé d’un épais brouillard. Avec les textes chrétiens, les seuls qui parlent de Jésus, on se retrouve dans un supermarché où chacun vient chercher le passage qui permettra de justifier son discours. Jésus restera à jamais une énigme. Clément d’Alexandrie (mort en 220) nous donne de quoi réfléchir : « Toutes les choses vraies ne sont pas la vérité. Il ne faut pas préférer la vérité qui paraît telle selon l’opinion des hommes à la vérité véritable selon la foi ». En clair, la foi qui n’est pas vérifiable est l’unique vérité.