Comprendre la guerre de Syrie

Un peu d’histoire

La Syrie est un pays jeune. Il n’a connu ses frontières actuelles qu’en 1920, lors du démembrement de l’Empire ottoman. Selon un accord secret signé en mai 1916, entre les diplomates français (Picot) et britannique (Sykes), le nouveau pays sera placé sous tutelle française, malgré l’opposition des Arabes qui ont aidé l’armée britannique dans sa guerre contre les Turcs ottomans. Ils avaient créé un gouvernement provisoire et nommé le prince Fayçal roi de Syrie. Cette saga a été contée dans le film « Lawrence d’Arabie ». Fayçal s’était rendu à Paris pour défendre la position arabe lors de la conférence de la paix en 1918 et 1919. En vain. L’occupation française se fera les armes à la main.

Le pays deviendra indépendant en 1946, après de longues négociations avec différents gouvernements français. Celles-ci ont duré 10 ans.
Après la défaite de la Syrie (et des autres pays arabes) dans la guerre contre Israël en 1948 (voir mon article : Naissance de l’État d’Israël), la Syrie va connaître une succession de coups d’État menant en 1966, Hafez al-Hassad au pouvoir. La famille al-Hassad est originaire de l’ouest de la Syrie, elle appartient à la minorité religieuse alaouite, une branche du chiisme qui représente moins de 15% de la population syrienne.

En 2000, Bachar al-Assad (ou el-Assad), né en 1965, succède à son père après un référendum. Il a fait des études d’ophtalmologie à Damas puis s’est spécialisé à Londres. Il y rencontre son épouse Asma Fawaz Akhras (née en 1975), une femme d’affaire syro-britannique.

Avertissement

La guerre de Syrie est très difficile à comprendre car c’est une guerre mondiale qui ne veut pas dire son nom. La Syrie a servi de champ de bataille à toute une série de pays cherchant à s’octroyer des avantages géopolitiques.

A côté de la position « officielle » des chancelleries occidentales : « Bachar al-Assad est un tyran sanguinaire qui a précipité son pays dans le chaos« , plusieurs journalistes sur le terrain ont défendu des thèses différents. Ils se sont fait traités de conspirationnistes, de traîtres, de séniles, de propagandistes à la solde des Russes, etc. Parmi eux :

  • Robert Fisk (anglais) : il a reçu le prix Amnesty International en 2000 pour ses reportages en Serbie sous les bombardements de l’OTAN et le David Watt Memorial Award en 2001 pour sa couverture du Proche-Orient. Il a nié l’usage des armes chimiques à Douma en 2018 où il était présent. Il a réalisé le documentaire « En première ligne » sur la guerre de Syrie (diffusé sur ARTE).
  • Seymour Hersh, un journaliste d’investigation américain, prix Pulitzer en 1970 pour avoir dénoncé le massacre perpétré par des marines américains à My Lai au Vietnam. Il met en cause les milices du front al-Nosra (un groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda) dans l’attaque au gaz sarin dans la Ghouta, la banlieue de Damas, en 2013. C’est à cette occasion qu’Obama a déclaré que la « ligne rouge » était franchie. Il accuse Obama de se servir du même mécanisme de sélection que celui utilisé pour justifier la guerre en Irak par son prédécesseur : George W. Bush.
  • John Pilger (australien) : il a été le premier à dénoncer les violations des droits de l’Homme par les Khmers rouges au Cambodge. Il a obtenu deux fois le prix britannique de « jounalist of the year« . Il affirme n’avoir jamais connu d’époque auparavant où la pensée dominante était à ce point impliquée dans un « déluge de propagande » visant selon lui la Russie.
Le printemps arabe : 2011

Au printemps 2011, comme en Tunisie, en Egypte et au Barhain, la population syrienne manifeste contre le régime autoritaire de leur président. Le gouvernement réprime la contestation dans le sang. Les forces armées tirent sur la foule. Vidéo sur les manifestations : France Télévision.
Le printemps arabe échoue en Syrie comme il a échoué au Barhain et pour les mêmes raisons. Les deux régimes sont aux mains d’une minorité : sunnite au Barhain alors que la majorité de la population est chiite et l’inverse en Syrie. Pour assurer le pouvoir à la minorité, le régime a placé des hommes sûrs, issus de cette frange de la population, à tous les postes de l’État : armée, services secrets, administration, etc. La contestation échoue parce que les forces de l’ordre restent fidèles au gouvernement. Notons que l’armée saoudienne a dû intervenir au Barhain pour mettre fin aux manifestations.

Les manifestations virent à la révolution : interventions étrangères : 2012

Face à l’échec, le mouvement de contestation se transforme en rébellion.
Les États-Unis organisent à Istanbul un « Congrès National » regroupant des opposants réfugiés dans les pays occidentaux et toutes les composantes politiques de la société syrienne, des communistes aux radicaux islamistes, soit plus de 40 partis, 40 points de vue différents. L’objectif est de former un gouvernement provisoire et de coordonner les actions sur le terrain. Pour eux, Bachar al-Assad est déjà mort.

Réunion du Congrès National

Vu les divergences de vue, c’est un échec. Sur le terrain, l’Armée syrienne libre (ASL) qui s’était constituée cède petit à petit l’initiative à des milices islamistes salafistes dont les principales comptent plus de 10.000 hommes venant de tous les pays : le front al-Nosra, branche d’al-Qaïda,  Ahrar al-Sham et Jaych al-Islam (Armée de l’Islam). Qui arme ces milices ? L’initiative de la révolution vient des États-Unis, mais ils ne peuvent pas fournir d’armes à des belligérants sans l’accord du Sénat. La CIA fait donc appel à ses alliés dans la région : la Turquie, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Qatar. La diversité de l’origine de l’armement renforce les dissensions entre les différents groupes armés qui sont la cible de l’armée syrienne aidée de l’Iran et du Hezbollah (le parti de Dieu) libanais. A ce stade, on assiste à une guerre entre chiites et sunnites. Plus d’une cinquantaine de groupes armés s’affrontent ! Un observateur estime qu’une milice se crée chaque semaine. Elles sont de plus en plus extrémistes.

Le conflit s’internationalise : USA-Russie (2012-2013)

La force de feu est disproportionnée entre le régime de Bachar al-Assad qui utilise chars et avions, et les milices rebelles équipées d’armes légères. Les États-Unis ont explicitement interdit qu’on leur livre des lance-roquettes. Ils ont en mémoire le sort des armes qu’ils avaient livrés aux moudjahidin afghans qui luttaient contre les Soviétiques. Ces armes se sont retournées contre les Américains lorsqu’ils ont envahi l’Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001.

Comme les milices sont engagées dans une guérilla urbaine, les troupes de Bachar al-Assad bombardent les quartiers où les opposants se sont mélangés à la population. Celle-ci n’a d’autre choix que de fuir quand c’est possible, subir ou aider les insurgés.

Les USA et la Russie vont s’affronter à l’ONU. Toutes les résolutions déposées par les États-Unis pour chasser Bachar al-Assad n’aboutissent pas : la Russie y oppose son veto, imité par la Chine. Le président Obama hésite quant à la stratégie à mener en Syrie. Lorsque le gouvernement syrien est accusé d’utiliser des armes chimiques, il menace d’une intervention directe de l’armée américaine si de nouvelles frappes chimiques ont lieu. Mais il n’agit pas quand cela se produit, au grand dam du président français, François Hollande, qui avait préparé l’envoi d’un contingent. Au contraire, Obama se range à l’avis du président russe Poutine de démanteler l’arsenal chimique de la Syrie. La Russie marque le conflit de son empreinte.

Pourquoi la Russie soutient-elle la Syrie ? La Syrie est alliée à la Russie de longue date, elle permet à la flotte militaire russe de mouiller dans le port méditerranéen de Tartous. La Russie est par principe opposée à tout droit d’ingérence, elle est opposée à toute intervention militaire qui viserait à renverser un pouvoir en place. Notons que l’intervention soviétique en Afghanistan visait à soutenir le régime en place. Une autre raison est économique : la Syrie est le quatrième client de la Russie en valeur. Les États-Unis, eux, s’opposent à la Syrie, non seulement parce qu’elle est l’alliée de la Russie, mais aussi parce que la Syrie est l’ennemie d’Israël et l’alliée de l’Iran. Pour les États-Unis, les amis de mes ennemis sont mes ennemis. Ils mènent au Proche-Orient une politique de cour de récréation d’école maternelle.

Conquêtes de DAESH (2013)

Début 2013, l’État islamique, qui s’est constitué en Iraq, pénètre en Syrie où les milices djihadistes lui prêtent allégeance. De leur fusion naît DAESH, l’État islamique en Iraq et au Levant (le Sham, c’est la Syrie). Cette organisation est lourdement armée, elle a pillé les arsenaux américains de la région de Mossoul. Elle balaie tout sur son passage. Les États-Unis et ses alliés européens décident alors d’intervenir militairement par des frappes contre DAESH. La Russie leur emboîte le pas. Pour ne pas se gêner, la Syrie est divisée en deux zones militaires : à l’ouest de l’Euphrate, la Russie, à l’est, les États-Unis.

Les États-Unis vont accuser la Russie de mener des attaques contre les milices rebelles, ce qui n’est pas faux puisque celles-ci se rallient à DAESH, l’acteur le plus puissant au sol. Pour contrer l’État islamique, dans leur zone d’influence, sans intervenir directement, les État-Unis soutiennent les milices kurdes qui n’ont pas pris position contre Bachar al-Assad. Les Kurdes préfèrent une solution négociée, espérant la formation d’un État fédéral comme en Irak.

La prise de Raqqa par DAESH à la frontière turc crée un couloir par où vont affluer des centaines d’islamistes venant grossir les rangs de l’État islamique.

Maintenant de deux maux, il faut choisir le moindre. Le choix se pose entre DAESH et Bachar al-Assad. L’intervention conjointe de la Russie, de l’OTAN et des Kurdes finira par venir à bout des islamistes de DAESH… et des milices syriennes qui les ont rejoints. Fin 2017, malgré quelques poches de résistance, DAESH est vaincu. Bachar al-Assad a sauvé son trône.

Conflit Iran-Israël (2015)

A la frontière sud de la Syrie, sur les hauteurs du Golan, l’armée israélienne veille. Son pire ennemi, l’Iran a installé des bases en Syrie. Israël craint des frappes massives que son bouclier anti-missiles ne pourrait pas intercepter. Elle entreprend donc des pourparler avec la Russie qui l’assure de sa bienveillance. La Russie ne cautionnera pas les attaques de l’Iran, elle ne soutient pas les visées de son allié : Israël pourra se défendre sans craindre de représailles. Israël mènera, depuis son territoire, plusieurs attaques contre des positions iraniennes trop avancées. La Russie conforte sa position, elle devient un acteur fort dans la région.

Conflit Turquie-Kurdes (2018)

La Syrie a 900 km de frontière avec la Turquie et cette zone est occupée par les Kurdes.

Situation en 2016

Or le président turc Erdogan a déclaré la guerre au PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, dans son pays. Cette organisation a été reconnue comme groupe terroriste par les États-Unis et ses alliés européens. Erdogan prétend que les Kurdes syriens (le YPG : voir mon article sur les Kurdes) sont les alliés du PKK. Il veut empêcher la constitution d’un État kurde à sa frontière. Il veut aussi affirmer sa puissance dans la région… ancien territoire de la Turquie ottomane. Il envoie ses troupes envahir le nord de la Syrie et déloger les Kurdes. Les États-Unis qui ont soutenu les Kurdes contre DAESH les abandonnent et quittent la zone revendiquée par la Turquie. Le diplomate Robert Ford dans le documentaire « Syrie : les dessous du conflit » (ARTE) a déclaré que la Maison blanche avait décidé, dès le départ, de s’appuyer sur les Kurdes et de les abandonner dès que la situation le nécessiterait.

Conséquences de la guerre

On ne peut pas parler de LA guerre de Syrie, mais DES guerres de Syrie tant il y a eu de belligérants et d’objectifs opposés. Aujourd’hui, le régime de Bachar al-Assad, aidé des milices chiites, de l’Iran et de la Russie a récupéré la majorité de son territoire. Seule la Turquie et ses alliés islamistes (l’Armée national syrienne) occupent encore le nord de la Syrie.

En octobre 2020, l’aviation russe a bombardé la région d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, occupée par les milices islamistes alliées à la Turquie. Ce qui n’empêche pas la Turquie et la Russie de patrouiller ensemble à la frontière nord.

La Syrie est un pays dévasté, sans population, sans habitat. 50% des Syriens ont perdu leur domicile, soit 10 millions de personnes dont rois millions sont nourries par l’ONU. Il y a 6,5 millions de déplacés dans le pays, 3,6 millions ont trouvé refuge en Turquie. Le Liban, qui ne compte que 4 millions d’habitants, accueille un million de Syriens. En Europe, l’Allemagne a pris en charge 750.000 Syriens et la Suède, 250.000.

Mais ce sont les Kurdes qui supportent les conséquences de la guerre : ils gèrent les membres de DAESH fait prisonniers. Cinq mille s’entassent dans des prisons bien souvent improvisées. 70.000 personnes sont dans des camps fermés dont 10.000 « épouses » étrangères, la plupart européennes.

Deux histoires oubliées de l’Histoire

La Syrie est accusée d’avoir tiré sur des manifestants, d’avoir torturé des prisonniers politiques, d’avoir bombardé des civils, des hôpitaux et des écoles. Ces actions ont été qualifiées de « crimes contre l’Humanité » par Kofi Annan, l’émissaire spécial de l’ONU en Syrie (2012)… sous les applaudissements des Français et des Américains.

17/10/1961 : Paris

Nous sommes en 1961 dans la France du général de Gaulle. Depuis un an, des pourparlers se tiennent à Melun entre la France et le FLN (Front algérien de Libération Nationale) pour déterminer les conditions de l’indépendance de l’Algérie. En France, des attentats perpétrés par la branche française du FLN d’une part et par les opposants à l’indépendance, d’autre part, l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète : organisation de militaires français) endeuillent le pays.
Depuis le 5 octobre, un couvre-feu est imposé aux seuls Français musulmans d’Algérie (FMA), c’est ainsi qu’on qualifie les natifs d’Algérie qui vivotent dans des bidons-villes en périphérie des grandes villes. Ils ne pourront se déplacer entre 20h30 et 5 heures du matin.

Le FLN prévoit une grande marche dans Paris le 17 octobre 1961. Le mot d’ordre est stricte : on se promène sur les grandes artères après le couvre-feu, pas de banderoles, pas de slogans, pas de drapeaux, pas de violence. Ils sont environ 20.000 à braver l’interdit. Face à eux, les gendarmes français ont été mobilisés en nombre par le préfet Maurice Papon qui harangue ses troupes et lâche : « tirez les premiers, vous serez couverts ».

Et la curée commence. Dès le début de la promenade, à Neuilly, deux Algériens sont abattus. Douze mille seront arrêtés sans résistance et conduits dans des lieux réquisitionnés pour contrôle d’identité. La police se déchaînera. Les « FMA » feront l’objet de brimades et seront roués de coups. Dès le lendemain, on repêchera dans la Seine des corps jetés à l’eau, certains noyés vivants, d’autres déjà morts. Des cadavres seront retrouvés dans les ruelles et les parcs. Combien ? Pourquoi ? Nul ne le sait, aucune enquête ne sera menée : « vous êtes couverts » avait dit Papon. Ce personnage n’était pas à son coup d’essai : il avait organisé la rafle des Juifs à Bordeaux en 1942. A la capitulation de l’Allemagne, il n’avait pas été inquiété. De Gaulle avait fait appel à lui pour sa poigne, il fallait encadrer les forces de police. En 1978, il sera même ministre de Giscard d’Estaing avant de se faire rattraper par son passé. Il sera jugé en 1997 après 18 ans de procédures. Il sera condamné à 10 ans de prison pour crimes contre l’Humanité. Ainsi fini celui que de Gaulle jugeait « tout à fait convenable ».

De gauche à droite : (1) Stèle à la mémoire des martyrs posée par la mairie de Paris (on y lit « A la mémoire des nombreux Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique de 17 octobre 1961″), (2) tag actuel sur le quai saint-Michel (NB : il n’y avait aucune femme lors de la marche, elles devaient défiler deux jours plus tard), (3) Algériens arrêtés en attente d’être transférés pour contrôle d’identité.

Cette partie de l’article a été inspirée du documentaire : Quand l’histoire fait date : 17 octobre 1961, un massacre colonial (ARTE)

13/02/1945 : Dresde

La guerre mondiale touche à sa fin. La ville de Dresde dans le sud-est de l’Allemagne accueille de nombreux réfugiés fuyant les armées soviétiques. Elle est appelée « la ville hôpital ». Soudain, ce 13 février, 1.300 avions américains et anglais apparaissent dans le ciel. Ils vont larguer 600.000 bombes incendiaires ou explosives dans un ballet incessant qui va durer 3 jours. Le bombardement de Dresde n’est pas un cas isolé. La plupart des villes allemandes ont été bombardées. Ce qui choque ici, c’est l’absence d’objectifs militaires ou industriels. Les Nazis n’ont même pas jugé opportun de défendre la ville par des batteries de DCA.
Le nombre de morts est estimé entre 35.000 et 70.000.
Pourquoi cette attaque ? Pourquoi cette sauvagerie ? L’excuse, car se n’est pas une justification, est que les Nazis avaient l’intention de déplacer un demi-million d’hommes vers le front de l’est en transitant par Dresde. A cette époque, même dans ses rêves les plus fous, Hitler n’avait plus les moyens de constituer une telle force armée. La vraie raison est un acte concerté de terrorisme. Terroriser la population allemande pour qu’elle se révolte contre le régime hitlérien. La révolte n’aura pas lieu et la guerre se terminera trois mois plus tard.

2020 : le conflit gréco-turc

Cet article a été inspiré de l’émission « Reportages » de la chaîne de télévision Arte du dimanche 18 octobre 2020.

Raisons du conflit

Le navire de recherche minérale truc, l’Oruç Reis croise dans les eaux territoriales grecques. Il étudie les fonds marins pour détecter les gisements de gaz et de pétrole.

L’Oruç Reis (nom turc du pirate Barberousse)
La situation géopolitique

La Turquie n’a presque pas d’eaux territoriales, sa zone économique exclusive est limitée, conséquence de la défaite de l’Empire turc ottoman lors de la guerre mondiale de 1914-1918. Une zone économique exclusive (ZEE) est, d’après le droit de la mer, un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources.

Zones économiques exclusives de la Grèce et de la Turquie.

L’exploitation du gaz et du pétrole serait bienvenue pour la Turquie qui vit une situation économique pour le moins difficile. Cela donnerait de la crédibilité au gouvernement.
Pour former le gouvernement majoritaire actuel (52,6%) Erdogan a dû s’allier au MHP (Parti d’Action nationale aussi connu sous le nom de Parti National des Travailleurs). C’est un parti d’extrême droite, nationaliste, islamique, anti-kurde et anti-européen.

Erdogan doit plaire à ses nouveaux partenaires politiques. Alors, il prend des mesures. Tout d’abord, il remet en cause le Traité de Versailles (1919) qui a mis fin à la première guerre mondiale et a sévèrement lésé les empires vaincus : l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois et l’Empire turc ottoman. (NB : les traités concernant l’Empire ottoman sont ceux de Sèvres (1920) et de Lausanne (1926))
Erdogan déplore le démembrement de l’Empire, qui avant la guerre comprenait tous les territoires arabes du Proche orient (les actuels Syrie, Irak, Jordanie, Israël/Palestine, Liban et les lieux saints de l’islam dans la Péninsule arabe). Il remet également en cause la limitation de sa zone économique exclusive en Méditerranée.

Erdogan prononce des discours musclés tels que : « Il y a cent ans, nous avons rejeté les Grecs à la mer, nous allons poursuivre le travail ». (voir mon article sur Mustapha Kémal). Il ajoute : « Nous sommes prêts à sacrifier des martyrs ». Il faut comprendre qu’en plus de l’extension des eaux territoriales, il vise toutes les îles grecques qui font face à la Turquie.

Dans les anciens territoires ottomans, il agit également : il a envahi le nord de la Syrie, attaquant les Kurdes, abandonnés par les État-Unis et les Européens alors qu’ils ont été les seuls à combattre DAESH sur le terrain. (voir mon article sur les Kurdes).

Pour s’affirmer comme puissance régionale, la Turquie s’implique aussi dans le Haut Karabagh. Cette région est une aberration géopolitique. Lors du démembrement de l’URSS, ce territoire n’a pas été attribué à une république issue de l’ancienne union, il a été laissé de côté. L’Arménie et l’Azerbaïdjan devaient se mettre d’accord sur sa destination. Aucun accord n’ayant été trouvé, la guerre a remplacé les négociations. La Turquie soutient naturellement l’Azerbaïdjan. (voir mon article sur les Arméniens).

Le mauvais signal de la France

Revenons au conflit entre la Turquie et la Grèce, tous deux membres de l’OTAN. On ne peut pas donner tort à Emmanuel Macron qui déclarait que l’organisation était en état de mort cérébrale. Comme dans tout conflit, chaque camp a ses alliés. La Turquie peut compter sur la Libye avec qui elle a des accords maritimes et la Russie, toute contente de voir l’OTAN se déchirer.

La Grèce a des accords maritimes avec l’Egypte, l’Italie et Chypre qui sont ses alliés. Comme la Russie soutient la Turquie, les État-Unis se sont rangés aux côtés la Grèce. Plus curieux, Israël et les Emirats arabes soutiennent la position grecque. En principe, les États de l’Union européenne sont favorables à la Grèce avec des nuances dans leur soutien. Son plus fervent défenseur est la France à qui la Grèce vient de commander 18 avions Rafale et 4 hélicoptères de combat pour la marine… avec torpilles et missiles. Quatre frégates devraient suivre. Rappelons que l’économie de la Grèce vit sous perfusion. La survie de la Grèce dépend de l’aide que l’Union européenne lui accorde. L’Europe donne, la France prend.

La réponse d’Erdogan ne s’est pas fait attendre : « Macron n’a pas fini d’avoir des ennuis avec moi » et aussi « Je n’ai pas de leçons à recevoir de la France. Qu’elle se penche sur son passé colonial en Algérie et son rôle dans le génocide ruwandais de 1994″. Ambiance ! Et ce n’est pas tout, après la cérémonie en l’honneur du professeur décapité par un islamiste près de Paris, Erdogan a attaqué le président français lors d’un discours télévisé : « Tout ce qu’on peut dire d’un chef d’État qui traite des millions de membres de communautés religieuses différentes de cette manière, c’est : allez d’abord faire des examens de santé mentale« .

Erdogan a une arme redoutée des Européens : il héberge plus de trois millions de réfugiés, la plupart Syriens, qui n’attendent qu’une occasion pour migrer vers l’Europe.

Conclusion

Actuellement, on ne voit plus de bateaux de tourisme dans les eaux de la Méditerranée orientale. Ils ont été remplacés par des navires de guerre. Comment cela va-t-il finir ? La guerre est-elle inévitable ?

La Turquie peut demander à la Cour Internationale de Justice de La Haye de trancher le différent. Plusieurs observateurs neutres donnent (partiellement) raison à la Turquie : sa zone économique exclusive est bien trop restreinte.

La Turquie et la Grèce peuvent également s’associer pour exploiter les gisements en commun, comme l’ont fait l’Iran et le Qatar, pourtant ennemis, pour l’exploitation des gisements de gaz dans le Golfe persique.

Mais Erdogan préfère menacer que négocier. Il veut se montrer fort et inflexible pour son électorat.

L’exploitation des gisements du plateau continental méditerranéen n’est pas sans danger. La mer Égée est une zone sismique. En 2017, un séisme de magnitude 6,6 a frappé les îles grecques du sud-est et la côte turque dans la région de Bodrum. Faut-il s’attendre à une guerre ou à une catastrophe écologique ?

Epilogue

Ce que je redoutais dans le dernier chapitre est arrivé : le 30 octobre au début de l’après-midi, trois jours après la fin de la mission du navire Oruç Reis, un séisme de 7 sur l’échelle de Richter s’est déclaré dans la mer Égée, entre l’île grecque de Samos et la côte turc, dans la région d’Izmir, la troisième ville de Turquie. L’onde de choc a été ressentie jusqu’à Istanbul et Athènes.
Pour l’heure, on dénombre 100 morts et près de 1000 blessés.
Face à cette catastrophe, la Turquie et la Grèce ont mis les tensions diplomatiques de côté, elles se disent prêtes à s’entraider.

Le génocide arménien

Las Arméniens sont des indo-européens comme les Kurdes et les Perses. L’appartenance au groupe indo-européens n’a aucun rapport avec une race quelconque, c’est un marqueur ethno-culturel. L’arabe et l’hébreu font partie du groupe sémite et le turc du groupe turco-mongol.

Les Arméniens ont occupé le sud du Caucase. On considère qu’ils auraient fusionné avec les Hourrites qui occupaient le terrain depuis des millénaires, comme les Kurdes seraient les héritiers des Mèdes. Cette situation entre la mer Noire et la mer Caspienne leur a donné des voisins puissants au cours des siècles : l’Empire romain, l’Empire perse, puis l’Empire ottoman et la Russie.

Le Caucase
Antiquité

On trouve la trace des Arméniens dans les archives de Ninive au VIIe siècle avant notre ère. Mais c’est sous Xerxès Ier, roi des Perses, qu’ils entrent dans l’histoire en combattant comme vassaux des Perses à Marathon contre les Grecs (-490).

L’Arménie est conquise par Alexandre le Grand (vers -330) et est incluse dans son empire, dont elle s’affranchira en 189 avant notre ère pour s’étendre du Caucase à la Méditerranée, créant un glacis entre les Romains et leurs ennemis, les Parthes (-247 à 224). Elle tombera sous la coupe des Romains en -65. Elle va passer par des périodes d’indépendance et de domination romaine et parthe puis perse. En 301, alors qu’elle est de nouveau romaine, elle est la première nation à devenir officiellement chrétienne. Malgré les aléas du temps, les Arméniens sont restés chrétiens jusqu’à nos jours.

Moyen-Age

L’Arménie passe sous contrôle arabe lors des conquêtes du VIIe siècle. Mais les Arméniens continuent à lutter pour leur indépendance. Les Turcs seldjoukides mettront fin à leurs velléités d’indépendance en 1064, en ruinant le pays. Les habitants partent en exode vers les Balkans, Chypre et la Cilicie, dans le sud de l’Anatolie sur la Méditerranée, à 600 km de leur base historique. Là, profitant de l’arrivée des armées chrétiennes, ils créent le royaume arménien de Cilicie, voisin du comté d’Edesse. Ce royaume se maintiendra jusqu’en 1375, soit bien après la défaite des barons chrétiens (1291). Il passera sous le contrôle des Mamelouks d’Egypte avant que la région ne soit intégrée dans l’Empire ottoman (1517)

Cette carte est extraite de l’Atlas historique mondial de Christian Grataloup (Les Arènes) que je recommande chaleureusement.
Dans l’Empire ottoman

Les Arméniens se sont très bien intégrés dans l’Empire ottoman, profitant de sa puissance économique pour établir des comptoirs commerciaux à Marseille, Amsterdam, dans les ports italiens, à Calcutta, etc.

Si le centre historique reste tourné vers la terre, la diaspora, surtout à Constantinople se caractérise par son avant-gardisme culturel, intellectuel et économique. Dès le XVIe siècle, ils développent l’imprimerie que les musulmans dédaignent. Les Arméniens deviendront hauts-fonctionnaires, diplomates, professeurs, médecins, juristes et même ministres.

Au XIXe siècle, l’empire s’effondre. Dès 1830, les nationalismes régionaux, surtout dans les Balkans, encouragés par la Russie, arrachent des lambeaux de territoire à l’empire : la Serbie, la Grèce, le Monténégro, la Bosnie, la Bulgarie, Chypre, la Crète et l’Albanie échappent au contrôle du sultan ottoman. En Afrique, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et l’Egypte s’émancipent… pour tomber immédiatement sous la coupe les nations européennes : la France, l’Italie et l’Angleterre.

En réaction, le sultan décide des réformes. En 1876, un parlement est élu au suffrage universel, il compte 15 Arméniens, dont le ministre des affaires commerciales.

La même année, le traité de Berlin qui met fin à la guerre entre l’empire ottoman et la Russie, qui s’est imposée comme la protectrice des chrétiens, exige la protection des Arméniens contre les attaques des Kurdes. Les Kurdes forment un corps d’élite de cavalerie dévoué au sultan. Comme rien n’est mis en oeuvre, des rébellions éclatent, des groupes armés arméniens aux méthodes parfois terroristes s’opposent aux Turcs. Des massacres sont perpétrés contre les populations arméniennes entre 1894 et 1896.

1915 : le génocide

Lorsque la guerre mondiale éclate en 1914, le gouvernement turc, aux mains du parti des « jeunes turcs » qui a écarté le sultan, choisit le camp de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, se méfiant de la Russie qui a des visées sur les territoires ottomans. La Turquie est alors dirigée par trois officiers Talaat PachaEnver Pacha et Djemal Pacha. Ils fuiront en Allemagne à la fin de la guerre.

En février 1915 les Russes avancent dans le Caucase avec quatre bataillons de volontaires arméniens. A cette époque, les Arméniens sont répartis sur le territoire de l’empire ottoman de la Russie et de la Perse. Ce sera le prétexte du génocide arménien : les soldats arméniens de l’armée turque sont désarmés, les intellectuels fusillés en avril et une grande partie de la population déportée vers le désert de Syrie. Tout d’abord ceux qui habitaient près des zones de combat, puis tous les Arméniens de l’est de l’Anatolie. Ils seront victimes des pires sévices durant leur long périple : la soif, la faim, les viols, la vente comme esclave, les massacres. La junte militaire alors au pouvoir confiera au plénipotentiaire allemand en place à Constantinople que « c’était le bon moment pour en finir avec les Arméniens ». Des massacres d’Arméniens avaient déjà été perpétrés entre 1894 et 1896 (au moins 80.000 morts) puis en 1909 (15.000 morts ?). Mais jamais, ils n’avaient atteint le chiffre de 600.000 à près d’un million et demi de morts selon les sources

Aujourd’hui

Le traité de Sèvres, qui entérinait la fin de la guerre, prévoyait entre autre, la création d’une Arménie et d’un Kurdistan indépendants. Mais la reprise des combats par Mustapha Kémal mit à mal ces résolutions (voir mon article : le jour où la Turquie gagna la guerre).

Aujourd’hui, l’Arménie est un Etat indépendant, issu du démembrement de l’Union soviétique avec comme capitale Erevan. Sa superficie ne correspond qu’à un dixième de l’Arménie historique. A l’est de l’actuelle Arménie, la région du Haut Karabagh, peuplée d’Arméniens, incluse dans l’Azerbaïdjan, réclame son rattachement à l’Arménie.

Après la guerre, une importante colonie arménienne a fui vers la Russie, la France (Charles Aznavour, la famille Pétrossian (caviar), Michel Legrand, par sa mère), les Etats-Unis et vers le Liban et la Syrie qui étaient devenus protectorats français en 1918.

La reconnaissance du génocide

La notion de génocide n’est apparue qu’en 1945, lors du procès des dignitaires nazis à Nuremberg. Actuellement, seule une trentaine de pays ont reconnu le génocide arménien. Le premier fut l’Uruguay en 1965, le second, Chypre ne prendra la décision qu’en 1982 ! Le dernier pays à reconnaître le génocide est (actuellement) les Etats-Unis, le 12 décembre 2019.

Le 24 avril a été déclaré « journée pour la reconnaissance des martyrs arméniens« .

La Turquie refuse catégoriquement que le mot « génocide » soit appliqué à cette tuerie de masse qu’elle considère comme inhérente à la guerre. Elle joue sur la définition de génocide : « l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». La Turquie nie l’intention de détruire, évoquant une « simple » déportation pour raison de sécurité militaire. Les pertes auraient été dues à la faim et aux épidémies qui ravageaient le pays en guerre. Les massacres auraient été des « dégâts collatéraux »… 600.000 à près d’un million et demi de morts ! Cette position ne concorde pas avec le télégramme du ministre de l’intérieur Talaat Pacha : « Il a été précédemment communiqué que le gouvernement a décidé d’exterminer entièrement les Arméniens habitant en Turquie. Ceux qui s’opposeront à cet ordre ne pourront plus faire partie de l’administration. Sans égard pour les femmes, les enfants et les infirmes, si tragiques que puissent être les moyens d’extermination, sans écouter les sentiments de la conscience, il faut mettre fin à leur existence ».

Les Kurdes

Origine et Moyen Age

Les Kurdes sont originaires du sud de la mer Caspienne, des montagnes du nord de l’Iran. Leurs langues sont apparentées au persan. J’ai utilisé le pluriel car les Kurdes ne forment pas une communauté homogène : ils parlent des dialectes différents et s’ils sont à majorité sunnite, on trouve des Kurdes alévis, yésidis, chiites, juifs et chrétiens.
Ils nous sont connus depuis d’Antiquité. Certains historiens les considèrent comme descendants des Mèdes. Un royaume kurde est devenu province romaine en 66 avant notre ère, conquis par Pompée. A titre de comparaison, les Turcs originaires des steppes de l’Asie centrale et de la Sibérie font leur entrée dans l’Histoire du Proche Orient vers 750 lorsqu’ils accompagnent les troupes du futur calife abbasside venant des confins orientaux de la Perse.

Les Kurdes se feront remarquer lors des croisades où l’un de leurs émirs, Salah al-Din (qui signifie « la perfection de la religion », connu sous le nom de Saladin) défait les chrétiens aux Cornes de Hattin (en Galilée) en juillet 1187 puis reprend Jérusalem en octobre de la même année. En 1190, il prend le contrôle de l’Egypte fatimide.

Salah al-Din est né en 1138 à Tikrit, comme Saddam Hussein. Il est mort à Damas en 1193. A cette époque, le Proche Orient est une mosaïque d’émirats. Le calife de Bagdad ne contrôle plus rien, il est une autorité spirituelle, rien de plus. Des Turcs seldjoukides occupent une partie de l’Anatolie et le sud du Caucase. Une autre tribu seldjoukide s’est installée autour de Bagdad. Une dynastie turque différente, les Zengides, dirigée par Nur al-Din (qui signifie « la lumière de la religion », connu sous le nom de Nourédine) occupe la Syrie et effectue des raids dans le califat fatimide d’Egypte. Il a sous ses ordres Salah al-Din qui deviendra vizir du calife égyptien tout en servant Nur al-Din. (Ô le faux-cul.) A la mort de ce dernier, il continuera son oeuvre et mettra fin au califat du Caire. (Ô le traître.) Il va placer la Syrie (d’alors) et l’Egypte sous le contrôle d’une éphémère dynastie kurde, les Ayyoubides (du nom de son père).
Nur al-Din et Salah al-Din, comme leur nom l’indique, ont beaucoup œuvrer pour la religion musulmane en ouvrant, entre autres, des écoles coraniques dans les villes qu’ils avaient conquises. Mais ils n’ont jamais fait le pèlerinage à La Mecque.

Le Proche Orient au temps de Saladin. Cette carte est issue de l’Atlas historique mondial de Christian Grataloup (Les Arènes) que je recommande vivement.
Situation des Kurdes dans l’Empire ottoman

Après l’occupation mongole (vers 1230-1340) et les raids de Tamerlan (vers 1380-1405), le Proche Orient est dominé par un empire turc sunnite (l’Empire ottoman) et un empire perse chiite. Dans l’Empire ottoman, une douzaine d’émirats kurdes vivent de façon autonome : l’émir possède la terre en échange d’un impôt et de la mise à disposition d’une armée.

En 1846, le sultan ottoman met fin aux émirats et crée une province appelée Kurdistan, qui se transformera en district de Diyarbakir (une ville de l’est de la Turquie actuelle). Les émirs reçoivent en compensation des postes honorifiques. Bien entendu, cette « annexion » n’est pas acceptée de bon cœur, et des insurrections éclatent.

Lors de la guerre de 1914-1918, les Kurdes restent fidèles au sultan et rejoignent l’armée ottomane. Ils participeront au génocide des Arméniens chrétiens, leurs voisins.

Situation actuelle

Aujourd’hui, on dénombre 40 millions de Kurdes. C’est l’ethnie la plus importante sans Etat. A titre de comparaison, il n’y a que 15 millions de Juifs de par le monde, dont 6 millions en Israël. Les Kurdes vivent dans le sud-est de la Turquie (12 à 15 millions sur 82 millions), le nord de la Syrie (environ 3 millions sur 17 millions), le nord de l’Irak, où ils forment une entité politique autonome (5 à 7 millions sur 40 millions), et en Iran (6 à 9 millions sur 82 millions). Lors de la guerre contre DAESH, ils ont fourni les seules troupes à combattre sur le terrain, avec les Syriens.

On distingue plusieurs groupes de peshmergas, mot kurde désignant les combattants :

  • Les forces de défense du peuple du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) implantées en Turquie où ils sont considérés comme terroristes. L’Union européenne et les Etats-Unis leur donnent également cette étiquette.
  • Les unités de protection du peuple (YPG) opèrent en Syrie contre DAESH.
  • Les unités de protection des femmes (YPJ) combattent avec les YPG. Les femmes tiennent un rôle important chez les Kurdes. Elles sont égales aux hommes, elles ne sont pas soumises à un tuteur. Contrairement aux autres musulmans, hommes et femmes dansent ensemble lors des fêtes.
En pointillé, les populations kurdes. Cette carte est issue de l’Atlas historique mondial de Christian Grataloup (Les Arènes).
Situation des Kurdes en Iran, en Syrie et en Iraq

En Iran, les Kurdes sont tolérés, mais n’ont aucun droit spécifique, ils doivent se comporter comme des Iraniens. Toute contestation est sévèrement réprimée.

La situation n’est guère différente dans la Syrie de Bachar al-Assad. Les Kurdes doivent parler arabe et donner des noms arabes à leurs enfants. Bien que combattant DAESH, ils s’opposent également aux troupes gouvernementales.

En Iraq, après la guerre du Golfe, ils ont obtenu un territoire autonome dans le nord autour d’Erbil. Ils avaient soutenu l’intervention militaire américaine. En 1988, le gouvernement de Saddam Hussein avait mené des attaques à l’arme chimique contre des villages kurdes. Les Kurdes irakiens ont également combattu DAESH.

Situation des Kurdes en Turquie

En 1920, le traité de Sèvres prévoyait le démembrement de l’Empire ottoman qui aurait donné naissance à un Etat kurde indépendant (en bleu ciel sur la carte) et un Etat arménien (en rouge). Le refus de reconnaître ce traité par certains officiers ottomans dont Mustapha Kémal et l’offensive contre l’occupation de l’Anatolie qui s’en suivit, a forcé les vainqueurs de la première guerre mondiale à revoir leurs exigences. Un nouveau traité, celui de Lausanne de 1922, a abouti à la création de la Turquie moderne, abandonnant l’idée d’une Arménie et d’un Kurdistan indépendants.

Ce revirement est la source des dissensions entre les Turcs et les Kurdes qui n’ont pas accepté d’être spolié par un morceau de papier. Il faut rappeler que le président américain Wilson avait posé comme préalable aux traités mettant fin à la guerre qu’ils devaient tenir compte de l’intérêt des peuples.

Sous le gouvernement de Mustapha Kémal, plusieurs révoltes kurdes ont été réprimées : dont celles de 1920-1922 et de 1937-1938.

En 1980, profitant du climat d’insurrection en Turquie, le PKK, le Parti des ouvriers kurdes, prend les armes. Depuis, la région du Kurdistan est placée en état d’urgence, elle devient un territoire occupé par l’armée turque et des groupes paramilitaires qui font régner la terreur. Un cessez-le-feu a été décrété en 1999. La guerre aura fait 40.000 morts.

En 2005, Erdogan, alors premier ministre, promet de résoudre le problème kurde dans le respect de la constitution. Il autorise la création d’une chaîne de télévision kurde (TRT 6) ainsi que l’ouverture d’écoles privées enseignant en kurde. Il prononce même quelques mots en kurde lors de l’inauguration de la chaîne TRT 6. Mais cette libéralisation sera de courte durée, en 2016, suite au coup d’Etat avorté, les écoles kurdes sont fermées. Les Kurdes sont priés de s’exprimer en turc lors des contacts avec l’Administration ou dans les hôpitaux.

En 2019, l’AKP, le parti d’Erdogan est désavoué lors des élections municipales. Le parti du président perd les grandes villes et des membres importants du parti font défection. Erdogan doit réagir : il va créer une vague nationaliste favorable en s’attaquant aux Kurdes de Syrie qu’il considère comme des terroristes menaçant la Turquie. Un scénario bien huilé est mis au point avec les Etats-Unis. C’est l’opération « Source de paix » !

Le 6 octobre 2019, les Etats-Unis retirent leurs troupes du nord de la Syrie pour laisser la voie libre à l’armée turque et à ses supplétifs islamistes.
Le 9 octobre, les forces turques bombardent les positions kurdes et entrent en Syrie. Il faut savoir que le nord de la Syrie n’est pas désert, il abrite une population nombreuse. Pour faire face à l’invasion de ce qui est encore son pays, Bachar al-Assad, le président syrien, envoie deux divisions. On pense que le conflit va s’internationaliser.
Le 13 octobre, suivant le scénario écrit par avance, les Etats-Unis « obtiennent » une trêve pour permettre aux combattants kurdes d’évacuer les zones de combats.
La trêve va prendre fin lorsque la Russie entre en jeu. Elle propose de sécuriser le nord de la Syrie et se porte garante de l’évacuation des combattants kurdes pour laisser un no-man’s land de 30 km de profondeur en territoire syrien.
Le 22 octobre, on apprend que les soldats russes et turcs vont patrouiller ensemble pour sécuriser la frontière.

Qui sort vainqueur de cette invasion ? Certainement Poutine et son allié Bachar al-Assad, mais aussi Erdogan qui a reconquis son électorat en se montrant ferme avec les « terroristes ».

Et l’Union européenne ? Elle s’est agitée ou plutôt, elle a gesticulé. Erdogan l’avait menacée : si elle osait utiliser le mot « invasion », il lâchait les 3,6 millions de réfugiés qui stationnent en Turquie. Timidement, l’UE a proposé que le no-man’s land établi passe sous contrôle de l’ONU. Les deux organisations (l’UE et l’ONU) dont l’inefficacité est proportionnelle à leur coût de fonctionnement espéraient revenir au premier plan… C’est raté.

Recep Tayyip Erdogan

Enfance

Recep Tayyip Erdogan naît le 26 février 1954 à Beyoglu, un des districts européens d’Istanbul, dans une famille modeste : son père est capitaine sur un navire du Bosphore. Un quartier de Beyoglu est bien connu pour son équipe de football et son université : Galata. Pour rappel, la Turquie est un pays d’Asie avec un tout petit bout de territoire en Europe séparé de l’Asie par le Bosphore.
Il suit les cours d’une école religieuse qui forme des imams.
De 1969 à 1982, il joue au football et deviendra même semi-professionnel.

Entrée en politique

Il travaille dans une entreprise de transport lorsqu’il épouse Emine Gülbaran (née en 1955) en 1978. Elle militait au sein de l’Association des femmes idéalistes, une organisation islamique ultranationaliste proche des « Loups gris ». Ils ont 4 enfants.

Sa femme et ses enfants

En 1983, après que les militaires aient rendu le pouvoir aux civils, il adhère au Parti du salut national, le parti islamique d’Erbakan qui deviendra premier ministre mais sera démis de ses fonctions par un nouveau putsch militaire en 1997.
Pour comprendre l’intervention de l’armée, il faut se remémorer la création de la Turquie moderne. Le pays a été fondé par un militaire, Mustapha Kemal, qui a refusé les conditions du traité de Sèvres de 1920 et continué la guerre, chassant les Grecs, les Italiens, les Britanniques et les Français qui s’étaient installés dans l’Empire ottoman démembré. Il avait créé une république laïque que l’armée devait protéger. L’armée est la gloire nationale, l’âme turque. Elle reversera quatre fois le gouvernement élu : en 1960, 1971, 1980 et une dernière fois en 1999.

Maire d’Istanbul

A 40 ans (1994) il devient maire d’Istanbul avec comme objectif la lutte contre la corruption. Il n’y restera pas longtemps. En 1998, il est condamné à 10 mois de prison pour incitation à la haine. Il avait minimisé le rôle de l’armée en récitant un poème nationaliste qui dit « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats ».

En 2001, il s’éloigne d’Erbakan et fonde l’AKP, le Parti de la justice et du développement.

Premier ministre

Il devient premier ministre en 2003. Il prône l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne. Pour cela, la Turquie doit réunir plusieurs conditions dont :

  • œuvrer à la réunification de Chypre (en 1974, l’armée turque a créé la République turque de Chypre du nord, un Etat indépendant non reconnu par l’ONU)
  • et éloigner l’armée du pouvoir.

En 2008, à Cologne lors d’un meeting électoral, il déclare que l’assimilation et l’intégration des Turcs est un crime contre l’Humanité. La même année, il autorise le port du voile à l’université, où sa fille vient d’entrer, déclarant que son interdiction empêche les femmes de se cultiver.
Il faut savoir qu’en 1999, une élue avait fait son entrée au Parlement la tête couverte d’un foulard. Elle avait été huée et expulsée avant d’avoir pu prêter serment. Les choses changent. Mais il faudra attendre 2013 pour que les premières députées voilées reviennent au Parlement. En France et en Belgique, les députées peuvent siéger voilées. Les fonctionnaires ne peuvent pas arborer de signes religieux, mais les politiciens le peuvent puisqu’ils ne sont pas neutres. Dans les années 60, la France, laïque, a connu des députés en soutane !

En 2009, il s’attaque aux militaires. Ici, je dois introduire un nouveau personnage : Fethullah Gülen (né en 1941).

C’est un ami d’Erdogan. Il est philosophe et prédicateur musulman. Pour lui, l’islam doit être au service du bien commun. Il croit en la science, à la démocratie et au dialogue interconfessionnel. Il a rencontré le pape Jean-Paul II, le patriarche orthodoxe grec et le grand rabbin israélien. Objet d’une enquête par les militaires lors du putsch de 1999, il s’est exilé aux Etats-Unis.
Pourquoi est-il important ? Son mouvement, Hizmet (le service), gère des centaines d’écoles mixtes en Turquie. Je parle ici de mixité au sens islamique : dès la puberté les femmes sont séparées des hommes en dehors des cours. Ces écoles ont une très bonne réputation et elles fournissent les cadres de la société. De fait, ses diplômés contrôlent l’administration et la justice.

Gülen doit le succès de son mouvement au financement des Etats-Unis. Pour comprendre, il faut remonter aux années 70. Le communisme prend de l’ampleur en Turquie. Tous les jours des heurts violents opposent la droite et la gauche. On déplore des morts chaque jour à Istanbul. En 1980, l’armée met fin à l’anarchie en prenant le pouvoir. Les communistes sont arrêtés, la censure instaurée. Pour contrer le communisme, l’armée remet la religion au premier plan : les cours de religion sont rétablis dans les écoles et le prosélytisme est favorisé. Avec l’accord de l’armée, les Etats-Unis mettent la main au portefeuille en finançant les confréries musulmanes ce dont va profiter Gülen.

Erdogan et Gülen au temps de leur amitié

L’armée est accusée de préparer des attentats pour déstabiliser le pays. Les chefs d’état major sont arrêtés lors d’une vaste opération policière… menée par des juges de la mouvance Gülen. L’accusation n’est pas sans fondement, des perquisitions ont permis de mettre au jour des documents compromettants que les militaires justifient par des procédures d’entraînement. Libéré de la menace des militaires, Erdogan peut rêver à un avenir radieux.
Mais en 2013, son fils, plusieurs de ses amis ainsi que 4 ministres (sur 25) sont arrêtés, sur ordre des mêmes juges, pour faits de corruption. Erdogan crie au complot. Le procureur est dessaisi du dossier. Gülen toujours en exil, devient un terroriste, il perd la nationalité turque et un mandat d’arrêt international est lancé contre lui avec demande d’extradition. Les Etats-Unis n’ont pas donné suite.
Erdogan avait lancé de grands projets de travaux publics dans le pays et surtout à Istanbul : modernisation de la ville, tunnel sous le Bosphore, aéroport ultra-moderne, extension du métro, troisième pont sur le Bosphore, etc. C’est à l’occasion de ces travaux que des milliards de dollars ont/auraient été détournés.

En 2014, les Panama Papers dévoilent que des proches d’Erdogan et des dirigeants de l’AKP administrent des sociétés offshore. Complot ! 150 journaux, sites d’information et chaînes de télévision sont fermés.

Président

En Turquie, pour être élu président, il faut avoir fait des études universitaires. Des doutes subsistent sur les études d’Erdogan. Mais il arbore un diplôme de la faculté des sciences économiques et commerciales de l’université de Marmara… dirigée par un ami politique. Or, cette faculté n’existait pas lorsqu’il a obtenu son diplôme et il semble qu’on ne l’y ait jamais vu : il ne figure pas sur les photos de classe. L’avoir dénoncé a peut-être coûté la vie à Ömer Basoglü. Il a été retrouvé mort, mais l’enquête n’a pas confirmé l’assassinat.
Cette polémique ne l’empêche pas de remporter les élections de 2014 à une écrasante majorité et à devenir le premier président élu au suffrage universel. Il promet d’islamiser la Turquie et d’effacer l’héritage laïc de Mustapha Kemal. Pourtant il reste dans la voie tracée par Kemal.

Erdogan dans son nouveau palais sous la photo de Mustapha Kemal

En faisant référence au Coran, Erdogan déclare que les femmes sont inférieures aux hommes, leur tâche principale étant de faire des enfants (2014). Sa femme est un modèle : toujours voilée, elle suit docilement son mari et ne prend jamais la parole.
Dans le discours de fin d’année 2015, il compare son régime à celui de « Monsieur Hitler ».

Les programmes scolaires sont revus : le djihad est enseigné comme principe de l’islam, le darwinisme est supprimé. Des milliers de livres luxueux sont envoyés dans les établissements scolaires secondaires des pays européens pour dénigrer le darwinisme.

Nouveau « sultan »

Il déjoue une tentative de coup d’Etat militaire en 2016 en appelant la population à descendre dans la rue… comme Eltsine l’avait fait à Moscou. 250 personnes perdent la vie, 103.000 personnes sont arrêtées (chiffre officiel) dont 18.000 condamnées. 50.000 voient leur passeport confisqué. Rien ne peut plus lui résister : il dira que ce coup d’Etat est un don de Dieu. Beaucoup d’universitaires fuient vers l’Allemagne qui compte 3 millions de Turcs. La plupart acquis à Erdogan.

Le régime présidentiel qu’il soumet à référendum en 2017 est adopté à une courte majorité : 51% des voix grâce à l’appui des nationalistes (MHP : Parti d’action nationale). La presse d’opposition résume ainsi le nouveau régime : l’exécutif, c’est Erdogan, le législatif, c’est l’AKP et le judiciaire est nommé par le président. Il a rétabli de système de Kemal qui proclamait que la séparation des pouvoirs était une aberration qui empêchait le développement du pays.

La presse s’insurge ? On la muselle : des journalistes sont emprisonnés pour outrage, terrorisme ou espionnage. Celui qui a été accusé d’espionnage avait révélé que la Turquie livrait des armes à DAESH en échange de pétrole, photos à l’appui. 3000 journalistes ont perdu leur travail. Les médias sont maintenant contrôlés directement ou indirectement par l’Etat.
La Turquie occupe la 157ème position sur 180 selon l’indice de la liberté de presse.

Erdogan ne s’est pas oublié, il a fait construire un palais de 1000 pièces à Ankara. En comparaison, Versailles en compte 2300 et la Cité interdite de Pékin, 8700 !
Comme les sultans ottomans, il s’est entouré de janissaires.

Le palais d’Ankara et la garde présidentielle
Politique extérieure

La politique extérieure de la Turquie est très complexe. La Turquie fait partie de l’OTAN. Elle constitue la deuxième armée en nombre. Elle occupe une situation stratégique dans l’OTAN comme frontalière avec Russie, bien que depuis la crise de Cuba, les Etats-Unis aient dû démanteler les missiles pointés vers Moscou. Elle contrôle les détroits permettant l’accès de la Mer Noire vers la Méditerranée, points de passage obligés des navires russes. Mais cette situation ne l’empêche pas d’entretenir de très bonnes relations avec la Russie de Poutine. La Turquie a même acheté des missiles S400 à la Russie… missiles conçus pour abattre les avions de l’OTAN ! Elle sera punie, elle sera privée des F35 qu’elle avait commandés.

La Turquie se sent l’héritière de l’empire ottoman : la Syrie, l’Irak lui ont été arrachés au traité de Sèvres en 1920. Lors de la guerre d’Irak, Erdogan a refusé la présence de 62.000 soldats américains sur son territoire… même pour un chèque de 15 milliards de dollars.

La Turquie est proche de l’Iran chiite, son voisin, mais aussi des pays musulmans sunnites. Elle soutient l’intervention des Saoudiens au Yémen, mais elle accuse les mêmes Saoudiens de l’assassinat de Jamal Khashoggi dans leur ambassade à Istanbul. Elle veut se présenter comme l’autre représentant des musulmans dans le monde. En 2017 à Istanbul, lors du sommet des pays musulmans (Organisation de la coopération islamique : OCI), Erdogan a accusé l’Occident (ses alliés) de piller les richesses des pays musulmans.

Erdogan est également l’allié des Israéliens, mais ne manque pas de les critiquer lors des attaques sur la bande de Gaza. Il a déclaré : « Les Israéliens traitent les Palestiniens comme ils ont été traité eux-mêmes il y a 50 ans. » Il a envoyé une flottille pour briser le blocus de Gaza en 2010. Cette opération s’est soldée par un échec et la mort de 9 Turcs. Israël, accusé de terrorisme d’Etat, a présenté ses excuses.

La Turquie et l’Europe

La Turquie menace régulièrement l’Europe de laisser partir les 3,6 millions de réfugiés qui ont fui la guerre en Syrie et en Irak.
Si les négociations avec l’Union européenne se sont pas rompues, la Turquie sait depuis 2009 qu’elle ne peut espérer qu’un partenariat privilégié et non une adhésion complète.

Deux anecdotes pour suivre.
Pour le référendum de 2017, des meetings étaient prévus dans plusieurs pays européens. Les Pays-Bas ont interdit ces meetings sur leur territoire. La ministre turque de la famille, en tournée en Allemagne, a voulu bravé cet interdit et faire un discours à partir du balcon de l’ambassade (extraterritoriale). Elle a été arrêtée devant la grille et expulsée. Erdogan a traité les Pays-Bas d’Etat nazi et fasciste et a demandé des excuses… ce que le premier ministre Mark Rutten a refusé, qualifiant les propos d’Erdogan de nauséabonds et d’hystériques. L’Allemagne et plusieurs pays d’Europe ont pris parti pour les Pays-Bas.

Erdogan a reçu de nombreuses distinctions de par le monde, mais une seule lui a été accordée par un pays européen. La Belgique l’a gratifié de la plus haute distinction en 2015 : le grand cordon de l’ordre de Léopold, qui correspond à la légion d’honneur française. La grande différence entre les deux décorations réside dans le nombre de décorés : des centaines par an en France, 156 en tout en Belgique, surtout des hommes d’Etat belges et étrangers. Devant les critiques, le ministre des relations extérieures a expliqué : « C’est simplement une coutume lors d’une visite d’Etat: des décorations sont échangées entre chefs d’État. Il ne faut y voir qu’une tradition protocolaire. » Donc, pas besoin de la mériter.

Erdogan, le roi et le premier ministre belges lors de la cérémonie de remise de la décoration.
Et aujourd’hui (2019) ?

Erdogan est à l’apogée de son règne en 2016. L’AKP a apporté la stabilité au pays et favorisé son développement économique. Erdogan a gagné son pari : il a redonné son lustre à la Turquie, elle a sa place sur l’échiquier politique mondial. Il reste néanmoins très nostalgique de l’Empire ottoman. Lors de ses voyages au Kosovo et en Bosnie, il ne manque pas de rappeler les liens qui unissent ces pays et la Turquie (la religion et un passé commun). Il a déclaré que la Turquie ne devait pas avoir honte de son passé… lors de l’évocation de « la guerre civile » contre les Arméniens dont il refuse toujours de reconnaître le génocide.

La situation économique est florissante : le taux de croissance flirte avec les 10%. Les investissements étrangers affluent. Les grandes marques automobiles (Ford, Toyota, Renault, Volkswagen, Hyundai, Fiat, Mercedes) produisent un million de voitures par an dont plus de 80% sont exportées.

Mais dès 2018, tout s’arrête.
L’inflation atteint 25% en octobre, le salaire minimum est augmenté de 26%. Les constructeurs automobiles se désengagent suite à l’augmentation des salaires et à l’inflation. Le chômage remonte à 13%.

2019 est l’année noire. C’est une année d’élections municipales. Les partis d’opposition se regroupent, ils présentent une liste unique. L’AKP perd les villes d’Istanbul, d’Izmir et d’Ankara remportées par le CHP : le Parti républicain du peuple. Erdogan dénonce « les irrégularités, les abus et la corruption ». Gonflé le gars ! On recompte les voix à Istanbul, le vote est annulé… nouvelle élection. Le candidat social démocrate l’emporte à nouveau, non plus avec 8000 voix d’avance, mais avec 180.000 !
L’AKP doit faire face à de nombreuses défections dont un ex-président de ce parti et un ex-ministre.

Trois maires kurdes sont accusés de détourner l’argent de la ville au profit du terrorisme. Ils sont destitués et leurs villes placées sous le contrôle de gouverneurs désignés par l’Etat.

Erdogan doit réagir. Il doit regagner la confiance.
Le 9 octobre 2019, il envahit le nord de la Syrie pour y chasser les Kurdes. Les nationalistes se rallient à lui, sa popularité remonte. La question kurde a toujours été son joker.

A suivre

Le jour où Turquie gagna la guerre

La Grande Boucherie, organisée par des généraux incompétents et où les seuls vrais héros ont été fusillés pour insoumission, ne s’est pas terminée le 11 novembre 1918. L’après-guerre ne s’est pas réglée par le traité de Versailles le 28/06/1919. Ces événements n’ont concerné que le front ouest et l’Allemagne. Chaque vaincu a eu son traité : l’Autriche, celui de Saint-Germain-en-Laye le 10/09/1919, la Bulgarie, celui de Neuilly le 27/11/1919, l’Empire Ottoman, celui de Sèvres, le 10/08/1920 et quelques autres… 16 en tout.

Alors que la guerre ne fait plus de doute, l’Empire Ottoman a déjà perdu ses territoires d’Afrique et d’Europe. En Afrique, la France a occupé l’Algérie en 1830 et la Tunisie en 1881. L’Italie a envahi la Tripolitaine (Libye) en 1911. Quant à la Grande Bretagne, elle met l’Egypte sous tutelle en 1882 et en fait un protectorat en 1914. Si en Afrique, l’Empire a laissé faire, faute de moyens, en Europe, il vient d’être vaincu dans une guerre qui l’a opposé à la Grèce, à la Serbie et à la Bulgarie, guerre dans laquelle il a perdu les derniers lambeaux de territoires qu’il conservait en Europe (1912-1913).

En 1914, il entre en guerre, sans enthousiasme, aux côtés de l’Allemagne qui depuis quelques années l’aide. L’Allemagne a pris en main l’armée ottomane et construit les chemins de fer Berlin-Beyrouth et Damas-La Mecque.

En mars 1915, pour ravitailler les Russes, ses alliés français et britannique tentent de forcer le détroit des Dardanelles. C’est un échec, des mines barrent le passage et les canons ottomans, concentrés sur la péninsule de Gallipoli déciment la flotte, 10 navires sur le 18 engagés sont hors combat. Le 25 avril, des fantassins australiens, néo-zélandais et français débarquent sur la péninsule. Bloqués entre la mer et les falaises, ils resteront cloués sur place pendant près d’un an avant que les survivants soient ré-embarqués et redéployés en Grèce pour combattre la Bulgarie qui vient d’entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne. Les troupes ottomanes de Gallipoli sont commandées par le général allemand Otto Liman von Sanders, mais celui dont le monde va retenir le nom, est un jeune lieutenant-colonel de 34 ans, Ali Rıza oğlu Mustafa qui deviendra célèbre sous le nom de Mustapha Kemal (le parfait) auquel s’ajoutera plus tard le titre d’Atatürk (le père des Turcs).

NB : oğlu = fils de (comme ibn ou ben en arabe)

La victoire de Gallipoli n’empêche pas l’Empire de subir la défaite qui va le priver de tous ses territoires asiatiques excepté l’Anatolie et, chose exceptionnelle en 1918, va entraîner l’occupation de son territoire par les forces alliées.

AfterWar
Zones d’occupation et annexions prévues par le traité de Sèvres de 1920

Le traité de Sèvres prévoit la découpe des territoires d’Asie entre une Arménie et un Kurdistan indépendants, des mandats français sur deux  nouveaux pays : le Liban et la Syrie et des mandats anglais sur l’Irak, la Transjordanie et la Palestine, territoires créés artificiellement.

Mustapha Kemal prétextant que le sultan est retenu prisonnier à Constantinople par les Britanniques et qu’il est donc impossible de réunir le parlement, déplace celui-ci vers Ankara. Ce parlement, la Grande Assemblée Nationale, rejette le traité de Sèvres, et reprend la guerre. Très vite les Français abandonnent la Cilicie, les Britanniques évacuent la région de Constantinople et les Italiens sont repoussés. Kemal reste face aux Grecs. Dans un premier temps, ceux-ci avancent en Anatolie, mais après leur première défaite, les alliés leur retirent leur soutien tandis que le nouvel Etat soviétique offre son aide aux Turcs. Mais il faudra attendre octobre 1922 pour que l’armistice soit signé. Le traité de Lausanne (24 juillet 1923), qui remplace le traité de Sèvres, donne à la Turquie la souveraineté sur toute l’Anatolie, oubliant les Kurdes et les Arméniens. Il prévoit également un nettoyage ethnique, près d’un million de Grecs sont contraints à l’exil et partent vers la Grèce, 360.000 Turcs prennent le chemin inverse. Le nom du pays, Turquie (et non Anatolie) montre bien que c’est un pays mono-ethnique, celui des Turcs.

Mustapha Kemal devient président de la république. Il abolit le califat en 1924. Le dernier sultan Mehmet V avait repris le titre et appelé au djihad tous les musulmans en novembre 1914… sans beaucoup de succès.

Le but de Kemal est de « libérer la Turquie des forces obscurantistes », selon ses propres termes. Il supprime les confréries religieuses et les tribunaux islamiques. En 1925, la Turquie adopte le Code Civil suisse… juste après que Kemal ait répudié son épouse Latifé selon la loi musulmane. Elle était très libre, très éduquée et parlait plusieurs langues. Elle avait fait ses études à Paris. Kemal ne se remariera pas.

images (2)
Après son mariage, elle porta le voile lors des sorties officielles.

Les réformes vont continuer : la polygamie est supprimée, le fez est interdit ainsi que le port du voile pour les femmes. Cette mesure aura peu d’effet hors des villes. L’islam n’est plus religion d’Etat.

En 1928, l’alphabet arabe est remplacé par l’alphabet latin sous sa variante allemande. Le Coran est traduit en turc. Auparavant, il était lu en arabe par des personnes qui ne le comprenaient pas, comme la Bible en latin dans la religion chrétienne. Le pays connaît également un boum économique qui va permettre à la Turquie de ne pas subir la crise de 1929.

En 1930, Constantinople devient Istanbul du nom de la Vieille Ville : Stamboul.

Enfin, en 1934, tout citoyen dut adopter un nom de famille. Mustapha Kemal choisit Atatürk.