Les Martyrs (fin)

Pourquoi y a-t-il eu des persécutions en 303 ?

Plusieurs causes sont possibles.

Le refus du sacrifice ?

On entend souvent dire que les chrétiens ont été persécutés car ils refusaient de prêter allégeance à l’empereur ou à sacrifier aux dieux romains. En fait ce refus n’est pas la cause première de la persécution. Le sacrifice était une étape dans la procédure judiciaire, comme on prêtait serment sur la Bible dans nos sociétés, mais le refus d’obtempérer entraînait de facto la condamnation du prévenu.

Dans l’empire, les prévenus bénéficiaient de garanties, toute condamnation reposait sur des bases légales, les poursuites n’étaient pas le fait d’une volonté arbitraire d’un tyran. Les accusés pouvaient faire appel à un avocat. De plus, le système judiciaire reposait sur l’accusation, non sur une instruction : il n’y avait pas de police judiciaire ni de juges d’instruction. On était poursuivi sur accusation.

Législation sur les collèges

En Grèce comme à Rome, les associations ou « collèges », pouvaient se créer librement, à condition de respecter la législation de la cité et de ne pas troubler l’ordre public. Cette dernière condition induisait une certaine surveillance parfois méfiante des autorités envers les associations nouvelles ou semi-clandestines. Les collèges pouvaient tenir des réunions régulières, servir des repas communs, avoir des représentants, mettre des biens en commun, aider ses membres nécessiteux, posséder des concessions funéraires et assurer les funérailles de ses membres
C’est dans ce cadre légal que les premiers chrétiens ont été perçus, non comme membre d’une église universelle structurée.

Les persécutions ont pu se développer localement suite à une plainte contre les bonnes mœurs ou contre la sécurité de l’Etat. En cas de condamnation, les représentants (ici les évêques) étaient sanctionnés et les biens communs saisis. Ce qui peut expliquer qu’un évêque soit condamné à mort ou exilé et que les ornements dans le lieu de réunion soient confisqués.

L’attente de la parousie : la trahison

Les chrétiens vivaient dans l’attente du retour du Christ. Ce qui a donné toutes sortes de dérives : du refus de procréer jusqu’à la licence sexuelle effrénée. Les chrétiens se sentaient en exil dans l’empire romain qu’ils associaient à Babylone, lieu d’exil des Juifs au VI° siècle avant notre ère, ils aspiraient à la Jérusalem céleste. L’affaiblissement du pouvoir de Rome donna espoir à délivrance et à l’avènement du royaume de Dieu sur terre, d’autant plus que les Perses étaient aux portes de l’empire. Or ce sont les Perses qui avaient mis fin à l’exil des Juifs.

Lors du siège d’Antioche (252 et 260), des chrétiens de Syrie se sont ralliés aux Perses, ce qui a été vu comme une trahison par Rome. Des chrétiens furent exécutés comme traîtres et la religion manichéenne, venant de Perse, a été momentanément interdite.

Mais depuis, Dioclétien a conclu une paix avec les Perses en 297 qui dura 40 ans. Ce n’est donc pas la cause de la persécution de 303.

La haine de la mode de vie romain

La lecture de l’Apocalypse de Jean donne une idée précise de la haine des chrétiens pour Rome. Les chrétiens ont-ils vu dans la Tétrarchie les quatre cavaliers de l’Apocalypse (hypothèse) ?

De nombreux chrétiens étaient très bien intégrés dans l’empire. Les empereurs, dont Dioclétien, comptaient des chrétiens parmi leurs proches conseillers. Ils étaient aussi représentés à tous les niveaux hiérarchiques de l’armée.

Toutes les tendances étaient donc représentées, comme pour les musulmans dans nos pays : des intégrés aux intégristes.

Le choix du martyre

Qui mieux que Tertullien (155-222) illustre cette attente du martyre : « Notre combat à nous, c’est d’être traduits devant les tribunaux afin d’y lutter, au péril de notre vie, pour la vérité. Or, c’est remporter une victoire que d’atteindre le but pour lequel on lutte. Et cette victoire a un double résultat : la gloire de plaire à Dieu et le butin qui consiste à la vie éternelle… le sang des chrétiens est une semence.« .
Les chrétiens sont persuadés de détenir la vérité et ils luttent contre le mensonge, contre le Diable. Mourir en martyr ouvre les portes du Paradis.

Ce qu’en disent Lactance et Eusèbe de Césarée

Pour Eusèbe de Césarée, c’est très simple, c’est écrit dans la Bible : « Le Seigneur étendit les ténèbres de sa colère sur la fille de Sion… « . A cause de la grande liberté de culte dont ils jouissaient, les chrétiens se sont complus dans la mollesse et la nonchalance (sic). Dieu les a puni. Curieusement, on verra que ce thème est repris dans l’édit de tolérance de Galère en 311.

Lactance, pour sa part, cherche réellement une cause à la persécution. Pour lui, tout commence lorsque l’empereur consulta les haruspices entourés de sa garde rapprochée. Les chrétiens qui la composaient « marquèrent leurs fronts du signe adorable de la croix » et patatras, les dieux sont restés sourds à la demande de l’empereur. La prédiction n’a pas pu se faire : le foie de l’animal ne présentait pas de protubérances. Il fit fouetter les coupables et demanda qu’on fasse prêter allégeance à tous les militaires en excluant ceux qui refuseraient. Lactance conclut « sa colère n’alla pas plus loin« .

C’est Galère, son césar qui va déclencher les hostilités profitant du courroux de Dioclétien. Sa mère était très superstitieuse et elle s’irritait que son entourage chrétien évite sa table et préfère le jeûne et les prières à la bonne chère. Comme on peut le constater, il y a des chrétiens partout.

Dioclétien résista longtemps aux propositions de Galère, puis s’inclina, recommandant que les choses se passent sans effusion de sang. Toujours d’après Lactance.

Un édit fut affiché qui « déclarait infâmes tous ceux qui faisaient profession de la religion chrétienne« . Un chrétien mis le feu à l’édit. Il fut condamné au bûcher. Ensuite, quelqu’un bouta le feu au palais de l’empereur… et on accusa les chrétiens. Domitien fit brûler tous ses domestiques.

Voilà, d’après Lactance, l’origine de la persécution.
Deux remarques s’imposent :

  1. Comment les édits étaient-ils « affichés » dans toutes les villes de l’empire alors que les Romains ne connaissaient ni le papier, ni l’imprimerie, ni les moyens de reproduction ? Eusèbe prétend qu’ils étaient en airain. Alors comment les brûler ?
  2. Les édits dont on parle ne nous sont connus que par les écrits chrétiens. Si Lactance parle d’un édit, Eusèbe nous détaille quatre édits, dont je reparlerai.

Quelle a été l’ampleur de la persécution ?

Y a-il eut persécution ?
Sans aucun doute. Outre les témoignages de Lactance et d’Eusèbe qu’on peut accuser d’exagération, d’apologie et de subjectivité, l’émergence du donatisme (du nom de son initiateur, l’évêque Donat) en Afrique du nord en est la preuve. Donat qui avait été persécuté… mais toujours en vie, décréta que les évêques qui avaient « failli » en prêtant allégeance à Rome ne pouvaient plus exercer leurs fonctions, les sacrements qu’ils donnaient n’avaient plus de valeur.

Lactance ne détaille pas les souffrances endurées par les martyrs, au contraire d’Eusèbe. Il nous dit simplement : « Quand j’aurais cent langues et cent bouches et une voix de fer, je ne pourrais pas raconter les divers tourments dont les fidèles furent affligés« . Il nous dit que la persécution ne s’est pas étendue à la Gaule… qui était gouvernée par le père de Constantin,… ça aurait fait tache. On apprend qu’à la fin de la persécution, un de ses amis, qui avait été arrêté, sort de prison (en vie). Pour rappel, lui n’a jamais été inquiété.

Par contre, Lactance s’étend longuement sur une persécution qui touche tous les Romains : « Galère dégrade les magistrats, applique la question aux plus illustres des citoyens, traîne les femmes de qualité au gynécée« . Il torture, brûle, crucifie : « plus d’éloquence, plus d’avocats, tous les jurisconsultes relégués ou morts« . La raison de cet accès de folie est flou. Tout d’abord, Lactance impute à Galère le désir de voir tous les Romains réduits en servitude. Idée qui lui serait venue lors de sa victoire contre les Perses 5 ans auparavant. Il nous dit ensuite que la luxure en est la cause avant d’accuser sa cupidité : « on ne pouvait ni vivre ni mourir gratuitement« .

Eusèbe de Césarée est beaucoup plus prolixe sur les arrestations, tortures et mises à mort. Chaque cas révèle des tourments différents. Il détaille en outre quatre édits, qui se trouvent dans l’Histoire ecclésiastique, livre IX :

  1. Le premier est affiché le 24 février 303. Il prévoit la destruction des édifices de culte chrétiens et leur écrits. Tout chrétien est privé de ses charges et de ses droits. Notons qu’à la fin de la persécution, les édifices et les biens seront rendus aux chrétiens.
  2. Le deuxième date du printemps de la même année : tout le clergé chrétien est arrêté. Eusèbe n’est pas du lot !
  3. Le troisième suit en automne 303 : toute personne exerçant une fonction dans l’empire doit sacrifier à l’empereur.
  4. Et enfin, début 304, tous les chrétiens sont nommément appelés à sacrifier. On se croirait projeter en France en 1942 lorsque la police arrête les juifs fichés. On ne peut pas croire que les Romains gardaient des listes de chrétiens. Et une nouvelle fois, Eusèbe n’est pas inquiété… à moins qu’il ait sacrifié, le traître !

Dans son livre « sur les martyrs en Palestine », il détaille toutes les arrestations et exécutions. Le premier martyr, Procope est arrêté en juin 303… pour avoir critiqué l’empereur. Alors que suivant les édits, tout le clergé aurait déjà dû être sous les verrous. Si on poursuit la lecture, les martyrs suivants sont exécutés en décembre. La justice était déjà lente.

Je ne résiste pas à vous faire partager un supplice que les Romains ont réservé aux chrétiens de Tibériade, d’après Eusèbe qui était présent. Une « machine » a permis de ployer les arbres jusqu’à ce que leurs plus hautes branches touchent terre. On attacha les jambes des suppliciés à deux branches distinctes et on relâcha la pression. Les martyrs furent projeter vers le ciel et écartelés. Quelle imagination ces chrétiens… heu pardon, ces Romains.

Comment la persécution a-t-elle pris fin ?

La Tétrarchie n’a pas été un long fleuve tranquille. En 303, elle est au faîte de sa gloire : les quatre empereurs, tous victorieux sur les différentes frontières, se retrouvent à Rome pour célébrer les 20 ans de règne de Dioclétien.

En 305, les augustes, Dioclétien et Maximien, abdiquent volontairement. Galère et Constance Chlore deviennent logiquement augustes et se choisissent Maximin Daïa et Sévère comme césars. Jusque là, tout va bien.

En 306, l’anarchie reprend à la mort de Constance Chlore lors d’une campagne contre les Bretons. Son fils, Constantin est proclamé auguste par ses troupes. Maxence, le fils de l’ancien auguste Maximien, se proclame auguste à Rome. Sévère, l’héritier désigné est assassiné. S’en suit une période troublée qui voit le retour de Dioclétien pour arbitrer le conflit. En vain.

En 310, Galère qui s’est maintenu comme auguste en Orient, plus calme, s’associe à Constantin qu’il reconnaît comme auguste d’Occident.

Mais il faut attendre 312 et la victoire des légions de Constantin sur celles de Maxence à Rome, conjuguée à l’élection de Licinius en Orient pour qu’un semblant de paix soit rétablie.

Entre temps, en 311, Galère, à l’article de la mort, publie un édit rétablissant la liberté religieuse, restituant édifices et biens confisqués et prévoyant la réparation des dommages causés. Lactance nous donne une copie de cet édit en 20 lignes d’une page A4. Il spécifie que Galère a mis fin à la persécution pour que les chrétiens prient pour sa santé. Le texte de l’édit repris par Eusèbe est totalement différent, mais comme il le dit, il l’a traduit du latin.

Dans cet édit, Galère justifie les poursuites par le fait que les chrétiens avaient abandonné la secte de leurs ancêtres et qu’ils avaient promulgués des lois contraires aux lois romaines. Il leur permet donc de tenir à nouveau leurs assemblées, mais de ne plus rien faire contre les lois. Lactance et Eusèbe sont d’accord sur le fond. Pour Lactance, les prisonniers sortent des geôles, pour Eusèbe, ils reviennent des mines.

En 313, Constantin et son beau-frère Licinius, réunis à Milan, confirment la politique de tolérance… pour que l’ordre règne dans l’empire.

Leur amitié, faite de haut et de bas, prend fin en 324 lorsque Constantin fait assassiner Licinius après l’avoir vaincu sur le terrain. Il prend seul la direction de l’empire et nomme ses deux fils Constantin II et Constance II césars. La même année, il transforme la ville grecque de Byzance, la capitale de la Thrace, sur la rive européenne du Bosphore pour en faire sa capitale : Constantinople.

Sur son lit de mort en 337, il se fait baptiser. Il sera le premier empereur chrétien (à moins que ce ne soit Philippe l’Arabe). Curieusement, alors qu’en 325, il avait convoqué le concile de Nicée pour mettre fin aux disputes dogmatiques entre les chrétiens, concile qui avait rejeté l’arianisme, il se fait baptiser par un évêque arien : Eusèbe de Nicomédie.

Les historiens discutent encore pour savoir si Constantin était déjà un chrétien convaincu longtemps avant sa mort. Sur la pièce de monnaie d’un solidus, monnaie qu’il a créée et qui perdurera des siècles sous le nom de « sol » puis de « sou », on voit Constantin protégé par le dieu Sol Invictus… et sur le bord droit, entouré, ce qui semble être un chrisme.

Solidus datant de 313

Les auteurs chrétiens ont encensé Constantin malgré les meurtres commis sur des membres de sa famille et sa conversion à l’hérésie arienne. Il a été canonisé par l’Eglise orthodoxe. Mais les auteurs non chrétiens ont une toute autre vision, comme Zosime, un historien grec de la fin du V° siècle. Son « Histoire nouvelle » est miraculeusement arrivée jusqu’à nous, copiée par des moines byzantins. Pour lui, la décadence de l’empire est dû à deux causes :

  1. La négligence de Constantin, davantage préoccupé par son faste et ses plaisirs que par la sécurité des frontières. Le mal fut aggravé par son fils Constance II, et Julien (empereur païen) n’eut pas le temps de réparer les effets. Il fut tué lors de la guerre contre les Perses d’une flèche dans le dos tirée par un de ses légionnaires chrétiens, dit-on.
  2. La protection accordée à un culte nouveau, le christianisme, et l’abandon des dieux auxquels les Romains devaient depuis longtemps leur gloire et leur prospérité.

Épilogue.

Le christianisme romain, c’est à dire, le catholicisme est sorti victorieux de son bras de fer avec l’empire. En 380, il devient la religion d’Etat.

Et les persécutions peuvent commencer.
Les chrétiens vont s’en prendre à tous ceux qui ne sont pas de leur avis : les juifs, les hérétiques, les païens, les philosophes néoplatoniciens. La figure marquante de ces pogroms est la philosophe, mathématicienne et astronome grecque Hypatie qui fut rouée de coups, démembrée et brûlée à Alexandrie en 415 avec l’assentiment de l’évêque Cyrille. Comble de l’ironie, elle aurait servi de modèle à Sainte Catherine. Cette fête religieuse a disparu du calendrier romain en 1969, « en raison du caractère fabuleux de sa passion » et du doute qui pèse sur l’existence même de la sainte.

Si le Vatican commence à se poser des questions sur la réalité de ses saints, le calendrier sera bientôt vierge.

Les martyrs (2me partie)

Pour justifier leur statut de martyr, les chrétiens, au cours des siècles, ont colporter de fausses idées sur le statut de leur religion dans l’empire romain. Ne perdons pas de vue que la plupart des documents en notre possession ont été copiés et recopiés par des moines instruits ou non et que les interpolations ne sont pas à négliger.

Une question de vocabulaire
Le vocabulaire a évolué avec le temps. Martyr en grec (μάρτυρας) signifiait « témoin » et non pas « torturé et mort dans d’atroces souffrances ». Il n’est pas rare de lire dans les textes anciens : « il se disait martyr  » (donc en vie). Dans les Actes des Apôtres (1, 8), Jésus dit « vous serez mes témoins à Jérusalem » qui est la traduction de « μοι  μάρτυρες ἔν τε Ἱερουσαλήμ ».

Persécution (persecutio en latin) veut simplement dire « poursuite » que ce soit judiciaire ou non. En anglais, « prosecutor » signifie « procureur », celui qui poursuit les délits. Lors des combats de gladiateurs, très réglementés, le secutor est celui qui poursuit son adversaire, le rétiaire, un combattant léger, au filet et au trident.
Donc, « persécuter les martyrs » signifiait « poursuivre en justice ceux qui témoignent de leur foi (chrétienne) ».

La religion chrétienne s’est rapidement propagée dans l’empire.
Vrai et faux.
On estime qu’au début du IV° siècle, les chrétiens représentaient moins de 5% de la population de l’empire romain, avec de fortes disparités. La Gaule et l’Espagne sont peu christianisés. Les chrétiens sont moins présents dans les campagnes que dans les villes. Rome devait compter 10% de chrétiens. C’est en Egypte que l’on trouvait le plus de chrétiens, environ 20% de la population d’Alexandrie.

Notons que l’on ne trouve pas de traces de présence chrétienne à Pompéi, détruite en 79 de notre ère.

Jusqu’au premier quart du II° siècle, les Romains ne font pas de différence entre les juifs et les chrétiens considérés comme une secte juive. Pline le Jeune, sénateur de 80 à sa mort en 115 (ou 113) ne connaît pas les chrétiens. A la fin de sa vie, comme gouverneur de Bithynie, il s’interroge sur « ces gens qui à l’aube chantent des hymnes à Christos, comme si c’était un dieu« .

Donc, les persécutions de chrétiens sous Néron (54-68) ou Domitien (81-96), sont très peu probables. Néron a certainement condamné au bûcher les incendiaires de Rome et Domitien fut un tyran, assassinant plusieurs membres de sa famille… mais ils n’ont pas visé spécifiquement les chrétiens.

La religion chrétienne était interdite.
Faux.
Les Romains acceptaient tous les dieux, ils avaient même créé un temple en leur honneur, le Panthéon. Dans les Actes de Pierre, que j’ai déjà cité, un sénateur dit à Pierre qui hésitait à parler : « rassure-toi, les Romains sont les amis des dieux« . C’est un auteur chrétien de la fin du II° siècle qui l’écrit.

Nous avons connaissance de deux religions qui ont été momentanément interdites pour trouble à l’ordre public : la procession en l’honneur d’Attis, car les adeptes s’émasculaient en rue et le culte de Bacchus (en -186) suite à un scandale politico-érotique.

Les chrétiens pratiquaient leur religion au grand jour. On recense de nombreux déplacements d’évêques pour assister à des synodes (locaux) ou des conciles (généraux) pour juger les hérésies… qui foisonnaient à l’époque. Eusèbe cite un concile à Rome qui a rassemblé « 600 évêques et un bien plus grand nombre de prêtres et de diacres« . Origène (III° siècle) rassemblait « des milliers d’hérétiques, qu’il convertissait, et un grand nombre de philosophes parmi les plus distingués« . Ce même Origène, qui sera bien sûr persécuté (emprisonné), est appelé, après sa libération, en Arabie (en fait à Bosra, en Irak) à la demande du gouverneur pour « donner connaissance de sa doctrine« . Origène nous conte lui-même les supplices qu’il a dû endurer durant son incarcération… mais doit-on le croire, lui qui était ce qu’on qualifierait maintenant de sado-masochiste. Ne s’est-il pas émasculé à l’âge de 17 ans ?

Notons que les auteurs ne sont pas à une exagération près et que la mention de « prêtres » est peut-être un anachronisme : les prêtres dans la religion chrétienne n’apparaissent qu’au début du IV° siècle.

Eusèbe de Césarée dans le septième livre de son Histoire ecclésiastique, où il reprend des textes de Denys d’Alexandrie (III° siècle), nous dit que dans cette ville, Denys a fait appel à l’empereur Aurélien pour chasser de l’évêché un évêque hérétique. Et ce ne sont que quelques exemples.

Les premiers chrétiens se réunissaient dans les catacombes à Rome.
Faux.
Nous devons cette invention à Chateaubriand dans son ouvrage Les Martyrs. Les catacombes de Rome étaient des carrières qui ont été exploitées jusqu’au début du III° siècle. Comme les emplacements vacants devenaient rares à Rome, elles ont servi, par la suite, de cimetières aux chrétiens, mais aussi aux juifs et aux Romains qui désiraient garder trace de leurs défunts.

Dans un premier temps les chrétiens se réunissaient dans les synagogues ou au domicile d’un adepte avant de faire construire des églises de plus en plus richement ornées. Une grande église dominait même le palais de Dioclétien à Nicomédie et contrairement à ce qu’affirment certains, elle ne fut pas brûlée lors de la persécution car, d’après Lactance, l’empereur « craignait que l’embrasement se répandit aux grandes maisons voisines« … Elle fut néanmoins rasée.

Les habitants de l’empire devaient sacrifier aux dieux romains.
Vrai et faux.
Assister à un sacrifice était un grand honneur, car le sacrifice se faisait en petit comité, et en silence. Le déroulement devait être parfaitement respecté sous peine de nullité du sacrifice. Seuls les hommes libres ayant la citoyenneté romaine pouvaient y participer.

En 212, Caracalla étendit le droit de cité à tous les hommes libres de l’empire romain. Ce qui implique que tous les habitants de l’empire pouvaient s’engager comme légionnaire, qu’ils soient Romains ou Barbares : il crée ainsi une armée de Macédoniens et de Spartiates. Mais la citoyenneté romaine n’oblige pas les « étrangers » à abandonner leurs droits et coutumes locales.

Aurélien (270-275) institutionnalisa le culte solaire de Sol Invictus, divinité originaire d’Orient (Syrie) et très populaire dans les armées du Danube, fêtée le 25 décembre. L’empereur s’identifia à cette divinité. Sur ses monnaies, on trouve l’inscription « deus et dominus natus », né dieu et seigneur.

L’empereur est ainsi le seul à assurer la prospérité et la sécurité de l’empire. En cas de besoin, il sera demandé aux citoyens de prêter allégeance à l’empereur, à Rome. Cérémonie qui consiste soit à brûler de l’encens, à faire une offrande en fruits ou céréales ou à se courber devant sa stature, là où il y en a une. Tout refus sera considéré comme une trahison et passible de poursuite. C’est la cause première de la persécution des chrétiens qui n’avaient probablement pas lu les évangiles où Jésus dit : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.« . On verra que, néanmoins, beaucoup de chrétiens sacrifieront à l’empereur ou obtiendront une dispense. Ce qui plus tard posera problème, on en reparlera.

Notons que jamais les habitants d’une ville n’ont dû de sacrifier à l’empereur collégialement.

Les chrétiens étaient martyrisés lors des jeux du cirque.
Vrai et faux.
Dans l’empire, les jeux étaient très codifiés et leur contenu dépendait de l’organisateur, l’empereur ou un édile, et de la taille du cirque. Le clou du spectacle était les gladiateurs, les stars de l’époque, qui paradaient dans les rues la veille des jeux. Les gladiateurs étaient des hommes libres qui s’engageaient pour une certaine période, souvent 5 ans, auprès d’un laniste. C’étaient donc des professionnels rémunérés pour leurs combats. Au cours de son engagement, un gladiateur ne combattait pas plus de deux ou trois fois par an avec une arme réelle. On estime que 10 à 15% mourraient des suites du combat, souvent d’une blessure mal soignée. La plupart se retiraient fortune faite.

Les jeux organisés par les empereurs commençaient par une chasse aux bêtes exotiques ou par une reconstitution d’un combat naval (dans le Colisée, par exemple). A midi, on exécutait les condamnés à mort. C’est à cette occasion que certains chrétiens ont pu mourir dans le cirque. Mais Lactance n’en parle pas lorsqu’il évoque l’inauguration du cirque que Dioclétien a fait bâtir à Nicomédie. Eusèbe ne parle pas de jeux du cirque. L’après-midi était consacré aux combats de gladiateurs, qui se déroulaient sous le contrôle d’arbitres.

Nous n’avons que deux mosaïques montrant un condamné dévoré par un fauve. Et bien entendu, la tradition y voit un chrétien.

La troisième partie de cet article est consacrée à la façon dont Eusèbe de Césarée et Lactance ont vu et vécu la grande persécution de 303.