Le Nouveau Testament comporte des affirmations embarrassantes pour le dogme chrétien comme le passage de la 1ère Épître de Paul aux Corinthiens qui dit : « le chef du Christ, c’est Dieu », en totale contradiction avec le dogme de la Trinité. Mais ce qui nous occupe ici, c’est un passage de l’Évangile de Matthieu (13, 55) : « Celui-ci n’est-il pas le fils du charpentier ? Et sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie, et ses frères, Jacques, Joseph, Simon et Jude ? Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? »
Voici qui met à mal le dogme de la virginité de Marie.
Des fils de Marie
Les Églises protestantes s’en tiennent strictement au texte : Marie a bien eu des enfants après la naissance de Jésus, ce qui ne contredit pas sa virginité à la naissance de Jésus. Ne lit-on pas, toujours dans l’Évangile de Matthieu : (1, 25) « Il (Joseph) prit chez lui son épouse, mais ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus. »
Des cousins de Jésus
Par contre, les Églises catholique et orthodoxe restent sur leurs positions : Marie est restée vierge perpétuellement. Elle n’a donc pas pu donner naissance à d’autres enfants. Bien mieux, le 8 décembre 1854, le pape Pie IX, probablement inspiré par le Saint-Esprit, déclara Marie sans souillure, exempte du péché originelle : elle n’aurait pas été conçue comme tout être humain qui d’après le christianisme est entaché du péché originel dès sa conception. C’est le dogme de l’Immaculée Conception.
Alors, qui sont Jacques, Joseph, Simon et Jude ? De simples cousins d’après Jérôme de Stridon, dit Saint-Jérôme (347-420), le traducteur de la Bible en latin. D’après lui, c’est une coutume sémite d’appeler ses proches du nom de « frères ». Mais tous les textes du Nouveau Testament sont écrits en grec, par des Grecs qui connaissent la différence entre adelfos (le frère) et anepsios (le cousin) ! Les évangiles ne désignent jamais Jean le Baptiste comme frère de Jésus. Or ils sont parents.
L’Église catholique interprète différemment le verset 1,25 de l’Évangile de Matthieu : « Il (Joseph) prit chez lui son épouse, mais ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus. » Pour elle, rien ne dit que Joseph connut Marie après la naissance de Jésus.
D’ailleurs, réplique le Vatican, nulle part, on ne parle des fils de Marie, simplement des frères de Jésus. Et lorsque Jésus, sur sa croix, pense à l’avenir de sa mère, il ne la confie pas à l’un de ses frères, mais à Jean, apôtre et évangéliste… Pas si vite ! Ce n’est pas ce qui est écrit dans l’Évangile… de Jean (19, 26) : « Voyant ainsi sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit à sa mère : femme voici ton fils. Il dit ensuite au disciple : voici ta mère. » Le disciple que « Jésus aimait » n’est pas identifié, il peut être n’importe qui ! J’ai consacré un article à ce sujet.
L’Évangile de Thomas qui rapporte 114 paroles attribuées à Jésus va plus loin, il fait de Jude le jumeau de Jésus. L’évangile commence par : « Voici les paroles cachées que Jésus le Vivant a dites et qu’a écrites son jumeau, Jude Thomas« . NB : en araméen, jumeau se dit Thomas, Didyme en grec.
Des beaux-fils de Marie
Les cousins restent l’option retenue officiellement par les Églises catholique et orthodoxe. Une autre hypothèse a été émise pour sauvegarder la virginité de Marie : les frères de Jésus sont des enfants d’un premier mariage de Joseph !
Que savons-nous de Joseph ? « L’histoire de Joseph le Charpentier« , un apocryphe tardif écrit en copte fourmille de détails à son sujet. Joseph a été marié à 49 ans et a eu 6 enfants, quatre garçons, Judas (Jude), Joset (Joseph), Simon et Jacques, le plus jeune, et deux filles Lycie et Lydie. Il a 90 ans lorsque Marie, âgée de 12 ans, lui est confiée par les prêtres du temple de Jérusalem où elle officiait depuis l’âge de 3 ans. À ce moment, Jacques n’est encore qu’un bébé. Marie a 15 ans lorsqu’elle met au monde Jésus. Un rapide calcul nous informe que Joseph a 93 ans. Il meurt à l’âge de 111 ans, alors que Jésus est âgé de 18 ans.
Curieux, car dans les évangiles canoniques, Jésus a l’air d’être l’aîné. Son frère Jacques n’est pas le plus jeune de la fratrie puisque c’est lui qui aurait succédé à Jésus. Simon sera, suivant la tradition rapportée par Eusèbe, le chef de la communauté de Jérusalem en 66 lors de la révolte juive contre les Romains, remplaçant Jacques mort en 63.
De plus, Joseph se rend au temple pour « racheter » son premier fils suivant la Loi juive, d’après l’Évangile de Luc (2, 23) : « Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur ». Le rachat s’est soldé par le sacrifice de deux tourterelles ou deux pigeons (Luc : 2, 24)
D’autres auteurs vont plus loin… dans l’absurde : ces enfants sont ceux de Clopas, qui est le frère de Joseph d’après Eusèbe de Césarée. Clopas avait pour épouse Marie. Quelle Marie ? Certains n’hésitent pas à voir dans cette épouse, Marie, mère de Jésus qui aurait épousé Clopas, frère de Joseph, à la mort de celui-ci, selon la loi du Lévirat. Mais cette loi hébraïque qui oblige le beau-frère à épouser la veuve de son frère mort, pose une condition : ce mariage a pour but de perpétuer le nom du défunt… mort sans enfant. Ce qui n’est pas le cas, Jésus a été reconnu par Joseph au Temple de Jérusalem.
Simple coïncidence ?
A la mort d’Hérode le Grand, en -4, Judas le Galiléen (ou Judas de Gamala, ville qui n’est pas en Galilée) prend les armes pour s’opposer au recensement fiscal consécutif à la prise de pouvoir des Romains en Judée. Il se proclame « messie » et s’associe à un prêtre Sadoq, comme annoncé dans les écrits de la secte de Qumran.
Que vient faire ce personnage dans un article consacré aux frères de Jésus ? Ce sont ses fils qui nous intéressent : Flavius Josèphe nous dit que Simon et Jacques, ses fils, ont été crucifiés sur l’ordre du procurateur de Judée Tibérius Alexandre vers 45 comme agitateurs, séditieux pour Josèphe. NB : En 45, le gouverneur de la Judée porte bien le titre de procurateur, tandis que Ponce Pilate n’était que préfet de 26 à 36. C’est l’empereur Claude (41-54) qui a changé le statut de la Judée devenue province impériale.
Le professeur Robert Eisenman, directeur du département d’études religieuses de l’UCLA (Université de Californie à Los Angeles), dans son livre « Maccabees, Zadokites, Christians and Qumran » défend la thèse que les zélotes, les esséniens et les nazaréens ne sont qu’un seul et même mouvement messianique.
De plus, il sous-entend que les familles de Jésus et de Judas de Gamala étaient probablement identiques. Il écrit : « Toute la question des liens physiques entre ces deux familles messianiques reste encore à étudier. Mais le développement parallèle des familles… devrait donner à réfléchir aux historiens ». En effet, cette famille, apparemment d’après Flavius Josèphe, se composait de 5 fils et de 2 filles.
Luigi Cascioli dans sa monographie auto-publiée « La Fable du Christ » défend la même idée. Pour lui, Jésus est le fils de Judas de Gamala prénommé Jean et dont on ne trouve aucune trace chez Flavius Josèphe. Les chrétiens auraient substitué Jésus à Jean, c’est lui que Josèphe ou un copiste appelle l’Égyptien dans le livre XX des Antiquités Juives. Je parlerai peut-être un jour de cette théorie.
Conclusions
Les évangiles ne sont pas des livres historiques : ils ne racontent pas des faits avérés, indiscutables. Les « vérités » qui s’y trouvent sont des vérités théologiques : les fidèles doivent y croire… mais pas les autres.
Un groupe de chercheurs américains, le Jesus seminar, a essayé de déterminer (par vote) quels étaient les événements qui avaient le plus de chances d’être des faits historiques et la liste des frères de Jésus leur semblait être un bon exemple. Leur critère ? C’est trop gênant pour le dogme, ça place l’Église dans une situation inconfortable. Dans le passé, il n’y avait pas trop de problèmes, peu de personnes, sauf les clercs, lisaient la Bible. Depuis le début du XXe siècle, la situation a changé et les chercheurs n’hésitent plus à critiquer le contenu des livres.
2 commentaires sur “Les frères de Jésus”