J’ai déjà consacré un article aux origines des Hébreux (https://traditionreligieuseethistoire.com/2019/11/22/dou-viennent-les-hebreux/). Ici, je vais résumer le livre de Shlomo SAND, un historien israélien. Le peuple dont il s’agit dans son ouvrage est celui de l’actuelle Israël.
L’auteur dénonce la falsification de l’Histoire pour créer un lien entre les habitants de Judée du premier siècle et les Israéliens d’aujourd’hui. Les Israéliens croient que les Juifs sont de retour sur la terre de leurs ancêtres après avoir été chassés par le général et futur empereur romain Titus en l’an 70 de notre ère. C’est le retour de la diaspora après l’exil forcé. Mais c’est historiquement faux.
Ce principe est inscrit sur les billets de 50 shekels (environ 12 EUR) représentant le prix Nobel de littérature Shmuel Agnon (1966). Il a déclaré lors de la cérémonie de remise de son prix : « Je suis né dans l’une de ces villes de l’exil, issue de la catastrophe historique au cours de laquelle Titus, le gouverneur romain, détruisit la ville de Jérusalem et exila Israël de son pays…« . Prix Nobel de littérature, mais pas d’histoire !

l’auteur : Shlomo SAND
Shlomo Sand est professeur émérite d’histoire générale à l’université de Tel-Aviv. Il insiste sur « professeur d’histoire générale« , car en Israël, les universités comptent deux départements d’histoire : l’histoire générale et celle d’Israël. Bien que son livre ait connu un grand succès, même en Israël, Shlomo Sand a été critiqué par ses pairs pour avoir osé parler d’un sujet pour lequel il n’était pas qualifié. Il va donc nous fournir un récit détaillé et documenté.
La naissance d’un peuple
Au milieu du XIXe siècle, en Europe, le judaïsme constituait une communauté religieuse et certainement pas un peuple nomade ou une nationalité étrangère. Dans les communautés juives, la Bible n’était pas considérée comme une œuvre indépendante, elle servait de support au Talmud qui la commentait.
Vers 1850, l’écrivain Heinrich Graetz a forgé le modèle national d’histoire des Juifs avec une majuscule. Il a fait des Juifs un peuple-race déraciné de sa patrie, le pays de Canaan, reprenant le mythe chrétien du juif errant.
Du coup, la Bible est devenue un livre d’histoire, un outil parfait pour la construction d’une réalité nationale. D’autres historiens juifs vont suivre la même voie.
Ce nationalisme est bien dans l’air du temps. Dans les empires qui règnent en Europe, austro-hongrois, russe et ottoman, les peuples réclament leur autonomie. Ces empires sont multiethniques et multiculturels. C’est à la même époque que la notion de races est théorisée. Les intellectuels juifs déclarent que la « race juive est une race pure qui a reproduit l’ensemble de ses caractéristiques malgré la dispersion et les influences climatiques« .
Restait à définir le moment de l’exil. Dans la Bible, on peut lire que les habitants de Juda partent en exil à Babylone après la destruction de leur temple par Nabuchodonosor (-586). Il devait en être de même lorsque le second temple a été détruit par Titus en 70 de notre ère… bien qu’aucun auteur n’en parle. Le mythe était né.
David Ben Gourion, dans la déclaration d’indépendance de 1948, embrayera de façon très personnelle sur l’histoire : « Contraint à l’exil, le peuple juif demeura fidèle au pays d’Israël à travers toutes les dispersions, priant sans cesse pour y revenir, toujours avec l’espoir d’y restaurer sa liberté nationale.«
Où étaient les juifs avant la création de l’État d’Israël ?
On peut se poser la question de savoir pourquoi on trouve des juifs partout dans le monde s’ils n’ont pas été dispersés volontairement.
Dans l’Empire romain.
Déjà dans l’Empire romain, on les retrouvait partout. Ils sont chassés de Rome sous l’empereur Claude, le « Livre des Apôtres » dans le Nouveau Testament nous dit que Paul va prêcher dans les synagogues lors de ses voyages. Une importante communauté juive réside à Alexandrie, dont fait partie le philosophe Philon, contemporain de Jésus, qui défendra sa communauté auprès de l’empereur Caïus Caligula. On retrouve aussi de nombreux adeptes du judaïsme en Cyrénaïque (Libye). Ceux-ci se révolteront contre les Romains entre 115 et 117.
La diaspora juive se constitua progressivement, sur une longue période, pour des causes diverses : commerce, guerre (comme mercenaires ou esclaves), réfugiés et même prosélytes. Des mariages mixtes, des conversions et les milieux culturels et linguistiques ont dilué leur judaïcité. Le repli sur soi n’est intervenu que lorsque le christianisme, qui enseignait les mêmes valeurs que le judaïsme, triompha dans l’Empire romain à partir du IVe siècle de notre ère. Le pouvoir oppresseur du christianisme transforma la religion juive respectée en une secte méprisée et rejetée.
Les Séfarades
Les Juifs rebellés contre les Romains en Cyrénaïque se réfugièrent plus à l’ouest où ils rencontrèrent les tribus berbères. À la fin du VIIe siècle, une « reine », Dihya-al-Kahina, convertie au judaïsme, tint tête aux conquérants musulmans. Lorsque ceux-ci s’installèrent en Espagne, ils furent accompagnés d’auxiliaires berbères. Grâce à l’islam, le judaïsme s’implanta dans la péninsule ibérique d’où il avait été chassé, un siècle plus tôt, par les Wisigoths après leur conversion au catholicisme.
En 1492, après la « reconquête » de la péninsule par les rois de Castille et d’Aragon, les juifs eurent le choix de se convertir au catholicisme ou de partir. De nombreux juifs quittèrent l’Espagne pour l’Italie et l’Empire ottoman. Mais dans l’Empire ottoman, ils ne choisirent pas la Palestine, mais l’Afrique du Nord, ou les villes côtières de Smyrne (Izmir) et Constantinople.
Les Séfarades représentent 32% de la population israélienne. Ils sont essentiellement venus des pays arabes dont ils ont été chassés après les guerres de 1948 et 1967.
Les migrants des pays arabes sont appelés Mizrahim, les « occidentaux », ils parlaient l’arabe. Ils se considèrent comme les « oubliés de la terre promise », dédaignés par les Ashkénazes. Ils n’ont pas connu les pogroms ni les persécutions du régime nazi. Ils ont dû abandonner leur langue et leurs coutumes.
Les Ashkénazes
Au IVe siècle de notre ère apparaît, en Europe, le peuple khazar, des tribus accompagnant les Huns. Après la défaite d’Attila, les Khazars s’installent dans la région de la Volga. Ils contrôlaient un vaste territoire allant de Kiev à la Géorgie actuelle. Ils tiraient leurs revenus du contrôle de la route de la soie et du commerce fluvial sur la Volga et le Don (esclaves et fourrures). Leur royaume atteignit son apogée au VIIIe siècle.
Ils entretenaient de bonnes relations avec l’Empire byzantin et, à plusieurs reprises, l’aidèrent dans ses guerres contre les musulmans. Pour échapper à l’influence de leurs puissants voisins, ils choisirent le judaïsme comme religion.
Fuyant les Mongols au XIIIe siècle, ils partent vers l’ouest, vers la Pologne et la Lituanie où ils s’installent, constituant des communautés juives. Dans les siècles suivant, leurs déplacements vers l’ouest pour échapper aux pogroms les conduisent en Allemagne et sur les rives de la mer du Nord. Leur dernière terre d’exil fut les États-Unis… avant la Palestine au XXe siècle.
Les Ashkénazes parlaient le yiddish, un dialecte germanique, qui est aujourd’hui considéré comme la langue de l’exil. Les juifs orthodoxes, de noir vêtus, comme au XIXe siècle, sont des Ashkénazes.
35 % des Israéliens sont des Ashkénazes venus essentiellement après 1945. Craignant leurs anciens voisins qui les avaient trahis, livrés aux Allemands puis spoliés, ils ont préféré rester dans des camps en Allemagne que de retourner dans leurs villages.
À ces migrants, il faut ajouter 17 % de Russes installés après la chute de l’URSS.
En Palestine
Dès le IVe siècle, les Judéens restés en Palestine furent confrontés aux persécutions chrétiennes. Jérusalem était devenue une ville romaine chrétienne. Il ne faut pas s’étonner qu’ils aient accueilli favorablement les conquérants arabes au VIIe siècle. Ils apportèrent même leur aide à l’armée victorieuse. L’avènement de l’islam fut vécu comme une libération du joug chrétien.
Il n’y a pas eu de remplacement de population, mais un remplacement de religion. D’autant plus que durant la première phase de la conquête musulmane, quiconque se convertissait était exempté d’impôts.
Les premiers sionistes savaient parfaitement que les Palestiniens avaient une origine ethnique commune aux Judéens. David Ben Gourion, qui insistait sur le retour d’exil dans la déclaration d’indépendance (voir plus haut), disait dans un ouvrage paru en 1918, intitulé : « Eretz Israël dans le passé et dans le présent« :
L’origine des fellahs (NB : paysans palestiniens) ne remonte pas aux conquérants arabes du VIIe siècle. Les conquérants n’éliminèrent pas la population des laboureurs agricoles qu’ils rencontrèrent. Ils ne firent aucun mal à la population locale.
Avant lui, en 1882, Belkind était certain que lui-même et ses compagnons, les premiers colons, allaient rencontrer en Palestine « une bonne partie des fils de notre peuple« . Il était conscient qu’ils étaient devenus musulmans, mais l’origine ethnique était, à ses yeux, plus importante que la religion.
Conclusion
« Le séparatisme juif se nourrit copieusement de mythologies et d’historiographies ethnocentriques qui façonnent la mémoire collective. » (S. Sand)_
Si on suit l’analyse historique de Shlomon SAND, on peut déduire (ce qu’il ne fait pas) que des Berbères et des Khazars convertis au judaïsme ont chassé de leurs terres les Palestiniens, « véritables » descendants des Judéens.
Les chercheurs des universités israéliennes ont tenté de trouver le gène caractéristique de la « race » juive. En vain. Les Israéliens, comme tous les habitants de la terre, sont issus de métissages. On est bien loin d’un « peuple-race » ayant reçu de Dieu la terre de Canaan.
Ancien nom des personnalités politiques israéliennes
Benyamin Netanyahou s’appelait Benjamin Mileikowsky, originaire de Pologne/Lituanie, en hébreu : « YHWH a donné »
Shimon Peres s’appelait Szymon Perski, originaire de Biélorussie
Golda Meir s’appelait Golda Mabovitch, originaire d’Ukraine
Ariel Sharon s’appelait Ariel Scheinerman, originaire de Pologne/Biélorussie
Moshe Dayan s’appelait Moshe Kitaigorodsky, originaire d’Ukraine
Menahem Begin s’appelait Mieczysław Biegun, originaire de Biélorussie
Yitzhak Rabin s’appelait Yitzhak Robitsov, originaire d’Ukraine
Yitzhak Shamir s’appelait Yitzhak Jeziernicky, originaire de Biélorussie
David Ben Gourion s’appelait David Grün, originaire de Pologne.

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