Tous les croyants espèrent atteindre le royaume de Dieu, le paradis.
Mais quand s’effectue le passage ? A la mort… ou au Jugement dernier ?
Catégorie : Judaïsme
Les Hérodes dans les évangiles
A côté de Ponce Pilate, le Nouveau Testament mentionne une autre figure historique permettant de situer les actions dans le temps : Hérode. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le nom d’Hérode recouvre plusieurs personnages différents, réunis par un lien dynastique.
Lire la suite « Les Hérodes dans les évangiles »Les protocoles des sages de Sion

Au début du XXe siècle, un petit livre a circulé en Europe, dénonçant les intentions des Juifs de contrôler le monde : « Les protocoles des sages de Sion« . C’est une des premières théories du complot, bien avant les réseaux sociaux. Son succès fut fulgurant et ses conséquences désastreuses.
Lire la suite « Les protocoles des sages de Sion »Avons-nous une âme
Cet article est inspiré du hors série 298 de novembre 2021 du périodique Science & Vie
De tout temps les humains se sont questionnés sur la mort d’un des leurs. Où est passée la vitalité qui animait ce corps maintenant inerte.
L’idée de l’existence de l’âme est associée aux croyances selon lesquelles la vie continue après la mort. Cette idée d’âme est liée à la conviction d’une vie future.
Lire la suite « Avons-nous une âme »Qui est Juif ?
A la recherche d’une définition
Répondons tout d’abord à la question « qui est juif ? ». Est considéré comme juive toute personne qui suit peu ou prou les préceptes du judaïsme. Dans ce cas, on écrit un juif avec une minuscule, comme on écrit un chrétien ou un musulman.
Répondre à la question « qui est Juif ? » (avec la majuscule) est beaucoup plus complexe. Jérôme Segal, dans son ouvrage « Athée et Juif » assure que toute personne qui se dit juive est juive. C’est un raccourci. Attention à la syntaxe ! Si on écrit Juif en tant que nom (avec une majuscule), on écrit juif en tant qu’adjectif, quelque soit la signification.
Quels sont les critères qui définissent l’identité juive, c’est-à-dire la judéité ?
La judéité ce n’est pas une race. Aujourd’hui sur terre, il n’y a qu’une seule race d’hommes : les Homo sapiens. Voici 40.000 ans, cette race cohabitait avec ses cousins, les Néandertaliens et les Hommes de Denisova, ou Dénisoviens.
La judéité, ce n’est pas une ethnie. Certains Juifs sont jaunes (des Chinois et des Japonais), certains viennent d’Éthiopie et sont noirs. Ils ont tous émigrés vers Israël où ils ont été assez mal accueillis : les hommes ont été re-circoncis, certaines femmes ont été stérilisées à l’occasion d’une hypothétique vaccination (voir l’article sur l’Éthiopie). D’autres juifs sont caucasiens (blancs) ou sémites, cousins des Arabes. Contrairement à la définition des dictionnaires, les Juifs ne sont pas (tous) des descendants du peuple hébreu.
Ce n’est pas une nationalité. Tous les Juifs ne vivent pas en Israël, loin s’en faut, comme on va le voir.
Enfin, la judéité n’est pas une religion. Il y a des Juifs athées et même des Juifs chrétiens, comme Bob Dylan (Robert Zimmerman) par exemple.
La meilleure définition fait appel à la descendance : est considérée comme Juive toute personne s’étant convertie au judaïsme ou née d’une mère juive. Cette disposition est inscrite dans le Talmud, édité au IVe ou Ve siècle de notre ère. La judéité est inaltérable, quand bien même le Juif serait idolâtre, incroyant, hérétique ou apostat.
On ne trouve pas trace de cette filiation dans la Bible hébraïque (L’Ancien Testament), sauf dans le Livre d’Esdras.
Vers -537, les premiers Judéens, ou du moins leurs descendants, sont de retour de captivité à Babylone. Ils sont minoritaires, les Juifs qui n’ont pas été déportés ont continué à vivre sur les ruines laissées par les Babyloniens. Soixante ou quatre-vingt ans plus tard, Esdras revient sur la terre de ses ancêtres et constate que les Juifs ont épousé des femmes « étrangères ». Il se désole, pleure, se prosterne et s’adresse à YHWH : « pourrions-nous encore violer tes commandements et nous allier à ces gens abominables ? » Alors le peuple jure : « Nous avons trahi notre Dieu en épousant des femmes étrangères… Nous allons prendre devant notre Dieu l’engagement solennel de renvoyer toutes nos femmes étrangères et les enfants qui en sont nés » (Es. 10, 2-3). Ces enfants n’étaient donc pas considérés comme des Juifs.
Les Juifs dans l’Allemagne nazie
En 1935, dans l’Allemagne nazie, sont édictées les « Lois de Nuremberg » retirant aux Juifs la nationalité allemande, les considérant dorénavant comme des « sujets de l’Allemagne« . Ils sont exclus de la fonction publique, il leur est interdit d’épouser des « aryen-ne-s » et de prendre à leur service des citoyens allemands. Certains métiers leur sont interdits, comme rédacteur dans les journaux, enseignants, etc.
Pour mettre en application ces lois, les juristes nazis ont dû définir la notion de Juif. Ce ne fut pas sans mal, tellement ils ont trouvé d’exception. Au départ, pour les nazis, est Juif celui qui a au moins trois grands-parents juifs. Voici la liste des critères adoptés par l’État français du Maréchal Pétain en 1941 :

Juifs laïcs et religieux
A la Knesset, le parlement israélien, les laïcs et les religieux se déchirent sur la définition de l’État d’Israël. La Knesset est actuellement (juillet 2021) composée comme suit (huit partis sont représentés) :
- 50 venant de partis nationalistes de droite dont l’ancien premier ministre Benyamin Netanyahou du parti Likoud
- 38 laïcs (droite ou centre) dont le premier ministre actuel Mickey Levy du parti Yesh Atid (centre laïc)
- 22 ultra orthodoxes
- 10 Arabes
Les nationalistes veulent faire d’Israël une démocratie juive comme l’avait décrété l’ONU en 1947, lors de la résolution de création de deux États en Palestine, » l’un juif et l’autre arabe ». Cette vision des nationalistes suggère que seuls les Juifs en seront citoyens, à l’exclusion des Arabes qui n’avaient pas quitté la région lors de la création d’Israël et qui avaient reçu la nationalité israélienne.
Aujourd’hui, seul 75% de la population d’Israël est juive d’après le Ministère de l’intérieur.
Les laïcs, eux, veulent que l’État reste multiculturel.
Les ultra orthodoxes souhaitent qu’Israël devienne une théocratie, un État régit par les lois religieuses.
Les ultra orthodoxes
Il suffit de se rendre dans un quartier ultra orthodoxe à Jérusalem pour voir ce que signifie pour eux un État régit par les lois religieuses.
- code vestimentaire strict, interdiction de suivre la mode. Les ultra orthodoxes s’habillent comme dans l’Allemagne et la Pologne du XIXe siècle.
- respect complet du shabbat : les quartiers sont fermés lors du shabbat, personne n’y rentre, personne ne sort.
- éloignement des étrangers : les Juifs vivent entre eux. Les femmes sont aussi tenues à l’écart.
Le journal israélien Yediot Aharonot, repris par le quotidien français Libération, a révélé qu’un catalogue Ikea destiné à la communauté juive ultra-orthodoxe avait été publié. L’ouvrage présente des livres religieux alignés sur les étagères, un père et ses deux garçons portant kippas et papillotes, une armoire remplie de vêtements masculins traditionnels. Il ne comporte aucune image de femme ! Ce n’est pas un acte isolé. Il n’est pas rare que les femmes soient effacées des photos de presse dans les journaux, c’est ce qui arrive souvent à Angela Merkel. Dans les manuels scolaires en Angleterre, les images des femmes ont été floutées.
Comme au XIXe siècle Photo du gouvernement israélien : les femmes ont été floutées
Les ultra orthodoxes (les haressim) vivent isolés dans des quartiers qui leur sont réservés, ou plutôt qu’ils se sont réservés. Ils représentent 11% de la population d’Israël, mais leur taux de fécondité est de sept enfants. En 2060, ils pourraient représenter 25% de la population.
La plupart des hommes ne travaillent pas, ils étudient la Torah. Ils vivent des dons d’associations et des allocations de l’État. Se sont leurs femmes qui font vivre le ménage en plus de s’occuper de l’éducation des enfants. On estime que 45% des haressim vivent dans la pauvreté.
Ils constituent une exception en Israël : ils sont exemptés du service militaire alors que toute la population, femmes et hommes, est appelée sous les drapeaux… mais ils bénéficient de tous les avantages sociaux.
Les nationalistes
Le mouvement sioniste moderne est né au XIXe siècle parmi les Juifs d’Europe centrale et de l’Est en réaction à l’antisémitisme et aux pogroms (« tout détruire » en russe) dont ils étaient victimes. Theodor Herzl va concrétiser les aspirations des Juifs en les invitant à s’unir et à avancer des idées lors du premier congrès sioniste en 1897 dont le thème est : « un État, une nation pour un peuple« . Au départ, le mouvement ne vise pas la création d’un État en Palestine alors sous domination ottomane, même si le baron Edmond de Rothschild y achète des terres et finance les premiers établissements juifs. L’Angleterre leur avait proposé l’Ouganda… rejeté à l’unanimité.
Le rêve commencera à prendre forme après la première guerre mondiale, lorsque la Palestine passe sous mandat britannique et que Lord Balfour, dans une lettre adressée au baron Lionel de Rothchild prétend que : « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif… » (voir l’article sur la naissance d’Israël).
Avant la création de l’État d’Israël, la population juive de Palestine était passée de 80.000 à 650.000. Cette croissance avait donné naissance à un nationalisme arabe.
De nos jours, les nationalistes s’opposent à la création d’un État arabe et poussent à la colonisation de tous les territoires occupés jadis par les Juifs, avant l’écrasement de la révolte de 135 contre les Romains. Ils veulent un État hébreu totalement juif.
Note : Parler de Palestine pour désigner cette région du Proche Orient n’a aucune signification politique, ce n’est pas une prise de position pour les Palestiniens. La région a été appelée Palestine par les Romains après la seconde révolte des Juifs de 132 à 135. Ce changement de nom s’est accompagné de l’expulsion des Juifs de la région de Jérusalem qui a été rasée et reconstruite sur le modèle des villes romaines. La ville a même perdu son nom pour s’appeler Aelia Capitolina. Aelius était le nom de famille de l’empereur Hadrien. Palestine vient de « philistin », un peuple qui occupait le littoral de la région dès 1200 avant notre ère. Ils avaient fondé cinq cités-États dont Gaza, qui n’a jamais été une ville juive.
Les laïcs et les athées
Les laïcs ne sont pas nécessairement athées, mais la religion n’est pas leur préoccupation principale. Par contre, il y a bien des Juifs athées : ils ne croient pas en Dieu et considèrent la Torah comme un récit mythologique. Pourquoi se disent-ils juifs ? On a vu que la judéité est inaltérable : les enfants nés d’une mère juive sont juifs et le resteront toute leur vie… aux yeux de leur communauté. Ils ne peuvent pas demander à être exclus de l’assemblée, comme les chrétiens peuvent le faire en demandant à l’évêché d’être débaptisés.
La plupart des Juifs athées restent attachés à leur communauté. Sous la « pression » de leur entourage, surtout la famille, certains font circoncire leurs fils ou se marient suivant le rite traditionnel.
Parmi les Juifs athées célèbres on peut citer l’anarchiste Emma Goldman, les communistes Léon Trotski (Lev Davidovitch Bronstein) et Grigori Ziniviev, le père du sionisme Theodor Herzl, Sigmund Freud, Woody Allen, Daniel Cohn-Bendit et le philosophe Emanuel Lovi.
Mais que penser de la réponse de l’ancienne première ministre Golda Meir à la question d’un journaliste sur ses croyances : « Je crois au peuple juif et le peuple juif croit en Dieu« .
Les Juifs dans le monde
Un peu moins de 30% de la population mondiale est chrétienne, c’est-à-dire, a été baptisée selon le rite chrétien. Cette proportion diminue avec le temps. A peu près le même nombre est de religion musulmane, car née d’un père musulman et cette proportion, elle, grandit car l’apostasie est interdite dans l’islam et est punie de mort bien que la sanction soit rarement appliquée.
On parle ici de 2 milliards d’adeptes, de fidèles. A côté de ces religions, on ne compte que 14 millions de Juifs dans le monde… soit moins que la population des Pays-Bas !
La majorité des Juifs ne résident pas en Israël, mais ont la nationalité israélienne. Ils sont citoyens d’Israël et peuvent venir s’installer par le pays, ce que récuse le grand rabbinat tenu par des ultra orthodoxes qui se méfie des « étrangers ».
Répartition dans quelques pays :
- Israël : 6.665.600 (en 2019)
- État-Unis : 5.700.000
- France : 450.000
- Russie : 165.000
- Allemagne : 118.000
- Belgique et Pays-Bas : 29.000
- Turquie : 14.000
- Iran : 8.300
- Pologne : 4.500.
Massada : un symbole
Le site archéologique de Massada, à cent kilomètres au sud de Jérusalem et à moins de deux kilomètres de la Mer Morte, attire énormément de touristes. Pourtant Massada n’est pas citée ni dans la Bible, ni dans le Nouveau Testament. C’est une forteresse aménagée par Hérode le Grand pour protéger le sud de son pays, la grande Judée. Hérode avait aussi fait transformer les forteresses existantes d’Hérodion et de Machéronte.
Maquette d’Hérodion Représentation de Machéronte
La prise de Massada par les Romains
Massada est restée totalement ignorée jusqu’en 1927, lorsqu’un émigré Ukrainien, Yitzhak Lamdan, publia un poème intitulé « Massada ». Massada est plus un événement qu’un lieu : c’est le dernier bastion qui a résisté aux Romains lors de la première révolte juive de 66 à 73.
Alors que Jérusalem est prise et le temple incendié en 70, des résistants se réfugient dans la forteresse de Massada. Ils sont environ 900, dont des femmes et des enfants. Leur histoire a été contée par Flavius Josephe dans le livre VII de son ouvrage « La guerre des Juifs« .
Ce document peut être consulté sur le site http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Flajose/guerre7.htm.
C’est en 73, après avoir nettoyé les dernières poches de résistance dans le territoire de Judée que les Romains, commandés par Flavus Silva mirent le siège devant la colline de Massada. La forteresse était commandée par Éléazar, un des descendants de Judas de Galilée qui s’était opposé au recensement de Quirinus lorsque la Judée était devenue une province romaine en l’an 8.
La forteresse était imprenable, elle était pourvue de bassins qui fournissaient l’eau et des vivres avaient été stockées en prévision du siège : « en effet, on tenait en réserve du blé, en quantité suffisante pour un long temps, plus beaucoup de vin et d’huile, de légumes secs d’espèces variées, des monceaux de dattes. » (Flavius Josephe).
Les Romains entourèrent le site d’une palissade pour empêcher la fuite des assiégés et entreprirent la construction d’une rampe d’accès… ce n’était pas les esclaves qui manquaient ! Mais quand ils parvinrent dans la citadelle, tous les défenseurs étaient morts. Ils avaient choisi le suicide collectif.


A gauche, la maquette de Massada, à droite le site actuel avec la rampe construite par les Romains.
Exploitation du symbole
1927
La Palestine est sous mandat britannique. L’immigration est contrôlée et en Europe de l’est, les Juifs sont persécutés, parfois l’objet de pogroms. Pour Yitzhak Lamdan, Massada est un symbole social. Pour les Juifs de son temps, il n’y a que deux destinations : là où ils ne peuvent pas aller (pour les modernes, la Palestine, pour les anciens, Jérusalem) et là où ils ne peuvent pas vivre (l’Europe de l’est et Massada).
1948
A la création de l’État d’Israël (voir l’article), le symbole a changé : comme les défenseurs de Massada, les Israéliens sont encerclés par des forces hostiles et supérieures en nombre. Massada devient le symbole de la volonté nationale, le symbole de la résistance.
1967
Les Arabes, harangués par le président égyptien Nasser, ont décidé de détruire Israël (voir l’article). En Israël, alors qu’on creuse des tombes dans les parcs et les terrains de sport, le paradigme change. On ne veut pas d’un nouveau Massada. Les militaires proclament que les Israéliens ne seront pas pris au piège dans leur petit pays, leur forteresse. Ils doivent précipiter les événements et attaquer les premiers. Ce qui sera fait et la menace réduite à néant en six jours.
L’exemple de Massada reste, mais, dans l’avenir, il devra être évité à tout prix.
Qu’en disait Flavius Josephe ?
Lorsqu’il écrit la Guerre des Juifs, vers 90, Flavius Josephe réside à Rome, il est l’hôte de l’empereur Domitien, le fils de Vespasien à qui le prisonnier de guerre Josephe servait d’interprète. Il n’est plus prisonnier, il a été affranchi et il tient à flatter ses bienfaiteurs.
Dans le livre 7, les défenseurs de Massada ne sont pas de braves résistants Juifs qui veulent défendre leur pays contre l’envahisseur romain, mais des brigands, des sicaires, des zélotes. Leur attitude « n’était qu’un prétexte pour voiler leur cruauté et leur avidité… »
Il est vrai que lors du siège de Jérusalem, plusieurs bandes rivales s’opposaient et n’hésitaient pas à massacrer d’autres Juifs, qui comme eux, défendaient la ville : « les uns avaient la passion de la tyrannie, les autres celle d’exercer des violences et de piller les biens d’autrui« . Josephe parle d’une maladie contagieuse qui s’était emparée des défenseurs de Jérusalem. Leur violence a causé leur perte.
Massada, d’un fait divers peu glorieux, qui s’est terminé par un « suicide » collectif, raconté par le seul Flavius Josephe, ignoré pendant des siècles, est devenu au XXe siècle un symbole de la résistance d’une nation.
La transmission de la tradition
Cet article est inspiré du livre de Bart Ehrman : Jésus avant les évangiles (Bayard 2017)
Avant d’être mis par écrit, les récits de la Bible, des évangiles et du Coran ont été colportés oralement. Le sens des récits s’est-il transmis correctement, intégralement ? Jusqu’il y a peu, on croyait que les peuples de l’oralité cultivaient une très bonne mémoire et que lors des récitations des récits traditionnels, les auditeurs corrigeaient le transmetteur s’il s’égarait. Les récentes études en sociologie, psychologie, neurosciences et anthropologie n’ont pas corroboré ces hypothèses.
La mémoire ne se constitue pas par image : on ne mémorise par une scène en entier, mais des flashes. Lors de la restitution des souvenirs, on comble les vides par des associations avec des souvenirs analogues issus d’expériences similaires. Les souvenirs sont une construction, ils varient dans le temps, en fonction des interlocuteurs et du milieu où ils sont évoqués. Les souvenirs se déforment.
Comment se transmet la tradition
Milman Parry et son élève Albert Lord ont mené des études sur l’oralité. Au départ, ils voulaient comprendre comment de longs poèmes comme l’Iliade ou l’Odyssée s’étaient transmis. Ils ont étudié la tradition de la poésie épique chantée, encore de nos jours, dans l’ancienne Yougoslavie. Ils ont donc enregistré plusieurs performances des chanteurs. Et consternation ! ils ont constaté que si l’essentiel demeure, les détails sont modifiés, parfois considérablement. L’interprète modifie le chant en fonction de ses intérêts, mais aussi du temps qui lui est alloué ou de ce que l’auditoire veut entendre.
Des expériences semblables ont été menées au Ghana par Jack Goody, sur plusieurs années. Il s’est aperçu que certains éléments essentiels du mythe raconté par les Lodagaa avaient disparus entre 1951 et 1970.
A quelques jours d’intervalle, le même récitant passait de 1646 versets à 2781… vu l’intérêt de l’interlocuteur. Il brode, ajoute des détails, vagabonde. Que va raconter l’interlocuteur de la première version et celui de la seconde ?
Ces études et bien d’autres montrent que plus on raconte, plus on modifie le récit et quand le souvenir d’une personne sert de base au souvenir d’une autre, il n’y a aucune chance que l’on retrouve l’information initiale.
Les conteurs ne cherchent pas à reproduire les traditions avec exactitude, ce n’est pas leur souci principal. L’auditoire aussi bien que le contexte affectent la manière dont l’histoire est racontée ou l’enseignement transmis. Le témoignage original est perdu et on ignore si le noyau essentiel de l’histoire survit.
La mise par écrit, à un moment donné, va figer le récit. Un « original » va alors servir de référence. On quitte l’oralité pour l’écrit.
Conséquences sur les textes sacrés
Le Coran
De nos jours, le Coran doit être récité tel qu’il a été consigné dans la version de Médine, composée au Caire en 1923 à partir de corans plus anciens. Dans les écoles coraniques, les élèves mettent trois ou quatre ans pour apprendre par cœur les quelques 6236 versets du Coran, souvent sans en comprendre le sens : le Coran se récite en arabe quelque soit la langue de l’élève.
En est-il toujours été ainsi ? Le Coran a-t-il été de tout temps considéré comme immuable : « chaque terme dans la langue du Coran a un certain poids, chaque voyelle a sa raison d’être et le simple fait d’omettre une voyelle peut être lourd de conséquence », comme on peut lire dans l’introduction du Coran de Médine.
Le Coran aurait été mis par écrit sous le calife Uthman vers 650, vingt ans après la dernière révélation (voir l’article sur le Coran). Avant cette mise par écrit (et aussi par après), la récitation était beaucoup plus libre comme le prouve le hadith des sept ahruf (ahruf peut être pris ici dans le sens de différences).
Le récit met en scène Umar, le deuxième calife et un compagnon du prophète. Ils ne sont pas d’accord sur la façon de réciter des versets. Ils demandent donc l’arbitrage de Mahomet. Umar récite les versets et Mahomet avalise la récitation en disant : « C’est bien ainsi qu’ils m’ont été révélés ». Umar jubile. Mahomet demande alors au compagnon de lui donner sa version. Mahomet confirme : « C’est bien ainsi qu’ils m’ont été révélés ». Même si cette histoire n’est pas vraie, elle montre que dans la période du proto-islam, le fond était plus important que la forme et que très vite, du vivant même de Mahomet, les versets récités divergeaient. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Coran a été mis par écrit.
Les évangiles
La modification des souvenirs est encore plus marquée dans les évangiles. Ils sont au nombre de quatre et ils différent grandement sur les détails, mais aussi sur l’essentiel. Dans les évangiles synoptiques, Jésus annonce l’arrivée imminente du royaume de Dieu sur terre. L’Évangile de Jean, écrit plus tard lorsque qu’il est patent que la promesse n’a pas été tenue, n’insiste plus sur le royaume de Dieu sur terre, mais sur une vie éternelle dans l’au-delà.
Bert Ehrman cite un cas intéressant : le voile du temple qui se déchire.
Dans l’Évangile de Marc, le plus ancien (15, 38), on lit :
… Jésus expira. Et le voile du sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas.
Dans l’Évangile de Matthieu (27,51-53), l’événement prend une tout autre ampleur :
Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent ; les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints défunts ressuscitèrent : sortis des tombeaux, ils entrèrent dans la ville et apparurent à un très grand nombre de gens.
Pourquoi cette différence ? Il est malaisé de répondre à cette question. Bart Ehrman tente une explication : le sanctuaire du temple de Jérusalem, le saint du saint est l’endroit où Dieu était sensé demeurer. Le voile se déchirant, Dieu sort du temple et tout le peuple, plus seulement les prêtres, ont accès à Dieu. Dans les versions les plus anciennes de l’Évangile de Marc (IVe siècle), le récit de la résurrection est absent. C’est la mort de Jésus et non sa résurrection qui sauve les hommes.
Matthieu vient après Paul qui a basé tout son discours sur la résurrection, lui qui n’a pas connu Jésus, qui ne l’a vu qu’en songe. Matthieu parle donc de la résurrection, mais ne sait que faire avec le voile du temple. Il ajoute donc des détails… incongrus.
La Bible hébraïque
On n’a pas de récits parlant de différences de récitation, comme pour le Coran, ni de plusieurs versions comme pour les évangiles, on peut néanmoins penser que les récits ont été modifiés lors des transmissions successives. On peut en voir des exemples dans le récit de Moïse repris par quatre livres différents de la Torah, où dans la vie des rois qui sont contées dans les Livres des Rois et dans le Livre des Chroniques.
Lors de la conquête d’Israël par les Assyriens en 722, un grand nombre d’Israélites ont fui vers la Judée, emportant avec eux leurs traditions orales. Ces récits ont été fusionnés avec les récits des Judéens pour constituer une histoire unique, créant la filiation Abraham (Judée), Isaac (ajout) et Jacob (Israël).
Conclusions
Les textes « saints » reprennent souvent des souvenirs déformés de récits colportés par plusieurs générations de conteurs dont l’objectif principal n’étaient pas la vérité historique.
Jésus dans le talmud
Le talmud, ou plutôt les talmuds car ils sont au nombre de deux, constituent la base de la loi religieuse juive, la halakha, avec la Torah (les cinq premiers livres de la Bible hébraïque).
Que nous apprennent les talmuds sur Jésus ? Les talmuds ne parlent pas de Jésus le Nazaréen, mais d’un certain Yeshou, qu’on a tôt fait d’assimiler à Jésus. Les informations qu’on y puise n’éclairent pas la situation. Le Jésus des talmuds n’est pas historique, mais polémique. Les talmuds datent des IVe et Ve siècles de notre ère alors que le christianisme est devenu religion d’État, ils veulent prouver aux juifs que Jésus n’était pas le messie et qu’ils ont bien fait de ne pas le suivre. Voyons néanmoins comment ils le présentent.
Jésus serait le fils d’une coiffeuse, Myriam (Marie), tellement volage que son mari, Papos ben Yehouda, l’enfermait lorsqu’il quittait son domicile. Le mari finit par s’enfuir à Babylone sur les conseils de rabbi Aqiba, qui vécut la seconde révolte juive. Cette histoire nous projette donc vers 120 de notre ère.
Une seconde version fait de Jésus le fils d’une autre Myriam, fille de bonne famille, violée par un voisin, Yossef (Joseph) ben Pendera. Celse, un écrivain grec du IIIe siècle en a fait un soldat romain : Pantera. Le fiancé de Myriam fuit également à Babylone sur les conseils de son maître, Simon ben Shéta, le frère de la reine Alexandra-Salomé, qui vécut au premier siècle avant notre ère, ce qui nous amène un siècle avant l’histoire chrétienne.
Cette chronologie est confirmée par un autre texte : Jésus aurait été le disciple de rabbi Yeoshoua ben Pera‘hiya. Il serait né la quatrième année du règne d’Alexandre Jannée, soit en 99 avant notre ère. Lors des persécutions des pharisiens, il aurait accompagné son maître en Égypte, jusqu’à ce que Simon ben Shéta, grande figure du pharisianisme, lui annonce la fin des persécutions.
Si on prête foi à cette histoire, qui dans le talmud est accompagnée de médisances (Jésus ne comprend pas son maître), on pourrait croire que Jésus et le Maître de Justice des Esséniens ne font qu’un.
Cette hypothèse est séduisante, car elle explique pas mal de choses.
Mais attention, il n’existe aucun lien entre le Maître de Justice et le Jésus du talmud si ce n’est la période pendant laquelle ils auraient vécu. Certains auteurs ont attribué au Maître de Justice un nom : Yeoshua, qui est le même que celui de Jésus… mais le Maître de Justice n’a pas été identifié dans les manuscrits de la Mer Morte, on ignore donc son nom. Plus mystérieux, Flavius Josèphe ne parle pas du Maître de Justice alors qu’il proclame avoir suivi les enseignements des esséniens. Oubli de sa part ou censure des copistes ?
J’ai consacré un article au Maître de Justice.
Pour l’anecdote, on a retrouvé en Allemagne, à Bingerbrück, la tombe d’un centurion romain appelé Julius Abdes Pantera. Il faisait partie de la XVIIe légion, commandée par Varus. Or cette légion, avant d’être envoyée en Germanie, était stationnée en Syrie et a participé à l’écrasement de la révolte de Judas bar Ézéchiel qui avait tenté de prendre le pouvoir à la mort d’Hérode en l’an 4 avant notre ère.

Les talmuds
Les talmuds sont au nombre de deux : le Talmud de Jérusalem, en fait rédigé en Galilée, Jérusalem étant interdite aux Juifs depuis 137 de notre ère suite à la révolte de Bar Kachba, et le Talmud de Babylone, plus complet. Le mot hébreu « talmud » signifie « enseignement ». Les talmuds recueillent les enseignements oraux du judaïsme, des commentaires et des notes historiques. C’est une somme colossale d’informations religieuses, juridiques et historiques.
Ils ont été compilés entre le IVe et le Ve siècle de notre ère.
Le talmud comporte 2 parties : la Mishna et la Guemara.
La Mishna, dont le nom vient du verbe hébreu signifiant « répéter », est l’enseignement oral des premiers rabbins, après la destruction du temple. Ils prétendaient détenir cet enseignement de Moïse lui-même. Nous retrouverons la même dichotomie dans l’islam, où à côté de la révélation écrite, le Coran, s’est constitué un enseignement oral, les hadiths, les paroles de Mahomet.
Les « enseignements oraux de Moïse » ont été compilés et mis par écrit vers l’an 200 de notre ère. Ils s’accompagnent de commentaires sur l’application de la Torah. La Mishna semble ignorer que le temple a été détruit et qu’Israël n’est plus indépendant. Ce recueil, écrit en hébreu, composé de 6 traités juridiques et canoniques, se propose de résumer les principaux préceptes et pratiques du judaïsme rabbinique tels qu’ils avaient été transmis depuis l’époque où le temple existait encore.
La Mishna se compose de 6 traités :
- Les « semences » traitent de l’agriculture et des bénédictions.
- Les « fêtes » traitent du calendrier.
- Les « femmes » reprennent les lois du mariage et du divorce.
- Les « dommages » comprennent les lois relatives aux droits civil et pénal.
- Les « objets sacrés » traitent des lois relatives à l’abattage rituel, aux sacrifices et au Temple… qui a déjà été détruit par les Romains.
- Les « puretés » reprennent les lois relatives à la pureté et à l’impureté rituelle.
La Guemara compile des commentaires sur la Mishna.
Si la Mishna a été écrite en hébreu, la Guemara est rédigée en partie en araméen. Ces commentaires ergotent parfois sur des détails sans intérêts et, en cela, ils préfigurent les hadiths de l’islam. Ainsi, à la grande question : peut-on tuer un pou le jour de Shabbat, les réponses varient du oui au non en passant par non mais on peut lui couper les pattes.
La Mishna, c’est l’enseignement et la Guemara, c’est l’explication.
Voici un exemple de ce que l’on trouve dans le talmud.
À partir de quand peut-on lire le chema Israël le soir? (NB : c’est une prière issue du Deutéronome 6, 4 qui commence par « écoute (chema) Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un ».
Réponses :
À partir du moment où les cohanim (les prêtres) rentrent manger leur prélèvement (parties des sacrifices ayant eu lieu au temple et réservées aux prêtres).
Jusqu’à la fin de la première garde. Ce sont les paroles de Rabbi Eli’ézer.
Les Sages disent: jusqu’à la mi-nuit.
Rabban Gamliel dit : jusqu’à ce que monte la lueur de l’aube.
On remarquera dans cet exemple, qu’une réponse se réfère aux prélèvements faits sur les animaux sacrifiés dans le temple alors que celui-ci n’existait plus lors de la rédaction de la Mishnah.
Le talmud dans l’espace chrétien
Les talmuds ont été rédigés pour prémunir les juifs de l’influence chrétienne, pour fixer la loi juive. Les juifs n’ont plus de patrie, ils vivent comme minorité entourée de chrétiens ou de musulmans. Dès de XIIIe siècle, le talmud fait l’objet de controverses en France. Il ferait l’apologie du meurtre des non-juifs et de la pédophilie. Ce qui est totalement faux. En 1242, les manuscrits sont brûlés en Place de Grève à Paris.
Les autodafés vont se répéter en Espagne et en Italie. Le pape s’en mêle, le censure en 1554 puis le met à l’index. La XIIe bénédiction attaquerait les chrétiens :
Qu’il n’y ait pas d’espoir pour les apostats, et que se déracine le royaume de l’arrogance (Rome) au plus tôt et dans nos jours. Que les nazaréens (notsrim) et les hérétiques (minim) périssent en un instant. Efface-les du livre de vie et qu’ils ne soient pas inscrits avec les justes. Loué sois-tu seigneur qui soumet les arrogants.
Notons que les nazaréens, pour les chrétiens, sont des judéo-chrétiens, donc des hérétiques.
La première version du talmud expurgé paraît à Bâle en 1578.
Le texte original sera imprimé à Cracovie en 1602. L’étude du talmud va surtout se développer dans l’est de l’Europe. C’est de cette région que proviennent la plupart des juifs orthodoxes.
Au XIXe siècle, en France et en Autriche, des soi-disant traductions du talmud vont circuler. Elles vont servir d’argument aux attaques antisémites. Citons : le juif talmudique et le talmud démasqué. Ces pamphlets sont comparables aux Protocoles de Sion, un faux des services secrets russes du début du XXe siècle.
Le talmud aujourd’hui
Les écoles talmudiques sont consacrées à l’étude du talmud. En Israël, certains juifs orthodoxes passent toute leur vie à étudier le texte, c’est leur but ultime. Ils sont rémunérés par des dons qui peuvent s’élever à 500 dollars. Cette somme ne permet pas d’entretenir leur famille très nombreuse, parfois dix enfants. C’est leur femme qui travaille pour nourrir la maisonnée. Les orthodoxes et ultra-orthodoxes représentent plus de 20% de la population des juifs de plus de 20 ans en Israël, et leur nombre va en croissant. Les juifs représentent 75% de la population de l’État hébreu.
La Bible, mille ans de compromis
Cet article est inspiré par l’article de Jean-François Mondot paru dans « Les Cahiers de Science et Vie » consacré à la Bible.
Une longue tradition orale
Les récits de la Bible sont ancrés dans une longue tradition orale. Les clans qui composaient la société hébraïque se sont donnés des ancêtres prestigieux, associés à des légendes. Abraham est un personnage que le récit promène dans le sud de Canaan, à Hébron, tandis que Jacob, aussi appelé Israël, se situe dans le nord. Ces histoires qui devaient être contées lors des veillées sont souvent empruntées aux civilisations environnantes, comme le Déluge et la création du monde, mythes venant de Mésopotamie, le pays entre (mésos) deux fleuves (potamos) : le Tigre et l’Euphrate.
Cette oralité est si bien ancrée, que les rédacteurs successifs de la Bible ont dû composer avec des récits scabreux, comme celui d’Abraham qui fait passer sa femme pour sa sœur et l’offre au pharaon. Les exemples sont nombreux. On peut citer Noé enivré qui se fait violer par son fils Cham, Lot qui a pourtant trouvé grâce aux yeux de Dieu est violé par ses deux filles. Ou encore, Jacob (Israël) achète le droit d’aînesse de son frère pour un plat de lentilles et se fait bénir par Isaac, son père aveugle, en se couvrant le corps de poils de bête pour lui faire croire qu’il bénit son aîné, Esaü, très poilu d’après la Bible.
Jusqu’en 722 avant notre ère, les Hébreux formaient deux royaumes, Israël au nord, riche, bien intégré dans les réseaux commerciaux de l’époque et Juda, au sud, dans une région aride, comptant une vingtaine de hameaux autour d’un « village typique de montagne » : Jérusalem (selon Israël Finkelstein).
Note : Israël Finkelstein est directeur de l’Institut d’Archéologie de l’Université de Tel Aviv. C’est un grand spécialiste des données archéologiques sur les premiers Israélites. Ses travaux se basent uniquement sur les fouilles archéologiques, même si elles contredisent les récits bibliques.
Paysage d’Israël (Galilée) au nord Paysage de Judée au sud
En 722, Israël est envahi par les Assyriens et annexé à leur empire. Seul le royaume de Juda subsiste. Il va accueillir les réfugiés du nord. Jérusalem va s’étendre de 6 ha à 60 ha. De 2000 habitants, sa population va passer à 15000. c’est dans ce contexte que des liens vont se tisser entre les récits identitaires du nord et du sud. Abraham va devenir le grand-père de Jacob (Israël). Des récits totalement distincts vont se fondre en une histoire commune.
Les premiers écrits
Si la société hébraïque a une longue tradition d’histoires orales, elle va mettre longtemps avant de s’approprier l’écriture, qui existe pourtant depuis 3500 ans avant notre ère en Mésopotamie, région proche du foyer des Hébreux. L’écriture, basée sur l’alphabet phénicien de 22 lettres, se développe tout d’abord pour les transactions commerciales au VIIIe avant notre ère. Mais, il faudra attendre le règne du roi Josias (640-606 avant notre ère) pour voir apparaître la première mise par écrit des traditions.
La Bible, elle-même, met en scène l’apparition de ce document : il aurait été trouvé lors de la rénovation du temple. Il est lu en public. On ignore le contenu de ce texte, mais les chercheurs estiment qu’il devait contenir des éléments législatifs. Il s’agirait peut-être des chapitres 12 à 26 du Deutéronome, actuellement le cinquième livre de la Torah. Il faut garder à l’esprit que les 24 livres qui composent la Bible hébraïque aujourd’hui ont été rédigés individuellement et n’étaient pas destinés à former un ensemble.
L’exil : la rupture
Le royaume de Juda ne va pas survivre très longtemps au règne de Josias. Ses fils ne vont pas pouvoir faire face à l’invasion des Chaldéens venus de Babylone. En -597, Juda devient une province de l’empire babylonien, le roi est emmené captif à Babylone. Suite à une révolte, dix ans plus tard, Jérusalem est détruite, son temple pillé et incendié. Pour une partie de la population, l’élite et des artisans, c’est l’exil : leur avenir se poursuivra à Babylone.
C’est un coup très dur pour ce peuple très croyant : leur dieu les a-t-il abandonné ? Face au mauvais sort, les exilés vont s’organiser et se composer une histoire… glorieuse au service de YHWH. Dans cette histoire, YHWH ne les a jamais déçu, il a toujours protégé son peuple. Il suffit de le vénérer pour que tout rendre dans l’ordre.
La fin de l’exil
Et de fait, après 50 ans d’exil, l’empire babylonien s’effondre. Les Perses de Cyrus prennent le contrôle de la région et en -539, les Hébreux peuvent rentrer chez eux et reconstruire leur temple. Cinquante années se sont passées, peu d’exilés sont revenus, ce sont leurs enfants qui auront l’honneur de reconstruire Jérusalem qu’ils n’ont jamais connue.
Les nouveaux venus ont été installés par les Perses dans la nouvelle province de Judée. Un territoire exigu de 50 km de côté autour de Jérusalem. Ils vont falloir composer avec les Judéens habitant d’autres régions, comme les Samaritains, descendants des Israélites qui honorent YHWH sur le mont Garizim, près de la ville de Samarie, l’ancienne capitale du royaume d’Israël. Ainsi, la Torah, les cinq premiers livres de la Bible, ne cite jamais la ville de Jérusalem comme ville unique du culte de YHWH… mais bien le mont Ebal qui fait face au mont Garizim.
Ceux qui sont restés à Babylone, où ils faisaient du commerce lors de l’exil, ne sont pas oubliés. Abraham, figure locale typique de Canaan, est maintenant natif de Ur en Mésopotamie. Il viendra à Canaan sur l’ordre de Dieu. Il légitimise les exilés restés à Babylone.
Beaucoup d’Hébreux ont fui en Égypte lors de la prise de Jérusalem et y ont fait souche, surtout à Alexandrie. Pour eux, on ajoute la saga de Joseph, fils de Jacob (Israël) qui est devenu premier ministre du pharaon. L’Égypte est vue non plus comme une terre d’esclavage comme dans l’histoire de Moïse, mais comme une terre d’accueil.
Les Hébreux n’ont plus de roi. Ce sont les prêtres qui dirigent la communauté. Ils vont se réserver une place de choix dans les écrits qui s’élaborent. Ainsi, Moïse, le législateur, va se voir accompagné d’un frère, Aaron, ancêtre de tous les prêtres. Il est la parole de son frère, bègue. Au fil du récit de l’Exode, d’Égypte vers Canaan, le bâton de Moïse, avec lequel il a infligé les 10 plaies aux Égyptiens, symbole de son pouvoir, va devenir un attribut de son frère.
Les textes vont être composés sous la domination perse, de -539 à -333. La Torah aurait trouvé sa forme actuelle à cette période. Mais tous les chercheurs ne sont pas d’accord. Certains soulignent que la période grecque, après 333, époque de grande prospérité économique, démographique et intellectuelle serait la plus propice à la rédaction. Les manuscrits de la mer Morte (Qumran) ont été rédigés du IIIe siècle avant notre ère jusqu’au Ier siècle après.
La finalisation
Si les textes acquièrent une forme quasi définitive, les livres restent indépendants, la Bible n’existe pas encore. Aux premiers siècles de notre ère, les chrétiens parlent de la Loi et des Prophètes lorsqu’ils citent les livres sacrés. Ce n’est probablement qu’au IIIe siècle de notre ère que les livres seront rassemblés dans ce que les juifs appellent la Tanakh : TNK. T de Torah, l’Enseignement qu’une mauvaise traduction grecque a transformé en Loi. N pour Nevriim, les Prophètes et K pour Ketouvim, les autres écrits. Après 10 siècles, mille ans de compromis, la Bible est enfin achevée.
Les livres de la Bible n’ont jamais eu pour vocation d’être des récits historiques. Ils expliquent le monde, ils « donnent une identité culturelle et religieuse à un peuple qui a tout perdu » comme le dit Thomas Römer. Il ne faut donc pas s’étonner si on trouve dans la Bible deux récits, différents, de la création du monde, deux récits du Déluge, deux récits de l’alliance entre YHWH et son peuple. Ces récits viennent de sources différentes qu’il fallait concilier.
Note : Thomas Römer occupe la chaire des « Milieux blibliques » au Collège de France. C’est un des exégètes de la Bible les plus reconnus.
Éthiopie , pays des religions atypiques
Cet article est inspiré du dossier paru dans « Le monde de la Bible » n° 235 de décembre 2020.
Introduction
Bien qu’entouré de pays musulmans, l’Éthiopie, pays de la corne de l’Afrique, un des « berceaux de l’humanité », ne compte qu’un tiers de musulmans. Riche de son passé, il a su garder sa propre culture religieuse.
Ses habitants se nomment eux-mêmes les Habesha, les collecteurs d’encens. Ce nom, déformé par les grecs, a donné Abyssinie, l’ancien nom du pays. Sa population sémite aurait immigré depuis le sud de la péninsule arabique (Yémen) au 1er millénaire avant notre ère.
Au IVe siècle de notre ère, la ville d’Axoum, qui donnera son nom à un Etat, devient un acteur majeur du commerce entre l’Egypte et l’Inde grâce au contrôle de la navigation dans la mer Rouge. L’encens, l’or, l’ivoire, la soie et les épices transitent pas ses ports. Non ! La Mecque n’avait pas le contrôle de la route de l’encens entre le sud de la péninsule et le monde romain. Le transport ne se faisait pas à dos de chameau, mais par la mer.
Axoum deviendra le deuxième pays chrétien après l’Arménie. Il a développé une langue originale, le guèze, dont l’alphabet comporte 182 syllabes (!), composées d’une consonne et d’une voyelle. Depuis le IVe siècle, l’Éthiopie produit de nombreuses œuvres littéraires riches et variées. Le guèze est tombé en désuétude depuis le XIXe siècle, mais il reste la langue liturgique du rite chrétien.

Le judaïsme éthiopien
On ignore quand le judaïsme s’est implanté en Éthiopie. Est-ce une réaction au christianisme ou au contraire, le christianisme s’est-il développé dans les communautés juives ? La question reste posée tant leurs pratiques et leurs observances se chevauchent. Les juifs d’Éthiopie prétendaient être les descendants du roi Salomon et de la reine de Saba, qui s’appelle ici Makeda. (Elle est appelée Bilqis au Yémen). Celle-ci, enceinte lorsqu’elle quitta Salomon, donna naissance à un fils Ménélik. Ménélik rendit visite à son père et ramena… l’Arche d’alliance en Éthiopie. Elle serait toujours conservée dans une chapelle de l’église Sainte-Marie-de-Sion où seul un prêtre peut la côtoyer en certaines occasions (Voir l’article sur l’Arche). Cette légende a été adoptée tant par les juifs que par les chrétiens.
Mais depuis 1990, il n’y a plus de juifs en Éthiopie ! L’intégralité de la communauté, soit 60.000 personnes, a émigré en Israël… où les Éthiopiens ne sont pas les bienvenus. Leur reconnaissance par les rabbins israéliens a donné lieu à de débats passionnés. Elle s’est assortie de conditions : les hommes ont dû faire don d’une goutte de leur sang, euphémisme pour dire qu’ils ont dû se plier à une seconde circoncision, et les femmes ont dû se soumettre à un bain rituel. Tous ont dû adopter le judaïsme normatif. Une grande partie de la communauté a conservé ses propres rites. La communauté est dirigée par des moines célibataires, des grands prêtres régionaux et des prêtres locaux ! Pas de rabbins.

Le christianisme éthiopien
Le christianisme éthiopien est apparenté au christianisme copte, les évêques ont été nommés par le patriarche d’Alexandrie jusqu’en 1959. Aujourd’hui, l’Église éthiopienne est indépendante, autocéphale, elle se proclame « Église orthodoxe », mais n’a rien à voir avec le rite gréco-russe.
La majorité de la population est chrétienne. Les chrétiens d’Éthiopie ne reconnaissent pas les conclusions du concile de Chalcédoine de 451 (voir l’article sur la nature de Jésus) : pour eux, Jésus n’a qu’une seule nature, ses natures divine et humaine ont fusionné.
Ce n’est pas leur seule particularité. Leur Bible comporte 81 livres, contre 73 chez les catholique et 66 chez les protestants. Ils pratiquent la circoncision, ils respectent le double repos sabbatique : celui du samedi et celui du dimanche et évitent de manger les aliments interdits par la Thora.
A côté d’églises de style classique richement décorées, l’architecture de certaines églises sont remarquables et surprenantes.

Elles peuvent être juchées dans des montagnes quasi inaccessibles ou creusées dans le sol, comme à Lalibela, ville qui doit son nom à un souverain qui régna aux environs de 1200.
Eglise dans la montagne Une des 11 églises de Lalibela vue du sol Autre église de Lalibela
Les fêtes ne sont pas moins originales, comme la fête de Timkat (baptême en amharique, une des 83 langues d’Éthiopie) qui a lieu en janvier et qui dure trois jours, de grande liberté pour les jeunes dans une société traditionnelle. C’est à cette occasion que les tabot, les copies de l’Arche d’alliance sortent des églises, accompagnées de musiques et de chants. Les cortèges convergent vers un même lieu, différent suivant les régions. Le plus célèbre est le site des bassins de Gondar, où les jeunes se lancent dans l’eau. La fête ne commémore-t-elle pas le baptême de Jésus ? Mêmes les musulmans s’associent à la fête.
Remarquons les couleurs des drapeaux de la seconde photo. Ce sont celles du pays, mais ce sont aussi les couleurs affichées par les « rastas » jamaïcains chantés par Bob Marley. Dans les années 1960, l’Éthiopie était une nouvelle terre sainte (Sion, prononcé Zayen dans les chansons) pour certains Jamaïcains qui considéraient l’empereur éthiopien, Haïlé Sélassié, le négus, le roi des rois, comme un messie. Le culte des rastafari pour Haïlé Sélassié est inspiré des mots du leader nationaliste jamaïcain Marcus Garvey, qui avait déclaré en 1920 : « Regardez vers l’Afrique, où un roi noir devrait être couronné, pour le jour de délivrance ». Haïlé Sélassié est le dernier roi d’une dynastie qui prétendait descendre du roi Salomon. Il a été assassiné lors d’un coup d’Etat en 1975 au grand dam de tous les Jamaïcains qui avaient émigré en Éthiopie.
L’islam éthiopien
La tradition musulmane raconte qu’à La Mecque, les disciples de Mahomet étaient persécutés par les notables. En 615, Mahomet leur conseilla de partir pour l’Éthiopie, où ils furent accueillis par le roi chrétien Ashama. La générosité du roi pour les transfuges a été récompensée par une fatwa de Mahomet : « Laissez les Éthiopiens en paix, tant qu’ils vous laisseront en paix. » L’Éthiopie était un Dar-al-Hyyad, un pays neutre, exempt de djihad. Et effectivement, lors de l’extension de l’islam, l’Éthiopie fut épargnée. Ce qui explique qu’aujourd’hui, elle reste à majorité chrétienne.
Il y eu bien au XVIe siècle, un émir, Ahmad ibn Ibrahim, qui s’attaqua au patrimoine chrétien, mais il fut vaincu avec l’aide des Portugais. La porte était ouverte aux missionnaires chrétiens, dont les jésuites, qui furent bien vite interdits de séjour et expulsés.
Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite finance un vaste projet de conversion à l’islam wahhabite.