Les enfants gâtés de la Péninsule arabique

Un peu de géopolitique

L’Arabie saoudite est un royaume gouverné depuis 2015 par Salmane ben Abdelaziz al Saoud (né à Riyad en 1935), le 25° fils du fondateur de l’Etat, ibn Séoud en 1932. La tribu d’ibn Séoud vivait dans le désert au centre de l’Arabie, dans la région de Riyad, ce qui explique que cette bourgade du désert soit devenue la capitale de l’Arabie saoudite. Les Séoud ont renversé le chérif de La Mecque, Hussein, pour prendre le contrôle de toute l’Arabie. Ils ont emmené avec eux des religieux rigoristes, les wahhabites.

Abu Dhabi est un émirat gouverné par Khalifa ben Zayed. Les citoyens de ce pays n’ont pas le droit de vote et la liberté d’expression y est fortement encadrée par des lois. Abu Dhabi, qui vit des rentes du pétrole, compte près de 3.000.000 d’habitants dont plus de 70% sont des travailleurs étrangers. Abu Dhabi, dont la capitale porte le même nom, est le plus important (80% du territoire) émirat des Emirats arabes unis, une fédération qui regroupe depuis 1971 sept émirats, dont Dubaï.

Le Qatar était pressenti pour faire partie des Emirats arabes unis, comme le Bahrein, mais ils ont choisi leur indépendance. L’émirat est gouverné par Tamim al-Thani. Le pays est surtout producteur de gaz. Le Qatar (capital Doha) compte près de 2.000.000 d’habitants, les plus pollueurs du monde en terme de rejet du CO2. Curieusement, il est membre de l’Organisation internationale de la francophonie.

Préambule

Dans la période 2013-2015, de nouveaux hommes forts arrivent au pouvoir dans la Péninsule arabique alors que le prix du baril amorce une chute due à l’exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis qui gagne son indépendance énergétique. Ces nouveaux dirigeants ont été élevés dans le luxe et la démesure contrairement à leurs pères qui ont connu la vie du désert. L’exploitation du pétrole n’a débuté que dans les années 1950-1960 et n’a enrichi les producteurs qu’après la crise pétrolière de 1973.

Les amis

Le plus médiatisé de ces personnages est Mohammed ben Salmane, dit MBS, né en 1985, fils du roi d’Arabie saoudite, nommé ministre de la Défense en 2015.
Il lance un grand projet « Vision 2030 » pour diversifier l’économie et réformer la société. Il a déclaré :

« Nous retournerons à un islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions »
« Nous n’allons pas passer 30 ans de plus de notre vie à nous accommoder d’idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant ».
« Les lois de la charia sont très claires. Comme les hommes, les femmes doivent s’habiller de manière décente… ce qui ne signifie pas porter une abaya ou un foulard noir »

Depuis 2018 les femmes ont accès au marché de l’emploi, elles peuvent créer et gérer leur entreprise sans passer par un tuteur, elles peuvent posséder le permis de conduire. Un tuteur est toujours indispensable pour voyager ou entreprendre des études. N’oublions pas que les Françaises sont restées sous la dépendance de leur mari jusqu’en 1965 ! Elles ne pouvaient pas ouvrir un compte en banque ni travailler sans l’accord de celui-ci.

En Arabie, les cinémas ont ré-ouverts et un festival rock est même prévu : le Jeddah World Fest.

Vue des spectateurs lors d’un concert

Mais ce prince héritier est un impulsif, adepte depuis son enfance des jeux vidéo violents. Les observateurs disent de lui qu’il tire puis il réfléchit. Dès son entrée en scène, il fait arrêter des princes, des ministres et des hommes d’affaire.
En 2015, il lance une intervention militaire au Yémen dont j’ai déjà parlé.
En 2017, il retient prisonnier le président libanais Saad Hariri, en vacances en Arabie, et le force à démissionner. La raison ? Saad Hariri s’est allié aux chiites pro-iraniens pour former son gouvernement. Le président reviendra sur sa démission dès qu’il eut regagné son pays. Saad Hariri est membre de ces grandes familles corrompues qui s’enrichissent au Liban. Il a la nationalité française, saoudienne et libanaise !
Enfin, en octobre 2018, MBS ordonne l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans l’ambassade d’Arabie à Istanbul… ce qui va le décrédibiliser aux yeux du monde politique.

Dans l’émirat voisin d’Abu Dhabi, Mohammed ben Zayed, dit MBZ, né en 1961, frère de l’émir est nommé ministre de la Défense. C’est l’homme fort des Emirats arabes unis… au sens propre. MBZ est un paranoïaque. Le moteur de son ascension, c’est l’armée la plus puissante et la mieux entraînée de la région. Il organise chaque année le plus grand salon de l’armement du monde dans sa capitale. Il invite régulièrement des personnes influentes à assister à la démonstration de la puissance de son armée sur un immense terrain d’entrainement, un immense plateau hollywoodien. Le pays possède un char d’assaut pour 2500 habitants… proportionnellement 100 fois plus que la France ! On le considère comme le mentor de MBS qu’il a suivi dans sa guerre au Yémen. Lors du débarquement de son armée au Yémen, tous les observateurs pensaient que la guerre serait « courte et joyeuse ». En fait, c’est un bourbier, le Vietnam des agresseurs.

MBZ et MBS

MBZ a fait des Emirats arabes unis une destination touristique de premier ordre grâce à l’édification d’hôtels de luxe, la construction d’îles artificielles et surtout en affichant une grande tolérance en matière de mœurs. Ce qui n’a pas empêché certains membres de sa famille d’être accusés de tortures, notamment par la justice belge.

MBZ investit également dans la culture, il a fait construire une superbe succursale du Louvre pour laquelle son ami MBS a acheté le tableau de Léonard de Vinci, le « Salvator Mundi », le tableau le plus cher du monde : 400 millions de dollars ! Ces nouveaux dirigeants sont de grands enfants, ils ont besoin de s’affirmer… et ils en ont les moyens.
Récemment, MBZ a reçu le pape François.

L’ennemi

Le dernier des nouveaux venus est Tamim al-Thani, né en 1980. Il est l’émir du Qatar. Personnellement, il est peu connu, mais c’est un acteur important. N’a t-il pas obtenu l’organisation de la coupe du monde de football 2022, n’est-il pas propriétaire du Paris Saint-Germain… alors qu’il est supporter de Manchester United qui a éliminé miraculeusement le PSG de la coupe des champions (0-2 puis 1-3) ? Sa reconnaissance dans le monde, il la recherche par le sport. Il a également investi dans la télévision. La chaîne al Jazeera, c’est lui. Il possède les chaînes de sports payantes BeIN, bien connues en France. BeIN possède les droits de retransmission de tous les événements sportifs majeurs.

Tamim al-Thani (à gauche) lors d’une compétition sportive

Chacun veut s’affirmer sur la scène internationale. S’il n’y a pas de rivalité entre MBZ et MBS, ce n’est pas le cas avec Tamim al-Thani qui a eu l’outrecuidance de déclarer que l’organisation de la coupe du monde de football avait été attribuée à tous les Arabes : il s’érigeait alors en représentant du monde arabe. Les tensions se sont exacerbées en 2011 lors des printemps arabes : la chaîne al Jazeera a donné la parole à des extrémistes islamiques, les Frères musulmans, qui ont appelé à la révolte en Libye… et en Arabie saoudite où la famille Séoud est considérée comme ayant usurpé le pouvoir et le contrôle des lieux saints de l’islam. L’Arabie saoudite fera d’ailleurs capoter le printemps arabe en Egypte, où les Frères musulmans briguaient le pouvoir, en finançant le coup d’Etat du maréchal al-Sissi. Pour éviter la contagion révolutionnaire, 130 milliards de dollars ont alors été injecté dans le budget de l’Arabie saoudite pour acheter la paix sociale en augmentant les fonctionnaires, c’est-à-dire la majorité de la population.

En 2015, le Qatar refuse de participer à l’invasion du Yémen. C’est la goutte qui fait déborder le vase, le 5 juin, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis rompent leurs relations diplomatiques et économiques avec le Qatar, bientôt suivis par plusieurs pays musulmans. La frontière terrestre avec l’Arabie est fermée, les avions qatari ne peuvent plus survoler ses voisins et ses bateaux ne peuvent plus accoster dans leurs ports. La raison officielle de cet ostracisme est double : le Qatar est accusé de financer des groupes terroristes et d’être proche de l’Iran. Il y a un fond de vérité dans ces assertions. Le Qatar finance effectivement plusieurs factions rebelles en Syrie… mais la Turquie et les Etats-Unis font de même. Il soutient également les associations dominées par les Frères musulmans. Pour l’autre point, le Qatar et l’Iran se partagent l’exploitation d’un gisement gazier dans le Golfe persique… ce qui oblige le Qatar à rester en bon terme avec son colocataire.

Irrité de voir les Saoudiens branchés sur les télévisions qatari pour les événements sportifs, MBS a facilité le piratage des 10 chaînes de BeIN : les chaînes BeOutQ étaient nées. BeOutQ doit se comprendre comme « dégage Qatar ». BeOutQ, qui ne paie aucun droit de retransmission, émet à partir d’ArabSat le même contenu que BeIN avec quelques secondes de retard. Malgré les plaintes déposées par le Qatar, BeOutQ est toujours actif.

En mai 2017, Trump effectue sa première visite à l’étranger dans la Péninsule arabique avec son conseiller pour le Proche Orient, Jared Kushner, son beau-fils, totalement ignorant des problèmes de la région. Trump, comme à son habitude, affiche un avis sur tout et lâche cette phrase assassine : « Si vous pouvez résoudre le problème avec le Qatar, allez-y« … avant de se rétracter lorsqu’on lui souffle à l’oreille que la plus importante base américaine de la région se trouve au Qatar !

Ne prenons pas parti, ne plaignons pas le pauvre émir du Qatar. Il possède une fortune personnelle estimée à 2,5 milliards de dollars. Il a probablement puisé dans cette cassette pour acheter l’organisation de la coupe du monde de football 2022. Pour cette coupe, on estime que la construction des stades va provoquer, à terme, la mort de plus de 4000 « esclaves » hindous et népalais, victimes d’accidents sur les chantiers peu sécurisés.

En guise d’épilogue

Deux petites anecdotes en conclusion.

Les Emirats arabes unis ont organisé la coupe d’Asie des nations 2019, rassemblant 56 pays… dont le Qatar. L’Australie tenante du titre a été éliminée en quart de finale par le pays organisateur : les Emirats (0-1). Ceux-ci ont été éliminés en demi-finale… par le Qatar (0-4). Le Qatar qui a remporté la coupe en battant le Japon 3-1.

Au sommet du G20 2018 organisé en Argentine, Mohammed ben Salamne a été snobé par la plupart des invités suite à l’assassinat de Jamal Khashoggi à Istanbul deux mois auparavant. Cette isolation a été mise à profit par Poutine pour se rapprocher des Arabes, espérant des retombées économiques.

Inspiré par le documentaire : Golfe : la guerre des princes.

Yémen : la salle guerre

Depuis 2015, le gouvernement yéménite a déclaré la guerre aux rebelles houthis qui occupent l’ouest du pays et sa capitale Sanaa. Sur le terrain, ce sont les Saoudiens et leurs alliés qui mènent les opérations. Cette intervention est l’initiative personnelle du prince Mohammed ben Salmane, le ministre de la Défense, l’homme fort de l’Arabie. Les Saoudiens fournissent les armes, les Emirats arabes unis recrutent des mercenaires par l’intermédiaire de sociétés de sécurité. Ceux-ci viennent du Tchad, du Niger, de Libye et même de Colombie.

Qui sont les Houthis ? C’est une population minoritaire chiite, ce qui explique l’implication des Saoudiens qui dès qu’ils voient des chiites pensent à une menace de l’Iran. Bien que l’Iran soutiennent les rebelles plus politiquement que militairement ou financièrement. Dès 2004, ils se sont rebellés contre le gouvernement sunnite, se sentant marginalisés et réclamant l’autonomie. Les Houthis sont tout autant radicalisés que les wahhabites saoudiens et leur étendard ne les rend pas sympathiques en Occident : « Allah est le plus grand, mort à l’Amérique, maudits soient les juifs, victoire à l’islam ».

La dénomination Houthis vient du nom du chef, Hussein Badreddine al-Houthi, tué en septembre 2004.

Le problème de cette guerre locale est l’escalade dans les crimes de guerre. l’ONU a envoyé un groupe d’experts pour enquêter, malgré l’opposition de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis. Ce n’est cependant pas une commission d’enquête, l’Arabie ayant menacé d’embargo économique tous les pays qui soutiendraient cette commission.

Les Houthis sont accusés d’utiliser des enfants soldats et de persécuter les minorités des territoires occupés. La coalition dirigée par l’Arabie bombarde les villes donc les civils et impose un blocus maritime, terrestre et aérien. Bien entendu, les lobbies des armes profitent massivement de cette guerre. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France vendent (et testent) leurs derniers modèles d’armes sur le terrain. Les Etats-Unis ont signé un contrat de 130 milliards de dollar !
Depuis l’assassinat de Jamal Khashoggi dans l’embrassade saoudienne d’Istanbul, l’Allemagne a annoncé le gel des livraisons d’armes… mais a déjà été prise en flagrant délit de violation du moratoire. L’Arabie saoudite met la pression en exerçant du chantage au contrat. L’Espagne a failli en faire les frais : elle a annoncé interrompre la livraison de bombes, en retour l’Arabie a déclaré renoncer à l’achat des 5 corvettes prévues…
La France par l’intermédiaire de sa ministre des armées s’est dédouanée naïvement en déclarant que les armes françaises ne sont pas en position offensive et qu’elle n’a pas de preuves que celles-ci ont fait des victimes civiles. Il faut savoir que la France livre des avions (défensifs ?) et des canons Caesar d’une portée de 40 km.

Conséquences

Le blocus imposé par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis a provoqué une épidémie de choléra qui touche près d’un million de personnes d’après le rapport de l’ONU qui précise également que sept millions de personnes, un quart de la population, est au bord de la famine et 22 millions ont besoin d’aide humanitaire. Fin 2017, plus de 2000 personnes étaient mortes du choléra et l’épidémie n’est pas prête de prendre fin, faute de médicaments. Le blocus est considéré par Médecins du monde non comme une nécessité, mais comme une punition collective à laquelle les pays occidentaux sont partie prenante. « Le Yémen subit la pire crise humanitaire du monde » alerte Alexandre Giraud, directeur général de l’association humanitaire Solidarités Internationales. « Un enfant meurt toutes les dix minutes d’une maladie qui aurait pu être évitée et près de 30 000 enfants meurent chaque année à cause de la malnutrition » ajoute Geert Cappelaere, représentant de L’UNICEF pour le Moyen-Orient et l’Afrique.

Entre-temps, al-Qaïda continue à former des guerriers dans l’est du Yémen, sous le regard bienveillant de l’Arabie.