Voici une date et un événement qui nourrit l’imaginaire (historique) des Français. Mais que s’est-il passé à Poitiers en 732 ?
Qu’est devenu l’Empire romain ?
Voici déjà plus de 400 ans que les peuples germains ont remplacé les Romains dans les territoires de l’ouest de l’Empire. Les Germains au contact des Gallo-romains se sont romanisés. Ils sont chrétiens et considèrent l’évêque de Rome comme chef de l’Eglise. Mais l’institution religieuse est déjà en déclin : les fils cadets des familles nobles occupent les postes d’évêques… sans renoncer aux plaisirs de la vie : sexe, chasse et ripailles.
On parle latin dans les hautes sphères du pouvoir, mais la culture s’est appauvrie : seule une très petite minorité sait lire et écrire. Dans l’Empire romain, les personnes cultivées étaient nombreuses, non seulement parmi les citoyens, mais aussi parmi les esclaves. Le monopole de la fabrication des papyrus venant d’Egypte avait permis la diffusion de textes écrits. Un écrit sur papyrus pouvait s’acheter pour le montant d’un jour de solde d’un légionnaire. On a retrouvé la trace de 20 bibliothèques à Rome.
Par contre, au VIIIe siècle, les documents sont écrits sur du parchemin, des peaux d’animaux traitées par un processus long et coûteux. Les livres ne sont plus à la portée du peuple. Ecrire et lire devient un art.
La solde des légionnaires a évolué suite à l’inflation : de 1200 sesterces au Ier siècle, elle a atteint 7200 sesterces fin du IVe siècle. C’est un montant brut ! L’Etat gardait 20% pour la retraite du légionnaire, après 25 ans de service… ou comme pension pour sa veuve et ses orphelins. L’armée en prélevait 50% pour la nourriture et l’équipement. Au Ier siècle, le légionnaire gagnait donc 10 sesterces nets par jour, soit 2,5 deniers ou 40 as (1 denier = 4 sesterces = 16 as). Il faut ajouter les primes de victoires et les gratifications des empereurs à l’occasion de leur nomination ou de la naissance d’un héritier.
Un litre de vin coûtait de 2 à 8 as en fonction de sa qualité, une visite dans une maison de prostitution revenait à 4 ou 8 as, boissons non comprises.
Au fil des successions et des mariages, le territoire de l’ancienne Gaule a été partagé ou s’est reconstitué. Au sud, le duché d’Aquitaine, territoire wisigoth, mis à mal par Clovis (456-511), s’est reformé avec comme capitales Toulouse et Bordeaux, il occupe les anciennes régions d’Aquitaine, du Limousin, du Midi-Pyrénées et une partie du Poitou.
La Burgondie, aussi appelée Bourgogne, pays des Burgondes, s’étend d’Orléans à Avignon.
Les Alamans se sont installés en Franche-Comté et en Suisse.
Les Francs gouvernent la Neustrie qui occupe les territoires au nord-ouest de la Loire, d’Arras à Angers en passant par Paris et le royaume d’Austrasie qui s’étend sur la Champagne, l’Alsace, la Lorraine et la Belgique jusqu’au Rhin, avec comme capitales Cologne et Trèves.
Au nord, les Frisons, à l’est les Saxons et au sud-est les Bavarois sont en « cours de conversion au christianisme », euphémisme pour dire qu’ils sont toujours païens.
Le roi mérovingien d’Austrasie s’appelle Thierry IV. Il a repris les fonctions des anciens rois francs : il règne mais ne gouverne pas. L’histoire nous a fait connaître ses rois sous le nom peu flatteur de rois fainéants. L’autorité est aux mains des maires du palais, les maîtres du palais : les magister palatii. À l’époque qui nous occupe le maire du palais est Charles Martel (688-741), fils de Pépin de Herstal, père de Pépin le Bref et grand-père de Charlemagne.
D’où tient-il son nom ? Il aurait été appelé « le marteau de Dieu » par le pape Grégoire II, d’où son surnom de Martel. Une autre hypothèse, plus prosaïque, lui donne comme nom Charles Martieaux, une variante de Charles Martin ; Martin étant le saint protecteur des Francs.
En 717, à la suite d’un conflit de succession au trône, Pépin le Bref prend le contrôle de la Neustrie.

L’Espagne (al Andalus)
Arrivés en Espagne en 711, d’où ils ont chassé les Wisigoths, il ne faut que huit ans aux musulmans pour conquérir la Septimanie, la région de Narbonne.
Les musulmans qui ont débarqué en Espagne ne sont pas des Arabes. Ce sont essentiellement des Berbères, des habitants du Maghreb, appelés Maures en référence à la province romaine de Maurétanie. Dans l’Espagne, l’entente n’est pas cordiale entre ses premiers arrivés, les Berbères, et les Arabes envoyés par le califat de Damas : la distribution des terres n’a pas été équitable, les Berbères n’ont reçu que des terres incultes dans les régions montagneuses. En 20 ans il n’y aura pas moins de 14 émirs à la tête de ce qui s’appelle al Andalous.
À partir de la Septimanie, en remontant le Rhône, les Maures lancent des raids vers la Burgondie. Beaune et Autun sont même dévastées. Ils s’attaquent également à l’Aquitaine, mais en 721, ils sont défaits et mis en déroute devant les murs de Toulouse.
La chevauchée le l’émir abd er-Rahman
Ce n’est que partie remise, en 732, l’émir abd er-Rahman remonte le long de la côte et pille Bordeaux. Cet émir n’a rien à voir avec le dernier des Omeyyades, ni avec celui qui se proclamera calife à Cordoue en 911. Le nom d’abd er-Rahman est très répandu, il signifie le « serviteur du Miséricordieux« .
Face aux attaques, le duc d’Aquitaine, Eudes, demande l’aide de Charles Martel pour se débarrasser des envahisseurs. Il sait que cette requête va inévitablement mettre fin à l’indépendance de son territoire, mais de deux maux il choisit le moindre.
Bordeaux ruinée, les musulmans continuent leur route vers le nord, pillant églises et monastères qui regorgent d’ustensiles d’or et d’argent, comme l’ont fait avant eux les Huns et comme le feront après eux les Normands. Ce n’est pas une armée de conquérants, mais une expédition de razzia, de pillage.
La bataille de Poitiers
En octobre 732, ils sont dans la région de Poitiers. La date n’est pas certaine, des calculs plus récents la situe en octobre 733 car d’après les sources, la bataille a eu lieu un samedi, le premier jour du mois de ramadan.
C’est là que Charles Martel a rassemblé une armée composée non seulement d’Austrasiens et d’Aquitains mais aussi de Frisons, de Burgondes, d’Alamans et de Bavarois. Un chroniqueur, l’Anonyme de Cordoue, probablement Isidore de Beja, désignera cette armée sous le nom d’Européens. Dans ses Chroniques mozarabes, il écrit : « … au point du jour, les europenses voient les tentes du camp».
Quelles sont les forces en présence ? 1000, 10.000, 50.000 hommes. L’histoire ne nous le dit pas. Il est probable que les forces n’étaient pas très équilibrées, un Arabe pour trois coalisés et quelques milliers de combattants peut-être, bien que la légende fasse état de 375.000 morts du côté arabe !
L’issue de la bataille ne fait pas de doute, les troupes de Charles Martel prennent le dessus sur l’armée de l’émir. Une partie des Maures tente de fuir, mais ralentis par leurs chariots remplis d’or, ils sont rattrapés et massacrés. D’autres, moins cupides, ne seront même pas poursuivis : l’armée franque ne disposant pas de cavalerie capable de rivaliser à la course avec les cavaliers musulmans : les Arabes utilisaient des étriers qui venaient à peine d’être découverts par les Francs. Contrairement à ce que montrent les films, l’étrier était inconnu des Romains. C’est une invention chinoise qui s’est propagée lentement vers l’ouest. À l’origine, il semble n’y avoir eu qu’un seul étrier, pour faciliter l’installation du cavalier.

Conséquence de la bataille
Les prisonniers furent remis au duc d’Aquitaine qui les envoya dans ses mines d’argent. Le butin des Maures ne fut pas rendu à leurs propriétaires, les églises et les monastères pillés, mais emmené par les Francs chez lesquels il restait un fond de barbarie.
Comme pressenti par le duc d’Aquitaine, Charles Martel aura tôt fait d’annexer son territoire, mais il faudra attendre son fils, Pépin le Bref, pour conquérir la Septimanie et rejeter les Arabes au-delà des Pyrénées malgré deux sièges infructueux de Charles Martel devant la ville de Narbonne. Ces deux expéditions se soldèrent par le pillage et la destruction des villes d’Agde, de Béziers, et d’Avignon… par les Francs.
Un émirat subsistera une centaine d’années (889-973) dans les environs de Saint-Tropez, d’où le nom de massif des Maures.
En 750, Pépin le Bref (714-768) fera destituer le dernier roi mérovingien, Childéric III, par le pape Zacharie auquel il avait posé la question : « Qui, de celui qui porte le titre de roi ou de celui qui en exerce réellement les pouvoirs, doit ceindre la couronne ? ». Le roi mérovingien Childéric sera tonsuré et placé dans un monastère. Depuis, la croyance populaire a répandu le bruit que les rois mérovingiens tenaient leur pouvoir de leur abondante chevelure et dès qu’on les tondait, ils perdaient cette force et leurs sujets les abandonnaient. Ce qui est bien sûr une légende.
Ainsi prend fin la dynastie mérovingienne et commença le règne de la dynastie carolingienne.
C’est son fils, Charlemagne (742 ou 747 ? – 814), qui réunifiera tous les territoires peuplés de Germains en un vaste empire, mais à sa mort l’empire sera de nouveau partagé entre ses trois fils.