D’après l’article de Mohammad Ali Amir-Moezzi dans le « Coran des Historiens » (éditions du Cerf)
Mahomet a-t-il annoncé la fin imminente du monde, tout comme Jésus dans les évangiles ?
Plusieurs sourates du Coran parlent de la fin des temps, mais était-ce imminent ?
Contexte dans la région
Au VIIe siècle, le Proche Orient est fortement marqué par des attentes apocalyptiques dans toutes les religions. De 551 jusqu’en 767, la peste sévit dans la région. L’archéologie découvre des villages entiers abandonnés, vidés de leurs habitants. Il est possible que la ville de Pétra, jadis centre commercial prospère, ait perdu ses derniers habitants lors de cette épidémie : les fouilles ont montré que les derniers habitants s’étaient réfugiés dans l’église espérant une vaine protection de leur dieu.
Les guerres incessantes entre les empires byzantin et perse, pourtant affaiblis par l’épidémie, créaient un climat d’angoisse et d’insécurité propice aux « prémonitions les plus sombres et aux espérances les plus folles« .
Le milieu juif est particulièrement actif et cherche à libérer Jérusalem de la domination des Byzantins et à reconstruire le temple, prémisse d’une ère nouvelle.
Sans oublier que les Huns, qui ont terrorisé l’empire romain dans la première moitié du Ve siècle, sont de retour dans le Caucase. Le Coran se fait l’écho de cette présence en comparant les Huns à Gog et Magog, deux peuples barbares qui à la fin des temps briseront les portes qui les retiennent dans les steppes… d’après la tradition. Sur cette légende, voir l’article Gog et Magog.
Toutes les conditions étaient réunies pour que la littérature apocalyptique fleurisse et influence la pensée des fidèles. Dans le milieu juif, l’Apocalypse de Zorobal et les Secrets de Rabbi Shimon ben Yohai circulent. Mais les sources les plus nombreuses sont composées par les auteurs chrétiens, qui attendent toujours le retour du Messie : le Testament des Douze Apôtres, le Sermon sur la Fin des temps, l’Apocalypse du Pseudo-Esdras, etc.
Ce climat pré-apocalyptique n’est pas circonscrit aux cercles religieux, le Proche Orient est un monde connecté, les idées circulent et atteignent les milieux arabes. Ce n’est pas une période d’ignorance comme veut le faire croire l’islam.
La fin des temps dans le Coran et les hadiths
La fin des temps
Le Coran contient plus de deux cents versets mettant en garde sur la fin des temps, promettant la résurrection aux fidèles et la Géhenne aux mécréants. C’est un thème récurrent.
« Le fracas ! Qu’est-ce donc le fracas? Qui te dira ce qu’est le fracas ? C’est le jour où les hommes seront comme des papillons éparpillés [ou des tapis étendus ?] et les montagnes comme des flocons de laine cardée » (Co. 101, 1-5).
« La terre resplendira de la lumière de ton Seigneur ; le livre [des actes des hommes] sera posé et on appellera les prophètes et les témoins. La sentence sera prononcée en tout équité et nul ne sera lésé » (Co. 39, 69).
L’Heure
Mais quand arrivera la fin des temps ? « L’Heure imminente est proche. Allah seul peut la dévoiler. » (Co. 53, 57-58). Un hadith prête même à Mahomet cette déclaration : « L’Heure arrive. Mon avènement et l’Heure sont séparés l’un de l’autre comme ces deux-là (et il montra son index et son médium)« . Donc Mahomet a été envoyé pour avertir le peuple que le Jugement est proche et qu’il faut s’y préparer.
Jésus ne disait pas autre chose : « En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive » (Marc, 13, 30).
Mais comme pour les chrétiens, l’Heure n’est pas venue. Alors dans le Coran , on trouve cette mise en garde : « Ils te pressent de hâter le châtiment. Dieu ne manque jamais sa promesse. Et le jour auprès de ton Seigneur équivaut à mille ans de votre calcul » (Co. 22, 47). Ou plus encore : « Les Anges ainsi que l’esprit montent vers Lui en un jour dont la durée est de cinquante mille ans. Supporte donc une belle patience » (Co. 70, 4-5).
Le messie
Mahomet a-t-il parlé du Messie, figure centrale de l’apocalyptique juive et chrétienne ? Le Coran n’en dit rien, il se contente d’appeler « Isa (Jésus) le Messie », mais sans lui attribuer un rôle particulier. Pourtant, dans la littérature chrétienne, contemporaine de Mahomet, on lit :
Un prophète est apparu avec les Saracènes [les Arabes] proclamant le venue le l’Oint attendu, le Messie. (Doctrina Jacobi, écrit vers 640).
Dans une lettre, Jacques d’Edesse (?-780) écrit :
Les Mahgrayes (musulmans) confessent tous fermement que Jésus est le vrai messie qui devait venir et qui fut prédit par les prophètes. Sur ce point, il n’y a pas de dispute avec nous.
Les chiites prétendent que Mahomet, le prophète, annonçait Ali, le messie. Ils se basent sur la sourate 13, verset 7 : « Tu n’es qu’un avertisseur, et à chaque peuple, un guide« . Ali est présenté par les chiites comme l’Alliance divine. Ils parlent du saint pouvoir d’Ali.
La Doctrina Jacobi (voir extrait ci-dessus) est un ouvrage chrétien, mais il met en scène des Juifs. Ont-ils reconnu Mahomet comme un prophète précédant la venue du Messie ? C’est bien probable puisqu’ils ont rejoint la umma, comme le montre la charte de Yathrib à qui j’ai consacré un article. Ils vont même suivre les troupes arabes à Jérusalem où un lieu de prière va être construit. Pour les Juifs, le retour à Jérusalem et la reconstruction du temple sont des prérequis à l’avènement du Messie (voir l’article sur le Messie).
Mais l’avertisseur (Mahomet) et le Messie (Ali) sont morts sans que la fin du monde n’arrive. D’autre part, les rapides conquêtes et la création d’un empire islamique ne pouvaient tolérer l’idée que la fin des temps était proche : la stabilité de l’État n’a jamais fait bon ménage avec les aspirations messianiques. L’histoire a été réécrite et la tradition réinterprétée.