La jeunesse de Jésus

Quoique la plupart des historiens ne mettent pas en doute l’existence de Jésus, on ignore s’il fut un personnage majeur de l’Histoire ou une personnalité fabriquée par les textes. On connaît son existence par des récits élogieux de justification : les évangiles qui ne racontent que la fin de sa vie.
Mais que savons-nous de sa jeunesse et sa famille ?

Dès la fin du deuxième siècle, plusieurs récits de la jeunesse de Jésus ont vu le jour. Pourquoi ces textes sur la famille et la jeunesse de Jésus ont-ils proliféré ?
Deux hypothèses peuvent être envisagées.
Dans le monde grec, tous les héros, les demi-dieux nés d’une femme et d’un dieu, ont une jeunesse qui prépare les actions de leur vie d’adulte : Hercule, Persée, Thésée et même Alexandre le grand. Un homme n’existe pas s’il n’a pas été enfant. Jésus ne pouvait pas faire exception.

Mais un événement me semble plus probable : vers 140, venant des bords de la Mer noire, un théologien, Marcion rejoint la communauté chrétienne de Rome. Ses idées vont bouleverser la conception de Jésus : pour lui, Jésus est un être céleste descendu sur terre sous l’apparence d’un homme de 30 ans. Il n’a donc pas eu d’enfance. (J’ai consacré un article à Marcion).

Son enseignement est contraire à la théorie majoritaire de l’époque qui voyait Jésus comme un homme, né d’une femme et fils de Dieu. En réaction à la pensée de Marcion, non seulement les évangiles de Luc et de Matthieu vont être modifiés (voir « L’invraisemblable naissance de Jésus« ) pour ajouter la naissance de Jésus, mais on va voir fleurir des vies de Joseph, de Marie, de ses parents appelés Anne et Joachim et bien entendu des récits de la jeunesse de Jésus dont l’Histoire de l’enfance de Jésus. Je vais me concentrer sur le livre.

Mais avant, une remarque : l’Évangile de Marc est le plus authentique. Je ne veux pas dire par là qu’il est le plus proche de la vérité historique, mais qu’il est celui qui a subi le moins de modifications, et il ne relate pas la naissance de Jésus, ni sa résurrection. La Traduction œcuménique de la Bible (TOB) note après le verset 18,6 de cet évangile : « Selon les meilleurs manuscrits, l’Évangile de Marc s’arrête ici ». Le verset 18,6 parle de la découverte du tombeau vide par Marie Madeleine, Salomé et Marie mère de Jacques et dit « Elles sortirent et s’enfuirent loin du tombeau … car elles avaient peur ».
Or dans les épîtres de Paul que la tradition présente comme les textes les plus anciens du christianisme, donc antérieurs à l’Évangile de Marc, l’auteur ne connaît que deux faits de la vie de Jésus : (1) il est né d’une femme et (2) il a été crucifié et il est ressuscité.
Les historiens devraient faire fi de la tradition et se pencher sur cette contradiction, ou la méconnaissance de Marc.

Histoire de l’enfance de Jésus

C’est un livre de la fin du IIe siècle ou du IIIe siècle écrit en grec, mais dont nous ne possédons plus l’original grec, mais des traductions en latin et en copte. C’est un apocryphe. Il n’a pas été reconnu comme écrit canonique. Dans cet ouvrage qui relate des épisodes de l’enfance de Jésus entre 5 et 12 ans, celui-ci est élevé par son père Joseph, un charpentier. Jésus y est présente comme un salle gosse, c’est le moins qu’on puisse dire, très intelligent peut-être, hors du commun certainement, mais à ne pas fréquenter.

Que reproche-t-on à l’enfant ?

Jésus a 5 ans, il joue au bord d’une rivière et façonne des oiseaux avec l’argile qu’il recueille. Mais c’est jour de shabbat ! On avertit son père qui vient le réprimander : « Pourquoi as-tu fait, le jour du shabbat, ce qui est défendu de faire ? ». Jésus frappe dans ses mains et les oiseaux s’envolent.
Entre temps, un enfant a fait couler les eaux que Jésus avait amassées. Jésus lui crie : « Homme injuste, impie et insensé, quel tord te faisait cette eau ? Tu vas être comme un arbre frappé de sécheresse… » et aussitôt, l’enfant se dessécha.

Un autre jour, Jésus est bousculé par un enfant qui courait. Il lui dit : « Tu n’achèveras pas ton chemin ». Et aussitôt, l’enfant tomba et mourut. Les spectateurs cet événement vinrent se plaindre à Joseph qui de nouveau le réprimanda. Vexé Jésus glose et les rendit aveugles !

Un maître d’école, entendant le discours qu’a tenu Jésus, demande à Joseph de lui confier l’enfant afin de l’éduquer. Il lui « apprendra les lettres »… grecques. Mais Jésus n’est pas convaincu : « Toi qui ignores la nature de la lettre Alpha, comment enseignes-tu aux autres ce qu‘est Bêta. ». Dépité le maître renvoie l’enfant chez son père : « Je ne peux soutenir la rigueur de ses raisonnements… Cet enfant n’est pas né sur terre… Il est quelque chose de grand, ou un dieu, ou un ange. » Jésus se mit à rire et dit : « Maintenant que les aveugles de cœur voient : je suis venu d’en-haut pour les maudire ainsi que m’en a donné l’ordre celui qui m’a envoyé à cause de vous. » Et tous ceux qu’il avait frappé de sa malédiction furent guéris ! Depuis lors personne n’osa plus provoquer sa colère.

Il s’assagit et fit alors des miracles : il ressuscita un enfant tombé du toit, il ramena à la vie un homme blessé par une hache.
Avec un seul grain de blé, il parvint à nourrir tous les indigents du village. Il avait huit ans.
Il allongea une pièce de bois pour aider son père à fabriquer un lit.

Mais le mauvais instinct n’est pas loin. De retour à l’école, il se montra impertinent et son maître le frappa à la tête. Jésus le maudit et l’homme mourut. Joseph dit à Marie : « Ne le laisse plus franchir la porte de cette maison, car tous ceux qui provoquent son courroux sont frappés de mort. »

Puis les résurrections reprennent.
Le dernier chapitre raconte l’épisode de Jésus, 12 ans, enseignant au temple de Jérusalem alors que ses parents le cherchent. Cet épisode est repris dans ou de l’Évangile de Luc (2, 41-50). Lorsque Jésus dit : « Pourquoi donc me cherchez-vous ? Ne savez-vous pas qu’il me faut être avec ceux qui sont avec mon père. » , dans l’évangile, personne ne comprend ce qu’il veut dire, par contre dans l’apocryphe, les scribes et les pharisiens présents dirent à Marie : « Tu es heureuse parmi toutes les femmes, car Dieu a béni le fruit de ton ventre ».

Or cette réplique est incluse telle quelle dans une des prières chrétiennes les plus connues, le « Salut Marie » : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni« . Bizarre d’avoir repris un texte apocryphe.

Jugement de Jean Chrysostome (344? – 407)

Vers 390, Jean Chrysostome, dans ses commentaires sur l’Évangile de Jean, affirme que Jésus n’a pas pu accomplir de miracles avant son baptême par Jean le Baptiste dans les eaux du Jourdain. Il considère donc « tous les signes qu’on appelle de l’enfance du Christ » comme des faux et des inventions de quelques menteurs.

Cette remarque est intéressante, car prédicateur brillant, son nom signifie « bouche d’or », père de l’Église, Jean Chrysostome ne semble pas considérer Jésus comme un dieu dès sa naissance, mais comme un homme « adopté » par Dieu lors de son baptême. Dans l’Évangile de Jean on lit :

[C’est Jean le Baptiste qui parle] J’ai vu l’Esprit telle une colombe descendre du ciel et demeurer en lui… Celui qui m’a envoyé baptiser [Dieu] dans l’eau m’a dit : « Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer en lui, c’est lui qui baptisera dans l’Esprit saint ». Et moi, j’ai vu et j’atteste qu’il est lui, le fils de Dieu. (Jean 1, 32-34)

Laisser un commentaire