Clovis a été considéré par les milieux catholiques comme le nouveau Constantin car il a fait triompher leur dogme face à l’arianisme majoritaire à son époque. À la fin du Ve siècle, la majorité des rois germaniques qui ont pris place dans l’Empire romain d’occident sont ariens, aucun n’a opté pour la foi catholique. Et pourtant, cinquante ans plus tard, le catholicisme s’est imposé grâce, non pas à un miracle, mais à l’ambition d’un homme : Clovis, roi d’une petite tribu franque du nord de l’Europe.
Comment cet homme est-il parvenu à ses fins ? Tout le monde connaît son histoire, mais celle-ci a été bâtie sur une biographie rédigée par l’évêque Grégoire de Tours, né 30 ans après la mort de Clovis… et fortement romancée. Laurent Theis, dans son ouvrage « Clovis : de l’histoire au mythe », déclare que « réduit à sa seule consistance historique vérifiable, il serait resté dans la discrétion de l’Histoire. »
Origine
Clovis est le roi d’une tribu franque, les Francs saliens, installée dans la vallée de l’Escaut, en Belgique actuelle, vers 340, en tant que peuple fédéré à Rome. Il est né vers 466 et a régné de 481 à 511. Son père, Childéric Ier, est beaucoup mieux connu. Ils font partie de la dynastie des Mérovingiens.
Childéric Ier
Né vers 436, il règne de 457 à 481 à partir de sa capitale, Tournai. Pourquoi son histoire nous est-elle mieux connue ? Pour deux raisons : il a vécu dans l’Empire romain alors que Clovis a régné après la disparition de l’Empire d’Occident en 476, et on a retrouvé sa sépulture, ce qui nous a donné de nombreuses indications sur le personnage.
Childéric a aidé l’armée romaine à arrêter Attila lorsqu’il a envahi la Gaule (voir l’article sur Attila). Il est également intervenu sous la bannière de Rome pour repousser une incursion des Saxons dans la région d’Angers. Toute sa vie, il est resté fidèle à Rome et a toujours répondu à ses appels. Il a même emmené ses troupes jusqu’à Arles, à mille kilomètres de ses bases, pour assister l’empereur à mettre fin aux incursions des Wisigoths.
En 1653, un ouvrier qui travaille à la rénovation d’un quartier de Tournai découvre un ensemble de tombes. Les fouilles mettent à jour la sépulture du roi franc. Si la majorité des objets ont disparu, volés à Paris en 1831, le journal des fouilles consignées par le docteur Jean-Jacques Chifflet reste un modèle du genre.
C’est la tombe d’un roi germain païen, enterré avec ses armes et ses chevaux. Mais c’est aussi celle d’un haut dignitaire romain : on a retrouvé la fibule en or qui fermait son manteau de guerre ainsi que son anneau sigillaire qui lui permettait d’apposer son sceau sur les documents officiels. Sur le sceau, on le voit avec les cheveux longs, en tenue de bataille (voir image). Plus de cent pièces de monnaie romaine, frappées au nom de l’empereur d’Orient Zénon (476-491), constituaient probablement son salaire en tant que gouverneur de la Belgique seconde. On a retrouvé un trésor de 80 kilos d’or et, parmi les bijoux, trois cents abeilles dont seules deux d’entre elles ont été retrouvées après le vol.


Clovis
Clovis nous est connu par l’ouvrage de Grégoire de Tours (538-594) : Histoire des Francs, largement romancé, et par une dizaine de lettres, en latin, collectées tardivement au IXe siècle, dont l’une écrite par Clovis aux évêques concernant le traitement des prisonniers faits pendant la guerre contre les Wisigoths. On y lit : « C’est pourquoi nous ordonnons que quiconque aura subi la violence de la captivité soit dans les églises, soit hors de l’église, soit totalement et sans délai rendu.«
Une des lettres, envoyée par l’évêque Rémi à Clovis lors de son accession au trône, confirme que Clovis « a pris l’administration de la Belgique seconde », l’évêque l’encourage à continuer l’action de son père : secourir les affligés et rendre une justice équitable.
Je ferai référence à quatre de ces lettres:
- La lettre de Rémi félicitant Clovis pour son accession au trône, déjà citée.
- La lettre de Avitus, évêque de Vienne (près de Lyon) pour le féliciter de son baptême.
- La lettre de Rémi pour s’excuser de son absence aux funérailles de la sœur de Clovis.
- Le lettre de Théodoric, roi des Ostrogoths, pour tempérer l’ardeur de Clovis contre les autres rois germains.
Situation de la Gaule à l’avènement de Clovis

La « chute de l’Empire romain » est un non-événement. C’est une révolution de palais : Odoacre, un Germain, chef de l’armée romaine, exile le jeune empereur Romulus Augustulus dans une villa de la campagne italienne et fait allégeance à l’empereur Zénon et au Sénat de Rome. L’Empire romain subsiste dans l’est, avec Constantinople comme capitale. Il se maintiendra jusqu’en 1453. Mais les fonctionnaires ne sont plus nommés en Gaule, la charge devient héréditaire. Clovis succède donc à son père non seulement en tant que roi, mais aussi en tant que dignitaire romain.
De facto, les Germains qui s’étaient installés dans l’Empire romain prennent en charge l’administration de leur territoire. Au milieu des Barbares, subsiste un « royaume romain », dirigé par le général Syagrius. [NB : pour les Romains, le terme « barbare » n’est pas péjoratif, il désigne tous les peuples qui ne parlent pas le grec ou le latin]. Très vite, le royaume d’Odoacre va tomber aux mains des Ostrogoths, envoyés vers l’Italie par l’empereur de Constantinople. Le roi des Ostrogoths, Théodoric (mort en 526), éduqué à la cour de l’empereur comme otage, est le roi le plus puissant. Il s’est tissé un réseau d’alliés parmi les autres Germains en mariant ses filles aux divers rois. Lui-même a épousé la sœur de Clovis, Audoflède (470-534).
Clovis le conquérant
Contrairement à son père, Clovis ne combat plus au service de Rome, mais pour étendre sa domination. C’est un prédateur. Il commence à combattre les autres rois francs, pourtant membres de sa famille, puis il attaque Syagrius et prend Lutèce (Paris) où il rencontre celle qui deviendra sainte Geneviève, une Franque.
Le voici face aux territoires occupés par les Alamans, répartis en plusieurs tribus. Ils les repoussent vers le sud, vers les terres de Théodoric. Nous possédons une lettre envoyée par Théodoric à Clovis. Le secrétaire de Théodoric est un romain lettré, Cassiodore qui appelle Clovis Luduin alors que son nom latin est Chlodoveus. Théodoric flatte tout d’abord Clovis en le félicitant pour ses victoires. Puis il le met en garde : il ne doit pas poursuivre les Alamans qui se sont réfugiés chez lui. Il termine par rappelant que Clovis est arrivé aux limites des territoires gouvernés par sa famille (par mariages) et qu’il n’y a rien de plus sacré que la famille. Il se hâte aussi à envoyer des émissaires aux Wisigoths, aux Burgondes, aux Hérules et aux Thuringiens.
Alors que son royaume s’étend de la Loire au sud au Rhin à l’est, Clovis va se convertir au catholicisme et se faire baptiser.
Clovis et la religion
Situation religieuse de la Gaule et de l’Italie
Les tribus germaniques qui habitaient dans les forêts de la rive droite du Rhin sont restées païennes en venant s’installer dans l’empire romain. Ce sont les Francs, les Alamans, les Saxons, etc. Les Germains qui viennent des plaines du Danube sont chrétiens, de rite arien. Ils ont été convertis par l’un des leurs, Wulfila. Ce sont les Ostrogoths, les Wisigoths, les Vandales, les Burgondes, etc.
Donc, au sud de la Gaule, les Germains sont ariens, au nord, ils sont païens. Ils vivent parmi des Gallo-romains, dont une bonne partie est restée fidèle aux dieux de Rome. Les autres sont catholiques. Sur la carte qui suit, on peut voir les zones restées païennes (en jaune) à la fin du IVe siècle, au moment où la seule religion admise dans l’Empire était le catholicisme.

À part quelques théologiens, la plupart des fidèles n’ont aucune connaissance du dogme de la religion qu’ils pratiquent. On peut simplifier en disant que les catholiques professent : « je crois en la Sainte Trinité, Dieu le Père, Jésus-Christ son Fils et le Saint-Esprit ». Quant aux ariens, ils croient « en un Dieu unique et son Fils Jésus-Christ ». Mais comme plus aucun monarque ne protège les catholiques, les persécutions contre les païens, les hérétiques et les juifs ont cessé, la tolérance règne sur la Gaule et l’Italie.
Le mariage de Clovis
En 493, Clovis épouse Clotilde, une princesse burgonde catholique. C’est probablement un mariage politique arrangé par Théodoric, qui épouse la même année Audoflède, une des sœurs de Clovis. Théodoric marie également ses filles aux différents rois des peuples germaniques. Il crée ainsi une grande dynastie dont il est le centre.
En 494, Clothilde donna naissance à un fils prénommé Ingomer. Elle persuade Clovis de lui donner le baptême. Grégoire de Tours imagine les arguments de la reine :
Les dieux que vous adorez ne sont rien, puisqu’ils ne peuvent se secourir eux-mêmes ni secourir les autres ; car ils sont en pierre, en bois ou en métal. Les noms que vous leur avez donnés sont des noms d’hommes et non de dieux, comme Saturne qui, dit-on, s’échappa par la fuite pour ne pas être chassé du trône par son fils ; comme Jupiter lui-même, honteusement souillé de tous les vices, qui a déshonoré tant de maris, outragé les femmes de sa propre famille, et qui n’a pu s’abstenir de concubinage avec sa propre sœur, puisqu’elle disait : « Je suis la sœur et la femme de Jupiter ». Qu’ont jamais pu faire Mars et Mercure ? … Cependant, la reine fidèle présenta son fils au baptême : elle fit décorer l’église de voiles et de tapisseries, pour que cette pompe attirât vers la foi catholique le roi que ses discours n’avaient pu toucher. L’enfant, ayant été baptisé et appelé Ingomer, mourut dans la même semaine de son baptême.
Étrange protection pour l’enfant que son baptême ! Mais la mère n’est pas affectée par sa mort… « Il est nourri de la vue de Dieu« . Notons au passage que Grégoire semble ignorer le panthéon germain, à moins que Clovis n’adore les dieux romains.
Le baptême de Clovis
Le baptême de Clovis a été jugé comme un acte essentiel de son règne. Grégoire de Tours lui consacre un long passage. Pourtant, on ignore quand il a été baptisé… entre 496 et 507. En 495, il pille encore des églises et en 508, il est fait consul par l’empereur romain dans l’église Saint-Martin à Tours.
On pense qu’il a été baptisé le jour de Noël, ce qui n’est pas courant ; d’habitude, les baptêmes avaient lieu le jour de Pâques, le baptême étant considéré comme une résurrection. D’après Grégoire, il se fit baptiser en même temps que ses sœurs Alboflède et Lantéchilde ainsi que 3000 guerriers. Or Adolflède mourut peu de temps après son baptême. L’évêque de Reims, Rémi, envoya une lettre de condoléance à Clovis dans laquelle il s’excuse de n’avoir pu assister aux funérailles à cause de la neige. Les historiens en ont conclu qu’elle mourut en janvier ou février et que le baptême eut lieu à Noël.
Mais pourquoi Clovis se fit-il baptiser et pourquoi dans le rite catholique alors que tous les rois germains étaient ariens ? Nous n’avons que des hypothèses à présenter.
(1) Pour Grégoire de Tours, Clovis mal embarqué lors de la bataille de Tolbiac contre les Alamans en 496 aurait interpellé « le dieu de Clothilde » en lui promettant de se convertir s’il lui donnait la victoire. Et « comme il disait ces paroles, les Alamans tournant le dos commencèrent à se mettre en déroute. » Comme pour Constantin à la bataille de Milvius en 312, Dieu a choisi son camp.
(2) Clovis aurait été influencé par sa femme Clothilde et par (sainte) Geneviève à Paris. C’est peu crédible, dans sa lettre de félicitation pour son baptême, l’évêque de Vienne, Avitus, écrit « le choix que vous faites par vous même ».
(3) Il aurait voulu se concilier les Gallo-romains. Or, tous les Gallo-romains n’étaient pas catholiques, loin de là. De plus, en se convertissant, il risquait de voir son propre peuple se détourner de lui, comme le dit Grégoire de Tours lui-même. Mais il ajoute : « Lorsqu’il eut assemblé ses sujets, avant qu’il eut parlé, par l’intervention de la puissance de Dieu, tout le peuple s’écria : Pieux roi, nous rejetons les dieux mortels, et nous sommes prêts à obéir au Dieu immortel que prêche saint Rémi. » Et un miracle de plus.
(4) La vraie raison n’est-elle pas politique ? Après son baptême, Clovis va s’attaquer aux Wisigoths. Cette invasion va provoquer la réaction de Théodoric qui vient au secours de ses alliés. Mais le débarquement dans le sud de l’Italie des troupes byzantines envoyées par l’empereur romain Anastase arrête l’armée de Théodoric pour la réorienter vers l’Italie. Clovis bat les Wisigoths à Vouillé et conquiert l’Aquitaine… les « murs des villes s’écroulent d’eux-mêmes« .
En se convertissant, Clovis a scellé un pacte avec l’empereur de Constantinople. En récompense, Anastase le nomme consul : « Clovis ayant reçu de l’empereur Anastase des lettres de consul, est revêtu, dans la basilique de Saint Martin, de la tunique de pourpre et de la chlamyde, et pose la couronne sur sa tête. » Clovis devient ainsi le deuxième personnage de l’empire romain après l’empereur. Les lettres de Rémi en attestent. Dans celle qu’il lui envoie lors de la succession de son père, il l’appelle « domino insigni » tandis qu’après son baptême, il le nomme « domino illustro » qui est le degré le plus haut de la hiérarchie romaine.
Le mort de Clovis
Clovis continua à guerroyer contre tous les princes francs qui contrôlaient encore des territoires. Il mourut à Paris en novembre 511 et fut inhumé dans la basilique des saints apôtres qu’il avait fait construire pour Geneviève. Il y sera rejoint par sa femme Clothilde. Mais leur sépulture n’a pas été retrouvée. En 1807, l’église a été fouillée avant sa destruction, mais pas la moindre trace de Clovis. L’église a laissé sa place à la rue Clovis, à deux pas du Panthéon.
Curieusement, Clovis n’a pas été béatifié, ni canonisé. Il n’est pas saint Clovis, ou saint Louis, la forme francisée de son nom. D’après la vie de plusieurs saints, genres très à la mode à l’époque, Clovis faisait des dons en terres, en or et en argent aux évêchés et aux monastères. Mais était-il réellement le bon chrétien qu’on veut bien nous dépeindre ou un opportuniste, un ambitieux, qui profita de la « guerre froide » entre l’empereur byzantin et le roi de Rome, l’Ostrogoth Théodoric, se rangeant du côté du moins dangereux car le plus éloigné, l’empereur, opposant le catholicisme à l’arianisme. En 573, le concile de Paris met en demeure ses fils de restituer les biens de l’Église dont leur père s’était emparé… faisait-il des dons ou accaparait-il les biens de l’Église ?
Était-il resté un rustre ? Nous avons une lettre envoyée par Théodoric à son gendre, le roi wisigoth, après avoir repoussé une première fois les Francs :
Vous voici donc, par la grâce de la Providence, revenus à la société romaine, et restitués à la liberté d’autrefois. Reprenez aussi des mœurs dignes du peuple qui porte la toge ; dépouillez-vous de la barbarie et de la férocité. Quoi de plus heureux que de vivre sous le régime du droit, d’être sous la protection des lois et de n’avoir rien à craindre ? Le droit est la garantie de toutes les faiblesses et la source de la civilisation : c’est le régime barbare qui est caractérisé par le caprice individuel.
Clovis « premier roi de France » ?
Non, Clovis était un Germain et il n’avait pas la notion d’État. Les terrains conquis étaient sa propriété à lui. Il avait prévu sa succession en partageant ses terres entre ses fils. Ces terres étaient un héritage familial.

Ce partage semble illogique. Son fils Thierry, né d’un premier partage, reçoit deux domaines disjoints. Or, cette répartition permet à tous les fils d’avoir une capitale proche de celle de leurs frères : Soissons, Reims, Paris et Orléans. Capitale ne veut pas dire lieu de résidence. Pendant longtemps, les cours royales ont été itinérantes. Il faut attendre Philippe Auguste (1165/1180-1223) pour que l’administration, les archives et le trésor s’installent dans un lieu fixe : le palais royal de Paris. Mais la cour continue de voyager de château en château avec les meubles et la vaisselle.
La proximité des capitales ne va pas créer des liens indéfectibles entre les frères. Le territoire partagé n’est pas solide. Les Wisigoths auront tôt fait de revenir en Aquitaine, reprenant les villes de Toulouse et de Bordeaux. Face aux Arabo-berbères venant d’Espagne, ils feront appel au Franc Charles Martet qui en profitera pour annexer définitivement leurs territoires. (Voir l’article : Les Arabes sont arrêtés à Poitiers).
