La naissance du salafisme
Dès le XVIIIe siècle, des courants de pensée se sont développés pour réformer l’islam, pour le faire revenir à sa forme originelle. Ce retour aux traditions des ancêtres est connu sous le nom de salafisme : l’arabe safal, signifie « les (pieux) devanciers ». Le salafisme est donc une idéologie que ses adaptes définissent comme « un retour aux sources de la foi, épurées des scories et des déformations qui résultent des siècles de décadence ».
Mais on ne connaît rien des débuts de l’expansion de l’islam sinon qu’elle s’est déroulée dans un état de guerre, guerres civile et guerres de conquête. Les premiers califes (les salaf), Abu Bakr, Umar et Uthman, et dans une moindre mesure Ali, n’ont laissé aucune trace directe dans l’Histoire : pas un écrit, par un sceau, pas un document signé. Leurs faits et gestes ont été rapportés, idéalisés par des auteurs du VIIIe ou IXe siècle, soit plus de 100 ans après les événements.
Dans ces conditions, comment savoir quelle était la pratique de l’islam « aux sources de la foi » ?
Comme un des premiers documents de l’islam semble être le Coran, voyons comment se vivait l’islam d’après le Coran. Jetons un coup d’œil sur ce que dit le Coran des 5 piliers de l’islam?
La profession de foi (shahâdâ).
Aujourd’hui, pour devenir musulman, il suffit de réciter, avec conviction : « Dieu, il n’y a de dieu que Dieu et Mahomet est son prophète. » Curieusement, cette phrase ne se retrouve nulle part dans le Coran. Nulle part, on ne nous dit que pour devenir croyant il faut prononcer cette formule. Il semble qu’au début de l’islam, ce sont les actes qui déterminaient un musulman, pas les mots. Ainsi, le verset 5 de la sourate 9 nous donne les conditions pour que les infidèles rejoignent la Oumma : « Si ensuite ils se rependent, accomplissent la Salat (prière) et acquittent la Zakat (aumône), alors laissez-leur la voie libre, car Allah est pardonneur et miséricordieux« .
La prière.
Aujourd’hui, le musulman est astreint à cinq prières par jour, à des moments bien précis. A l’appel à la prière, toute activité cesse, le musulman se purifie et prie suivant un cérémonial codifié.
Le Coran n’est pas très clair sur la prière, si le cérémonial de la purification est expliqué (Co. 5, 6), le nombre de prières n’est pas indiqué : « Souviens-toi de ton seigneur en ton âme avec humilité et respect et à mi-voix, le matin et le soir. Ne soit pas négligent » (Co. 7, 205).
Plus surprenant :
« Ton Seigneur sait bien que toi et une grande partie de tes compagnons restez en prière moins des deux tiers de la nuit ou la moitié ou le quart. Il sait que vous ne pourrez jamais passer toute la nuit à prier et il vous pardonne. » (Co. 73, 20)
Ou : « Accomplis la prière du déclin du jour jusqu’à l’obscurité de la nuit et récite le Coran à l’aube car la lecture de l’aube a des témoins ». (Co. 17, 78)
L’aumône.
Ce pilier de l’islam est le mieux défini dans le Coran : « Les aumônes sont destinées aux pauvres, aux indigents et à ceux qui s’occupent d’eux, à ceux dont le cœur a été gagné par l’islam, au rachat des esclaves, à ceux qui sont endettés au combat dans le chemin de Dieu et aux voyageurs. Tel est l’ordre de Dieu. Il est savant et sage. » (Co. 9, 60)
L’aumône constitue un fonds de secours envers les plus faibles. La communauté n’abandonne pas les nécessiteux. C’était également le cas pour les communautés juives et chrétiennes.
Le jeûne.
Le jeûne est une coutume pré-islamique : « Ô croyants, le jeûne vous est prescrit comme il était prescrit aux générations qui vous ont précédés. Craignez le Seigneur » (Co. 2, 186).
Le pèlerinage
Comme le jeûne, le pèlerinage est une pratique pré-islamique. La Mecque n’a probablement jamais été une ville caravanière (voir mon article : Pétra, La Mecque), mais c’était un lieu de pèlerinage qui attirait les nomades et les bédouins. Le Coran rappelle cette tradition et la fait remonter à Abraham.
En conclusion, le salafisme n’est pas un retour aux sources de l’islam, mais une projection dans un passé fantasmé des pratiques et de l’idéologie actuelle. Jamais les premiers musulmans n’ont envisagé un état islamique, isolé du monde, régi par la charia, qui ne commence à s’élaborer que vers 750.
Le wahhabisme
La première radicalisation de l’islam est l’œuvre d’un prêcheur solitaire, un bédouin nommé Muhammad ibn Abd al-Wahhab, qui au beau milieu du désert d’Arabie, vers 1740, proclamait qu’il n’y a de dieu que Dieu. On ne peut pas dire que les débuts de son mouvement furent un succès : il se heurta à l’hostilité des populations à tendance chiite. Par dérision on a appelé son mouvement le wahhabisme, la religion du seul Abd al-Wahhab… c’est son frère qui l’aurait ainsi surnommé.
Le wahhabisme est l’exemple type du fondamentalisme musulman. Quoi de plus fondamental en effet que sa profession de foi : il n’y a de dieu que Dieu, point. L’homme ne doit pas compter sur les saints ni même sur le prophète pour intercéder auprès d’Allah. Abd al-Wahhab s’attaque donc au culte des saints (les marabouts) et des ancêtres. Il rejette les confréries soufies. Il interdit le tabac, la musique, toute espèce de loisir ainsi que les chapelets qu’on égraine.
On le traite d’ignare, d’égaré et même d’hérétique.
Mais la situation change du tout au tout lorsqu’il rencontre un émir du Nadj, la région centrale de l’Arabie autour de Riyad, dont il aurait épousé la fille. Son ambitieux beau-père, Muhammad ibn Saoud, va transformer le prêcheur en une figure de proue d’un mouvement militaro-religieux et va prendre petit à petit le contrôle du centre de l’Arabie puis, au début du XXe siècle, de la péninsule entière pour créer ce qui est toujours aujourd’hui l’État saoudien fondé en 1932.
Avant la conquête complète de la péninsule, ils vont prendre, en plusieurs occasions, le contrôle de la Mecque et de Médine et même de Karbala, en Irak, ce qui va provoquer la réaction du sultan ottoman qui s’était désintéressé d’un mouvement se développant dans une région qui échappait à son contrôle. Il envoie la troupe, une armée égyptienne commandée par Mehmet Ali. Lors de leur occupation de Médine, les wahhabites ont détruit plusieurs tombeaux de saints qui entouraient celui de Mahomet dont ceux de Khadija, d’Hassan et d’Hussein… qu’ils avaient déjà détruits à Karbala. Pour eux, il ne s’agit pas d’un sacrilège, mais d’un retour à la normale. Un hadith ne proclame-t-il pas « le prophète m’a ordonné de démolir les idoles et d’aplanir toute tombe » ? Ils ont profité de ces incursions pour également emporter l’or et les pierres précieuses déposées en offrande par les pèlerins. Aujourd’hui, cette violence est oubliée et on présente le wahhabisme comme un mouvement religieux nationaliste.
Le wahhabisme est la religion d’État de l’Arabie saoudite. Si l’Arabie est une monarchie absolue, le pouvoir est partagé entre la famille Saoud, qui compte 50 fils et 500 petits-fils et les oulémas wahhabites. L’Arabie se pose en défenseur de l’islam qu’elle juge traditionnel alors que nous le jugeons radical. Hamadi Redissi illustre bien ce propos en sous-titrant son ouvrage « Une histoire du wahhabisme » par « Comment l’islam sectaire est devenu l’islam ». Un pas vers la modernisation avait été fait par le roi Abdallah qui avait entrepris quelques réformes. Mais des attentats, qui ont fait près de 300 morts à la fin du XXe siècle, avaient persuadé les oulémas de renforcer le carcan : les cinémas ont été fermés, la publicité des produits occidentaux exposant des femmes a été proscrite. Dans la société, la femme est considérée comme mineure, elle ne peut rien faire sans un tuteur. Les femmes ont pu participer aux élections municipales en 2016… mais leurs représentantes ne peuvent pas siéger avec les hommes ! Elles doivent être cachées par… un hijab, un voile, une cloison comme les femmes de Mahomet. Et ce n’est pas les déclarations d’intention du prince Mohammed ben Salmane (MBS) qui changent quoique ce soit. Un journaliste a prédit que lorsque la femme de MBS apparaîtra en public, accompagnant son mari dans les voyages officiels, l’Arabie serait prête à rejeter ses tabous et à évoluer.
C’est au XIXe siècle que le mouvement salafiste prend de l’ampleur dans tous les pays musulmans bordant la Méditerranée. À cette époque la plupart des pays musulmans se trouvaient sous dépendance directe ou indirecte des puissances européennes. Cette occupation modifiait la vie sociale des populations autochtones par l’introduction de l’enseignement traditionnel non religieux et des missions chrétiennes, toute innovation qui était perçue comme un abaissement de l’islam, comme une humiliation.
Ces réformes voulaient redonner à l’islam sa force première face au matérialisme colonialiste. Elles exhortaient les musulmans à quitter leur comportement fataliste issu de la notion de prédétermination et les encourageaient à l’effort ce qui signifie pour eux, le djihad.
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