Les épitres de Paul proclament : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme. » Ce que le texte ne dit pas, c’est qu’il faudra attendre la mort pour que cette égalité se réalise. En attendant, chacun reste à sa place. Le christianisme n’a pas révolutionné la société romaine, elle s’y est intégrée.
Dans l’Empire romain
Les évangiles ne parlent pas de l’esclavage, comme si ce phénomène n’existait pas dans la Palestine romaine au premier siècle de notre ère. Il faudra attendre les épitres attribuées à Paul pour que problème soit évoqué, non pas pour codifier le traitement acceptable, mais le banaliser : l’esclave doit aimer et honorer son maître. Qu’on en juge :
Exhorte les esclaves à être soumis à leurs maîtres, à leur plaire en toutes choses, à n’être point contredisants (Tite 2, 9)
Que tous ceux qui sont sous le joug de la servitude regardent leurs maîtres comme dignes de tout honneur, afin que le nom de Dieu et la doctrine ne soient pas blasphémés. (1Tim 6, 1)
Esclaves, soyez soumis en toute crainte à vos maîtres, non seulement à ceux qui sont bons et doux, mais aussi à ceux qui sont d’un caractère difficile. (1P 2,18)
La nouvelle religion n’est pas celle des pauvres et des faibles, comme le laisse entendre les évangiles, mais celle des puissants et des dominants. Elle deviendra celle des rois et des empereurs par le grâce de Dieu, sacrés et intouchables. On reste à sa place et on prie. Le mot d’ordre est « l’obéissance« , « la persévérance confiante dans l’épreuve ».
Rome est une société esclavagiste, son économie est basée sur l’esclavage.
Les lois de la guerre sont simples, si une ville résiste, ses habitants sont réduits en esclavage, si elle se rend sans combattre, ils ont la vie sauve, mais doivent désigner les otages.
Des princes judéens ont été otages à Rome, Hérode Antipas, petit-fils d’Hérode le Grand a été le compagnon de jeu de l’empereur Caïus, dit Caligula. Il s’est rallié aux Romains lors de la révolte de 70.
Aetius qui, a la tête d’une armée disparate, de Wisigoths, de Francs, d’Alains et de Gallo-romains, battit les Huns aux Champs cataloniques (près de Troyes) en 451, avait été l’otage d’Attila.
Pour faire tourner l’économie, les esclaves occupaient toutes les fonctions, des plus contraignantes comme mineurs ou « chauffagistes » dans les bains publics aux plus nobles comme conseillers de l’empereur ou précepteur en passant par la domesticité, le travail agricole jusqu’à devenir intendants du domaine.
Le Moyen-Âge
L’esclavage ne disparut pas avec la chute de l’Empire romain, il était courant chez les Germains. Aux temps des Carolingiens, Verdun était même une plaque tournante du trafic d’esclaves. Les derniers païens, Saxons et Slaves, capturés à l’est et au nord de l’Europe, étaient rassemblés pour être acheminés vers la Méditerranée et être vendus à Byzance ou dans le monde islamique. C’est le mot « slave » qui sera à l’origine du terme « esclave » (slave en anglais).
En Europe, l’utilisation des esclaves diminue. Seuls les riches commerçants et la hiérarchie catholique ont encore des esclaves. Les seigneurs entretiennent leurs domaines en exploitant leurs sujets : les serfs, « taillables et corvéables à merci » suivant l’expression qui signifie qu’ils devaient payer l’impôt (la taille) et prester des corvées. Les serfs étaient attachés à la terre, ils ne pouvaient pas la quitter sous peine de mort. C’était des esclaves non enchaînés.

Le temps des colonies américaines
Au XVe siècle, les Ottomans contrôlent l’est de la Méditerranée et la route des épices. Le Portugal et les Provinces-Unies (Pays-Bas), les premiers, vont se lancer à la découverte d’une route nouvelle. Ils vont explorer les côtes africaines pour atteindre l’Asie. C’est le départ pour les grandes « découvertes », synonyme d’exploitation et d’enrichissement pour les nations européennes.
En 1435, le pape Eugène IV dénonce les mauvais traitement infligés aux indigènes des Îles Canaries que les Espagnoles viennent de coloniser. Il exhorte les rois catholiques à renoncer à l’esclavage et menace d’excommunication ceux qui ne libèreraient pas les esclaves des Canaries.
Le pape Paul III, en 1537, demande de ne pas réduire en esclavage les Indiens d’Amérique soutenant ainsi la position de Charles Quint. Mais la population locale a déjà été décimée. Cette demande ne sera pas respectée au Brésil, possession du Portugal où la plus grande plantation est dirigée par des jésuites.
L’engagement de volontaires pour remplacer les esclaves amérindiens ne répondant pas aux besoins grandissants, ces esclaves vont être remplacés par des Africains. Plus de 12 millions vont être déportés vers les Amériques dans des conditions déplorables. Ce trafic va durer 350 ans pour atteindre un pic à la fin du XVIIIe siècle.
- 47% des Africains ont été déportés vers les colonies portugaises,
- 26% vers les colonies britanniques (l’Amérique du nord jusqu’en 1776),
- 11% vers les colonies françaises,
- 8,5% vers les colonies espagnoles,
- 4,5% vers les colonies des Provinces-Unies,
- 2,1 % vers les États-Unis indépendants.
Les Européens ne s’aventuraient pas à l’intérieur des terres africaines, par manque de connaissance géopolitique et pour échapper à la malaria. Ils achetaient les esclaves dans des comptoirs côtiers. Ceux-ci étaient acheminés par d’autres Africains ou par des Arabes implantés dans la région depuis plus longtemps.
Les esclaves étaient transportés dans des conditions épouvantables, tout en essayant de les maintenir vivants. Chaque esclave était monnayé. Ils étaient entassés dans l’entrepont, entre le pont où vaquaient des marins et la cale pleine de marchandises. L’espace étaient réduit et la puanteur émanant des déjections saturait l’air qui devenait irrespirable.

Dans les explorations, des missionnaires catholiques ou presbytériens s’efforçaient de convaincre les esclaves que le Christ serait leur sauveur. Le dimanche, jour chômé, sauf lors des récoltes, les esclaves assistaient aux offices, non pas dans l’église des maîtres, mais dans leur propre local. Racisme oblige.


Fin de la traite des esclaves et fin de l’esclavage
La fin de la traite précède la fin de l’esclavage : on n’importera plus d’esclaves, mais on ne libèrera pas ceux qui sont déjà sur place.
En 1794, la France abolit l’esclavage : « tous les hommes sont libres et égaux » proclamait-on. Napoléon aura tôt fait de rétablir l’esclavage en 1802. Il ne sera supprimé en France qu’en 1848.
C’est la Suède qui sera le premier État à abolir l’esclavage… en 1335 !
En Grande-Bretagne, l’abandon de la traite, c’est-à-dire de la déportation, est acté en 1807, l’abolition de l’esclavage interviendra en 1833.
Au Brésil, la traite est interdite en 1850, mais l’abolition de l’esclavage ne sera votée qu’en 1888.
Aux États-Unis, l’abolition intervient à la suite de la guerre de sécession en 1865. Les 4 millions d’esclaves doivent être libérés, mais une politique de ségrégation est alors instaurée dans les États du sud. Elle est toujours en vigueur dans certains États.
Le Mexique abolit l’esclavage en 1829, ce qui va déclencher un épisode peu connu, car occulté, de l’histoire des États-Unis. Au début du XIXe siècle, des migrants venant de Floride, prennent possession de grands domaines dans la province mexicaine du Texas. Ils y plantent du coton qu’ils récoltent à grand renfort d’esclaves. En 1829, ils refusent de libérer les esclaves et se révoltent contre le Mexique. C’est ici qu’intervient la « glorieuse » bataille de Fort Alamo (1834), opposant des révoltés esclavagistes (les héros) aux forces régulières mexicaines (les méchants). Malgré la défaite des planteurs, le Texas deviendra un État indépendant qui rejoindra bien vite l’Union.
Profitant de la faiblesse du gouvernement mexicain, les États-Unis vont envahir toutes les provinces mexicaines du nord et les annexer. C’est ainsi que vont naître les États du Colorado, du Nevada, du Nouveau Mexique, de l’Arizona, de l’Utah et de Californie. Ce qui explique les noms mexicains des villes de San Diego, San Francisco, Los Angeles, Las Vegas, etc.
Parmi tous les États pris au Mexique, seul le Texas est un État esclavagiste.
Repentance
L’Église catholique va attendre 1888 pour s’opposer au commerce des esclaves. Deux encycliques de Léon XIII affirme que l’esclavage est en contradiction avec la dignité et le respect des êtres humains.
En 1992, Jean-Paul II en visite au Sénégal va exprimer le repentir de l’Église dans son discours :
Il convient que soit confessé en toute vérité et humilité ce péché de l’homme contre l’homme, ce péché de l’homme contre Dieu. Dans ce sanctuaire africain de la douleur noire, nous implorons le pardon du ciel. Nous prions pour qu’à l’avenir les disciples du Christ se montrent pleinement fidèles à l’observance du commandement de l’amour fraternel légué par leur Maître. Nous prions pour qu’ils ne soient plus jamais oppresseurs de leurs frères, de quelque manière que ce soit. Nous prions pour que disparaisse à jamais le fléau de l’esclavage ainsi que ses séquelles.
En 2002, l’archevêque (africain) d’Accra (Ghana) demandera pardon pour la responsabilité des Africains dans le commerce des esclaves.
Au XXe siècle
Dans l’Allemagne nazie, entre 1942 et 1945, de grandes entreprises comme Siemens, IG Farben (actuellement éclatée en BASF, Bayer, Agfa, Hoechst), Krupp (devenu Thyssen-Krupp), BMW, Volkswagen et Mercedes vont continuer à produire grâce à la location d’esclaves venant des camps de concentration. Une usine de Siemens est même installée dans le camp d’Auschwitz. IG Farben a financé la construction du troisième camps d’Auschwitz.
Fritz Thyssen, nazi de la première heure et financier du parti, a quitté l’Allemagne à la déclaration de guerre en 1939, désapprouvant les positions d’Hitler. Alfried Krupp est resté nazi jusqu’à bout. En 1947, il a été condamné pour à 12 ans de réclusion pour crimes contre l’humanité. En 1950, il a été libéré pour assurer la production d’acier nécessaire à la guerre de Corée.