Comment un instrument de torture et d’infamie est-il devenu le signe de ralliement des chrétiens, représentant leur dieu, souffrant et mourant ?
Inspiré par l’émission « Faire l’Histoire » de Patrick Boucheron
Les premiers temps
La croix n’apparaît pas dans les premiers temps du christianisme. La croix est un instrument de torture infligé aux rebelles à l’autorité romaine : les déserteurs, les esclaves en fuite, les révoltés. Les crucifiés sont exposés à la vue du peuple, ils servent d’exemples, c’est un spectacle, un message aux récalcitrants. Leur calvaire dure des heures, parfois des jours. Dans les évangiles, la crucifixion est un épisode mineur, il tient en peu de versets.
Les premiers chrétiens utilisent plusieurs signes de ralliement :
- La colombe qui figure le Saint-Esprit.
- L’ancre pour l’espérance.
- Le bateau, mais surtout le poisson. On donne plusieurs justifications pour ce symbole :
(1) les évangélistes les plus importants sont des pêcheurs,
(2) ICHTYS, le poisson en grec, est l’acronyme de « Jésus Christ fils de Dieu, sauveur »,
(3) tourné vers la gauche, c’est la lettre grecque alpha, le début d’une nouvelle ère,
(4) c’est aussi la signification que donnent certains ésotéristes : le début de l’ère chrétienne correspond au début de l’ère astronomique des Poissons. A cette époque, au printemps, le soleil ne se lève plus dans la constellation du Bélier, mais dans celle des Poissons. Jésus est l’agneau, fils du bélier.
Ce phénomène appelé « précession des équinoxes », était connu dans l’Antiquité. Il a été rapporté par Hipparque, mort en -120. Ce décalage est dû à l’inclinaison de l’axe de la terre qui tourne comme une toupie.
Notons qu’aucun de ces symboles n’a été trouvé dans les décombres des villes de Pompéi et Héraclium, ni sur les murs, ni sur les tombes. Ce n’est pas étonnant, ces villes ont disparu en 79 de notre ère. A cette époque, les paléo-chrétiens ne formaient encore qu’une secte juive parmi d’autres. Il faudra attendre le milieu du IIe siècle pour qu’une séparation progressive intervienne. Avant, les chrétiens célébraient les mêmes fêtes que les juifs et fréquentaient les synagogues. Aujourd’hui encore les fêtes chrétiennes épousent les fêtes juives comme Pâques et la Pentecôte.
Dans les catacombes de Rome, Jésus est représenté comme un jeune homme, pasteur ou prédicateur. Rappelons que les catacombes sont des carrières abandonnées aux IIIe et IVe siècles. Elles n’ont jamais fait office de cachette pour des chrétiens « persécutés », ni de lieu de culte. Elles servaient de lieu de sépulture, les terrains en surface devenant rares et étant dévolus à la construction. Dans les catacombes on rencontre aussi bien des tombes chrétiennes, que juives et même romaines.


Religion d’État
La première représentation du Christ en croix apparaît au IVe siècle sur la porte de l’église Sainte Sabine à Rome. C’est une saynète montrant Jésus crucifié, mais radieux, en opposition à Judas qui s’est pendu. Jésus crucifié triomphe de la mort, il apparaît « en gloire ».



Petit à petit, l’image du crucifié va s’humaniser : Jésus souffre, la douleur marque son visage. En 980 d’après la datation du bois, un crucifix géant, trois mètres, est inauguré dans la cathédrale de Cologne.
L’an mil approche, comme l’a prévu l’Apocalypse de Jean, c’est fin de la période d’attente de la résurrection, mais aussi l’heure du Jugement dernier. Il faut préparer le retour du Christ, c’est une période d’espoir pour les uns, de peur pour les autres.
Il est peu probable que cette « peur de l’an mil » ait touché les gens du peuple pour qui la notion du temps « cosmique » n’était pas une préoccupation quotidienne. Elle a dû se limiter au milieu monastique. On a vu apparaître des pénitents, portant de lourdes croix ou se flagellant.
Le 29 juin 1033, la peur ou l’attente a dû être à son comble, on a assisté à une éclipse du soleil, mille ans après la mort présumée de Jésus, le même phénomène se reproduisait : « A midi, il y eu des ténèbres sur toute la terre, jusqu’à trois heures » (Marc 15, 33).
La souffrance du Crucifié va être exacerbée par Guinta Pisano, un peintre toscan de la première moitié du XIIIe siècle. Le corps du supplicié est tordu de douleur.
La Renaissance
En 1492, Michel Ange sculpte et peint un crucifié en bois. Ce crucifix est conservé dans l’église Santa Maria del Santo Spirito à Florence en Italie. Il est nu. Ce réalisme cru inaugure une période où Jésus est représenté comme un homme vrai, Jésus s’est incarné.
On ne compte plus les peintures de Jésus-homme crucifié ou de Jésus bébé, nu, dans les bras de sa mère. Mais aucune de ces représentations ne montre un Jésus circoncis, un Jésus juif… bien que de nombreuses peintures ont pour sujet la circoncision.



De nos jours, le crucifix se dépouille, le Christ est de moins en moins présent sur la croix. Les chrétiens n’adorent plus leur Dieu humanisé souffrant pour racheter leur péchés, mais ils honorent l’instrument de son supplice.