Les premières manifestations de antijudaïsme se sont déroulées en 38 de notre ère à Alexandrie, bientôt suivies par son instrumentalisation par les chrétiens. L’antijudaïsme disparaître peu à peu à partir de la Révolution française lorsque Robespierre prend l’initiative de donner la pleine citoyenneté aux juifs en 1791. On ne peut plus les distinguer. Dans les décennies suivantes, toute l’Europe va suivre l’exemple français.
Mais l’opposition religieuse aux juifs est bientôt remplacé par les théories raciales de l’antisémitisme au XIXe siècle, puis par l’antisionisme après la seconde guerre mondiale.
Inspiré par le documentaire de Jonathan Hayoun : « Histoire de l’antisémitisme » (Arte TV)
38 : Alexandrie
Alexandrie est une ville multiculturelle qui regroupe des Égyptiens de souche, des Grecs descendants des compagnons d’Alexandre le Grand, fondateur de la ville en -331, des Romains venus dans le sillage de Jules César (-48) et une importante colonie juive prospère.
En l’an 38 de notre ère, Agrippa, un petit fils d’Hérode fait une entrée triomphale dans la ville. Il a été élevé à Rome et est en route vers la Judée qu’il va administrer. Il est acclamé par toute la population juive. Les habitants d’Alexandrie y voient un manque de loyalisme envers Rome. Une manifestation contre les Juifs s’organise, elle dégénère bientôt en émeute. Les maisons juives sont pillées, les synagogues profanées et incendiées, la population juive malmenée. On dénombrera plusieurs morts.
Les Romains n’interviennent pas ! C’est la première manifestation antijuive connue. Les Juifs sont rejetés non pas à cause de faits qui leur seraient imputés, mais à cause de leur religion et leur manière de vivre.
Quel sont les griefs de la population d’Alexandrie envers les Juifs ?
Les Égyptiens les accusent d’avoir favorisé la conquête de leur pays par les Perses puis par les Grecs d’Alexandre le Grand. Effectivement, à chaque invasion, ils ont fourni des mercenaires.
Les Grecs avance le même reproche : alors que Jules César était assiégé dans le palais de Cléopâtre par le frère de celle-ci, le pharaon (grec) Ptolémée, Antipas, le père d’Hérode le Grand a financé une armée pour voler à son secours et favoriser la conquête de l’Égypte grecque par les Romains.
Le philosophe juif, de culture grecque, Philon d’Alexandrie, citoyen romain, rapporte les incidents à l’empereur Caius, plus connu sous le pseudonyme de Calligula (petite godasse). Son réquisitoire nous a été conservé (Legato ad Caium). Philon accuse les gouverneurs romains, Flaccus à Alexandrie et Ponce Pilate en Judée de ne pas respecter les privilèges accordés aux juifs et de les maltraiter. Le texte concernant Ponce Pilate commence par :
Pilate, qui était préfet de Judée, consacra à l’intérieur de Jérusalem, dans le palais d’Hérode, des boucliers d’or, moins pour honorer Tibère que pour déplaire au peuple… .
Cet événement est également documenté par Flavius Josèphe dans son ouvrage « Antiquités juives » (voir : Jésus dans l’œuvre de Flavius Josèphe). Ce qui est étrange dans le réquisitoire de Philon, c’est qu’il ne parle pas de Jésus bien qu’il consacre un long passage à Ponce Pilate. Il ignore la crucifixion d’un prophète/messie juif par Ponce Pilate alors qu’il est bien renseigné des faits et gestes du gouverneur de Judée !
En 38, un Égyptien hellénisé nommé Apion a incité, par ses discours haineux, les Alexandrins à la révolte contre les juifs. Il racontait que les Juifs étaient les descendants de lépreux chassés d’Égypte, qui sous la conduite de Moïse ont fondé Jérusalem (voir « Moïse au-delà du mythe »). Il prétendait également que les Juifs tuaient des enfants grecs pour confectionner le pain qu’ils mangeaient durant la Pâque. Cette accusation sera encore reprise en Pologne en 1946 !
Si Flavius Josèphe qui est de la génération suivante lui consacre un ouvrage (Contre Apion, écrit vers 90 de notre ère), c’est que les sentiments antijuifs sont de nouveau vivaces à Rome et à Alexandrie après la révolte des Juifs de Judée réprimée en 70 sous l’empereur Vespasien.
135 : Justin (Naplouse)
En ce milieu du IIe siècle, les chrétiens se démarquent des juifs, d’autant plus que ceux-ci ont suivi un nouveau messie : Bar Kokhba qui les a entraîné dans une révolte (132-135) contre les Romains. Celle-ci a tourné au désastre et les juifs ont été chassés de Jérusalem et ont perdu toute autonomie en Judée.
Chrétiens et juifs forment maintenant deux religions distinctes et en 140, Marcion décrétera même que le dieu dont parle Jésus n’est pas YHWH, le dieu des juifs, mais un dieu dont on n’avait jamais entendu parler. Cependant, la séparation prendra du temps à se propager dans tout l’Empire : à certains endroits, les fêtes sont toujours communes et l’accusation de déicide ne se répandra qu’au IVe siècle.
A Naplouse, l’ancienne Samarie, Justin rédige « Dialogue avec Tryphon » considéré comme le premier texte marquant la séparation, l’opposition entre les chrétiens et les juifs. Tryphon est un juif (fictif) tolérant et ouvert, féru de philosophie. Justin tente de le convertir. Il argumente que Dieu a abandonné les juifs, que les chrétiens sont devenus le peuple élu : c’est la théorie de la substitution. Les chrétiens sont le « vrai Israël ». Les juifs doivent se convertir. Mais Tryphon ne s’en laisse pas conter (notons que c’est Justin qui fait parler Tryphon !) :
Si le Christ est né et demeure quelque part, il est inconnu, il ne se connaît pas lui-même et n’a aucun moyen de se faire connaître. Il faut d’abord que le prophète Élie vienne lui donner l’onction sainte et le révèle à la terre. Sur de vains bruits, vous avez rêvé un Christ qui n’est que dans votre imagination, et dupes de vous-même, vous courez aveuglément à votre perte
L’objectif de Justin est de détourner les Romains de la religion juive qui à l’époque fait des adeptes parmi les païens. Les Romains se trompent, ils doivent se tourner vers le christianisme. Jésus est amour tandis que les juifs sont le mal incarné.
413 : Augustin (Hippone – Algérie)
Augustin est l’évêque de la ville d’Hippone, aujourd’hui Annaba en Algérie, il sera tué lors de la prise de la ville par les Vandales en 430. Dans son ouvrage « La Cité de Dieu », il s’interroge sur la place des juifs dans le monde chrétien. Pourquoi demeurent-ils sourds aux arguments des chrétiens, pourquoi ne se convertissent pas ? Pour lui, la réponse est simple, les juifs sont un peuple témoin, un reliquat du passé. Il faut les garder et les protéger car ils témoignent de la réalité de Jésus par leur écrits. Ce sont « des fossiles vivants qui lisent les mêmes textes que les chrétiens mais ne les comprennent pas« .
On peut se demander si le judaïsme aurait survécu dans l’Empire romain si (saint) Augustin n’avait par argumenté pour leur sauvegarde.
439 : Code Théodose (Constantinople)
En 439, l’empereur romain Théodose II promulgue une loi définissant le statut officiel des juifs. Ils doivent vivre à part, ils doivent être discriminés : ils ne peuvent plus construire de synagogues, ils sont exclus de certaines fonctions comme militaires, fonctionnaires ou avocats. Alors qu’ils étaient citoyens romains depuis Caracalla (212), ils deviennent des citoyens de seconde zone.
Ce statut durera jusqu’à la Révolution française.
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