Les Hérodes dans les évangiles

A côté de Ponce Pilate, le Nouveau Testament mentionne une autre figure historique permettant de situer les actions dans le temps : Hérode. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le nom d’Hérode recouvre plusieurs personnages différents, réunis par un lien dynastique.

Hérode « le Grand » (72 à 4 avant notre ère)

Alors Hérode, se voyant joué par les mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants jusqu’à deux ans… Alors s’accomplit ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : « c’est Rachel qui pleure ses enfants… parce qu’ils ne sont plus ».

Cet extrait de l’Évangile de Matthieu (2, 16-18) est le seul document qui parle de ce massacre… qui, historiquement, n’a pas existé. Cette invention va conférer à jamais le rôle de monstre à Hérode, le prototype du tyran sanguinaire.
Bien que l’affirmation de Matthieu ne repose sur rien, les autres évangiles ne l’ont même pas repris, les Églises chrétiennes continuent à célébrer de nos jours les Saints Innocents !

Mais qui était Hérode ?

Dans son ouvrage « Le roi Hérode », Edith Parmentier écrit : « L’historiographie hérodienne semble faite de rumeurs, qui sont très variées et forment un faisceau hostile : l’image d’un roi pathologiquement tyrannique et monstrueux jusque dans la mort… »

Flavius Josèphe, qui lui consacre 5 livres des Antiquités juives (livres 14 à 18), n’est pas tendre avec Hérode, mais il ne parle pas de massacres sur sa population. Il traite Hérode de demi-juif, car il est issu d’une tribu arabe, les Iduméens, au sud d’Israël, qui ont été convertis de force au judaïsme vers 104 avant notre ère.

Accession au pouvoir

Hérode n’était pas destiné à devenir roi. Il a profité des circonstances. Alors que la guerre civile fait rage en Judée, opposant deux frères, Hyrcan II et Aristobule II, fils du roi hasmonéen défunt, Alexandre Jannée, Hérode est à Rome. Il est le fils d’Antipater, le conseiller d’Hyrcan. Le Sénat romain le proclame « roi des Juifs » en -40, charge à lui de ramener la paix en Judée. [NB : Jusqu’à la mort d’Hérode, la Judée désignait l’ancienne province perse allant du sud de la Syrie au nord de la Péninsule arabique.]
Il prendra effectivement le pouvoir en -37, une fois la paix rétablie.

Un grand bâtisseur

Hérode a toujours voulu plaire aux Juifs, son peuple et aux Romains qui lui avaient offert le trône de Judée.
Hérode doit son surnom (récent) de « grand », à ses nombreuses constructions. Il a fait bâtir la ville de Césarée sur la Méditerranée, il a fait rénover une série de citadelles à la frontière sud de son royaume, faisant de celles-ci d’agréables palais : Massada, Hérodion, Jéricho, Machéronde ; il fortifia la ville de Samarie qui devint Sébasté, qui en grec signifie Auguste.

Mais en transformant Jérusalem, il a également déplu aux Juifs comme l’écrit Flavius Josèphe :

… ce qui nous fit alors et depuis le plus grand tort, car on négligea tout ce que jadis était propre à entretenir le peuple dans la piété. Tout d’abord, en effet, il institua en l’honneur de César des jeux, qui devaient être célébrés tous les quatre ans ; il fit bâtir à Jérusalem un théâtre et dans la plaine un vaste amphithéâtre, édifices remarquables par leur magnificence, mais contraires aux habitudes des Juifs, car aucune tradition n’en autorisait l’usage ni les spectacles qu’on y donnait.

Pour son peuple, il a fait bâtir un nouveau temple à Jérusalem, sans interrompre les offices : avant de détruire l’ancien temple, il fit construire le nouveau sanctuaire autour duquel s’élèvera le complexe religieux.

Le sanctuaire fut bâti par les prêtres en un an et six mois. Tout le peuple fut rempli de joie pour ce prompt achèvement de l’œuvre et en rendit grâces d’abord à Dieu, ensuite au zèle du roi (AJ XV, 138-139) .

Un roi riche et généreux

Il était riche et dépensait sans compter pour créer des villes ou les embellir… même en dehors de son royaume. De plus, il faisait des cadeaux à ses protecteurs, les Romains qu’il se conciliait par des dons. Mais il pensait également à son peuple : lors d’une famine, il n’hésita pas à « mettre au creuset tous les ornements d’argent et d’or de son palais, sans épargner les pièces luxueuses de son mobilier ou les objets ayant une valeur d’art (AJ) » pour acheter du blé à l’Égypte.

Un roi grec aux nombreuses épouses

Il vécut comme un roi grec, la langue qu’il pratiquait, comme de nombreux Juifs à l’époque : Alexandre le Grand avait annexé la Judée 300 ans auparavant. Il a eu pas moins de 10 femmes.
En -7 il se débarrassa de deux de ses fils : Aristobule IV et Alexandre, soupçonnés de comploter. C’étaient ses successeurs désignés, ils avaient reçu une éducation à Rome dans l’entourage de l’empereur. Ils étaient de la dynastie des hasmonéens de par leur mère Mariamne, petite fille d’Hyrcan II, dynastie qui avait régné sur la Judée de -167 à -37.
Mais Hérode ne les pas fait assassiner, il les a déféré devant un tribunal composé entre autres de fonctionnaires romains. C’est le tribunal qui les a condamné.

Juste avant sa mort, son fils ainé : Antipater, subit la même sentence. Mais Josèphe ne lui en tient pas rigueur car : « Il (son fils) s’enhardit d’autant plus à étendre son pouvoir que son père, aveugle à ses mauvaises actions, avait une confiance absolue en ses paroles.« 

Une fin misérable

Flavius Josèphe, nous décrit sa mort : « La maladie d’Hérode s’aggravait de plus en plus, car Dieu le punissait des actes qu’il avait commis contre sa loi. » Il pourrissait de l’intérieur et de l’extérieur : « …la gangrène des parties génitales engendrant des vers…« . (AJ XVII, 168…). C’est un texte convenu appliqué à tous les « tyrans » et les « mécréants » dans l’Antiquité.

A sa mort, suivant sa volonté, son royaume fut partagé entre trois de ses fils :

  • Hérode Archélaos obtint la Judée, l’ancien royaume de Juda autour de Jérusalem, la Samarie et l’Idumée.
  • Hérode Philippe obtint tous les territoires à l’est du Jourdain.
  • Hérode Antipas obtint la Galilée et le Golan

Aucun d’eux ne pu porter le titre de roi, il reçurent des magistratures de moindre importance : ethnarques et tétrarques.

Hérode Antipas (-20 à 39)

… Pilate demanda si l’homme était Galiléen et apprenant qu’il relevait de l’autorité d’Hérode, il le renvoya à ce dernier qui se trouvait lui aussi à Jérusalem en ces jours-là (Luc 23, 6-7)

Les évangélistes parlent toujours d’Hérode, ils haïssent toute la famille, qu’ils jugent sur le modèle du père. Mais ici, il s’agit du fils d’Hérode le Grand, Hérode Antipas qui à la mort de son père reçut la Galilée.

Jean le baptiste

… Hérode avait fait arrêter Jean et l’avait enchaîné en prison à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe qu’il avait épousée. (Marc 6, 17)

C’est toujours le même Hérode qui fait mettre à mort Jean le Baptiste qui s’était permis de critiquer son mariage avec la femme de son frère Philippe, d’après Luc. Notons qu’Hérodiade n’était pas la femme de Philippe, mais d’un autre frère d’Antipas, Hérode Boétos !

Lors d’un banquet d’anniversaire, la fille d’Hérodiade, Salomé exécuta une danse qui plut aux convives. Antipas pour la remercié lui dit : « demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai ». Hérodiade suggéra à sa fille de demander la tête de Jean. Et Dans Marc, on lit : « Aussitôt, le roi envoya un garde avec l’ordre d’apporter la tête de Jean. Le garde alla le décapiter. Il apporta la tête sur un plateau, il la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère« .
Voilà une exécution rapide. Mais… peu vraisemblable !

Flavius Joseph parle également de emprisonnement de Jean, mais pas de sa mort romanesque :

A cause de ces soupçons d’Hérode, Jean fut envoyé à Machéronte, la forteresse dont nous avons parlé plus haut, et y fut tué.  (Antiquités Juives XVIII, 119)

Jean est enfermé à Machéronte, aujourd’hui sur les bords de la Mer morte, en Jordanie, à près de 100 km du palais d’Antipas, à Tibériade sur la Mer de Galilée. Etrange !

La vengeance d’Arétas IV

Mais ce n’est pas la seule incongruité de l’histoire.
Jean le Baptiste meurt avant Jésus selon les évangiles. Or si on lit Flavius Josèphe, on se rend compte d’un problème chronologique. Lorsqu’il épouse Hérodiade, Antipas répudie sa femme Phasaélis, fille d’Arétas IV, le roi des Nabatéens (Pétra). Et ce roi déclare la guerre à Antipas :

C’est alors aussi que mourut Philippe, frère d’Hérode (Antipas), la vingtième année du principat de Tibère et la trente-septième de son propre règne… (AJ XVIII, 106).

 A ce moment il y eut un conflit entre Arétas, roi de Pétra, et Hérode pour la raison suivante. Le tétrarque Hérode avait épousé la fille l’Arétas et vivait avec elle depuis longtemps. AJ XVIII, 109)

Les événements se sont donc produits à la mort de Philippe… en 34, soit après la mort présumée de Jésus.

Hérode Agrippa Ier (-10 à 44)

A cette époque-là, le roi Hérode entreprit de mettre à mal certains membres de l’Église. Il supprima par le glaive Jacques, le frère de Jean (Actes 12, 1-2)

Voici un nouveau roi Hérode. Il s’agit cette fois d’Hérode Agrippa Ier, petit fils d’Hérode le Grand.
Il avait été éduqué à Rome sous l’empereur Tibère et avait côtoyé Caïus et Claude, deux futurs empereurs. Caïus, dit Caligula puis Claude, devenus empereurs, vont lui rétrocéder un à un tous les territoires de son grand-père. Il fut le dernier roi de Judée.

Et comme tyran, il meurt dévoré par les vers : « Mais soudain, l’ange du Seigneur frappa Hérode, pour n’avoir pas rendu à Dieu la gloire, et dévoré par les vers, il expira. » (Actes 12, 23).

Hérode Agrippa II (27 à 100)

Agrippa dit à Paul : « Il t’est permis de plaider ta cause. » Alors Paul étendit sa main et présenta sa défense… (Actes 26, 1)

Ce personnage échappe à la marque d’infamie des Hérodes, il est simplement nommé Agrippa. Il faut dire que le plaidoyer de Paul se termine par : « Cet homme ne fait rien qui mérite la mort ou les chaînes » (Actes 26, 31).
Il s’agit ici d’Agrippa II, le fils d’Agrippa I, qui a la mort de son père était trop jeune pour reprendre le royaume. L’empereur Claude fait de la Judée une province romaine impériale, dirigée par un procurateur.
Agrippa reçoit des territoires à l’est du Jourdain et Néron (54-68) lui donnera la Galilée.

Dans les Actes des Apôtres dont est extrait la citation, Agrippa est à Césarée où il rend visite au procurateur Festus.

Agrippa aidera les Romains lors de la révolte juive de 68-70 en leur fournissant des troupes auxiliaires. Sa sœur Bérénice, sera la maîtresse de Titus, le général qui étouffa la révolte et détruisit le temple de Jérusalem. Elle le suivra lors de son retour triomphal à Rome.

C’est chez elle que va résider Flavius Josèphe, prisonnier juif affranchi par l’empereur Vespasien dont il prend le nom de famille : Flavius. C’est là, entre 75 et 79, qu’il rédige la Guerre des Juifs. Dans ce premier ouvrage, il est beaucoup moins virulent avec Hérode le Grand que dans les Antiquités juives, écrites vers 90, alors que Titus est mort. Il y décrit Hérode certes impulsif, mais pas violent. Il n’est ni arrogant, ni arbitraire, ni cruel. Quel Flavius Josèphe faut-il croire ? Le protégé de Bérénice, arrière petite fille d’Hérode ou le juif vieillissant plein de rancœur pour un roi qu’il juge impie ?

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