L’imaginaire chrétien a construit un récit de la fin de temps en se basant sur l’énigmatique et sibyllin Livre de l’Apocalypse, denier ouvrage du Nouveau Testament.
Analysons les différentes phases de cette allégorie.
Les récits eschatologiques dans les religions juives et chrétiennes sont contenus dans des apocalypses.
Un peu de vocabulaire :
- L’eschatologie est l’ensemble des doctrines et des croyances portant sur le sort ultime de l’homme après sa mort et sur celui de l’univers après sa disparition.
- L’apocalypse, aujourd’hui est synonyme de catastrophe. Mais à l’origine, c’est un mot issu du grec qui signifie « révélation ». En anglais, le Livre de l’Apocalypse est d’ailleurs nommé le Livre des révélations (Book of the Revelation of Saint John).
Donc, les apocalypses nous révèlent des secrets et entre autres, ce qui va se passer à la fin des temps.
On connaît plusieurs apocalypses juives : l’Apocalypse de la Genèse, trouvé à Qumran, l’Apocalypse de Baruch, l’Apocalypse d’Abraham, l’Apocalypse d’Élie… (compilées dans Écrits intertestamentaires de la Bibliothèque de la Pléiade).
Le christianisme n’est pas resté inactif : L’Apocalypse de Thomas, la Première Apocalypse de Jean, l’Apocalypse de Paul, l’Apocalypse de Pierre, le Livre de la révélation d’Elkasaï, l’Apocalypse d’Esdras, l’Apocalypse de Sedrach… (compilées dans Écrits apocryphes chrétiens de la Bibliothèque de la Pléiade).
Une autre série d’Apocalypses ont été composées au VIIe siècle dans le monde chrétien syriaque (j’en parlerai dans un article consacré à l’Arabie pré-islamique).
Chaque apocalypse donne sa vision personnelle de ce qui passera à la fin des temps. Les auteurs de ces ouvrages se présentent comme la voix de Dieu. Leurs visions naissent naturellement ou artificiellement par l’usage de psychotropes, de jeûnes ou de transes. On lit dans l’Apocalypse d’Esdras : « Je jeûnai sept jours… (5, 20) et … ne mangeant que des fleurs des champs… au bout de sept jours, j’eus un songe pendant la nuit… (12, 51 – 13, 1)« .
Voici le récit « officiel » de la fin des temps vu par l’Église catholique qui met en garde le lecteur : « Certains peuvent considérer ce récit comme une fable, pourtant, la parole de Dieu ne ment pas ». Vous êtes prévenus.
Sept périodes vont se succéder.
1) L’enlèvement
A la fin des temps, tous les chrétiens, morts ou vivants, seront enlevés en un instant pour rejoindre le Royaume de Dieu. Ils seront revêtus d’un nouveau corps, un « corps glorieux », pour supporter la vue de Dieu.
Le chaos règnera sur terre ! Imaginez les pilotes d’avions, les conducteurs de trains et de voitures enlevés en un instant.
Cette phase n’est pas décrite dans l’Apocalypse de Jean, mais dans la première Épître aux Corinthiens :
Je vais vous faire connaître un mystère. Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés, en un instant, en un clin d’œil, au son de la trompette finale. Car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. Il faut en effet que cet être incorruptible revête l’incorruptibilité, et que cet être mortel revête l’immortalité.(1Co. 15:51-53)
L’Apocalypse de Jean, sur cette première phase, est beaucoup plus prolixe et complexe : 9 chapitres !.
Un agneau à 7 cornes et 7 yeux ouvrira les sept sceaux fermant un livre. A chaque sceau brisé, un événement se produira. Au sixième sceau, le soleil devient noir, la lune se couvre de sang et une pluie d’étoiles tombèrent sur la terre (Apo. 6, 12-13). A ce moment, 144.000 Juifs, 12.000 pour chaque tribu, seront marqués du sceau de serviteur de Dieu. Et une multitude d’hommes, vêtus de robes blanches se rassembleront autour du trône de Dieu.
A l’ouverture du septième sceau, sept anges munis de trompettes apparaitront. A chaque sonnerie de trompette, une catastrophe s’abattra sur la terre. A la septième sonnerie, deux bêtes monteront de la mer.
2) L’Antéchrist
L’Antéchrist, celui qui vient avant (ante) le Christ règnera sur terre durant sept ans. C’est un faux prophète. Il imposera sa loi, profitant de l’absence des chrétiens partis rejoindre le Royaume de Dieu.
L’Apocalypse de Jean ne parle pas de l’Antéchrist, mais de deux bêtes issues de la mer qui règneront chacune 42 mois. Les adorateurs des bêtes porteront sa marque, la marque de la bête : 666 (Apo. 13).
3) Armageddon
Le Christ n’abandonnera pas la terre, avec son armée d’anges, il partira combattre les rois du monde entier rassemblés par l’Antéchrist au lieu dit Armageddon. Ce nom signifie « La colline de Megguido« . Megguido est l’endroit, au nord d’Israël, où le roi de Juda Josias a trouvé la mort, en -609, face aux troupes du pharaon Néchao II, venu à la rescousse de son allié assyrien, en lutte contre les Babyloniens. C’était le dernier grand roi Juif avant la déportation à Babylone.
Pour l’Apocalypse de Jean, la bataille d’Armageddon, verra la chute de Babylone, la grande prostituée (Apo. 15, 16, 17 et 18).
Le chapitre 19 est consacré à la victoire du Messie grâce à l’intervention de terribles « chevaux » appelés, « Fidèle », « Véritable », « Parole de Dieu », suivis des armées du ciel.
Un ange descendra alors du ciel et précipitera Satan dans l’abime qu’il scellera.
4) Le règne du Christ
Le Christ règnera alors pour mille ans entourés des saints. Ce sera une ère de paix et de justice.
L’Apocalypse de Jean est ambigu : ceux qui jouiront de cette ère de paix seront ceux qui restaient sur terre après la phase de l’enlèvement, mais qui n’auront pas adoré la bête, qui n’auront pas été marqués de son sceau. « Ils seront les prêtres de Dieu et du Christ et règneront avec lui pendant mille ans » (Apo. 20, 6)
C’est la première résurrection.
5) Le retour de Satan
Quand les mille ans seront accomplis, Satan sera relâché de sa prison et il s’en ira séduire les nations qui sont aux quatre coins de la terre, Gog et Magog. Il les rassemblera pour le combat, leur nombre est comme le sable de la mer (Apo. 20, 7-8)
Mais tout fini bien, un feu descendra du ciel et dévorera les ennemis de Dieu. Satan sera précipité dans l’étang de feu aux côtés de la bête et du faux prophète.
[NB : Gog et Magog représentent tous les ennemis de Dieu (voir Gog et Magog dans le Coran)]
6) Le jugement dernier
Tous les morts seront jugés d’après leurs œuvres (ce qui est en contradiction avec les Épitres de Paul qui déclarent que la foi est plus importante que les œuvres). Ceux qui n’étaient pas inscrits dans la « livre de la vie » seront précipités dans l’étang de feu.
[NB : Dans l’épître aux Romains (3 : 28) Paul déclare que l’homme sera sauvé par sa foi en Jésus-Christ, pas par ses œuvres. C’est prétentieux de croire que l’homme peut se sauver lui-même.]
7) L’Éternité
Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n’est plus. Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu… (Apo. 21, 1-2)
Le trône de Dieu et de l’agneau sera dans la cité… Ils verront son visage… Il n’y aura plus de nuit, nul besoin de lumière du flambeau, ni de la lumière du soleil, car le seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière et ils règneront aux siècles des siècles (Apo. 22, 3-5)
Conclusion
Mêmes les traducteurs du Nouveau Testament dans la version TOB (Traduction œcuménique de la Bible) l’admettent : « un plan précis (de l’Apocalypse de Jean) et totalement cohérent reste aléatoire« . En bref, c’est incohérent.
On ignore dans quel type de communauté le texte a vu le jour, probablement en Anatolie à Éphèse (Turquie actuelle). Mais quelles étaient les croyances de cette communauté. L’apocalypse fait beaucoup référence aux prophètes de la Bible hébraïque, ce sont 144.000 Juifs qui prennent place auprès du trône de Dieu, la dernière bataille a lieu à Megguido et l’éternité se passera dans la nouvelle Jérusalem. Le lien entre Dieu le Père et Jésus reste vague. Le texte parle de l’agneau ou de Dieu et son Messie, comme deux personnes différentes. Une seule fois il fait référence à Dieu et son fils.
L’Apocalypse de Jean, qui figure dans la Nouveau Testament, est un texte difficile à lire et à comprendre. Il est plein de fureur et « d’effets spéciaux ». On peut le comparer à un film hollywoodien sur les guerres « apocalyptiques » entre les bons et les méchants.
Pourtant, une autre apocalypse, celle de Pierre, a été, dans les premiers siècles du christianisme, candidate à la canonisation. Elle est beaucoup plus accessible : c’est un dialogue entre Pierre et Jésus ressuscité. Jésus détaille à Pierre ce que sera la fin des temps, la résurrection et le jugement des hommes, les cataclysmes qui engloutiront les impies et la vie éternelle aux Champs Élysées pour les croyants.
Mais, comme je l’ai dit dans un article précédent, le paradigme a changé, l’accès au Paradis est promis immédiatement après la mort, il ne faut plus attendre la fin des temps. Ainsi, au début du IIIe siècle d’autres apocalypses apparaissent, comme l’Apocalypse de Paul. Paul, vivant, visite le Royaume de Dieu où il est accueilli chaleureusement par la fraternité des croyants. Mais comme dans les autres apocalypses, le bonheur des bienheureux tient moins de place que les supplices des condamnés.
Au Ve siècle saint-Augustin rejettera cet ouvrage qu’il juge comme une « présomptueuse fiction, pleine de fables« . L’Apocalypse de Jean a échappé à sa critique car il était partie intégrante du Nouveau Testament.