Les évangéliques à la conquête du pouvoir

Ils sont 600 millions, soit 30% des chrétiens. A l’origine, dans les années 1940, c’était un simple mouvement du renouveau chrétien. Aujourd’hui, c’est un important groupe de pression que l’on a vu au Capitole aux côtés de Trump et à Brasília pour soutenir Bolsonaro.
Analyse d’une dangereuse dérive.

D’après « Les évangéliques à la conquête du monde », un film en trois parties de Thomas Johnson et Philippe Gonzales.

Naissance

L’évangélisme n’est pas une nouvelle religion. Elle regroupe des personnes de confession différente, des anabaptistes, des baptistes, des puritains, des presbytériens… tous protestants
L’évangélisme se base sur quatre principes :

  1. La renaissance dans le baptême. Le nouveau baptême doit être un acte conscient qui permet de se réconcilier avec le Saint-Esprit. C’est un baptême d’immersion.
  2. Les évangéliques doivent lire assidument la Bible. Elle doit inspirer leur vie de croyant. « Elle contient la réalité de la foi qui est immuable, la vérité absolue« . Les règles sociales, culturelles et politiques doivent être conformes aux enseignements bibliques.
  3. Les évangéliques doivent croire à la mort expiatoire de Jésus : « sa mort a effacé le péché originel qui souillait l’homme, dorénavant, l’immortalité lui est promise« .
    Jésus est toujours présent : lors des assemblées, des miracles se produisent. C’est une des dérives des évangéliques, les fidèles paient pour que les miracles s’accomplissent : réussir en amour, en affaires, aux études ou guérir. Des prêcheurs sont riches en millions de dollars.
  4. Les évangéliques doivent répandre la bonne parole, annoncer la bonne nouvelle, l’évangile (cf point 3).
    [NB : on dit évangéliques et non évangélistes nom réservé aux auteurs des évangiles.]

L’évangélisme nait après la guerre, en 1945, pour réaffirmer les valeurs chrétiennes face au libéralisme et au matérialisme. Bill Graham (1918-2018) en sera le porte parole. Il va voyager à travers le monde, prêchant le réveil spirituel, la nouvelle croisade. Il attire les foules et fait de nombreux adeptes, non seulement aux États-Unis, mais aussi en Afrique, en Asie et en Europe.

1950

L’URSS possède la bombe atomique. Le ton change et devient plus politique : il faut défendre la civilisation judéo-chrétienne face aux bolchéviques matérialistes et athées. Bill Graham prêche à la télévision. Un journal évangélique voit le jour : Christianity Today.

Bill Graham convainc son ami Eisenhower de se présenter aux élections présidentielles. C’est ce président qui fera ajouter « In God we trust » (nous croyons en Dieu) sur les billets de 1 dollar. Il inaugure également les petits déjeuners de prière.

1960

C’est le triomphe du rêve américain. Mais il reste le problème racial : la ségrégation est toujours de mise dans les États du sud. Graham va tenter, vu sa popularité, d’abolir la ségrégation : lors de ses meetings, il fait enlever la corde qui séparait les blancs des noirs. On est tous enfants de Dieu.
Il se rapproche de Martin Luther King, mais n’apparaîtra jamais dans les rassemblements que King organise.

1970

C’est la guerre du Vietnam. Bill Graham est le conseiller spirituel du président Nixon.
Il continue ses voyages évangéliques. En 1973, en Corée, dont la guerre, terminée en 1953, a fait 3 millions de morts, le succès est au rendez-vous. En cinq jours, il rassemble 3 millions de personnes. Les conversions se succèdent et le christianisme devient la première religion du pays.

Lorsque Nixon doit se retirer suite à l’affaire du Watergate, Bill Graham se sent trahi. Il se retire de la politique : son étoile est en train de pâlir. Mais d’autres sont prêts à prendre la relève.

A Lausanne, un congrès rassemble 2500 pasteurs évangéliques.
Francis Shaeffer (1912-1981) redéfinit les objectifs du mouvement. Si on ne croit pas en Dieu, on est un soldat de Satan qu’il faut combattre. « La Bible est infaillible, il faut croire en son texte littéralement. Il ne faut pas le contextualiser. »
Il invente le combat pour la vie. « Prendre une vie c’est s’opposer à la volonté de Dieu.. Si on accepte l’avortement et l’euthanasie, le pas suivant sera la légalisation du meurtre des enfants. L’homosexualité est une dangereuse déviance qui heurte le dessein de Dieu.« 
Quand George W. Bush déclare la guerre à « l’axe du mal« , il est bien dans la ligne des évangéliques. Combattre le mal est un des grands principes de l’évangélisme, tuer à cette occasion est béni de Dieu.
Les réunions ministérielles, sous la présidence de Bush, commençaient toujours par une prière.

Des églises gigantesques (megachurch) voient le jour dans le monde : 1200 en Corée, certaines accueillent 5 prêches par jour, 1750 aux États-Unis dont 32 rien qu’à Houston ! Au Nigeria, une église atteint 1000 mètres de long.

1980 : un nouveau message : « les sept montagnes »

Donald Reagan est élu président grâce aux voix des évangéliques. Ils commencent à peser en politique, à porter leurs messages au Capitole. Lors de son discours d’investiture, Reagan demande à la foule de prier. Aucun président n’avait fait cela auparavant.

Lors des élections, des milliers de lettres ont été envoyées par un pasteur pour lever des fonds. D’après lui, plus elles suscitent la peur et la colère, plus elles rapportent de fonds. L’évangélisme glisse vers un mouvement politique.

Des universités évangéliques voient le jour, leur but : former les dirigeants de demain. C’est aussi l’objectif de l’Opus Dei (voir l’article).

Pat Robertson (1930) va faire fortune grâce à la TV évangélique. Il édite un périodique Charisma dans lequel il redéfinit l’objectif des évangéliques : les Sept Montagnes. Les évangéliques doivent contrôler les sept montagnes que sont : l’éducation, le divertissement, le gouvernement, la culture, le monde des affaires, la religion et la famille.
On n’est pas loin de l’autocratie ou de la théocratie que critiquent les Américains.

2010 : la dérive des suprémacistes blancs

Donald Trump devient président. Il nomme comme conseillère spirituelle, une pasteure évangélique, Paula White.

Paula White a conduit l’investiture de Trump. Elle a été chargée de créer une « direction de la foi » dans chaque ministère et chaque agence gouvernementale. Les directeurs rapportent directement à Paula White. Elle instaure la prière dans les écoles. Ses initiatives auront un impact limité. Mais les évangéliques s’imposent au gouvernement et en prennent le contrôle. Ils feront élire trois nouveaux juges (évangéliques) à la Cour suprême et déplacer l’ambassade américaine vers Jérusalem. Trump reconnaîtra le Golan comme territoire d’Israël : « Être contre Israël, c’est s’opposer à Dieu.« .

Ne nous leurrons pas, Trump n’est pas un fervent évangélique comme l’étaient Reagan, Bush et même Carter, le démocrate. Trump est un opportuniste qui sait où prendre les voix.
Par contre, le vice-président Mike Pence est un évangélique convaicu. Il a déclaré que « des familles fortes font des nations fortes« . Non seulement il combat l’avortement, mais il fustige les divorces, la baisse du taux de natalité et l’érosion des mariages.

Les manifestants pro Trump prient dans le Capitole.

Durant la présidence de Trump, les suprémacistes blancs sont revenus sur le devant de la scène politique. Pour eux, l’Amérique est la terre promise aux premiers colons (blancs et protestants) qui fuyaient les guerres de religion d’Europe, comme Moïse a fui l’Égypte.
Il faut sauver la civilisation blanche en construisant un mur pour contenir les « Barbares ». Aux États-Unis, l’histoire a été réécrite pour effacer le passé inavouable, comme l’invasion et l’annexion des États mexicains tels le Texas, la Californie, le Colorado, le Nevada, le Nouveau Mexique et l’Arizona. Ces territoires étaient de vastes territoires à conquérir dans la nouvelle mythologie étasunienne.
Les suprémacistes ont remis en avant le premier film à grand spectacle : Naissance d’une nation (1915) qui fait l’apologie du Ku Klux Klan. A la fin du film, les noirs sont repoussés dans leurs cases et Jésus apparaît lors du mariage de l’héroïne pour sacraliser la famille blanche.

Tous les évangéliques ne sont pas racistes.

Fin du film « Naissance d’une nation »

En 2018, Jaïr Messias Bolsonaro, soutenu par Donald Trump, est élu président du Brésil. 35% des sièges du parlement sont occupés par les évangéliques regroupés dans le Front parlementaire évangélique. Des groupes de prière sont instaurés dans les parlements régionaux.
Bolsonaro a fait campagne contre l’avortement et l’homosexualité.
A Sao Paulo, le Temple de Salomon permet à 10.000 fidèles de suivre les prêches du prédicateur riche d’un milliard de dollar.

Pour Bolsonaro, les ressources de l’Amazonie sont un don de Dieu qu’il faut exploiter pour le remercier. Il n’y a aucun risque climatique, Dieu ne le permettrait pas.

Et en Europe ?

La droite nationaliste chrétienne gagne du terrain. Récemment une réunion des représentants des gouvernements de la droite chrétienne se sont réunis à l’initiative du président hongrois, Victor Orban. Étaient présents les Présidents de la Pologne, de la Slovénie, de la Serbie et le Premier ministre tchèque. Leur combat est moins religieux qu’identitaire. Ils défendent la théorie de l’effondrement de la civilisation chrétienne et du grand remplacement. Éric Zemmour candidat malheureux aux élections présidentielles françaises, était également invité, de même que l’ancien vice-président américain, Mike Pence.

Ces velléités identitaires ne sont pas l’apanage des pays de l’est, l’Italie et la Suède revendiquent également un nationalisme isolationniste.

En France, l’aumônier des parlementaires, Thierry Le Gall, est évangélique et il œuvre à la révision de la loi sur l’avortement. Vincent Bolloré, chrétien de droite, est à la tête du groupe Canal+ qui comprend également C-News où officie Éric Zemmour et C8.

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