Satan est un mot hébreu signifiant « adversaire« , il n’est utilisé qu’une seule fois dans la Bible comme nom propre. Sa traduction en grec est « diabolos » (« celui qui sépare« ) qui a donné Diable.
Les religions monothéistes ont associé un dieu créateur à un être « malfaisant », Satan, alter égo de Dieu, ou créé par lui. Dans cet article, on va développer deux sujets par religion : que disent les textes « sacrés » de Satan et comment les théologiens ont interprété les textes pour faire vivre Satan dans le dogme.
Judaïsme
Quelle est la place de Satan dans la Bible hébraïque ?
Adam et Ève
La Bible parle peu de Satan pourtant omniprésent dans la Genèse, le premier livre.
Satan, sous la forme d’un serpent, tente Ève et l’invite à manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, lui révélant que Dieu lui a menti : elle ne mourra pas, mais « ses yeux s’ouvriront et elle sera comme les dieux, elle connaîtra le bien et le mal« . (Gen. 3, 4)
La sentence est terrible, Adam et Ève sont chassés du Paradis, le serpent est maudit et condamné à ramper.
Les anges déchus
On ignore d’où vient Satan qui n’est pas nommé dans la Genèse mais qu’on identifie au serpent. A-t-il été créé par Dieu ou existe-t-il dès la Création, est-il un ange, un dieu secondaire ? On n’en saura pas plus dans la Bible. Par contre un livre apocryphe, le Livre d’Hénoch, non repris dans la Bible, nous parle des anges déchus dont l’existence est esquissée dans la Genèse 6, 2 : « les fils de Dieu trouvèrent que les filles des hommes leur convenaient et ils prirent pour femmes toutes celles qui leur plurent. »
Dans le Livre d’Hénoch, ils enseignent aux hommes, ceci se passe avant le déluge dont ils seraient la cause :
Azazel apprit aux hommes à fabriquer des épées, des armes, des boucliers, des cuirasses… Il leur montra les métaux et la manière de les travailler, ainsi que les bracelets, les parures, le fard des paupières, toutes les sortes de pierres précieuses et les teintures.
Shemahazaz leur enseigna les charmes et la botanique.
Hermoni leur enseigna les exorcismes, la magie, la sorcellerie et les tours.
Baraquiel l’astrologie,
Kokabiel les signes des étoiles,
Ziquiel les signes des météores… (1 Hénoch 8, 1-3)
Remarquons que plusieurs anges déchus ont un nom de terminant par EL, le nom de Dieu. Ainsi, Azazel pourrait vouloir dire « Dieu a rendu fort », Baraquiel, « éclairé par Dieu ». Ces anges déchus font penser à Prométhée, le titan qui déroba le feu de l’Olympe, où il était jalousement gardé par les dieux, pour l’offrir aux hommes.
Le Livre de Job
L’histoire de Job est un récit scabreux de la Bible !
Job est un homme pieux et vertueux, il a une femme aimante qui lui a donné dix enfants. Il est riche en troupeaux et en serviteurs.
Le jour où les fils de Dieu venaient se présenter devant YHWH, Satan aussi s’avança parmi eux. YHWH dit alors à Satan : « D’où viens-tu ? » – « De parcourir la terre, répondit-il, et m’y promener ». Et YHWH reprit « As-tu remarqué mon serviteur Job, il n’a point son pareil sur terre. (Job 1, 6-8)
Satan prétendit que Job était fidèle à Dieu parce qu’il avait été comblé, il n’était pas désintéressé. S’il perdait sa fortune, il maudirait Dieu. YHWH donne à Satan tout loisir pour mettre Job à l’épreuve, sans toucher à sa personne. Il ne s’en priva pas : les enfants de Job meurent, son bétail est décimé et ses serviteurs le quittent. Mais Job continue à louer Dieu. Satan exige de pouvoir aller plus loin. YHWH accepte : Job se couvre de pustules. Sa femme lui suggère de maudire Dieu. Job refuse. Ses amis le quittent, pour eux, si Dieu le punit, c’est qu’il a péché.
YHWH prend pitié de Job, il lui rend la santé et la richesse. Il aurait dix nouveaux enfants.
L’histoire de Job est un conte moral dont il est difficile de percevoir l’enseignement car le texte a été écrit à plusieurs époques. Il est probable que le texte initial ait été élaboré lors de la défaite de la Judée contre les Babyloniens qui a vu une partie de la population emmenée en exil (-597 et -586). Les Juifs se sont alors interrogés sur leur relation avec YHWH.
Quelle est la place de Satan dans le judaïsme ?
Dans le judaïsme, Satan est plutôt perçu comme un instrument de Dieu, un être créé par Dieu pour accomplir certaines tâches spécifiques comme tester et tenter l’humanité. Il n’a pas le pouvoir de s’opposer à Dieu de manière absolue. Cette vision diffère donc de la conception chrétienne de Satan en tant qu’entité totalement opposée à Dieu. ici, Satan est considéré comme faisant partie du système divin de justice et de rétribution.
Christianisme
Quelle est la place de Satan dans les évangiles ?
Les actions de Satan dans le Nouveau Testament sont de deux ordres : il est le tentateur et prend possession des âmes.
Dans les évangiles synoptiques, comme celui de Matthieu (4, 1-11), par exemple, Satan tente Jésus pendant quarante jours dans le désert, essayant de le faire renoncer à sa mission, qu’il vient de commencer, en lui proposant des plaisirs terrestres et le pouvoir. Jésus résiste à toutes les tentations et déclare sa fidélité à Dieu.
Dans l’Évangile selon Luc, Satan est présenté comme celui qui sème les doutes et les divisions parmi les disciples de Jésus. Jésus lui-même affirme avoir vu Satan tomber du ciel et lui donner le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions.
De plus, Jésus pratique des exorcismes pour chasser les démons qui tourmentent les hommes et les femmes. Il donne ce don à ses disciples (Mat. 10, 1).
Il chassa de nombreux démons et il ne les laissait pas parler car ceux-ci le connaissaient (Marc 1, 34)
Le soir venu, on lui amena de nombreux démoniaques. Il chassa les esprits d’un mot et il guérit tous les malades pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par le prophète Isaïe : C’est lui qui a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies (Mat. 8, 16-17)
Les pères de l’Église
Fruit des spéculations théologiques des pères de l’Église, Satan va prendre une nouvelle dimension dans le christianisme. Justin (100-165) puis (saint-)Augustin (354-430) vont affirmer la responsabilité de Satan dans la chute d’Adam et d’Ève. Le serpent c’était Satan.
Suite à un malentendu, Origène (185-253) et (saint-)Jérôme (347-420) vont associer Satan à l’Étoile du matin, à Lucifer (« le porteur de lumière« ). Ils arrivent à cette conclusion par une incompréhension d’Isaïe 14,12 :
Comment es-tu tombé du ciel, étoile du matin, fils de l’aurore. As-tu été jeté à terre vainqueur des nations.
Or le texte parle de la mort du roi de Babylone, fils de la déesse Ishtar, associée à la planète Vénus (l’étoile du matin).
La place de Satan dans le christianisme ?
La religion chrétienne est diaboliquement paradoxale sur la notion du mal. Les évangiles enseignent que Jésus est venu sur terre pour délivrer les hommes du péché originel. La mort et la résurrection de Jésus sont considérées comme la victoire définitive sur le mal et le péché, y compris Satan : les épîtres de Paul précisent qu’il suffit de croire pour être sauvé, mais parallèlement, Satan n’a jamais été aussi présent pour faire dévier les hommes de la bonne voie. Jésus a résisté à Satan, mais il ne l’a pas vaincu. Le Christ a quitté la terre qui s’est peuplée d’une cohorte de démons. Bientôt, à partir du XIIe siècle, la puissance de Dieu va se mesurer aux nombres toujours plus grands des démons qui tourmentent les hommes et surtout les femmes (voir l’article sur la chasse aux sorcières). La statuaire chrétienne va mettre en scène Satan et ses démons, Satan s’expose sur les façades des cathédrales. Le christianisme va engendrer le satanisme : Satan n’existe pas sans Dieu.
Au XIe siècle, en Europe, chaque paroisse a son église et son curé. La crainte de Satan est un bon moyen pour attirer les fidèles à l’église, les obliger à se confesser (au moins une fois par an au début) pour connaître tous les secrets du village. La religion régit la vie des hommes.
Et aujourd’hui ?
Quelle est la place de Satan dans le christianisme aujourd’hui ?
Dès 1540, aux Pays-Bas, David Joris avance que le Diable n’existe pas, c’est une allégorie.
Cette idée est reprise par Artura Sosa, général des jésuites en 2017 :
De mon point de vue, le mal fait partie du mystère de la liberté. Si l’être humain est libre, il peux choisir entre le bien et le mal. Nous avons des figures symboliques, comme le Diable, pour exprimer le mal.
Mais ce n’est pas ce que pensait le pape François en octobre 2014 :
A cette génération et à tant d’autres, on a fait croire que le diable est un mythe, une image, une idée du mal. Mais le diable existe et nous devons lutter contre lui. C’est ce que dit Saint-Paul. La parole de Dieu le dit.
Sa position est la même que celle des papes qui l’ont précédé. Les Églises chrétiennes éduquent la population par la peur. L’exorcisme est toujours pratiqué par l’Église catholique et surtout par les Églises protestantes des États-Unis. Le catéchisme de l’Église catholique affirme que « Jésus a pratiqué l’exorcisme et à partir de lui, le prêtre a reçu la puissance et la capacité de pratiquer l’exorcisme« .
Islam
Quelle est la place de Satan dans le Coran ?
Satan, associé aux djinns, a une place mineure dans le Coran, moins de 30 versets sur les 6236 que compte le livre. Il est appelé Iblis ou Shaytan. Il était un djinn qui refusa de se prosterner devant Adam, le premier être humain créé par Dieu. En raison de sa rébellion, Satan fut banni du paradis, mais il a juré de tenter les humains et de les éloigner du droit chemin.
Lorsque nous avons dit aux anges : Prosternez-vous devant Adam, tous le firent excepté Iblis qui était au nombre des démons et qui se révolta contre l’ordre de son Seigneur. Le prendrez-vous comme maître en dehors de moi, lui et sa descendance alors qu’ils sont vos ennemis ? Quel détestable échange pour les injustes. (Co. 18, 50)
Les djinns sont parfois considérés comme des anges, créés par Allah pour l’aider dans la création et parfois comme des descendants de Satan.
Quelle est la place de Satan dans l’islam ?
Le Coran enseigne que chaque individu est responsable de ses choix, et que seul Dieu détient le pouvoir ultime. Ainsi, les croyants sont appelés à rechercher la protection divine et à rester vigilants face aux tentations de Satan.
Il est nettement moins présent dans la vie des musulmans que dans la vie des chrétiens, bien que certains fassent précéder la lecture du Coran de la formule « Je cherche refuge auprès de Dieu contre Satan le maudit ».
Cependant, lors du pèlerinage à La Mecque, les fidèles doivent lancer des pierres contre des piliers représentant Satan. Cet acte doit rappeler qu’Abraham éloigna Satan, qui voulait le détourner de sacrifier son fils, en lui jetant des pierres.

Conclusion
Je laisse la conclusion à Henry Kelly (université de Californie : UCLA), auteur de « Satan, une biographie » : « La fusion de Satan avec le Serpent de l’Éden, puis la diffamation de Satan présenté comme le grand ennemi de Dieu, auquel celui-ci aurait livré toute l’espèce humaine vouée à un châtiment éternel, fit de Dieu non pas le père miséricordieux des évangiles, mais un tyran inepte et irrationnel« .
Et il enchaîne : « J’ai cherché à blanchir Satan et, qui sait, peut-être cette entreprise aidera-t-elle à restaurer la réputation de Dieu.«
