Introduction
Au VIIe siècle, les tribus turques nomades occupaient les steppes d’Asie intérieure à l’est de la Volga et au nord de la mer Caspienne, jusqu’au monts de l’Altaï. Elles n’allaient pas tarder à entrer en contact avec les Arabes.
Les Arabes à la conquête de l’Empire perse
La conquête de l’Empire perse fut facilitée par le délitement de l’autorité du dernier empereur perse Yazdgard III dont la fuite vers l’est provoqua l’anarchie dans l’empire.Plusieurs gouverneurs des provinces perses se rallièrent aux Arabes. En échange d’un impôt, ils gardaient la mainmise sur leur territoire. Pour eux, la situation changeait peu : au lieu de payer l’impôt à l’empereur, ils rétribuaient les conquérants. Vers 650, les Arabes avaient déjà atteint l’Indus, ils étaient sur les traces d’Alexandre le Grand.
La route de la soie
A l’est de l’Empire perse, se situait la province de Sogdiane, un important carrefour commercial dont les habitants semblent être d’origine scythe. Les villes de Samarcande et Tachkent, aujourd’hui en Ouzbékistan, contrôlaient la « route de la soie » qui reliait la Chine à Byzance à travers la Perse.
Ces villes accueillaient les caravanes et leur fournissaient une escorte pour traverser la région. Elles abritaient des marchés très florissants où s’échangeaient les produits du monde entier.
Au temps de leur splendeur, Pétra et Palmyre étaient des villes étapes sur cette route.

Cette carte est extraite de l’Atlas historique mondial de Christian Grataloup (Les Arènes) que je recommande chaleureusement.
Le relief de cette région, aujourd’hui partagée par l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le nord de l’Afghanistan, est très particulier, on y trouve des montagnes, des vallées fertiles, des déserts et des oasis. La configuration du terrain a façonné la structure politique de la région : un moine chinois, Xuanzong, qui voyageait dans la région entre 629 et 644, a dénombré pas moins de 27 royaumes bouddhistes ou zoroastriens.
Cet éparpillement de l’autorité va avoir des conséquences sur la conquête arabe. Elle va la faciliter car les royaumes sont peu puissants, parfois rivaux et leurs troupes peu nombreuses, mais d’un autre côté, les Arabes vont devoir se battre sur plusieurs fronts et disperser leurs forces. C’est au général Qutayba ibn Islam que revient l’honneur des premières conquêtes au delà du fleuve Oxus (aujourd’hui le Sir Daria) : Boukhara tombe en 709 après 4 ans de guerre, Samarcande est prise en 712.
L’intervention des Turcs
Mais en 715, à la mort du Calife Walid Ier, fils d’Abd al-Malik, les opérations militaires cessent à l’est : son successeur, Sulayman (715-717), se tourne vers Constantinople qu’il espère conquérir. Les royaumes de Sogdiane, sous l’autorité des Arabes, mais où les dirigeants étaient restés au pouvoir, font appel à l’empereur de Chine. On a conservé les courriers qui ont été échangés.
(Roi de Samarcande) : Pendant 35 ans, nous nous sommes constamment battus contre les brigands arabes… sans recevoir la moindre aide militaire de l’empereur. Il y a six ans, le général en chef des Arabes, Qutayba est venu avec une immense armée… nous avons subi une grande défaite…
(Roi de Surkhab (au sud de Kaboul)) : Tout ce qui se trouvait dans mon trésor et mes entrepôts, tous mes objets et bijoux précieux, comme les richesses de mes sujets, ont été saisis par les Arabes…
(Roi de Boukhara) : Chaque année nous subissons les incursions et les pillages des brigands arabes. Notre pays n’ a aucun répit.
Ces seigneurs demandent à l’empereur d’ordonner aux Turcs de leur venir en aide. Et effectivement, une armée turque commandée par un certain Subuk (715-738) leur vient en aide en 730. Il chasse les Arabes qui ne gardent que la ville de Samarcande. Mais en 736, Subuk qui s’est allié aux Tibétains, ennemis des Chinois, est battu par ceux-ci avant d’être écrasé deux ans plus tard par les Arabes commandés par Nasr ibn Sayya. Ce gouverneur du Khorassan (province perse de l’est, aujourd’hui au Turkménistan et en Afghanistan) se montre très magnanime, il pardonne aux rebelles et instaure une ère de paix.
Mais la dynastie omeyyade est en danger. En 747, une armée hétéroclite conduite par Abu Muslim, un chiite non-arabe, nouvellement converti, part du Khorassan et marche sur Damas. Le dernier calife omeyyade est renversé en 750. Les partisans d’Abu Islam souhaitaient l’égalité de tous les musulmans par opposition aux Omeyyades qui ont mené une politique élitiste pro-arabe. La dynastie abbasside voit le jour.
La rencontre des Chinois : Talas (751)
En Sogdiane, les troupes chinoises associées à des tribus turques de l’est viennent au secours d’un de leur allié (le Ferghana), en guerre avec un autre roi (du Shash). Ce dernier fait appel aux Arabes alliés à d’autres tribus turques et aux Tibétains. La confrontation a lieu à Talas en 751. On connaît la bataille par les archives chinoises, mais il faudra attendre près de 700 ans pour que les musulmans la raconte. Les troupes turques de l’armée chinoise auraient fait défection et seraient passées dans le camp adverse. Cette défaite des Chinois marque la limite ouest de leurs conquêtes.
Les Turcs sont maintenant les alliés des Arabes. Ils vont se convertir à l’islam. Ils vont devenir les protecteurs du califat et son bras armé, avant de prendre le relais des Arabes : le dernier calife a été le sultan turc ottoman Mehmet V.
En 755, un général turco-sogdien, An Lushan, général en chef des garnissons du nord-est, au service de la dynastie chinoise Tang, se rebelle contre son empereur. La guerre civile qui s’en suit va durer sept ans, faire des centaines de milliers de morts et causer la perte d’un quart des territoires de la Chine stoppant ses prétentions expansionnistes. C’est de cette époque que date l’établissement des Ouïghurs, peuplade turque musulmane, dans l’est de la Chine.
La Chine étant hors-jeu, les Arabes peuvent asseoir leur domination sur la région de Transoxiane.
La route de la soie… et du papier
La tradition raconte que lors de la bataille de Talas, parmi les prisonniers chinois se trouvaient des artisans qui connaissaient le secret de la fabrication du papier et qu’ils l’auraient transmis aux Arabes. Légende !
Les Sogdiens connaissaient déjà le papier. Mais il est vrai que se sont les Arabes qui vont propagé l’usage de ce support. Le papier était utilisé depuis le IIe siècle avant notre ère en Chine. Il arrive en Occident vers 1100, par l’Espagne. Il n’atteindra le nord de la France qu’au milieu du XIVe siècle.
Le plus ancien document conservé sur papier se trouve aux archives de Marseille, c’est le registre des minutes du notaire Giraud Amalric, qui date de 1248.