« Religio » et « superstitio » à Rome

Dans l’Empire romain, le christianisme a longtemps été considéré comme une « superstitio », ce qu’il ne faut pas traduire par « superstition », le concept n’a pas la même signification qu’aujourd’hui. Quelle était la différence entre la religio et la superstitio ?

Cet article est basé sur l’article d’Éric Junod : « Qui a fondé le christianisme ? » (e-book disponible avec la revue Le Monde de la Bible).

Pour les Romains, la religion entretient un lien étroit avec l’ordre public. Le mot vient du verbe religere, relier. C’est la ciment de la société. Au sein de l’empire, elle transmet des pratiques et des valeurs traditionnelles ; elle constitue donc un facteur essentiel d’unité, d’appartenance. Il est ainsi admis que chaque peuple, chaque nation ait sa religion, mais à la condition qu’il soit indépendant. En revanche, dès qu’un peuple ou une nation se trouve intégré dans l’Empire romain, il lui faut en respecter la religion, c’est-à-dire ses fêtes, ses rites… À l’intérieur de l’Empire, il ne peut exister qu’un seul culte public et officiel, celui de la Rome divinisée. Les Romains invitaient donc les peuples conquis à identifier leurs dieux aux dieux gréco-romains.

Les juifs feront exception, en parvenant à faire reconnaître leur culte et leurs pratiques comme une religion licite au sein de la république puis de l’Empire. Cette reconnaissance, entrainera des jalousies (voir l’article sur les graines de l’antijudaïsme). Les juifs sont tenus à l’écart de la vie sociale, ils ne seront pas citoyens des villes qu’ils occupent… jusqu’à l’édit de Caracalla en 212, qui fait de tout homme libre de l’empire un citoyen romain.
Mais, dans les faits, cette reconnaissance demeurera précaire. Cicéron (106-43 avant note ère), lors d’un procès, s’en prendra aux juifs de Rome et décrira leur culte comme une « superstition barbare« , et Tacite (53-120) parlera des juifs de Palestine lors de la guerre juive comme d’une « nation soumise à la superstition, ennemie des pratiques religieuses« .

La superstitio désigne une pratique sociale qui n’appartient pas au culte public, une pratique habituellement tolérée mais qui, de par son caractère non public, privé donc, est susceptible
de constituer une menace pour l’ordre public et le lien social. Quand Pline, Tacite et Suétone traitent le christianisme de superstition, ils désignent donc moins une pratique religieuse
indigne ou vile qu’une pratique particulière et donc suspecte parce que potentiellement ou effectivement rebelle : les rites étant privés, ils échappent aux regards.

En quoi le christianisme apparaît-il comme suspect aux Romains ?
L’empereur Marc-Aurèle (121-180), philosophe stoïcien, critique leur attitude devant la mort… alors que les stoïciens prônent le suicide pour éviter le déshonneur et la déchéance.

Que la préparation à la mort vienne de notre propre jugement, non d’un simple esprit d’opposition comme les chrétiens, mais de façon réfléchie, sérieuse et, pour convaincre également autrui, non théâtrale. (Pensées XI,3)

Pour Marc-Aurèle, leur consentement à mourir ne procède pas d’une décision intérieure et mûrement élaborée, mais d’une attirance déraisonnable. Leur aspiration à la mort, dont ils font un véritable spectacle, trouve son origine dans le mépris du monde et le rejet de la vie terrestre. Cette attitude suicidaire, dans laquelle ils vont se livrer théâtralement au glaive du pouvoir civil pour recevoir la mort, est générée par un trouble de la raison. Elle se situe aux antipodes de l’idéal de maîtrise de soi auquel le philosophe stoïcien s’applique en toutes circonstances, y compris, s’il le faut, dans la décision de se donner la mort. A l’époque de Marc-Aurèle, les chrétiens ne sont pas persécutés comme tels, mais comme criminels, enfreignant la loi.

Les chrétiens ont d’abord été considérés comme une secte juive pratiquant un prosélytisme agressif. Ils faisaient des disciples dans toutes les couches de la société romaines. Ils essayaient alors de soustraire les nouveaux adeptes de la vie publique, pour les attirer dans leur monde particulier. Ainsi Tertullien, un théologien de la fin du IIe siècle, vitupère contre les représentations théâtrales. Il refuse aux chrétiens le droit de rejoindre l’armée romaine. Il incite les chrétiennes à refuser tout luxe vestimentaire et tout maquillage. Le bain public, manifestation suprême de la vie publique, est proscrit, il faut se négliger. Une chrétienne ne peut épouser qu’un chrétien. Tout cela s’appelle de nos jours du radicalisme, de l’intégrisme. Sans oublier que Rome doit être détruite quand Jésus reviendra… retour qui, à cette époque, est toujours très attendu.

Saint Jérôme (347-420) incite les filles des patriciens romains à vivre recluses dans une pièce retirée du palais familial, à manger seules pour échapper à la tentation du regard d’un homme. Il leur demande de jeûner souvent, de s’habiller de sombre. « La négligence et la malpropreté corporelle sont élevées au rang de vertu », nous dit Catherine Salles, maître de conférences à l’université de Paris X, où elle enseigne la civilisation romaine.

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