L’Arabie à l’aube de l’islam

Les écrits musulmans ont un terme pour qualifier cette époque  » jâhiliya« , l’ignorance ! Ce terme nous renseigne sur le degré de connaissance des savants arabo-musulmans sur le contexte de l’Arabie pré-islamique… ils ne le connaissait pas.

Or, la Péninsule arabique n’était pas un monde fermé, ce monde était en contact avec les empires perse et byzantin et surtout avec le puissant royaume d’Himyar, tantôt sous domination du royaume d’Aksoum, tantôt indépendant (voir la carte).

Essayons d’y voir plus clair pour mieux comprendre la genèse du mouvement politico-religieux de Mahomet.

D’après l’article L’Arabie préislamique de Christian Julien ROBIN dans le Coran des Historiens (tome I) éditions du Cerf.

En majuscule : les États
En italique : les villes
autre (ex. Syrie) : les régions

De quelle Arabie parle-t-on ?

Dans l’antiquité tardive, la notion d’Arabie ne se limitait pas à la Péninsule arabique. Elle désignait tous les déserts, du nord de la Syrie au Yémen, du Jourdain à l’Euphrate. Au nord, les Arabes de Syrie appelés les Ghassanides (aussi appelés Jafnides) étaient chrétiens et alliés aux Byzantins. Ceux d’Irak (actuel), les Lakhmides (ou Nasrides), étaient alliés aux Perses. Au sud, les Himyarites étaient juifs puis sont devenus chrétiens vers 520.

Tous les Arabes ne parlaient pas la même langue. Plusieurs dialectes coexistaient dans la Péninsule, en plus du grec, du perse, du syriaque et du nabatéen (Pétra). Ces deux dernières langues sont dérivées de l’araméen.
Le système d’écriture était également différent.

Les sources

Nous n’avons aucun vestige archéologique datant de l’époque de Mahomet. L’Arabie saoudite a autorisé les fouilles sur son territoire en 2010… sauf à Médine et à La Mecque.
L’abondance des sources écrites sur cette époque n’est qu’un leurre, elles remontent au IXe siècle, soit deux siècles après les événements qu’elles racontent et sont extérieures à l’Arabie, elles viennent de Syrie ou d’Irak. Plus tardive encore, la carte de la répartition des tribus arabes est due à un géographe perse du XIIe siècle, c’est dire qu’on lui accorde peu de valeur.

Qu’avons nous d’exploitable ?
L’archéologie nous offre de la céramique et des inscriptions sur des monuments.
L’étude de la céramique nous indique qu’à l’époque pré-islamique, un arrêt des échanges commerciaux a modifié les conditions de vie. On a de la céramique d’importation avant et après. Cette situation marque un appauvrissement ou un abandon des sites. Ceci s’explique par deux facteurs : une épidémie de peste et la guerre entre deux empires, les Perses et les Byzantins. Ces calamités ont entrainé des désordres entre 560 et 630.

L’épidémie de peste a débuté en 541 et s’est terminée en 767. A son apogée en 592, elle foudroyait 10.000 personnes par jour à Constantinople. Il est probable que le site de Pétra, capitale des Nabatéens, se soit vidée de ses habitants à cette époque. On retrouve les derniers restes d’un repas dans l’église. Les fidèles se sont probablement réunis à cette endroit, espérant le secours de leur dieu. Les Nabatéens dominaient le commerce dans le nord de la péninsule arabique, de leur comptoir d’Hijra à leur capitale Pétra. En cas d’épidémie, ce sont les lieux d’échanges commerciaux, surpeuplés, qui souffrent le plus.

La guerre entre Byzance et la Perse s’est déroulée de 580-602 à 628, elle a ravagé tout la région allant du Tigre à Constantinople : les Perses et les Byzantins prenant tour à tour l’initiative des offensives.

Ces temps troublés ont vu l’émergence d’une nouvelle série d’apocalypses (voir : Le jugement dernier) dont deux apocalypses de Daniel, l’Apocalypse d’Alexandre le Grand, etc. D’autres seront écrites après la conquête arabe considérée comme les prémices de la fin des temps.
Le Coran fourmille de passages apocalyptiques : le message est simple, l’Heure approche, mais seul Allah connaît l’Heure.

Les inscriptions sur les monuments ou les pierres sont très intéressantes car elles sont fiables : on peut les dater, elles n’ont pas été altérées et comme elles sont publiques, elles rapportent une vérité admise à l’époque.

Que sait-on ?

Le Coran serait une source précieuse, car datant, du moins en partie, du VIIe siècle. Malheureusement, il ne relate pas d’événements qui lui sont contemporains. Il cite une seule fois Byzance (les Roms), jamais la Perse pourtant très influente en Arabie à partir de 585. Il ne mentionne aucun lieu identifiable comme le royaume du sud, Himyar, qui dominait probablement l’Arabie centrale, le Hedjaz.

L’archéologie nous révèle des royaumes puissants, au nord (Ghassanides et Lakhmides) et au sud (Himyar), organisés en sociétés urbaines, ayant créé des réseaux commerciaux efficaces. Dans ces royaumes, l’écriture était d’un usage courant. Dans le sud, l’architecture était de qualité, des barrages et des canaux d’irrigation avaient été construits pour favoriser l’agriculture. On est loin d’une ère d’ignorance.

Le polythéisme avait été abandonné dès le IVe siècle, au sud, comme au nord.
Les rois de Himyar s’étaient convertis au judaïsme vers 350.

Au sud : Le royaume d’Himyar

Vers 500, Himyar, qui contrôlait une grande partie de l’Arabie, devint tributaire de l’empire d’Aksum chrétien (l’Éthiopie). L’Ethiopie contrôle ainsi le passage maritime de la mer Rouge vers l’empire Byzantin.
Mais en 522, un roi, juif, Joseph, reprend le contrôle et massacre des chrétiens de l’oasis de Nadjran.
En 535, Abraha, général éthiopien reprend le pouvoir. La tradition musulmane attribue à ce roi une attaque de La Mecque à l’aide d’un éléphant (sourate 105).

N’as-tu pas vu comment ton Seigneur a agi envers les gens de l’éléphant ? N’a-t-il pas rendu leur ruse complètement vaine et envoyé sur eux des oiseaux par volées qui leur lançaient des pierres ? (Co. 105, 1-4)

Cette attaque aurait échoué grâce à l’intervention de Dieu. Abraha est effectivement le protagoniste d’un récit de bataille incluant un éléphant récalcitrant, mais rien ne permet de relier cette histoire à La Mecque.
Mahomet serait né « l’année de l’Éléphant » en 570, or à cette date Abraha est mort depuis cinq ans et les structures du royaume d’Aksum se délitent. Les Perses vont coloniser tout le sud de la péninsule pour exploiter les mines d’argent.

Inscription au Yémen faisant référence à un éléphant

A l’est : le long du golfe persique

Vers 520, les princes arabes de Mésopotamie (les Lakhmides/Nasrides) s’installent le long des côtes jusqu’à Oman. L’écriture se généralise.
En 602, le prince nasride jusque là allié des Perses, est démis par l’empereur perse. En pleine guerre contre les Byzantins, il s’était converti au christianisme !

Au nord, en Syrie

En 582, le prince jafnide (Ghassanide) al-Mundhir III, couronné en 580, est démis par l’empereur de Byzance Tibère II Constantin.
Les Ghassanides combattront aux côtés des troupes musulmanes contre les Byzantins sur la rivière Yarmouk, affluant du Jourdain (en 636) ouvrant la route vers Damas.

La religion

Le christianisme nicéen s’impose dans le royaume d’Himyar avec l’arrivée des Éthiopiens. On trouve des inscriptions faisant référence à la Trinité.

Au nom de Rahman-an, de son fils Christ vainqueur et de l’Esprit sain.

Notons l’utilisation de Rahman (miséricordieux) pour nommer Dieu (-an est l’article, comme al en arabe : al-Rahman)
Mais 20 ans plus tard, sous Abraha, la titulature change :

Avec la puissance et l’aide de Rahman-an, Seigneur du ciel, et de son messie…

Le fils est devenu le Messie, la Trinité a disparu. Le christianisme s’est rapproché de celui d’Antioche et de la Syrie. On dit parfois que cette expression vient des sectes judéo-chrétiennes, mais c’est peu probable, ces sectes disparaissent des sources dès le Ve siècle.

On se rapproche donc des expressions reprises dans le Coran où l’on trouve :

  • « Seigneur de l’Univers », « Seigneur de Sirius », « Seigneur des aubes et des couchants », etc pour désigner Allah.
  • « bi-smi-l-lāhi r-Raḥmāni r-Rahīmi » : « Au nom de Dieu le clément et le miséricordieux » se trouve au début de chaque sourate, sauf la première et la neuvième.
  • Jésus est appelé « Isa al-Masih« , « Jésus le Messie ».

Rappelons-nous le massacre de 174 chrétiens à Nadjran par le roi juif Joseph, un an après sa prise de pouvoir. On a conservé la liste des victimes : 10 s’appelaient Abdallah, puis les noms les plus fréquents sont Amr et Muawiya. Dans les inscriptions funéraires que les archéologues ont étudiées en Arabie, on trouve le nom d’Abdallah moins d’une fois pour 1000. A Nadjran, 6% des victimes portent ce nom.
Notons que le père de Mahomet s’appelait Abdallah, d’après la tradition, et que le premier calife omeyyade s’appelait Muawiya (voir l’article sur ce calife)

Donc, dans le sud de l’Arabie, on nommait Dieu par les termes : le maître de…, le seigneur de …, Rahman et Allah.

al-Rahman est aussi le nom de dieu pour les réformateurs rivaux de Mahomet : Musaymila (dans le Yamama, centre de l’Arabie, région de Riyad) et al-Aaswad al-Ansi (Yémen). D’après les sources islamiques, ils sont morts tous les deux en 632, comme Mahomet.

Le sanctuaire de La Mecque

Faute d’informations complémentaires, on estime que La Mecque et son temple, la Kaaba, était un sanctuaire dédié aux dieux Hubal et Allah fréquenté par les Bédouins et non un centre de commerce florissant.
On a identifié plus d’une dizaine de sanctuaires dans la péninsule arabique.

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