« Nier l’existence de dieu est illogique »

Ce n’est pas moi qui le dit, c’est la conclusion d’une démonstration mathématique décrite dans un dossier du magazine « Science & Vie » numéro 1235 d’août 2020 ! Voici mille ans que des philosophes puis des scientifiques essaient de démontrer l’existence de Dieu, d’Anselme de Cantorbéry (XIe siècle) à Kurt Gödel (1906-1978) au XXe siècle. Un chercheur allemand de l’université de Berlin, Christoph Benzmüller aurait réussi. Il a démontré, grâce à l’informatique, que « Dieu, dans sa définition la plus répandue en métaphysique existe nécessairement ».
Ce scientifique s’est spécialisé en mathématique et en logique. Il raisonne dans les disciplines qu’il maîtrise, faisant fi de la chimie, la physique et l’astrophysique. Il ne se demande pas comment Dieu aurait créé l’Univers ni pourquoi il aurait laissé la Terre vide d’hommes, ses « créatures », pendant 4 milliards d’années, se morfondant seul sur son trône, sans personne pour l’adorer.

La démonstration se fait en 12 étapes et conclut : « Dieu existe« . Reprenons les 3 premières étapes, elles seront suffisantes pour mon propos, d’autant plus qu’à partir de la quatrième étape, on introduit des concepts non triviaux comme l’exemplarité et l’essence.

  1. La définition de Dieu. c’est un être qui possède toutes les « propriétés positives ». Cette définition ne correspond donc à aucun dieu vénéré par les religions existantes. YHWH est un dieu jaloux, Allah aime qu’on le craigne et qu’on l’adore cinq fois par jour. Aucun n’a ces propriétés positives que sont l’empathie ou la tolérance.
  2. Viennent ensuite deux axiomes, des affirmations qui ne peuvent pas être démontrées. Dans la géométrie euclidienne, un axiome précise que deux droites parallèles ne se rencontrent pas. Ici, le point 2 pose qu’une propriété est positive sinon, c’est sa négation qui est positive.
    En mathématique, une propriété définit ce qui est propre ou particulier à un objet ou à un être. C’est un synonyme d’attribut, de caractéristique ou de qualité.
  3. La propriété se transmet : toute propriété engendrée par une propriété positive est positive.

Le troisième point suscite une grosse interrogation. Prenons un exemple qui n’a rien à voir avec la démonstration de Christoph Benzmüller : « Aimer Dieu » est-il une propriété positive de l’homme ? Si oui, « Tuer les ennemis de mon dieu », qui est engendré par « Aimer Dieu » est aussi une propriété positive. Or dans ma morale, ça ne l’est pas. L’axiome du point 3 n’est pas vérifiable dans toutes les situations, il n’est pas universel, il est donc faux et la démonstration est fausse. cqfd.

Nonobstant ce problème, la définition de départ est-elle correcte ? Dieu est-il la somme des propriétés positives ? Ce n’est pas la définition qu’en donnent les dictionnaires : Dieu est un « être éternel, unique, créateur et juge », qui comme je l’ai dit précédemment n’a pas toutes les propriétés positives. La définition de départ concerne plutôt la « perfection« . Donc, si on veut être précis la conclusion de la démonstration serait : « la perfection est une notion cohérente, elle est logique, elle existe »… bien qu’on ne la rencontre nulle part.

Et le diable ?

Science & Vie a demandé à Cristoph Benzmüller de soumettre le cas du diable à son programme. En partant de la définition que le diable a toutes les propriétés négatives, le programme conclut que le diable n’existe pas. « Etre tel qu’on est » est une propriété positive, donc le diable possède la propriété inverse : « Ne pas être tel qu’on est ». Il n’existe donc pas.

Ne pas tout jeter

La démonstration n’est qu’un volet du dossier de Science & Vie intitulé « Pourquoi on croit en Dieu« . Les autres parties du dossier sont (également) très intéressantes :

  • Les civilisations portées par un dieu se sont imposées.
  • La foi dope notre cerveau.
  • Dieu est une idée contagieuse. Dans cette partie, le généticien Richard Dawkins, est réhabilité. Je vais en parler.

Ainsi on apprend :

  • « Plus une civilisation est structurée et la population nombreuse, plus elle a de chances de vénérer un dieu puissant, moralisateur et vengeur »... (notes personnelles) et aussi belliqueux : il faut l’imposer aux autres. La civilisation juive n’a jamais été assez nombreuse pour imposer sa religion. Le judaïsme ne compte aujourd’hui que 15 millions d’adeptes (à comparer au 2.000 millions de chrétiens et de musulmans).
  • Les croyants en un dieu moralisateur et vengeur sont enclins à l’empathie envers les autres croyants en ce dieu. « Ce dieu encourage la confiance en l’autre, à condition que cet autre y croie aussi, bien entendu ». « La foi favoriserait la survie.« 
Richard Dawkins

Richard Dawkins, né en 1941, est un biologiste éminent, professeur à l’université d’Oxford. En 1976, il publie « Le gène égoïste » qui explique la théorie de l’évolution basée sur la mutation des gènes. Il y introduit la notion de « mème« , je vais en parler. En 2006, il publie « Pour en finir avec Dieu » qui s’est vendu à plus de deux millions d’exemplaires et qui n’est pas son livre le plus abouti.

Ce qui nous intéresse ici est la notion de mème, fortement critiquée à l’origine (1976) et aujourd’hui, généralement admise. Un mème est un élément d’une culture qui se transmet d’une génération à l’autre, particulièrement par imitation. Comme le gène, il peut muter en se transmettant, générant des évolutions culturelles. La mémétique est le domaine d’étude des mèmes, elle concerne surtout :

  • La propagation des rumeurs et des modes,
  • Les phénomènes d’adhésion à des mouvements culturels, idéologiques, politiques ou religieux,
  • L’apparition de variantes culturelles, d’innovation, de création.

Tous les objets des religions se sont transmis en se transformant, les mèmes des religions ont muté :

  • Jésus, probablement un prophète de l’apocalypse est devenu Dieu. (voir : la nature de Jésus).
  • Le Coran, simple recueil des révélations vécues par Mahomet est devenu « le » livre incréé dont l’original est dans les mains d’Allah (voir : le Coran)
  • YHWH, un dieu local dans le panthéon des Hébreux, est devenu « le » dieu unique et universel (voir : quand Yahvé est-il devenu le dieu des Hébreux).

A chaque fois, l’évolution de l’objet du culte s’est faite vers le sommet, la position la plus élevée, vers un point d’où toute évolution est devenue impossible. Le cas le plus flagrant est l’islam. Si le Coran est un livre incréé, il est impossible de contester ou de modifier son contenu. L’islam est figé à tout jamais. (voir : le mutazilisme, un islam éclairé).

Commentaire constructif de Pierre Nyst

Je n’ai pas lu l’article de Science & Vie sur cette « démonstration » de Christoph Benzmüller, mais elle me semble être une variante de plus de l’argument ontologique, utilisé par pas mal d’auteurs par le passé, allant de Boèce et Anselme, de Descartes à Spinoza, et dont la structure reste globalement invariante :
1.    Dieu est un être parfait.
2.    Une perfection qui ne comprendrait pas l’existence ne serait évidemment pas complète.
3.    Donc, Dieu est aussi doté de l’existence.
Cet argument est dit ontologique, car il appuie sa « preuve » sur la définition de ce qu’est l’être (ontos) de Dieu : il est dans l’être de Dieu d’exister.
(Source https://fr.wikipedia.org/wiki/Argument_ontologique)

En plus des critiques et réfutations de cet argument, qu’on peut trouver à profusion sur Internet, j’ajouterai ceci :
1. Quelque chose qui n’existe pas ou dont on n’a pas (encore) prouvé l’existence ne peut être qualifié de parfait. Comme on cherche à prouver l’existence de Dieu, on ne peut donc baser cette « preuve » sur l’existence de Dieu, ni donc sur sa qualité d’être parfait. Le point de départ de l’argument ontologique est donc fallacieux puisqu’on ne peut qualifier de parfait quelque chose dont on doit encore prouver l’existence.
2. Si l’argument ontologique était valable, on pourrait s’en servir pour affirmer l’existence de toute chose dont aurait préalablement pris soin de dire qu’elle est parfaite : le Père Noël, la licorne bleue, la théière de Russell, etc.

D’un point de vue scientifique, je partage la position de Richard Dawkins quand il dit que la preuve formelle de la non-existence de Dieu est impossible.
En effet, comment prouver à l’aide des lois physiques de la nature, de l’univers, l’existence ou la non-existence de quelque chose de surnaturel, que les religions placent au-dessus des lois physiques ?
De même, comment prouver, par un raisonnement de logique, l’existence ou la non-existence de quelque chose dont la Bible déclare que les voies sont impénétrables (Job 11:7, Psaumes 139:17, Isaïe 55:8-9, Épître de Paul aux Romains 11:33) ?
D’ailleurs, comment prouver quoi que ce soit concernant quelque chose d’aussi flou, d’aussi peu précis, d’aussi mal défini que la notion de dieu ? Cela d’autant plus que chacun a sa propre définition de dieu, lesquelles définitions évoluent au fil du temps, au gré des avancées scientifiques et des reculades religieuses.

Enfin, si Christoph Benzmüller a malgré tout raison, alors Dieu et la foi mourront bientôt :
« Dieu meurt au contact de la preuve. » (Adolphe Gesché, prêtre et théologien belge, dans un entretien dans La Libre Belgique, 7 mai 2001)
« Si on prouvait scientifiquement que Dieu existe, cela détruirait la foi. » (cardinal Godfried Danneels)

Un commentaire sur “« Nier l’existence de dieu est illogique »

  1. Comment prouve-t-on l’existence d’une personne ? Par des témoignages fiables, par une rencontre personnelle. L’un des principes fondamentaux de la science est la causalité. La Création exige un Créateur. L’immensité insondable de la Création, sa complexité impénétrable (on en découvre les bords), sa beauté, son exquise adaptation à la vie et à l’homme, etc. exigent un Créateur tout-puissant et bon. C’est pourquoi la Bible dit : « L’insensé dit dans son cœur : il n’y a point de Dieu ! » Ou encore : « En effet, ce qui chez lui est invisible — sa puissance éternelle et sa divinité — se voit fort bien depuis la création du monde, quand l’intelligence le discerne par ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables,.. » La raison de l’homme lui témoigne de l’existence du Créateur, mais son cœur rebelle la nie. Ce qu’Aldous Huxley avoue explicitement dans un texte rarement cité, et pour cause :
    « J’avais des raisons de ne pas vouloir que le monde ait un sens ; j’ai par conséquent fait l’hypothèse qu’il n’en avait pas et j’ai été capable, sans difficulté, de trouver des raisons satisfaisantes pour justifier cette hypothèse… Le philosophe qui ne trouve aucune signification au monde n’est pas intéressé de façon exclusive par une question de métaphysique pure ; ce qui l’intéresse aussi, c’est de prouver qu’il n’existe aucune raison valide qui l’empêcherait d’agir personnellement comme il a envie de le faire. Quant à moi, …la philosophie de l’absence de signification était essentiellement un instrument de libération…. Nous avons émis des objections à la moralité parce qu’elle interférait avec notre liberté sexuelle… »[1]
    L’hypothèse saisie par Huxley à l’appui de sa thèse, c’est l’évolution darwinienne.
    1. A. Huxley, Ends and Means. Londres: Chatto & Windus, 1938, p. 270-273.

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