Aussi curieux que cela puisse paraître, il a fallu plus de trois cents ans pour que la nature de Jésus soient définie, les évangiles étant restés très vague à ce sujet, leurs auteurs faisant même dire à Jésus : « Qui croyez-vous que je suis ? » Dans Matthieu (16, 13-21) c’est le fils de Dieu ; pour Marc (8, 27-31) c’est le messie (le Christ) et pour Luc (9, 16-21) c’est le messie de Dieu (le Christ de Dieu).
Aux premiers temps du christianisme
Les premiers chrétiens avaient des idées différentes sur la nature de Jésus, mais tous croyaient qu’il était le « sauveur ». Suivant les communautés, il était l’annonceur du Jugement dernier, un prophète, un maître, le messie attendu par les juifs pour libérer le pays des envahisseurs étrangers, un homme adopté par Dieu ou le fils de Dieu, celui qui représente Dieu, qui le fait connaître.
Vers 140, Marcion a fait scandale en présentant Jésus comme un être céleste matérialisé sur terre sous l’apparence d’un homme de trente ans. Deux évangiles ont alors mis en scène la naissance de Jésus car le messie devait être un homme, né à Bethléem descendant du roi David. Mais la suite allait être encore plus surprenante.
Le concile de Nicée contre Arius (325)
En 312, l’empereur Constantin met fin à une nième guerre civile et s’empare du pourvoir dans la partie occidentale de l’Empire romain. L’année suivante son beau-frère Licinius fait de même en Orient. En avril 313, les deux empereurs, réunis à Milan, promulguent un édit de tolérance dans le but de rétablir la paix sociale dans l’empire (voir les 3 articles sur les martyrs). Cet édit nous est connu par deux auteurs chrétiens : Lactance et Eusèbe de Césarée qui nous ont livré deux versions différentes dans la forme mais identiques sur le fond :
« Etant heureusement réuni à Milan, moi, Constantin Auguste, et moi, Licinius Auguste, ayant en vue tout ce qui intéresse l’unité et la sécurité publiques, nous pensons que, parmi les autres décisions profitables à la plupart des hommes, il faut en premier lieu placer celle qui concerne le respect dû à la divinité et ainsi donner [aux chrétiens, comme] à tous, la liberté de pouvoir suivre la religion que chacun voudrait, en sorte que ce qu’il y a de divin au céleste séjour puisse être bienveillant et propice à nous-mêmes et à tous ceux qui sont placés sous notre autorité »
Les chrétiens, qui représentaient 5 à 10% de la population de l’Empire, sont donc libres d’exercer leur culte mais aussi de débattre sur la place publique de leurs différences. Ce qui va à l’encontre du but recherché par Constantin : la paix sociale. Il décide donc, après avoir éliminé Licinius et s’être proclamé seul empereur, de régler les différents entre les diverses sectes chrétiennes. Il convoque les évêques à Nicée en 325 (en Bithynie, dans le nord-ouest de la Turquie actuelle). C’est le premier concile œcuménique, c’est-à-dire ouvert à tous les évêques. Constantin, qui n’est pas baptisé, donc pas chrétien, préside le concile qui rassemble de 280 à 325 évêques suivant les sources. Ce grand nombre est une preuve supplémentaire que le christianisme se développait au grand jour dans l’Empire romain. Constantin reste grand pontife, c’est-à-dire qu’il préside toutes les cérémonies religieuses (païennes) de Rome. Pendant deux mois, les évêques conviés vont essayer, en vain, de concilier leurs points de vue. Pour les uns, il y a trois personnes en Dieu, dont Jésus, pour les autres, Dieu est unique, il a créé Jésus, qui lui est donc subordonné, c’est la thèse d’un certain Arius. Après bien des discussions, quatorze évêques restent fidèles à la conception d’Arius. Ils sont exclus, excommuniés, privés de leur évêché et exilés. Le concile accouche d’un credo pour tous les chrétiens (respirez profondément, lecture aride) :
« Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, Créateur de toutes choses visibles et invisibles. Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, engendré du Père, c’est-à-dire, de la substance du Père. Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré et non créé, consubstantiel au Père ; par qui toutes choses ont été faites au ciel et en la terre. Qui, pour nous autres hommes et pour notre salut, est descendu des cieux, s’est incarné et s’est fait homme ; a souffert et est mort crucifié sur une croix, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, et viendra juger les vivants et les morts. Et nous croyons au Saint-Esprit. »
« Pour ceux qui disent : « Il fut un temps où Jésus-Christ n’était pas » et « Avant de naître, il n’était pas », et « Il a été créé à partir du néant », ou qui déclarent que le Fils de Dieu est d’une autre substance ou d’une autre essence, ou qu’il est créé ou soumis au changement ou à l’altération, l’Église catholique et apostolique les anathématise. »
Voilà qui est très clair (?). Enfin pas tout à fait ! Qu’est-ce qu’engendré et non créé ? Essayons de comprendre par une métaphore. Si Dieu le père était une goutte d’eau, Jésus-Christ (le fils) se serait formé à partir de celle-ci.

On peut penser que même Constantin n’avait rien compris à ce texte puisqu’il a rappelé Arius et, sur son lit de mort, en 337, il s’est fait baptiser par Eusèbe de Nicomédie, un évêque arien. Pendant 50 ans la querelle perdurera, les empereurs qui se succèdent seront en majorité ariens.
Le concile de Constantinople (381)
Il faudra attendre l’empereur Théodose et le concile de Constantinople en 381 pour que le credo de Nicée soit confirmé et l’arianisme de nouveau condamné. Il faut dire que pour participer à ce concile, il fallait réciter le credo… tous les opposants ont ainsi été écartés. C’est lors de ce concile que le concept de trinité a été érigé en dogme : le Saint-Esprit devenant la troisième personne en Dieu, de même substance, sur le même pied que Dieu le père et Dieu le fils. Cette idée avait déjà été formulée par Tertullien au début du IIIe siècle.
Entre temps, un évêque arien, Wulfila, est allé convertir les Barbares vivant au nord du Danube. Et lorsqu’au début du Ve siècle, les tribus de Germains passent le Rhin et s’installent en Gaule, puis en Espagne et en Italie, l’arianisme devient la religion principale dans la partie occidentale de l’Empire. Les Wisigoths, les Ostrogoths et les Vandales créent des évêchés ariens qui remplacent ou cohabitent avec les évêchés catholiques romains. Mais c’est une autre histoire.
Le concile d’Ephèse (431)
L’Eglise doit régler un autre problème. Nestorius, le patriarche de Constantinople, le second personnage de la chrétieneté, s’oppose à l’appellation de « mère de Dieu » donnée à Marie (theotokos : qui a engendré Dieu). En toute logique, Dieu ne peut pas avoir une mère… née avant lui, il préfère donc l’appeler « mère du Christ« . Scandale. Il dissocie Dieu et le Christ, Jésus-Christ serait deux personnes distinctes. Sous l’impulsion de Cyrille, le patriarche d’Alexandrie, un concile est convoqué par l’empereur Théodose II à Éphèse en 431. Ce patriarche est ce qu’on peut appeler un être malfaisant. Grand persécuteur des hérétiques, des juifs et des philosophes, il n’a pas hésité à faire mettre à mort, par ses hommes de mains, la mathématicienne et astronome Hypatie en 415. On lui attribue également l’incendie de la prestigieuse bibliothèque d’Alexandrie. On ne prête qu’aux riches ! Mais rien ne corrobore cette version. La disparition de cette bibliothèque reste une énigme. Mais je parierais bien 5 euro sur Cyrille.
Ce concile tourne au vaudeville. En fonction de l’arrivée des évêques, échelonnée dans le temps en raison des distances à parcourir, Nestorius est condamné ou blanchi. Un temps enfermés ensemble par l’empereur afin d’arriver à un consensus, Nestorius et Cyrille, n’arrivent pas à s’entendre. Le concile reprend sans les partisans de Nestorius qui est démis de ses fonctions et exilé. Il mourra en Egypte. Le concile accouche d’une déclaration :
« Jésus-Christ, né du Père selon la divinité, le même est né de la Vierge Marie selon l’humanité. Homme et Dieu, Jésus est un depuis sa conception (principe d’unité) et ne peut être divisé. »
Les partisans de Nestorius quittent l’Empire romain et se dirigent vers l’est, où ils convertiront non seulement des Perses mais également des Mongols. Des prêtes nestoriens faisaient partie de la cour de Gengis Khan.
Le concile de Chalcédoine (451)
On n’en a pas fini avec la nature de Jésus.
Jésus est donc « Dieu le fils », la deuxième personne en Dieu. Attention, on ne peut pas dire Jésus = Dieu sous peine d’excommunication. Mais il est également « homme ». Et durant son ministère sur terre, il n’a pas l’air d’être conscient de sa nature divine si on s’en réfère aux évangiles. Il ignore quand se produira la fin du monde, Dieu seul le sait, aurait-il dit. Lors de la crucifixion, il se plaint d’avoir été abandonné par Dieu. Puis, il monte aux cieux, à la droite du Père. Drôle d’endroit s’ils ne font qu’UN. De plus quand Jésus (re)devient-il dieu ? A sa naissance, lors de son baptême par Jean ou à sa mort. Et voici la chrétieneté de nouveau divisée.
Un nouveau concile est convoqué par l’empereur Marcien et sa femme Pulchérie, dans la ville de Chalcédoine, aujourd’hui englobée dans la partie asiatique d’Istanbul. Plus de 300 évêques répondent à l’invitation mais seuls quatre d’entre eux viennent de la partie occidentale de l’Empire (Italie, Gaule, Espagne, et Afrique du nord). Ils ont accompagné le pape Léon Ier. La question débattue est de savoir si la nature divine a absorbé la nature humaine de Jésus et quand.
C’est le point de vue de Léon qui sera adopté… en échange de la reconnaissance de l’égalité des droits des sièges épiscopaux de Rome et de Constantinople, résidence de l’empereur. Les dispositions prises aux conciles de Nicée et de Constantinople sont confirmées. La précision sur la nature de Jésus stipule :
« Un seul et même Christ, Fils, Seigneur, l’unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union (dieu-homme NDLR), la propriété de l’une et l’autre nature étant bien plutôt gardée et concourant à une seule personne« … « tout le reste n’est que fable » (???). Donc, Jésus est UN, dieu et homme, avec deux natures distinctes (sans confusion), deux volontés.
« Nous enseignons unanimement que nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme composé d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous sauf le péché, avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et aux derniers jours le même (engendré) pour nous et notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l’humanité.«

Conclusion
Qu’on y croit ou pas, les traditions juive et musulmane rapportent que les prophètes (Noé, Moïse, Mahomet) ont reçu un enseignement de Dieu et ont fondé une religion sur ces bases. Il en va tout autrement pour le christianisme. Jésus (selon les évangiles) n’a pas voulu créer une nouvelle religion, il était juif et s’adressait à ses coreligionnaires. Il ne venait pas abroger la loi, mais l’accomplir (Mt. 5, 17-18).
Dans le christianisme, le dogme a été conçu et imposé par des hommes ordinaires au cours de conciles comme on vient de le voir. Ces hommes (les évêques), à force de discussions, de compromis, de compromissions, d’exclusions, d’arrangements ont élaboré le dogme qui est toujours celui des religions catholique, orthodoxe, évangéliste et protestante. Certains diront que lors des conciles, les évêques reçoivent l’inspiration divine, comme lors de l’élection d’un pape. Personnellement, il me semble que les ambitions personnelles prennent souvent le pas sur l’inspiration divine, mais admettons. Dans ce cas, le dogme serait venu après la religion, au contraire du judaïsme et de l’islam ou la religion a été précédée des révélations (mythiques ou réelles).
Les conclusions des conciles sont des exercices de style, des développements philosophiques qui échappent au commun des mortels fussent-ils chrétiens. A la fin du Ve siècle, l’empereur d’Orient, Zénon cherche un compromis avec les Ostrogoths ariens qui occupent Rome : « Honorons Dieu et passons sous silence la nature de Jésus, ainsi l’unité pourra être rétablie entre les chrétiens« . Voilà qui est sage, mais l’évêque de Rome refuse : un dernier bastion catholique résiste toujours dans la partie occidentale de l’empire.
Les conciles n’ont pas tout réglé, la nature de Jésus fait toujours débat et permet des questionnements jugés scabreux dont voici quelques exemples… à méditer.
Jésus, doté de deux natures, de deux volontés souffrait-il de troubles bipolaires ?
Jésus est-t-il resté humain après son séjour sur terre ? La réponse est OUI, il était humain avant, pendant et après son ministère car le concile de Nicée spécifie bien que Jésus n’est pas soumis au changement ni à l’altération. Donc, il était humain avant sa naissance en tant qu’homme !
Si Jésus est doté d’une âme (concile de Chacédoine), donc Dieu est doté d’une âme. A quoi lui sert-elle ?
Si Jésus a deux volontés, les autres personnes en Dieu (le Père et le Saint Esprit) sont également pourvus d’une volonté. Donc Dieu a quatre volontés. Comment s’accordent-elles ? Est-ce la raison de la complexité du comportement de Dieu dans la Bible hébraïque : tantôt aimant et prévenant pour son peuple, tantôt jaloux, tantôt cruel, tantôt absent.
Une dernière question, si Dieu le Père a engendré le Fils, qui a créé/engendré le Père ? C’est une question récurrente.
Les religions sont « inventées » par des hommes qui interprètent des textes obscurs. Les voies du seigneur sont impénétrables et les hommes ne sont pas suffisamment intelligents pour appréhender le concept de Dieu. Il suffit de contempler l’immensité du cosmos pour se sentir bien ignorant. Notre univers a-t-il été créé ou engendré ? Un concile devrait se pencher sur cette question (très sérieuse).

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