Constantin, un empereur chrétien ?

Deux auteurs chrétiens contemporains de l’empereur, Eusèbe de Césarée (265-339) et Lactance (250-325) ont laissé de Constantin (272-306-337) l’image d’un souverain pieux, un homme providentiel, plus préoccupé à satisfaire les chrétiens qu’à administrer l’État.
Mais comme l’a écrit un auteur chrétien de la génération suivante : « Eusèbe avait plutôt dessein de faire l’éloge de ce prince que de laisser à la postérité un récit fidèle des choses qui étaient arrivées en ce temps-là » (Socrate le scolastique (380-440), livre I de l’Histoire de l’Église).

Constantin était un homme pragmatique, calculateur, dont les succès ont pu faire croire qu’il était protégé des dieux, celui des chrétiens et d’autres aussi. Son histoire a été recomposée, vue à travers le prisme de la foi, celle d’un Constantin fantasmé que nous ont laissée les auteurs chrétiens.

Les illustrations sont extraites du livre de Claire Sotinel : Rome, la fin d’un Empire (Éditions Belin)

L’arrivée au pouvoir

A la mort de son père Constance Chlore, auguste des Gaules, il est acclamé empereur par les légions. A ce moment, il y a déjà trois autres empereurs dans l’Empire. Constantin va s’allier à l’un d’eux, Licinius, qui deviendra son beau-frère, pour éliminer les concurrents.

Il marche sur l’Italie pour en découdre avec Maxence et laisse une partie de ses légions en Gaule, pour contenir les Francs qui menacent la frontière du Rhin. La confrontation va avoir lieu près de Rome, au lieu-dit le pont Milvius. Il remportera la victoire en occupera l’Italie… grâce à Dieu qui lui est apparu avant la bataille.

Cette vision nous est racontée par nos deux auteurs chrétiens.
Lactance dans son ouvrage De la mort des persécuteurs de l’Église chapitre XLIV, nous dit que « Constantin, [est] averti en songe de faire peindre sur les boucliers de ses soldats le signe adorable (?) de la croix et d’engager ensuite le combat ». En fait de croix, il précise qu’il s’agit du chrisme (les lettres X (chi grec) et P (rho) entrelacées).

Il faut imaginer la scène. En pleine nuit, Constantin réveille le gérant du magasin de bricolage du coin, dévalise les pots de couleur et les pinceaux et met ses légionnaires à contribution. On parle de 40.000 légionnaires !

Si l’œuvre de Lactance est considérée comme « un fleuve d’éloquence« , Voltaire disait de lui : « C’est un ignorant qui prétend tout savoir avec orgueil« . Effectivement, il professait que la terre était plate et se moquait de ceux qui pensaient « qu’il y a des hommes dont les plantes des pieds sont au-dessus de leurs têtes » !

Eusèbe de Césarée, dans De la vie de l’empereur Constantin (XXVIII), raconte une autre histoire. Constantin implore le dieu chrétien et il voit, en plein midi, une croix lumineuse (un chrisme) avec l’inscription « par ce signe tu vaincras« . Eusèbe indique: « Cette merveilleuse vision paraîtrait peut-être incroyable si elle était rapportée par un autre [que l’empereur]« .
La nuit, le Christ lui apparaît et lui commande de faire façonner un étendard en forme de croix. Cet étendard le protégera.

Le chrisme de Lactance et l’étendard d’Eusèbe (Constantin et sa mère Hélène : mosaïque de l’église Saint Isaac de Saint Pétersbourg)

Qui faut-il croire ?
Un auteur gaulois dans Panégyriques Latin (VII, 21) a une autre idée sur l’événement :

Car tu vis, je crois, Constantin, ton Apollon, accompagné de la Victoire t’offrant des couronnes de lauriers… Et maintenant, pourquoi je dis « je crois », tu as vu et reconnu toi-même l’apparence de celui à qui les poèmes divins ont chanté que le règne sur le monde était là.

A gauche de l’image, une pièce de monnaie ornée du profil de Constantin avec derrière lui, Apollon, Sol Invictus, reconnaissable aux rayons de sa couronne. La pièce date de 316, la bataille de Milvius a eu lieu en 313.

A droite, sur l’arc de triomphe qui lui a été consacré à Rome, l’armée de Constantin (en bas sur l’image) est surmontée d’un médaillon représentant le dieu Sol Invictus sur son char et peut-être la Victoire.

Constantin et les chrétiens

Constantin est resté fidèle au dieu Sol Invictus, pour des raisons politiques, mais il a assuré la liberté de culte à tous.

Dans son histoire de Constantin, lorsqu’Eusèbe de Césarée évoque le choix d’un dieu unique par l’empereur, il reste très sibyllin : « il choisit le dieu de son père »... qui lui n’était pas chrétien. Mais dans l’esprit d’Eusèbe, il s’agit bien du dieu des chrétiens.

L’édit de Milan

Après les persécutions de Domitien (voir l’article sur ce sujet), l’empereur Galère publia, en 311, un édit rétablissant la liberté religieuse. Lors du mariage de Licinius à Milan en 313, Constantin et son nouveau beau-frère confirmèrent les dispositions prises par Galère. Ce document, connu comme l’Édit de Milan, n’est pas un édit impérial, seul Lactance nous en donne le contenu, Eusèbe n’en parle pas, il considère même Licinius comme un persécuteur des chrétiens.

Cet édit n’est pas repris dans le Code Théodosien de 439 qui collecte les édits et rescrits (réponses) des empereurs depuis Hadrien (117 à 138).

Le concile de Nicée

En 325, Constantin convoque tous les évêques à Nicée, près de Constantinople dont il surveille les travaux. Il va présider le début de ce concile qui doit définir le dogme chrétien. Il faut dire que les chrétiens forment le groupe religieux le plus turbulent de l’Empire. Les différentes sectes s’affrontent, non seulement verbalement, mais aussi physiquement, pour le contrôle des lieux de culte entre autres.

Le dogme de la Trinité (Père, Fils et Saint-Esprit ne forme qu’un dieu) est soumis au vote et l’emporte haut la main. Les dissidents, Arius et ses quelques disciples présents sont exilés (voir « La nature de Jésus« ).
[NB : le grand nombre de fois où je renvois à des sujets déjà traités monte l’importance que les chrétiens accordent à Constantin.]

Il est normal que Constantin se soit préoccupé du dogme chrétien et de ses manifestations. Il est le pontifex maximus (grand pontife), le grand prêtre, titre religieux le plus élevé dans l’Empire. Il est chargé de surveiller la bonne observance des pratiques religieuses des citoyens et d’organiser les festivités. Son objectif est d’assurer l’harmonie dans l’Empire. Il a déjà assez de problèmes pour contenir les Barbares aux frontières : les Francs sur le Rhin, les Goths et les Sarmates sur le Danube.

Le baptême de Constantin

Il sera baptisé sur son lit de mort, mais rien ne prouve qu’il ait demandé le baptême. Constantin n’a pas dû comprendre grand chose aux débats du Concile de Nicée. C’était un militaire, pas un philosophe, sa langue maternelle était le latin et le concile s’est tenu en grec. C’est un évêque arien, Eusèbe de Nicomédie, qui officiera lors de ce baptême. Après le concile, il avait été exilé avec Arius, puis les deux avaient été rappelés par Constantin.

Les dates de la liturgie

Dans son souci d’harmonisation des cultes, il « imposa » aux chrétiens de fêter Noël le 25 décembre. Cette date était déjà la fête de Sol Invictus et l’anniversaire de la naissance de Mithra, dieu honoré par les légionnaires.

Il décréta, en mars 321, qu’un jour de la semaine serait chômé, ce jour de repos sera le jour du Soleil : « toutes les activités professionnelles, excepté les travaux agricoles, doivent cesser le jour vénérable du Soleil (venerabili die solis) ». Ce décret est consigné dans le Code Justinien L, III, 12, loi 3.
La semaine de 7 jours avait été adoptée par les Romains au début de l’Empire. Plutarque (46-120) le mentionne déjà et un graffiti sur un mur à Pompéi, ville détruite en 79, cite le nom des jours associés aux divinités romaines (Saturne, Soleil, Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus) qui sont aussi les 7 astres « errants » visibles dans le ciel.

La construction des lieux de culte

Le tradition chrétienne attribue tous les lieux de culte emblématiques à un seul homme : Constantin.
A Rome, il aurait fait don de la colline du Vatican à l’ouest pour y construite une basilique dédiée à l’apôtre Pierre et au sud, il aurait offert le palais du Latran à l’évêque de Rome. Ces donations sont bien actées dans un document qui nous est parvenu, appelé « la donation de Constantin »… qui est un faux avéré ! (voir l’article).

Le plus étonnant est le voyage entrepris par sa mère, Hélène, à Jérusalem où elle aurait découvert la croix sur laquelle Jésus aurait été cloué, les clous, le tombeau où il aurait été placé avec la résurrection. Elle aurait fait construire, sur l’ordre de son fils, la basilique du Saint Sépulcre, la basilique de la Nativité à Bethléem et une autre « sur la montagne d’où le Seigneur monta au ciel« . (voir l’article). Ni Eusèbe ni Lactance n’en parlent, il faut attendre Socrate le Scolastique pour connaître tous les détails… cent ans après la mort de Constantin (Histoire de l’Église, livre I, XVII).

Constantin fait bâtir Constantinople

Constantinople

En 324, Constantin part en guerre contre Licinius, son beau-frère, empereur d’Orient. Il vainc ses armées et élimine son rival. Il déplace alors sa capitale vers l’ouest. Il choisit le site de la ville grecque de Byzance, sur la côte européenne du Bosphore. Il l’agrandit, l’embellit et la dote de remparts. Ce sera Constantinople.

En novembre de la même année, une cérémonie de fondation est célébrée selon le rite romain. Les sites publics furent dédicacés et des rites divinatoires accomplis. Constantin ne fit construire aucun édifice chrétien à Constantinople, ce qui n’empêche pas Socrate le scolastique de voir dans le mausolée de l’empereur, « l’église des Apôtres, où il avait fait bâtir de magnifiques tombeaux pour les empereurs et les prélats« . (Histoire de l’Église livre I, XI)

En 330, avant la fin des travaux, il célébra la dédicace de la ville qui, cette fois, mêla des cérémonies romaines et chrétiennes. Mieux vaut avoir tous les dieux de son côté.

Le culte des dieux romains

Il fit consacrer au moins trois temples à Constantinople : un capitole en l’honneur de Jupiter, un temple de la Fortune et un temple à Cybèle. Il fit transporter dans la ville de nombreuses statues des dieux venant des temples de tous les coins de l’Empire.

Il instaura le culte de la famille Flavius en Afrique. La famille Flavius (gens Flavia) est la famille dont se réclame Constantin. Elle remonte à l’empereur Vespasien. Le nom complet de Constantin est Flavius Valerius Constantinus. Il autorisa les citoyens à construire des temples en cet honneur.
A Termessos (actuellement en Turquie, au nord d’Antalya), les habitants dressèrent une statue de Constantin dédiée à « l’Auguste Constantin, le Soleil qui voit tout« .

Conclusion

Je reprends ici la conclusion de Claire Sotinel dans son livre Rome, la fin d’un Empire : « Les conceptions religieuses de Constantin ne furent pas perçues comme le caractère dominant de son très long règne… sinon par les auteurs chrétiens. Le plus ancien récit de celui-ci, l’Origo Constantini, écrit sans doute avant 380, ne dit mot sur sa politique religieuse. Bien des aspects de son œuvre en matière de réformes de gouvernement, d’organisation de l’armée et d’évolution des structures sociales sont trop peu marquées religieusement pour qu’il soit aisé de distinguer ce qui lui appartient en propre et ce qui revient à ses prédécesseurs païens ou à ses fils« .

Un autre auteur romain, ayant vécu de 320 à 390, Aurelius Victor, proche du pouvoir impérial, a écrit la vie des empereurs d’Auguste à Constance II. Dans sa biographie de Constantin, il ne parle pas des chrétiens.

Et pourtant.
Ses enfants ont eu des précepteurs chrétiens. Ses deux successeurs, Constance II et Constantin II seront les premiers empereurs chrétiens… de secte différente, l’un « nicéen », croyant à la Trinité, l’autre « arien », proclamant que le Fils est inférieur au Père. Par contre son neveu Julien qui leur succéda, dégouté de son éducation chrétienne, reviendra à la religion traditionnelle (je lui ai consacré un article).

Ce sont donc les fils de Constantin qui seront les premiers empereurs chrétiens. Mais tout comme leur père, on ne peut pas dire qu’ils aient assimilé ce qui devrait être l’apanage du christianisme, l’amour du prochain. Constantin fit assassiné son fils aîné Crispius ainsi que son épouse Flavia, mère des futurs empereurs. Ceux-ci se sont déchainés à la mort de leur père, éliminant oncles et cousins auxquels Constantin avait donné une fonction dans l’Empire.

Arbre généalogique de Constantin. En rouge les personnes éliminées par Constantin, en orangé, celles éliminées par ses fils. On remarque que les femmes ont été épargnées… ainsi que le futur empereur Julien qui n’avait que 9 ans.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s