Les cathares

Lorsqu’on voyage dans le Midi de la France, vers Béziers, Carcassonne ou Toulouse, on rencontre des panneaux portant l’inscription « Vous êtes en pays cathare« . On ne sait pas si c’est un avertissement d’un danger immédiat ou une information touristique.

Dès le XII° siècle, le catharisme s’implante en Occitanie, dans les terres du comte de Toulouse, vassal du roi de France. A cette époque, le domaine royal est un tout petit territoire (voir carte en bas de l’article, en bleu). Le roi, Philippe Auguste (1165/1179-1223), a peu de pouvoirs, ses vassaux sont plus puissants que lui, surtout le roi d’Angleterre qui occupe la moitié ouest de la France actuelle. Le comté de Toulouse est plus proche des domaines des Plantagenêts anglais et du roi d’Aragon que des terres du roi de France avec lequel il ne partage pas la même langue.

La doctrine

Les cathares (les purs), aussi appelés albigeois (les blancs), se disent bon chrétiens alors que leur religion fait peu de cas de Jésus (le Christ). Pour eux, Dieu essentiellement bon n’a pas créé la terre qui est l’œuvre d’un démiurge, Satan, le dieu de la Bible qui y fait régner le Mal. Les corps, œuvres de Satan, sont une prison pour les âmes, créations de Dieu : l’Enfer est sur la terre. Dieu a créé des purs esprits, les âmes, qui ont été capturés par Satan pour animer les corps qu’il avait tiré du néant.
Jésus n’est qu’un messager de Dieu, il a fait prendre conscience aux hommes de leur état. Jésus ne s’est pas incarné. Comment aurait-il pu se vêtir d’un corps impur ? C’était un pur esprit, il n’a pas été crucifié. Nous avons déjà rencontré des idées identiques chez Marcion, mais la filiation avec le catharisme n’est pas directe. Les idées dualistes se sont propagées de l’est, de la Bulgarie, par la Dalmatie et la Lombardie. L’époque était aux hérésies. On rencontre des cathares en Lombardie, en Aragon, en France et même en Flandre.

L’objectif des cathares est de rapprocher l’âme de Dieu jusqu’à ce qu’elle abandonne la terre. La vie sur terre ne vaut pas la peine d’être vécue. Malheureusement, tant qu’on n’a pas atteint un degré de perfection suffisant, on se réincarne après la mort, dans un nouveau né humain ou plus rarement dans un animal. L’endroit où on se réincarne n’est pas déterminé par ses actions sur terre.

On distingue deux niveaux d’initiation chez les cathares :

  • Les bons-hommes et les bonnes-dames aussi appelés « parfaits » ont atteint un degré de perfection qui leur laisse envisager de ne pas se réincarner. Ils sont végétariens (par refus de violence) et chastes (pour ne pas créer un nouvel être voué au Diable). Ils vivent pauvrement de leur travail ou de l’aumône, ils ne possèdent rien. Ils vont de village en village pour prêcher, rassurer et consoler les mourants.
  • Les pratiquants se soumettent périodiquement à l’apparelhament (la confession publique). Ils passent un pacte (le convenenza) avec un parfait pour recevoir le baptême par imposition des mains au moment de la mort (le consolament). Ils pratiquent le melhorament (l’amélioration) qui n’est pas un rite mais une manière de vivre : ils s’inclinent quand ils rencontrent un parfait pour recevoir sa bénédiction.

Il n’y a pas de rites spécifiques, sauf le consolament. Les cathares rejettent le baptême par l’eau, le sacrement du mariage, le culte de saints et des reliques, l’Eucharistie c’est-à-dire la transformation du vin en sang de Jésus et de l’hostie en corps de Jésus, comme pratiqué lors de la messe catholique.

Plus qu’une religion, c’est une civilisation différente qui émerge en Occitanie, en Languedoc. Les cathares sont loin d’être majoritaires, à peine 10% de la population. Mais ils ont le soutien de celle-ci par leur exemple alors que le clergé romain vit dans le luxe et la débauche, éloigné du peuple. Mêmes les nobles leur sont favorables bien qu’ils s’insurgent contre la féodalité : pour eux, la terre n’appartient à personne, elle est prêtée à celui qui la cultive. Contrairement aux catholiques, ils acceptent les prêts avec intérêt pour favoriser le commerce.

La société occitane est très tolérante, cathares, catholiques et juifs se côtoient en bonne entente que ce soit dans la vie de tous les jours, dans le commerce ou dans les assemblées de consuls où ils siègent à égalité. C’est également le temps des troubadours et de l’amour courtois.

La réaction de Rome

Dès 1119, le pape Calixte II (1065-1124) se rend à Toulouse pour enjoindre le comte de sévir contre ceux qui refusent le baptême. Il ne réagit pas. En 1145, Bernard de Clervaux(1090-1153), fondateur de l’ordre des Cisterciens et rédacteur de la règle des Templiers, vient prêcher dans la région de Toulouse et d’Albi. Il se rend compte que la nouvelle doctrine attire non seulement de hauts personnages, mais aussi des membres du clergé. Dans sa correspondance, il encense les parfaits : « leur conversation n’a rien de répréhensible, leurs actes sont en accord avec leurs paroles, ils ne mangent pas le pain de l’oisiveté, ils se nourrissent du travail de leurs mains, rien ne peut plus être chrétiens que ces hérétiques« . Mais ses joutes verbales avec les parfaits ne sont que des échecs

Dans ces joutes verbales, le prêcheur catholique en appelle à la foi, le parfait cathare se réfère à la raison. Voici ce qu’aurait pu être une confrontation :

Prêcheur : Jésus s’est fait homme et a souffert pour racheter nos péchés.
Parfait : Est-ce que Dieu ne remet une dette que si elle a été payée ? Est-ce qu’il pardonne l’impureté pourvu qu’elle soit pure ?

Prêcheur : Dieu a tout créé, mais le mal vient de l’homme à qui Dieu a donné le libre arbitre.
Parfait : Si Dieu a prévu que l’homme se servirait mal du libre arbitre, il a donc prévu le péché et on comprend mal qu’il ne l’ait point empêcher de se produire.

Puis vint un moine espagnol, Dominique Guzman (1170-1221) qui deviendra saint-Dominique. Il comprend le contexte du pays et demande au pape de créer un ordre de religieux mendiants : « il me semble qu’il est impossible de réduire par la seule parole des hommes qui s’appuient avant tout sur l’exemple« . Le pape obtempérera en 1231. Avant cela, il envoie son légat Pierre de Castelnau (1170-1208) qui multiplie les provocations et excommunie le comte de Toulouse Raimon VI (1156-1222). Mais alors qu’il rentre à Rome, il est assassiné.

La croisade

Accusant les sympathisants cathares, le pape Innocent III lance une croisade, en 1208, contre ceux qu’il nomme les « albigeois ». C’est la première croisade dans un pays chrétien. Le roi de France, Philippe II Auguste (1165/1179-1223) ne veut pas y prendre part, trop occupé à guerroyer contre les Anglais en Normandie, mais il laisse ses vassaux décider : le duc de Bourgogne et le comte de Nevers en seront. Le pouvoir spirituel est confié à un légat du pape : Arnaud Amaury (1160-1225). Les croisés ont les mêmes avantages que ceux qui partent en Palestine : ils obtiennent une indulgence, leurs péchés sont pardonnés, ils gagnent leur place au Paradis… en plus du butin qu’ils peuvent espérer et des territoires qu’ils peuvent conquérir.

Le comte de Toulouse, Raimon VI est sommé de livrer les cathares de ses territoires et de chasser les juifs sous peine de confiscation de ses terres. Pour éviter le pire, et effacer son excommunication, il s’engage dans la croisade… contre ses vassaux, le vicomte de Carcassonne et de Béziers et le comte de Foix. L’armée entre en Occitanie en 1209… Raimon VI n’est pas prêt, il tergiverse.

Premier objectif : Béziers, ville de 10.000 habitants, forte de sa position défensive. La ville refuse de livrer les cathares. Mais un événement rocambolesque permet aux ribauds d’entrer dans la ville. Les ribauds sont des hors-la-loi qui avec les prostituées, suivent les armées. Le gros des troupes s’engouffre à leur suite dans la ville qui est livrée au pillage. Les habitants se réfugient dans l’église de la Madeleine. Ils sont tous exterminés, curé compris. Le légat du pape aurait dit : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens« . D’autres habitants trouvent refuge dans la cathédrale saint-Nazaire. Les croisés y mettent le feu. Le bâtiment explosera. Le légat se vantera au pape d’avoir exterminé 20.000 personnes !?
Puis c’est au tour de Carcassonne qui a court de vivre et d’eau se rend. Les habitants peuvent quitter la ville sans rien emporter. Le comte Raimon-Roger Trencavel (1185-1209), qui s’est livré en otage, périra dans sa geôle. Plus rien n’arrêtent les Croisés qui occupent ville après ville.
Aucun des grands seigneurs qui participent à la croisade n’accepte les biens de Trencavel, car seul le suzerain pour démettre son vassal. Un noblion de l’Île de France accepte : Simon IV de Monfort (1165-1218).

La croisade fait une halte. Il faut savoir que les barons ne s’engagent que pour une période déterminée, en principe 40 jours, durant lesquels ils doivent veiller à la nourriture et à l’équipement de leurs hommes, ce qui leur coûte très cher. On combat surtout au printemps et en été.

La croisade reprend au printemps 1210 grâce aux subsides du pape. Le comte de Toulouse y est… pour 40 jours. Ses terres restent donc hors de portée des Français. Durant cette campagne, les premiers bûchers sont allumés dans la petite ville de Minerve (Menèrba en occitan) où 140 cathares sont brûlés lors de la prise de la ville.

En 1211, le comte Raimon VI est convoqué à Montpellier. On lui présente un ultimatum : il doit raser ses forteresses, licencier son armée et la noblesse doit quitter les villes pour les campagnes. Il refuse et est de nouveau excommunié : ses terres peuvent être confisquées. La prochaine cible sera Toulouse, mais elle va résister. Mieux, le comte fait appel à son beau-frère, Pierre II, roi d’Aragon (1174-1213) qui vient de remporter une victoire contre les Maures. L’espoir change de camp, les Occitans sont beaucoup plus nombreux. Mais à la bataille de Muret, près de Toulouse, Pierre II est tué et ses troupes battent en retraite. On est en septembre 2013, Simon IV de Monfort devient comte de Toulouse en plus de vicomte de Carcassonne et de Béziers. La bataille est perdue, Raimon et son fils se réfugient sur leurs terres de Provence, rattachées au Saint Empire romain germanique.

En 2016, le pape Innocent III (1161/1198-1216) meurt. Raimon a rassemblé une armée en Lombardie et en Provence, son fils, qui n’a que 15 ans, en Aragon. C’est la marche triomphante jusqu’à Toulouse. Simon de Monfort s’entête, il assiège la ville et en juin 2018, il est tué par un jet de pierre. Son fils Amaury (1192-1241) prend sa succession, mais à court d’argent, il abandonne la partie. Notons qu’en occitan, un niais se dit « amauri ».
Mais il n’est pas si bête que cela, il vend son titre de comte de Toulouse… au roi de France, Philippe Auguste, qui envoie son fils, le futur Louis VIII (1187/1223-1226), récupérer son bien… Le temps de massacrer toute la population de Marmande, il revient après ses 40 jours de service.
Fin du deuxième acte : les Occitans ont reconquis tout le pays, un pays certes dévasté. Le catharisme peut prospèrer de nouveau.

En 1226, Louis, devenu roi de France trois ans plus tôt, reprend sa campagne. Avignon, Béziers et Carcassonne sont prises. Il n’ira pas plus loin, il meurt la même année. Son fils, Louis IX (1214/1226-1270), n’a que 12 ans. Il est néanmoins sacré roi, sa mère Blanche de Castille assurant la régence. Celle-ci, très catholique fait excommunier Raimon VII (1197-1249), comte de Toulouse, le comte de Foix et le vicomte Raimon II Trencavel (1207-1265), toute la nouvelle génération des seigneurs occitans. Il n’y aura plus de croisade, mais une destruction systématique du pays en incendiant les forêts, les cultures et les villages, en empoisonnant les puits et en tuant le bétail.

La fin

En 1229, sans combattre, Raimon VII doit signer le traité de Meaux qui met fin à l’indépendance de l’Occitanie. Il continue à régner, mais à sa mort ses terres reviendront à sa fille Jeanne, qui doit épouser le frère du roi de France.

Que vont devenir les cathares ? En 1223, le pape Grégoire IX a confié aux moines dominicains l’éradication des hérésies, qui dépendait auparavant des évêques. Leur tâche est simple, détruire l’hérésie cathare par tous les moyens. Ils sont totalement libres, ils ne dépendent que du pape. Ils vont faire régner la terreur sur le pays. On les appelle les « chiens de Dieu », par jeu de mots : en latin « dominicains » se dit « dominicanes », soit « Domini canes », les chiens du Seigneur. Je consacrerai l’article suivant à l’Inquisition.

L’Inquisition est une véritable révolution en matière judiciaire. Le droit romain, toujours en vigueur au Moyen Age, ne prévoit d’action judiciaire que sur dépôt d’une plainte en bonne et due forme. L’Inquisition, elle, peut arrêter sur dénonciation anonyme ou simple présomption. Les inquisiteurs s’installent à Carcassonne qui dispose de nombreuses prisons appelées « les murs » et à Toulouse.

Les condamnés ne sont pas tous voués au bûcher. En cas d’aveux spontanés l’accusé devra soit faire un pèlerinage, soit s’humilier devant chaque église de la ville. Pour ne pas être condamné, il suffit de ne pas avouer, car l’aveu est nécessaire à la condamnation. Mais l’inquisition a plus d’un tour dans son sac pour faire avouer. Tout d’abord, elle peut faire traîner le procès… pendant plusieurs années. Ou elle recourt à la torture pratiquée par des bourreaux séculiers mais à laquelle au moins un inquisiteur doit assister. Quand un parfait est arrêté, c’est le bûcher qui l’attend : il avoue presque tout de suite car il ne peut pas prêter serment sur les évangiles, ni mentir, de plus il doit faire preuve de courage. Comme il n’abjure pas sa foi, il est condamné à mort. Les autodafé (acte de foi) sont publics, ce sont des cérémonies de pénitence qui terrifient ceux qui se sentent coupables et réjouissent la populace.

Mais la révolte couve toujours. Des chevaliers ont pris le maquis, se sont les faidits, les hors la loi, ils font de la résistance. Ils libèrent des villes qui retombent aux mains des Français qui punissent les habitants. Ils assiègent même Carcassonne et entrent dans les faubourgs, mais la forteresse tient bon.

Dans le comté de Foix, des forteresses résistent toujours, l’une d’entre elles, Montségur va entrer dans l’Histoire. En 1242, des inquisiteurs, revenant de leurs sinistres tâches, sont assassinés à Avignonet par des chevaliers de Montségur. Ce crime sonne le début de la révolte. Les espoirs les plus fous sont entretenus : le roi d’Angleterre Henri III va venir au secours des Occitans, de même que l’empereur d’Allemagne Frédéric II qui voue une haine viscérale au pape. Hélas, rien de tout cela ne se produira. Au contraire, en 1243, Montségur, forteresse entourée d’habitations, perchée en haut d’une montagne est assiégée. Vu la configuration des lieux, on se dit que les assiégeants se lasseront vite. Escalader la montagne n’est pas chose aisée et il est impossible de contrôler tous les accès à la forteresse. Mais le 1er mai 1244, après 11 mois de siège, les gens de Montségur se résignent à négocier. Le traité est très favorable : les défenseurs seront absous de leurs fautes, même du meurtre des inquisiteurs. Il en sera de même pour les cathares qui consentent à abjurer. Les occupants du château ont 15 jours pour se retirer avec armes et bagages. Les 215 cathares présents dans l’enceinte refusent : « plutôt brûler que d’abjurer« . Ils reçoivent le « consolalent » puis sont réunis dans un enclos fermé auquel on boutera le feu. La légende veut que cet endroit soit le Camp dels Cremats que l’on peut voir en bas de la montagne. Sur une pierre, on peut lire « Als Catars, als martirs del pur amor crestian » : Aux cathares, aux martyrs du pur amour chrétien.

Ne nous laissons pas abuser par le romantisme que dégage la forteresse de Montségur, perchée à 1200 mètres, elle n’a rien de cathare ! Le château où les cathares ont vécu en paix 40 ans a été détruit par le croisés. Les ruines que l’on peut visiter sont celles d’un castrum construit pour protéger la nouvelle frontière sud du royaume de France.

En 1249, quelques jours avant sa mort, le comte de Toulouse Raimon VII fait brûler 80 cathares sans passer par le tribunal de l’Inquisition et sans leur permettre de se rétracter. Il espérait sans doute gagner sa place au Paradis.

En mai 1255, le château de Quéribus est conquis par le roi de France. Mais c’est un château peu connu qui aura l’honneur de résister le plus longtemps, celui de Niort-de-Sault, qui tombe quelques mois après. De ce castel, il ne reste rien.

Le dernier parfait, Guilhem Bélibaste sera brûlé à Villerouge-Termenès dans l’Aude, en 1321, après avoir été jugé à Carcassonne. Le dernier cathare y sera brûlé en 1328.

Epilogue

Que reste-t-il de tout ça ?
Depuis le début du XX° siècle, des centaines d’ouvrages consacrés aux cathares ont vu le jour. Les parfaits sont remis à l’honneur.
A Carcassonne, dans la vieille ville (re-)construite au XIX° siècle par Eugène Viollet-le-duc, on peut visiter le musée de l’Inquisition.

A Minerve, petite ville pittoresque de l’Hérault, on visite un musée retraçant toute l’épopée cathare en santons, chaque vitrine fait revivre un événement de la croisade.

La langue occitane a été reconnue comme langue officielle en Catalogne au même titre que sa cousine, le catalan, et que le castillan. En France, elle n’a pas de statut, mais est reconnue comme patrimoine de France. Elle souffre de ne pas avoir une diffusion générale, seuls des patois existent, l’occitan standard a disparu au XIV° siècle. Plusieurs villes du Languedoc sont annoncées dans les deux langues.

En 2017, à l’occasion de l’année de la miséricorde, Mgr. Eychenne, évêque de Pamers dans l’Ariège, a demandé pardon pour les événements contés ici, mais le propos est ambigu : « Nous ne sommes pas dans l’autoflagellation. Nous ne demandons pas pardon aux cathares, mais au Seigneur, pour cet inconscient (?) collectif blessé. » Dont acte.

Plus étrange, au printemps 1944, un avion à croix gammée a survolé Montségur en traçant dans le ciel une croix de Toulouse, appelé à tort « croix cathare »… ils ne vénéraient pas de croix.

La France au début de la croisade
La France sous Louis IX (saint-Louis) après la croisade.

Paradis et Enfer

Chez les juifs

Dans le proto-judaïsme, la religion des juifs avant la destruction du temple de Jérusalem en 70 par les légions romaines de Titus, YHWH (Yahvé) n’est pas un dieu personnel, c’est le dieu de la communauté, comme tous les dieux de l’Antiquité (Amon, Baal, Zeus, Jupiter). Il ne récompense donc pas les bienfaits : à la mort, le corps retourne à la terre et l’âme vers Dieu : « Alors la poussière retournera à la terre dont elle vient et l’âme reviendra à Dieu qui l’a donnée » (Eccl. 12,7). Il n’y a pas de Paradis, il n’y a pas d’Enfer. Les bonnes actions sont récompensées dans le monde d’ici-bas.

Vu les origines diverses des livres de la Bible, on peut y retrouver des influences différentes, comme l’existence de spectres (livre des Rois) ou la résurrection (livre de Daniel). Après 70, la vision du monde à venir (la venue du Messie), la fin des temps va fortement évoluer, et la résurrection est envisagée… mais sera-t-elle physique ou spirituelle ? Le débat n’est pas clos.

Chez les chrétiens

Tout change avec le christianisme dont le Paradis devient un « argument de vente ». Pour le christianisme, le Paradis et l’Enfer sont des réalités physiques, ils existent… quelque part. Pour le chrétien, il est facile d’accéder au Paradis. Il suffit de se faire baptiser pour effacer le péché originel qui marque les hommes depuis Adam et Ève, et d’avoir la foi, c’est-à-dire croire à tout ce que le clergé dit, sans poser de question. Mais alors à quoi sert le jugement dernier si dès la mort on séjourne dans le félicitée éternelle face à Dieu ou au contraire on est soumis aux caprices sadiques de Satan et ses anges déchus ?

Face à l’incohérence de cette théologie eschatologique (concernant la fin du monde), le philosophe allemand Friedrich Nietzsche se déchaîne contre le catholicisme dans son ouvrage « L’Antéchrist » :

« Avec l’avènement du christianisme, c’est tout le sens du monde antique qui est perdu. Le contact avec la réalité cède le pas à un monde de pure fiction qui fausse, nie et dévalue cette réalité :

  • monde des causes imaginaires : Dieu, l’âme, le Moi, la Vérité.
  • monde d’effets imaginaires : péché, rédemption, grâce, châtiment, rémission des péchés.
  • monde où des êtres imaginaires, Dieu, esprits, âmes, commercent entre eux, où l’on a qu’une science imaginaire de la nature, ignorant le concept de cause naturelle.
  • monde où l’on traite d’une psychologie imaginaire de repentir, de remords, de tentation du Diable, de la présence de Dieu et des saints.
  • monde théologie imaginaire : le royaume de Dieu, le jugement dernier, la vie éternelle. »

Dans les évangiles, c’est le jugement dernier imminent qui prédomine, on ne parle pas de Paradis ni d’Enfer après la mort. Le judaïsme est toujours présent dans les débuts du christianisme.

Au fil du temps, la notion de Paradis et d’Enfer, associée à la bonté de Dieu, va poser certains problèmes : que deviennent les enfants innocents non baptisés, tous les péchés sont-ils équivalents ?

Les enfants non baptisés, sur lesquels pèsent toujours le péché originel ne peuvent pas aller au Paradis, mais ne méritent pas l’Enfer. Ils sont donc dans un état intermédiaire où ils ne souffrent pas, mais où ils n’ont pas de contact avec Dieu. Ce sont les limbes. En 2007, une commission du Vatican a « précisé » : « L’idée des limbes, que l’Église a employée pendant des siècles pour désigner le sort des enfants qui meurent sans baptême, n’a pas de fondement clair dans la Révélation, même si elle a été longtemps utilisée dans l’enseignement théologique traditionnel. » Cependant, cela « demeure une opinion théologique possible  ». Comprenne qui pourra.

Il existe des dizaines d’endroits en Europe, appelés sanctuaires à répit, où l’enfant est ressuscité un court instant pour permettre de le baptiser.

Notons que dans les débuts du christianisme, il fallait être adulte pour être baptisé. L’aspirant devait être instruit de la foi avant d’accéder au baptême. Clovis a dû se soumettre à deux ans d’étude avant d’être baptisé.

Les défunts, morts en état de grâce (ayant reçus les sacrements ad hoc), mais n’ayant pas fait une pénitence suffisante de leur vivant vont au Purgatoire, un lieu de purification, dont le terme apparaît au XII° siècle.
Il est intéressant de se pencher sur le catéchisme de 1992 :

Question 210 : Qu’est-ce que le purgatoire ?
Le catéchumène répond : Le Purgatoire est l’état de ceux qui meurent dans l’amitié de Dieu, assuré de leur salut éternel, mais qui ont encore besoin de purification pour entrer dans le bonheur du Ciel.

Question 211 (plus intéressante) : Comment est-ce que nous pouvons aider les âmes à être purifiées au purgatoire ?
À cause de la Communion des saints, les fidèles qui sont encore des pèlerins sur terre sont capables d’aider les âmes dans le Purgatoire en offrant des prières en suffrage pour eux, spécialement dans le Sacrifice eucharistique. Ils peuvent aussi les aider par des aumônes, les indulgences, et les œuvres de pénitence. 

Et voici les fameuses « indulgences ». Au début du XV° siècle l’antipape Jean XXIII permet la distribution d’indulgences pour réduire le temps de purgatoire. (Jean XXII est considéré comme antipape, car à l’époque, il y avait deux papes). En 1476, le pape Sixte IV décrète que les indulgences peuvent s’acheter. Il est ainsi à l’origine du commerce des indulgences dans l’Église catholique. On estime que l’abbaye de Montserrat en aurait fait imprimer 200 000 en trois ans, vers l’an 1500. C’est grâce à la vente d’indulgences que la basilique saint-Pierre de Rome a été construite.

Luther et Calvin vont s’élever contre ce commerce qui sera un des déclencheurs de la réforme (protestantisme).

Chez les musulmans

L’islam reprend les mêmes notions ambiguës de Paradis, d’Enfer et de jugement dernier que le christianisme. Le jugement dernier se fera même sous l’égide de Jésus.

Le Paradis est une oasis rafraîchie par des cours d’eau et ombragée par des arbres fruitiers.

« Hommes et femmes, ceux qui pratiquent les bonnes œuvres et qui croient en Dieu entreront dans le Paradis. » (Co. 4, 124). Ici, pas de rémission des péchés, le péché originel introduit par les chrétiens n’existe pas. Il suffit de croire, de se soumettre à Dieu.

L’Enfer, c’est le désert brûlant. Un des mots utilisés à de multiples reprises dans le Coran est Géhenne, un mot hébreu/araméen signifiant la vallée de Hinnom, une vallée étroite et profonde qui s’étendait au sud et au sud-ouest de la Jérusalem antique. D’autres mots sont utilisés dans le Coran : le feu, la fournaise, le brasier, etc.

« Le feu de l’Enfer est réservé aux incrédules. Ils ne seront pas condamnés à mort et leur supplice ne sera pas allégé. C’est ainsi que nous rétribuerons les négateurs» (Co. 35, 36). L’Enfer est réservé à tous les non musulmans… et aux injustes épouvantés par leur actes passés (Co. 42, 22).

Le célibat des prêtres

De quand date l’obligation du célibat et de la chasteté des prêtres ? Je parle ici des prêtres catholiques, car dans l’islam, le judaïsme, le protestantisme le célibat des officiants n’est pas requis.

Au début du christianisme, les prêtres vivent une vie de couple normale. Mais déjà, les évêques, les guides de la communauté, sont choisis parmi les célibataires. Au IV° siècle, la chasteté s’affirme comme supérieure au mariage. Mais ce n’est qu’au second concile de Latran en 1123 que le célibat et la chasteté est imposée aux prêtres… mais pas aux papes si on s’en réfère à l’Histoire. Le pape Alexandre VI, Rodrigo Borgia (1492-1503), engendra même une célèbre dynastie par à laquelle il agrandit et consolida les territoires pontificaux grâce aux conquêtes de son fils César et aux mariages de sa fille Lucrèce, plus vertueuse que la tradition colporte.

Comme dans la religion catholique, tout pouvait s’acheter, même sa place au Paradis comme nous le verrons dans un prochain article, les prêtres pouvaient acheter le droit de concubinage, le cullagium.

Dans l’Eglise orthodoxe, le choix du mariage ou du célibat intervient lors de l’ordination du prêtre. Un homme marié reste marié, mais ne peut pas devenir moine.

Fêtes juives, fêtes chrétiennes

Jusqu’au IVe siècle de notre ère, les chrétiens et les juifs célébraient conjointement les fêtes liturgiques. La fixation des fêtes chrétiennes débuta au concile de Nicée en 325.

La Pâque juive célèbre la sortie d’Egypte des Hébreux sous la conduite de Moïse. Les Pâques chrétiennes, célébrées le dimanche suivant, rappellent la résurrection de Jésus. Jésus aurait été crucifié le vendredi et serait ressuscité trois jours plus tard, … le dimanche. Arithmétique chrétienne. Dans l’Évangile de Jean, la crucifixion a lieu le jeudi. Le compte est bon.

Dans la mythologie chrétienne, l’Ascension correspond au dernier jour que Jésus a passé parmi les apôtres, après sa résurrection. Il était resté sur terre quarante jours. 40 est un nombre passe-partout dans la Bible. Il est synonyme de beaucoup. Il a plu 40 jours lors du déluge, Moïse est resté 40 jours sur le mont Sinaï, les Hébreux ont erré 40 années dans le désert, David et son fils Salomon ont régné 40 ans, Jésus a passé 40 jours dans le désert, etc.

Cinquante jours après Pâque (Pessah), 7 semaines dans l’arithmétique juive, on célèbre la fête des moissons (Chavouot). Cinquante jours après Pâques, les chrétiens fêtent la Pentecôte. Dix jours après l’ascension de Jésus, les apôtres ont reçu la visite du Saint-Esprit (le troisième avatar de Dieu) qui leur a donné le don des langues pour qu’ils puissent partir en mission pour convertir tous les peuples.

Où sont les femmes ?

C’est la question que l’on peut se poser en voyant les fidèles d’une mosquée. En fait, elles sont cachées, soit derrière un paravent (moucharabieh) soit à l’étage. De toutes façons, hors de la vue des hommes. Quelles sont les raisons de cet ostracisme ? Tout d’abord, les musulmanes ne sont pas obligées d’assister au prêche du vendredi, ensuite, elles ne peuvent pas distraire les hommes… elles pourraient provoquer leur « chute » en éveillant leur désir, comme l’a écrit Tertullien aux sujet des femmes chrétiennes. Cela me rappelle une scène du film d’animation autobiographique (Persépolis : 2007) de la dessinatrice iranienne, Marjane Satrapi. A l’université de Téhéran, son professeur lui reproche sa tenue non conforme (son foulard est mal noué). Elle lui demande alors d’obliger ses condisciples masculins à cacher leurs bras et leur cheveux, car leur vue l’excite sexuellement ! Mais cet aspect des choses, la sexualité féminine, a échappé aux mâles dominants.

Est-ce que cela peut changer ? Apparemment. En France, deux projets de mosquées mixtes pourraient voir le jour : les mosquées Fatima et Simorgh (oiseau mythologique perse). Elles seront ouvertes à tous, croyants et non-croyants. Le foulard ne sera pas obligatoire. Les femmes prieront dans la même salle que les hommes… mais les uns à droite et les autres à gauche, comme dans les églises chrétiennes d’il y a quelques années. Et dans la mosquée Fatima la prière sera dirigée, en français, par une femme imam : Kahina Bahloul.

Qu’en est-il du judaïsme ? Pour les juifs, le père a l’obligation d’enseigner la Torah à ses fils… mais pas aux filles car comme le dit le Talmud : « Il ne lui transmettrait que des futilités. » De nos jours, les femmes ont accès aux études des textes sacrés, même chez les juifs orthodoxes.

Si dans la plupart des synagogues, les femmes sont séparées des hommes, il n’est pas rare que des femmes rabbins dirigent l’office du samedi et que des femmes soient appelées à venir lire la Torah.

Et dans le christianisme ? Dans le protestantisme, les femmes peuvent officiellement être pasteures depuis 1965, en France. C’est même une femme qui y préside le Conseil national de l’Église protestante réunie : Emmanuelle Seyboldt.

On est loin de ces ouvertures dans le catholicisme. Saint Paul n’a-t-il pas dit : « Que les femmes se taisent dans les assemblées (Co. 4, 34-35). » Jean-Paul II a clos le débat en 1994 dans la déclaration « Ordinatio Sacerdotalis » : « L’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale des femmes et cette position est définitive. » Cette interdiction a été confirmée par Benoît XVI et François Ier qui a déclaré : « Le dernier mot, clair, a été dit par saint Jean-Paul et cela demeure ainsi. » Le prêtre est l’image du Christ ! De plus, les femmes en raison de leurs menstruations ne peuvent pas s’approcher de l’autel.

Jusqu’en 1054, les femmes pouvaient être diacres (diaconesses). Même Paul cite Phoebé, « notre sœur, ministre de l’Église ». Un diacre, célibataire ou marié, est l’assistant d’un prêtre ou d’un évêque. Il peut célébrer des baptêmes et des mariages dans des circonstances exceptionnelles. Par contre, il ne peut pas recevoir la confession, ni consacrer le pain et le vin. De nos jours, malgré l’appel à l’ouverture, les diaconesses ne sont pas reconnues car le diaconat prépare à la prêtrise qui est inaccessible aux femmes.

Sources : Le Monde des religions n° 95 – mai 2019. Articles de Bénédicte Lutaud, Virginie Larousse et Macha Fogel.

Les Martyrs (fin)

Pourquoi y a-t-il eu des persécutions en 303 ?

Plusieurs causes sont possibles.

Le refus du sacrifice ?

On entend souvent dire que les chrétiens ont été persécutés car ils refusaient de prêter allégeance à l’empereur ou à sacrifier aux dieux romains. En fait ce refus n’est pas la cause première de la persécution. Le sacrifice était une étape dans la procédure judiciaire, comme on prêtait serment sur la Bible dans nos sociétés, mais le refus d’obtempérer entraînait de facto la condamnation du prévenu.

Dans l’empire, les prévenus bénéficiaient de garanties, toute condamnation reposait sur des bases légales, les poursuites n’étaient pas le fait d’une volonté arbitraire d’un tyran. Les accusés pouvaient faire appel à un avocat. De plus, le système judiciaire reposait sur l’accusation, non sur une instruction : il n’y avait pas de police judiciaire ni de juges d’instruction. On était poursuivi sur accusation.

Législation sur les collèges

En Grèce comme à Rome, les associations ou « collèges », pouvaient se créer librement, à condition de respecter la législation de la cité et de ne pas troubler l’ordre public. Cette dernière condition induisait une certaine surveillance parfois méfiante des autorités envers les associations nouvelles ou semi-clandestines. Les collèges pouvaient tenir des réunions régulières, servir des repas communs, avoir des représentants, mettre des biens en commun, aider ses membres nécessiteux, posséder des concessions funéraires et assurer les funérailles de ses membres
C’est dans ce cadre légal que les premiers chrétiens ont été perçus, non comme membre d’une église universelle structurée.

Les persécutions ont pu se développer localement suite à une plainte contre les bonnes mœurs ou contre la sécurité de l’Etat. En cas de condamnation, les représentants (ici les évêques) étaient sanctionnés et les biens communs saisis. Ce qui peut expliquer qu’un évêque soit condamné à mort ou exilé et que les ornements dans le lieu de réunion soient confisqués.

L’attente de la parousie : la trahison

Les chrétiens vivaient dans l’attente du retour du Christ. Ce qui a donné toutes sortes de dérives : du refus de procréer jusqu’à la licence sexuelle effrénée. Les chrétiens se sentaient en exil dans l’empire romain qu’ils associaient à Babylone, lieu d’exil des Juifs au VI° siècle avant notre ère, ils aspiraient à la Jérusalem céleste. L’affaiblissement du pouvoir de Rome donna espoir à délivrance et à l’avènement du royaume de Dieu sur terre, d’autant plus que les Perses étaient aux portes de l’empire. Or ce sont les Perses qui avaient mis fin à l’exil des Juifs.

Lors du siège d’Antioche (252 et 260), des chrétiens de Syrie se sont ralliés aux Perses, ce qui a été vu comme une trahison par Rome. Des chrétiens furent exécutés comme traîtres et la religion manichéenne, venant de Perse, a été momentanément interdite.

Mais depuis, Dioclétien a conclu une paix avec les Perses en 297 qui dura 40 ans. Ce n’est donc pas la cause de la persécution de 303.

La haine de la mode de vie romain

La lecture de l’Apocalypse de Jean donne une idée précise de la haine des chrétiens pour Rome. Les chrétiens ont-ils vu dans la Tétrarchie les quatre cavaliers de l’Apocalypse (hypothèse) ?

De nombreux chrétiens étaient très bien intégrés dans l’empire. Les empereurs, dont Dioclétien, comptaient des chrétiens parmi leurs proches conseillers. Ils étaient aussi représentés à tous les niveaux hiérarchiques de l’armée.

Toutes les tendances étaient donc représentées, comme pour les musulmans dans nos pays : des intégrés aux intégristes.

Le choix du martyre

Qui mieux que Tertullien (155-222) illustre cette attente du martyre : « Notre combat à nous, c’est d’être traduits devant les tribunaux afin d’y lutter, au péril de notre vie, pour la vérité. Or, c’est remporter une victoire que d’atteindre le but pour lequel on lutte. Et cette victoire a un double résultat : la gloire de plaire à Dieu et le butin qui consiste à la vie éternelle… le sang des chrétiens est une semence.« .
Les chrétiens sont persuadés de détenir la vérité et ils luttent contre le mensonge, contre le Diable. Mourir en martyr ouvre les portes du Paradis.

Ce qu’en disent Lactance et Eusèbe de Césarée

Pour Eusèbe de Césarée, c’est très simple, c’est écrit dans la Bible : « Le Seigneur étendit les ténèbres de sa colère sur la fille de Sion… « . A cause de la grande liberté de culte dont ils jouissaient, les chrétiens se sont complus dans la mollesse et la nonchalance (sic). Dieu les a puni. Curieusement, on verra que ce thème est repris dans l’édit de tolérance de Galère en 311.

Lactance, pour sa part, cherche réellement une cause à la persécution. Pour lui, tout commence lorsque l’empereur consulta les haruspices entourés de sa garde rapprochée. Les chrétiens qui la composaient « marquèrent leurs fronts du signe adorable de la croix » et patatras, les dieux sont restés sourds à la demande de l’empereur. La prédiction n’a pas pu se faire : le foie de l’animal ne présentait pas de protubérances. Il fit fouetter les coupables et demanda qu’on fasse prêter allégeance à tous les militaires en excluant ceux qui refuseraient. Lactance conclut « sa colère n’alla pas plus loin« .

C’est Galère, son césar qui va déclencher les hostilités profitant du courroux de Dioclétien. Sa mère était très superstitieuse et elle s’irritait que son entourage chrétien évite sa table et préfère le jeûne et les prières à la bonne chère. Comme on peut le constater, il y a des chrétiens partout.

Dioclétien résista longtemps aux propositions de Galère, puis s’inclina, recommandant que les choses se passent sans effusion de sang. Toujours d’après Lactance.

Un édit fut affiché qui « déclarait infâmes tous ceux qui faisaient profession de la religion chrétienne« . Un chrétien mis le feu à l’édit. Il fut condamné au bûcher. Ensuite, quelqu’un bouta le feu au palais de l’empereur… et on accusa les chrétiens. Domitien fit brûler tous ses domestiques.

Voilà, d’après Lactance, l’origine de la persécution.
Deux remarques s’imposent :

  1. Comment les édits étaient-ils « affichés » dans toutes les villes de l’empire alors que les Romains ne connaissaient ni le papier, ni l’imprimerie, ni les moyens de reproduction ? Eusèbe prétend qu’ils étaient en airain. Alors comment les brûler ?
  2. Les édits dont on parle ne nous sont connus que par les écrits chrétiens. Si Lactance parle d’un édit, Eusèbe nous détaille quatre édits, dont je reparlerai.

Quelle a été l’ampleur de la persécution ?

Y a-il eut persécution ?
Sans aucun doute. Outre les témoignages de Lactance et d’Eusèbe qu’on peut accuser d’exagération, d’apologie et de subjectivité, l’émergence du donatisme (du nom de son initiateur, l’évêque Donat) en Afrique du nord en est la preuve. Donat qui avait été persécuté… mais toujours en vie, décréta que les évêques qui avaient « failli » en prêtant allégeance à Rome ne pouvaient plus exercer leurs fonctions, les sacrements qu’ils donnaient n’avaient plus de valeur.

Lactance ne détaille pas les souffrances endurées par les martyrs, au contraire d’Eusèbe. Il nous dit simplement : « Quand j’aurais cent langues et cent bouches et une voix de fer, je ne pourrais pas raconter les divers tourments dont les fidèles furent affligés« . Il nous dit que la persécution ne s’est pas étendue à la Gaule… qui était gouvernée par le père de Constantin,… ça aurait fait tache. On apprend qu’à la fin de la persécution, un de ses amis, qui avait été arrêté, sort de prison (en vie). Pour rappel, lui n’a jamais été inquiété.

Par contre, Lactance s’étend longuement sur une persécution qui touche tous les Romains : « Galère dégrade les magistrats, applique la question aux plus illustres des citoyens, traîne les femmes de qualité au gynécée« . Il torture, brûle, crucifie : « plus d’éloquence, plus d’avocats, tous les jurisconsultes relégués ou morts« . La raison de cet accès de folie est flou. Tout d’abord, Lactance impute à Galère le désir de voir tous les Romains réduits en servitude. Idée qui lui serait venue lors de sa victoire contre les Perses 5 ans auparavant. Il nous dit ensuite que la luxure en est la cause avant d’accuser sa cupidité : « on ne pouvait ni vivre ni mourir gratuitement« .

Eusèbe de Césarée est beaucoup plus prolixe sur les arrestations, tortures et mises à mort. Chaque cas révèle des tourments différents. Il détaille en outre quatre édits, qui se trouvent dans l’Histoire ecclésiastique, livre IX :

  1. Le premier est affiché le 24 février 303. Il prévoit la destruction des édifices de culte chrétiens et leur écrits. Tout chrétien est privé de ses charges et de ses droits. Notons qu’à la fin de la persécution, les édifices et les biens seront rendus aux chrétiens.
  2. Le deuxième date du printemps de la même année : tout le clergé chrétien est arrêté. Eusèbe n’est pas du lot !
  3. Le troisième suit en automne 303 : toute personne exerçant une fonction dans l’empire doit sacrifier à l’empereur.
  4. Et enfin, début 304, tous les chrétiens sont nommément appelés à sacrifier. On se croirait projeter en France en 1942 lorsque la police arrête les juifs fichés. On ne peut pas croire que les Romains gardaient des listes de chrétiens. Et une nouvelle fois, Eusèbe n’est pas inquiété… à moins qu’il ait sacrifié, le traître !

Dans son livre « sur les martyrs en Palestine », il détaille toutes les arrestations et exécutions. Le premier martyr, Procope est arrêté en juin 303… pour avoir critiqué l’empereur. Alors que suivant les édits, tout le clergé aurait déjà dû être sous les verrous. Si on poursuit la lecture, les martyrs suivants sont exécutés en décembre. La justice était déjà lente.

Je ne résiste pas à vous faire partager un supplice que les Romains ont réservé aux chrétiens de Tibériade, d’après Eusèbe qui était présent. Une « machine » a permis de ployer les arbres jusqu’à ce que leurs plus hautes branches touchent terre. On attacha les jambes des suppliciés à deux branches distinctes et on relâcha la pression. Les martyrs furent projeter vers le ciel et écartelés. Quelle imagination ces chrétiens… heu pardon, ces Romains.

Comment la persécution a-t-elle pris fin ?

La Tétrarchie n’a pas été un long fleuve tranquille. En 303, elle est au faîte de sa gloire : les quatre empereurs, tous victorieux sur les différentes frontières, se retrouvent à Rome pour célébrer les 20 ans de règne de Dioclétien.

En 305, les augustes, Dioclétien et Maximien, abdiquent volontairement. Galère et Constance Chlore deviennent logiquement augustes et se choisissent Maximin Daïa et Sévère comme césars. Jusque là, tout va bien.

En 306, l’anarchie reprend à la mort de Constance Chlore lors d’une campagne contre les Bretons. Son fils, Constantin est proclamé auguste par ses troupes. Maxence, le fils de l’ancien auguste Maximien, se proclame auguste à Rome. Sévère, l’héritier désigné est assassiné. S’en suit une période troublée qui voit le retour de Dioclétien pour arbitrer le conflit. En vain.

En 310, Galère qui s’est maintenu comme auguste en Orient, plus calme, s’associe à Constantin qu’il reconnaît comme auguste d’Occident.

Mais il faut attendre 312 et la victoire des légions de Constantin sur celles de Maxence à Rome, conjuguée à l’élection de Licinius en Orient pour qu’un semblant de paix soit rétablie.

Entre temps, en 311, Galère, à l’article de la mort, publie un édit rétablissant la liberté religieuse, restituant édifices et biens confisqués et prévoyant la réparation des dommages causés. Lactance nous donne une copie de cet édit en 20 lignes d’une page A4. Il spécifie que Galère a mis fin à la persécution pour que les chrétiens prient pour sa santé. Le texte de l’édit repris par Eusèbe est totalement différent, mais comme il le dit, il l’a traduit du latin.

Dans cet édit, Galère justifie les poursuites par le fait que les chrétiens avaient abandonné la secte de leurs ancêtres et qu’ils avaient promulgués des lois contraires aux lois romaines. Il leur permet donc de tenir à nouveau leurs assemblées, mais de ne plus rien faire contre les lois. Lactance et Eusèbe sont d’accord sur le fond. Pour Lactance, les prisonniers sortent des geôles, pour Eusèbe, ils reviennent des mines.

En 313, Constantin et son beau-frère Licinius, réunis à Milan, confirment la politique de tolérance… pour que l’ordre règne dans l’empire.

Leur amitié, faite de haut et de bas, prend fin en 324 lorsque Constantin fait assassiner Licinius après l’avoir vaincu sur le terrain. Il prend seul la direction de l’empire et nomme ses deux fils Constantin II et Constance II césars. La même année, il transforme la ville grecque de Byzance, la capitale de la Thrace, sur la rive européenne du Bosphore pour en faire sa capitale : Constantinople.

Sur son lit de mort en 337, il se fait baptiser. Il sera le premier empereur chrétien (à moins que ce ne soit Philippe l’Arabe). Curieusement, alors qu’en 325, il avait convoqué le concile de Nicée pour mettre fin aux disputes dogmatiques entre les chrétiens, concile qui avait rejeté l’arianisme, il se fait baptiser par un évêque arien : Eusèbe de Nicomédie.

Les historiens discutent encore pour savoir si Constantin était déjà un chrétien convaincu longtemps avant sa mort. Sur la pièce de monnaie d’un solidus, monnaie qu’il a créée et qui perdurera des siècles sous le nom de « sol » puis de « sou », on voit Constantin protégé par le dieu Sol Invictus… et sur le bord droit, entouré, ce qui semble être un chrisme.

Solidus datant de 313

Les auteurs chrétiens ont encensé Constantin malgré les meurtres commis sur des membres de sa famille et sa conversion à l’hérésie arienne. Il a été canonisé par l’Eglise orthodoxe. Mais les auteurs non chrétiens ont une toute autre vision, comme Zosime, un historien grec de la fin du V° siècle. Son « Histoire nouvelle » est miraculeusement arrivée jusqu’à nous, copiée par des moines byzantins. Pour lui, la décadence de l’empire est dû à deux causes :

  1. La négligence de Constantin, davantage préoccupé par son faste et ses plaisirs que par la sécurité des frontières. Le mal fut aggravé par son fils Constance II, et Julien (empereur païen) n’eut pas le temps de réparer les effets. Il fut tué lors de la guerre contre les Perses d’une flèche dans le dos tirée par un de ses légionnaires chrétiens, dit-on.
  2. La protection accordée à un culte nouveau, le christianisme, et l’abandon des dieux auxquels les Romains devaient depuis longtemps leur gloire et leur prospérité.

Épilogue.

Le christianisme romain, c’est à dire, le catholicisme est sorti victorieux de son bras de fer avec l’empire. En 380, il devient la religion d’Etat.

Et les persécutions peuvent commencer.
Les chrétiens vont s’en prendre à tous ceux qui ne sont pas de leur avis : les juifs, les hérétiques, les païens, les philosophes néoplatoniciens. La figure marquante de ces pogroms est la philosophe, mathématicienne et astronome grecque Hypatie qui fut rouée de coups, démembrée et brûlée à Alexandrie en 415 avec l’assentiment de l’évêque Cyrille. Comble de l’ironie, elle aurait servi de modèle à Sainte Catherine. Cette fête religieuse a disparu du calendrier romain en 1969, « en raison du caractère fabuleux de sa passion » et du doute qui pèse sur l’existence même de la sainte.

Si le Vatican commence à se poser des questions sur la réalité de ses saints, le calendrier sera bientôt vierge.

Les martyrs (2me partie)

Pour justifier leur statut de martyr, les chrétiens, au cours des siècles, ont colporter de fausses idées sur le statut de leur religion dans l’empire romain. Ne perdons pas de vue que la plupart des documents en notre possession ont été copiés et recopiés par des moines instruits ou non et que les interpolations ne sont pas à négliger.

Une question de vocabulaire
Le vocabulaire a évolué avec le temps. Martyr en grec (μάρτυρας) signifiait « témoin » et non pas « torturé et mort dans d’atroces souffrances ». Il n’est pas rare de lire dans les textes anciens : « il se disait martyr  » (donc en vie). Dans les Actes des Apôtres (1, 8), Jésus dit « vous serez mes témoins à Jérusalem » qui est la traduction de « μοι  μάρτυρες ἔν τε Ἱερουσαλήμ ».

Persécution (persecutio en latin) veut simplement dire « poursuite » que ce soit judiciaire ou non. En anglais, « prosecutor » signifie « procureur », celui qui poursuit les délits. Lors des combats de gladiateurs, très réglementés, le secutor est celui qui poursuit son adversaire, le rétiaire, un combattant léger, au filet et au trident.
Donc, « persécuter les martyrs » signifiait « poursuivre en justice ceux qui témoignent de leur foi (chrétienne) ».

La religion chrétienne s’est rapidement propagée dans l’empire.
Vrai et faux.
On estime qu’au début du IV° siècle, les chrétiens représentaient moins de 5% de la population de l’empire romain, avec de fortes disparités. La Gaule et l’Espagne sont peu christianisés. Les chrétiens sont moins présents dans les campagnes que dans les villes. Rome devait compter 10% de chrétiens. C’est en Egypte que l’on trouvait le plus de chrétiens, environ 20% de la population d’Alexandrie.

Notons que l’on ne trouve pas de traces de présence chrétienne à Pompéi, détruite en 79 de notre ère.

Jusqu’au premier quart du II° siècle, les Romains ne font pas de différence entre les juifs et les chrétiens considérés comme une secte juive. Pline le Jeune, sénateur de 80 à sa mort en 115 (ou 113) ne connaît pas les chrétiens. A la fin de sa vie, comme gouverneur de Bithynie, il s’interroge sur « ces gens qui à l’aube chantent des hymnes à Christos, comme si c’était un dieu« .

Donc, les persécutions de chrétiens sous Néron (54-68) ou Domitien (81-96), sont très peu probables. Néron a certainement condamné au bûcher les incendiaires de Rome et Domitien fut un tyran, assassinant plusieurs membres de sa famille… mais ils n’ont pas visé spécifiquement les chrétiens.

La religion chrétienne était interdite.
Faux.
Les Romains acceptaient tous les dieux, ils avaient même créé un temple en leur honneur, le Panthéon. Dans les Actes de Pierre, que j’ai déjà cité, un sénateur dit à Pierre qui hésitait à parler : « rassure-toi, les Romains sont les amis des dieux« . C’est un auteur chrétien de la fin du II° siècle qui l’écrit.

Nous avons connaissance de deux religions qui ont été momentanément interdites pour trouble à l’ordre public : la procession en l’honneur d’Attis, car les adeptes s’émasculaient en rue et le culte de Bacchus (en -186) suite à un scandale politico-érotique.

Les chrétiens pratiquaient leur religion au grand jour. On recense de nombreux déplacements d’évêques pour assister à des synodes (locaux) ou des conciles (généraux) pour juger les hérésies… qui foisonnaient à l’époque. Eusèbe cite un concile à Rome qui a rassemblé « 600 évêques et un bien plus grand nombre de prêtres et de diacres« . Origène (III° siècle) rassemblait « des milliers d’hérétiques, qu’il convertissait, et un grand nombre de philosophes parmi les plus distingués« . Ce même Origène, qui sera bien sûr persécuté (emprisonné), est appelé, après sa libération, en Arabie (en fait à Bosra, en Irak) à la demande du gouverneur pour « donner connaissance de sa doctrine« . Origène nous conte lui-même les supplices qu’il a dû endurer durant son incarcération… mais doit-on le croire, lui qui était ce qu’on qualifierait maintenant de sado-masochiste. Ne s’est-il pas émasculé à l’âge de 17 ans ?

Notons que les auteurs ne sont pas à une exagération près et que la mention de « prêtres » est peut-être un anachronisme : les prêtres dans la religion chrétienne n’apparaissent qu’au début du IV° siècle.

Eusèbe de Césarée dans le septième livre de son Histoire ecclésiastique, où il reprend des textes de Denys d’Alexandrie (III° siècle), nous dit que dans cette ville, Denys a fait appel à l’empereur Aurélien pour chasser de l’évêché un évêque hérétique. Et ce ne sont que quelques exemples.

Les premiers chrétiens se réunissaient dans les catacombes à Rome.
Faux.
Nous devons cette invention à Chateaubriand dans son ouvrage Les Martyrs. Les catacombes de Rome étaient des carrières qui ont été exploitées jusqu’au début du III° siècle. Comme les emplacements vacants devenaient rares à Rome, elles ont servi, par la suite, de cimetières aux chrétiens, mais aussi aux juifs et aux Romains qui désiraient garder trace de leurs défunts.

Dans un premier temps les chrétiens se réunissaient dans les synagogues ou au domicile d’un adepte avant de faire construire des églises de plus en plus richement ornées. Une grande église dominait même le palais de Dioclétien à Nicomédie et contrairement à ce qu’affirment certains, elle ne fut pas brûlée lors de la persécution car, d’après Lactance, l’empereur « craignait que l’embrasement se répandit aux grandes maisons voisines« … Elle fut néanmoins rasée.

Les habitants de l’empire devaient sacrifier aux dieux romains.
Vrai et faux.
Assister à un sacrifice était un grand honneur, car le sacrifice se faisait en petit comité, et en silence. Le déroulement devait être parfaitement respecté sous peine de nullité du sacrifice. Seuls les hommes libres ayant la citoyenneté romaine pouvaient y participer.

En 212, Caracalla étendit le droit de cité à tous les hommes libres de l’empire romain. Ce qui implique que tous les habitants de l’empire pouvaient s’engager comme légionnaire, qu’ils soient Romains ou Barbares : il crée ainsi une armée de Macédoniens et de Spartiates. Mais la citoyenneté romaine n’oblige pas les « étrangers » à abandonner leurs droits et coutumes locales.

Aurélien (270-275) institutionnalisa le culte solaire de Sol Invictus, divinité originaire d’Orient (Syrie) et très populaire dans les armées du Danube, fêtée le 25 décembre. L’empereur s’identifia à cette divinité. Sur ses monnaies, on trouve l’inscription « deus et dominus natus », né dieu et seigneur.

L’empereur est ainsi le seul à assurer la prospérité et la sécurité de l’empire. En cas de besoin, il sera demandé aux citoyens de prêter allégeance à l’empereur, à Rome. Cérémonie qui consiste soit à brûler de l’encens, à faire une offrande en fruits ou céréales ou à se courber devant sa stature, là où il y en a une. Tout refus sera considéré comme une trahison et passible de poursuite. C’est la cause première de la persécution des chrétiens qui n’avaient probablement pas lu les évangiles où Jésus dit : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.« . On verra que, néanmoins, beaucoup de chrétiens sacrifieront à l’empereur ou obtiendront une dispense. Ce qui plus tard posera problème, on en reparlera.

Notons que jamais les habitants d’une ville n’ont dû de sacrifier à l’empereur collégialement.

Les chrétiens étaient martyrisés lors des jeux du cirque.
Vrai et faux.
Dans l’empire, les jeux étaient très codifiés et leur contenu dépendait de l’organisateur, l’empereur ou un édile, et de la taille du cirque. Le clou du spectacle était les gladiateurs, les stars de l’époque, qui paradaient dans les rues la veille des jeux. Les gladiateurs étaient des hommes libres qui s’engageaient pour une certaine période, souvent 5 ans, auprès d’un laniste. C’étaient donc des professionnels rémunérés pour leurs combats. Au cours de son engagement, un gladiateur ne combattait pas plus de deux ou trois fois par an avec une arme réelle. On estime que 10 à 15% mourraient des suites du combat, souvent d’une blessure mal soignée. La plupart se retiraient fortune faite.

Les jeux organisés par les empereurs commençaient par une chasse aux bêtes exotiques ou par une reconstitution d’un combat naval (dans le Colisée, par exemple). A midi, on exécutait les condamnés à mort. C’est à cette occasion que certains chrétiens ont pu mourir dans le cirque. Mais Lactance n’en parle pas lorsqu’il évoque l’inauguration du cirque que Dioclétien a fait bâtir à Nicomédie. Eusèbe ne parle pas de jeux du cirque. L’après-midi était consacré aux combats de gladiateurs, qui se déroulaient sous le contrôle d’arbitres.

Nous n’avons que deux mosaïques montrant un condamné dévoré par un fauve. Et bien entendu, la tradition y voit un chrétien.

La troisième partie de cet article est consacrée à la façon dont Eusèbe de Césarée et Lactance ont vu et vécu la grande persécution de 303.

6 janvier : fête des Rois

Le 6 janvier, les catholiques fêtent les Rois mages, tandis que les orthodoxes fêtent la naissance de Jésus.

D’où vient cette tradition de fêter les « Rois » ?
Si l’on s’en tient aux évangiles, seul Matthieu peut nous donner des indices :

« Jésus étant à Bethléem de Judée au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l’Orient … » (2, 1-2)
« Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie…ouvrant leurs coffres, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe » (2, 10-11)

Le texte est loin de concorder avec la tradition de Noël : il parle de mages et pas de rois, on ne connaît pas leur nombre ni leur nom et Jésus n’est pas dans une étable, mais dans la maison de Marie et de Joseph, qui dans cet évangile habitent Bethléem. La tradition va s’élaborer au cours des siècles à travers des récits apocryphes. Dans l’Évangile du pseudo-Matthieu, ils sont trois :

 » Alors ils ouvrirent leurs trésors et donnèrent de riches présents à Marie et à Joseph, mais à l’enfant lui-même, ils offrirent chacun une pièce d’or. Et l’un offrit de l’or, le deuxième de l’encens et le troisième de la myrrhe « .

Dans un autre apocryphe, « La vie de Jésus en arabe », on apprend qu’ils sont fils de rois :

« Lorsque Jésus naquit à Bethléem de Juda au temps du roi Hérode, les mages vinrent de l’Orient à Jérusalem – ainsi que l’avait prophétisé Zarathoustra -, portant des offrandes d’or, de myrrhe et d’encens. Certains prétendent qu’ils étaient trois, comme les offrandes, d’autres qu’ils étaient douze, fils de leurs rois, et d’autres enfin qu’ils étaient dix fils de rois accompagnés d’environ mille deux cents serviteurs ».

Le récit s’est enrichi, de nombreuses versions ont l’air de circuler. Avec le temps, vers le V° siècle, ils seront rois eux-mêmes et on connaîtra leur nom : Melchior, Balthazar et Gaspard. Les rois-mages sont nés. On finira par retrouver leur squelette relié par une chaîne en or. Cette relique se trouve dans la cathédrale de Cologne où elle a été vénérée par Benoît XVI en 2005.

Et l’étoile qui guida les mages ?

La ex-pape Benoît XVI, encore lui, propose la conjonction des planètes Jupiter et Saturne qui, d’après Kepler (en 1603), aurait été observée par trois fois en l’an 7 avant notre ère. La théorie de Benoît XVI est peu vraisemblable : l’alignement des planètes ne provoquent pas une « brillance surnaturelle »» comme il le prétend. Les planètes ne sont pas des étoiles, elles ne font que refléter la lumière du soleil. Le 5 août 2016, vers une heure du matin, toutes les planètes visibles à l’œil nu (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) se sont « alignées » ! Et aucun éclat brillant n’a été observé. Par alignement des planètes, on entend que celles-ci sont rassemblées dans une zone du ciel équivalente à la taille de la pleine Lune. Comme les planètes ont des trajectoires fort différentes, contrairement aux étoiles qui semblent voyager ensemble, le phénomène est bref.

Conjonction de Jupiter et de Saturne en 2000.

La photo a été prise au téléobjectif ce qui donne plus d’éclat au phénomène, mais éloigne les planètes. Donc, les planètes sont plus proches, mais moins lumineuses. Le phénomène dure environ une demie heure avant que les planètes ne s’éloignent.

Si toutes les planètes s’alignaient réellement, comme dans l’Exorciste, que se passerait-il ? Rien. On ne verrait que la planète à l’avant plan, les autres étant éclipsées, dans le sens premier du terme.

Si ce n’est pas la conjonction de plusieurs planètes, ça pourrait être une comète. On connaît la périodicité des comètes et aucune n’a été signalée au temps d’Hérode. La comète de Haley qui a une périodicité de 76 ans est apparue en 1986. Elle aurait donc été visible en 56 avant notre ère et en 20 après.

La dernière piste qui nous reste est l’explosion d’une supernova, une étoile massive qui termine sa vie dans une gigantesque explosion visible de jour comme de nuit. C’est le phénomène astronomique le plus spectaculaire. Contrairement aux éclipses et aux passages de comètes, l’explosion d’une supernova ne peut pas être calculée. On s’en remettra donc aux historiens antiques. Hipparque (190-120) décrit une telle explosion survenue en 134 avant notre ère. Les Chinois rapportent qu’en 185 de notre ère, le phénomène fut visible 8 mois durant. Mais rien sous Hérode.

L’astronomie ne nous apporte aucune précision sur l’étoile qui a conduit les mages. Mais ne nous désolons pas et laissons ce récit dans le tiroir des fables.

Les martyrs (1ère partie)

Que serait la religion catholique (et orthodoxe) sans ses saints martyrs, objets de toutes les vénérations. A voir les ex-voto ornant les murs des églises, on peut constater que l’esprit exerce une grande maîtrise sur le corps.

La tradition fourmille de martyrs persécutés par les Romains. D’où viennent ces récits ? On peut y voir quatre sources : la vie des saints, la vie des disciples, la vie des évêques et enfin, de rares chroniques contemporaines des persécutions.

Aussi curieux que cela puisse paraître, la vie des saints n’est racontée qu’au XIII° siècle par un moine dominicain de Gênes, Jacques de Voragine, dans l’oeuvre de sa vie : la Légende dorée. C’est dans cet ouvrage que l’on rencontre saint-Denis parcourant les rues de Paris, la tête sous le bras ; Marthe, la sœur de Lazare, forcée de quitter la Palestine dans un bateau sans voile, sans rame ni gouvernail, arrivant à Tarascon pour y terrasser un monstre ; et bien d’autres.

La vie des disciples est mise par écrit dès le II° siècle. Mais la rédaction des « actes » va perdurer jusqu’au V° siècle. Dans ces récits, le merveilleux le dispute au fantastique. C’est à qui fera le plus de miracles et aura la mort la plus atroce,… la plus glorieuse. Ainsi Pierre est crucifié la tête en bas. La tête de Paul tombe en faisant jaillir du lait au verset 14, 5 des Actes de Paul, mais au verset suivant, il apparaît devant Néron et de « nombreux philosophes » proférant des menaces.

Les évêques ne devaient donc pas être en reste. Que de souffrances subies dans la joie, entourés de leurs amis ! Leur martyres furent compilés au cours des siècles sous le titre de : Acta sincera et selecta primorum martyrum, en abrégé, les Actes des martyrs. Les martyrs y sont victimes des persécutions romaines, mais également des Germains arianisés. En 1903, paraissait une version actualisée (définitive ?) au nom évocateur : « Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du Christianisme jusqu’au XX° siècle« .

Tous ces ouvrages ont été rédigés sur base de récits « de personnes dignes de confiance », d’où le qualificatif de « sincère » et « authentique ». Mais ces rapporteurs sont restés anonymes. Heureusement, nous avons les écrits de deux témoins de la « grande persécution » dont nous allons parler. Ces deux chroniqueurs sont Eusèbe de Césarée et Lactance. Tout deux ont vécu au IV° siècle de notre ère et j’en ferai une brève présentation à la fin de cette première partie.

La deuxième partie de cet article sera consacrée aux fausses affirmations que la tradition a colportées sur le statut des chrétiens dans l’empire romain et la troisième partie à la « grande persécution » à la lumière des textes d’Eusèbe et de Lactance.

La situation de l’empire romain à partir du III° siècle.

Pour tenter de comprendre la « grande persécution » qui débuta en 303, et se poursuivit durant 10 ans d’après Eusèbe ou 8 ans d’après Lactance, il faut connaître la situation de l’empire romain à cette époque.

Dès la fin du règne de la dynastie des Sévères (235), l’empire romain est en pleine déliquescence : les Barbares sont aux frontières et les légions ne servent plus que leur chef. Ainsi, de 235 à 253, en 18 ans, 12 empereurs se succèdent devant parfois composer avec un usurpateur (8 au total) dans une autre partie de l’empire. Il va sans dire que la plupart de ces empereurs ont été assassinés. Un est néanmoins mort dans son lit… de la peste après 4 mois de règne (Hostillien).

A partir de 253, une stabilité relative revient pour 15 ans, seuls deux empereurs vont se succéder : Valérien, capturé par les Perses et mort en captivité, et Gallien… assassiné. Mais ils devront faire face à pas moins de 10 usurpateurs !

Et la valse des empereurs reprend dès 268 : 9 en 17 ans. La plupart de ceux-ci ne sont plus nés en Italie, mais en Pannonie, sur les bords du Danube, à cheval sur l’Autriche, la Hongrie et l’ancienne Yougoslavie. Le centre du pouvoir s’est déplacé vers l’est. Sous Aurélien, né a Sirmium (270-275), qui réussit à régner 6 ans, l’empire perd la Dacie, conquise par les Goths.

En 284, les légions du Danube proclament Dioclétien empereur. Il est né en
Dalmatie (Croatie) en 244. Il va révolutionner la politique romaine. Il crée la Tétrarchie : l’empire sera gouverné par deux augustes (les empereurs) et deux césars (leurs successeurs désignés).

Dioclétien s’installe à Nicomédie, actuellement Izmit, en Bithynie, dans le nord-ouest de la Turquie (non loin d’Istanbul). C’est dans cette région éloignée qu’auront lieu les conciles célèbres de Nicée et de Chalcédoine. On ne s’étonnera donc pas que les conciles n’arrivaient pas à ressembler les évêques de l’Occident… dont celui de Rome. Ils arrivaient en retard !

Le césar de Dioclétien (Galère) réside à Sirmium, actuellement Mitroviça en Serbie. Dans la partie occidentale, Maximien Hercule est auguste à Milan avec comme césar, Constance Chlore (le pâle) qui garde la frontière germanique à partir de Trèves. Constance est le père de Constantin, le premier empereur chrétien.

L’empire a été partagé suivant l’appartenance linguistique de ses habitants. L’Orient de culture grecque comprend les Balkans, la Grèce, l’Anatolie, la Syrie, la Palestine, l’Egypte et la Libye. L’Occident regroupe les locuteurs latins d’Italie, des Gaules, de Bretagne, d’Espagne et de Numidie (l’Afrique du Nord).

L’intérêt de cette répartition du pouvoir est double :

  • les centres de décision sont près des frontières, la réaction sera plus rapide en cas d’invasion.
  • les guerres de succession seront évitées puisque les successeurs sont désignés du vivant de l’empereur. Cela va fonctionner plus ou moins bien. On aura bien des conflits lors de la désignation des césars, mais l’anarchie ne régnera plus dans tout l’empire.

Lactance

Lactance, de son vrai nom, Lucius Caecilius Firmianus, est né vers 250 dans l’Algérie actuelle. Il sera rhéteur, il enseignera la rhétorique, l’art de l’éloquence. Il s’installe à Nicomédie où il se retrouvera sans travail. Deux hypothèses peuvent expliquer cette situation : étant de langue latine, il n’aurait pas convaincu les Grecs ou, en tant que chrétien, il aurait été interdit d’enseignement : on ne peut pas enseigner ce qu’on exècre.

Sous l’empereur Constantin, il sera appelé à la cour. Il y meurt vers 325. Il a écrit De Mortibus Persecutorum (Sur la mort des persécuteurs) dont je parlerai dans la troisième partie.

Il faut remarquer que bien que résidant à Nicomédie en pleine persécution, il ne sera jamais inquiété.

Eusèbe de Césarée

Eusèbe est né en Palestine vers 265. Il sera nommé évêque de Césarée en 310, en pleine persécution dont il n’aura pas à souffrir bien que, d’après ses dires, il assista à de nombreux martyres.

Comme Lactance, il fera partie de la cour de Constantin qu’il ne cessera de flatter dans ses divers ouvrages. En religion, il oscille au gré des tendances : il est d’abord arien et se fait excommunier avant de se repentir et de devenir un pourfendeur de l’hérésie… et un père de l’Eglise.

Il a écrit de nombreux ouvrages ou du moins on lui attribue la paternité de ceux-ci : entre autres Histoire ecclésiastique en 9 livres (une centaine de pages A4 actuelles), Sur les martyrs de Palestine et La vie de Constantin en deux livres. Il écrit en grec et est très prolixe.

La femme de Jésus ?

FRONT

Dans mon livre, j’avais parlé d’un Papyrus présenté par Karen Leigh King, professeure d’histoire ancienne à la faculté théologique d’Harvard. Dans ce document, incomplet, on pouvait lire « Jésus leur dit : ma femme » (ligne 4) et à la ligne 3, on citait Marie. J’avais conclu : « affaire à suivre ».

Et la suite est venue.
Ce papyrus a été réalisé par Walter Fritz, un étudiant en égyptologie à l’université libre de Berlin. Fin de l’enquête.